LES ANNEAUX DE POUVOIR : Entretien exclusif avec Wayne Che Yip, réalisateur et co-producteur exécutif
Article Cinéma du Vendredi 09 Septembre 2022

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Le réalisateur anglais d’origine chinoise Wayne Che Yip a récemment dirigé des épisodes de la série de fantasy LA ROUE DU TEMPS pour Amazon, et collaboré avec la société de production de Jordan Peele Monkeypaw Productions sur la série à suspense HUNTERS avec Al Pacino dans le rôle du dirigeant d’une organisation secrète de chasseurs de nazis. Parmi ses précédentes réalisations dans le domaine du fantastique, on peut citer les épisodes spéciaux du nouvel an de DOCTOR WHO avec Jodie Whittaker, de nombreux épisodes de PREACHER avec Dominic Cooper, et la série humoristique HAPPY! , avec Chris Meloni en tueur se liant avec l’amie imaginaire de sa fille kidnappée, une licorne ailée.

Le projet du SEIGNEUR DES ANNEAUX vous a-t-il été proposé par Amazon studios alors que vous travailliez déjà sur LA ROUE DU TEMPS ? Cette série de Fantasy a-t-elle été un bon entraînement pour aborder la mise en scène des ANNEAUX DE POUVOIR ?

Non, en fait on m’a proposé LES ANNEAUX DE POUVOIR avant ! J’ai rencontré le producteur exécutif Lindsey Weber en 2019, alors que la préproduction de la série venait tout juste de commencer. Après cette prise de contact initiale, je n’ai plus eu de nouvelles de sa part pendant six mois, car lui et toute son équipe étaient totalement accaparés par l’ampleur de ce travail préparatoire. C’est pendant cette période que l’on m’a proposé de participer à LA ROUE DU TEMPS. J’ai tout de suite accepté, ne sachant pas encore si je serais finalement engagé sur LES ANNEAUX DE POUVOIR ou pas. J’ai été très honoré de rencontrer la talentueuse équipe de LA ROUE DU TEMPS, qui est l’adaptation d’un autre grand roman de Fantasy, et cela m’a permis de me familiariser avec ce genre. Quand on constate que j’ai travaillé d’abord sur LA ROUE DU TEMPS, puis sur LES ANNEAUX DE POUVOIR, je comprends très bien que l’on puisse imaginer qu’il s’agit d’une stratégie de carrière, mais en réalité c’est purement et simplement le fruit du hasard ! Cependant je ne qualifierais pas le travail que j’ai fait sur LA ROUE DU TEMPS d’entraînement, car cela aurait une connotation péjorative, comme s’il s’agissait d’un projet de moindre importance, ce qui n’est absolument pas le cas, car c’est une série ambitieuse et spectaculaire. Mais effectivement, elle m’a permis de me familiariser avec certaines situations typiques de l’univers de la Fantasy que j’ai retrouvées pendant les prises de vues des ANNEAUX DE POUVOIR, comme les tournages en forêt, sur des terrains humides et boueux ! Apprendre à gérer ces conditions de prises de vues-là a été sans aucun doute un très bon entraînement. On doit trouver constamment des solutions pour avancer, à tous les sens du terme ! (rires) C’était fascinant de se retrouver dans un univers fortement influencé par Tolkien, et de commencer déjà à jouer dans ce grand « bac à sable » de la Fantasy !

J.A. Bayona a réalisé les deux premiers épisodes de cette saison, Charlotte Brändström les deux derniers, tandis que vous avez dirigé les quatre du milieu. Cela signifie que vous aviez mis en scène beaucoup plus de développements consécutifs de situations et géré aussi plus de personnages différents, puisqu’ils sont introduits au fur et à mesure que le récit avance. Comment vous êtes-vous préparé à le faire ? Avez-vous lu la bible de la série pour connaître et mémoriser les trajectoires au long cours de chacun de ces nombreux personnages ? Le descriptif de la série indique une vingtaine de caractères récurrents !

Ce n’était pas nécessaire : je me suis plongé dans les scripts pour y puiser les renseignements dont j’avais besoin pour conçevoir la narration visuelle de chaque épisode. Vous savez, les scripts sont extrêmement bien écrits. On comprend très bien les motivations des personnages, et les raisons de leurs actes, même s’ils décrivent aussi des éléments mystérieux et qui doivent le rester pour entretenir le suspense. Concrètement, quand il m’arrivait d’avoir un doute, je consultais les showrunners Patrick McKay et J.D. Payne, ils me donnaient aussitôt la réponse dont j’avais besoin, et je pouvais être sûr de ne pas me tromper dans la signifiation de mes choix de mise en scène ni dans la manière de diriger les comédiens.

Vos échanges avec les responsables des principaux départements artistiques – décors, maquillages, costumes, effets visuels – vous aidaient-ils aussi dans la préparation de la réalisation de vos épisodes ?

Oui, énormément ! Et les acteurs aussi, bien sûr, car en s’étant préparés intensivement à incarner un personnage, et en le jouant au fil des épisodes, ils finissent par en avoir une vision globale unique : ils le connaissent mieux que quiconque. Le casting de la série est formidable. Tous ces acteurs sont excellents et dans la majorité des cas, les indications que je leur donne ne concernent pas leur jeu – ils savent très bien comment incarner leur personnage dans une situation précise, ils ont juste parfois besoin d’un regard extérieur pour ajuster leur performance - mais plutôt la manière dont la scène va être filmée et l’atmosphère visuelle qui va s’en dégager. Vu de l’extérieur, je comprends très bien que l’ampleur du projet puisse donner l’impression qu’un réalisateur doit tout savoir, tout maîtriser, pour mettre en scène un épisode. Mais en réalité ce n’est pas le cas. Un réalisateur n’est pas contraint de tout mémoriser d’emblée parce que la création d’une série est essentiellement un travail d’équipe. Et un processus évolutif. Nous avançons tous en même temps, dans la même direction. Chaque apport artistique des uns fait progresser la démarche des autres, et enrichit la narration. Grâce à cela, nous nous sentons soutenus, en confiance.

Vous étiez-vous mis d’accord avec J.A. Bayona et Charlotte Brändström sur l’approche de la mise en scène de la série ?

Absolument. Nous avons eu l’occasion d’en discuter longuement tous ensemble, et aussi avec les showrunners et toutes les équipes, parce que nous nous sommes retrouvés en Nouvelle-Zélande pendant la période de la pandémie de Covid qui nous a contraints à rester confinés, sans possibilité de quitter le pays. Dans des circonstances si particulières, on forme vite une communauté soudée. Parfois nous discutions de choses très spécifiques, par exemple de l’approche visuelle de certaines scènes, mais c’était aussi souvent des discussions informelles et bon enfant. Comme nous prenions plaisir à bavarder, ces échanges se poursuivaient autour d’un verre ou d’un repas, de façon très conviviale. Cette bonne entente n’est pas le fruit du hasard, car nous avons tous été choisis en fonction de la manière dont nous avions présenté notre vision de la série, le style de performances que nous attendions des comédiens, et nos idées de mise en scène. Ces visions et ces idées étaient complémentaires, et permettaient déjà de savoir que nous pourrions donner vie à cette histoire de manière harmonieuse.

Quels ont été les plans les plus difficiles à tourner, techniquement ?

Tous ceux avec des personnages de différentes tailles ! Dès que vous voyez dans le même plan des harfoots – les ancêtres des hobbits – et un humain ou un nain qui discute avec un elfe, cela signifie que ces décors ont dû être créés à deux échelles différentes : agrandie pour les acteurs jouant les harfoot ou les nains, et réduite pour les comédiens tenant les rôles des elfes ou des humains. Il faut ajouter à cela la présence de doublures de très grande taille des elfes et/ou des humains quand on tourne les plans des harfoot ou des nains, et inversement, des doublures de petites taille pour jouer aux côtés des acteurs incarnant les elfes ou les humains ! Cela contraint également le département des costumes à réaliser des versions de ces tenues à deux échelles différentes : une pour l’acteur, l’autre pour sa doublure grande ou petite. Idem pour les accessoires utilisés pour ces personnages : armures, épées, bâtons de marche, bijoux, tout est fait à deux échelles ! Si nous avons bien fait notre travail, vous aurez le sentiment que ces images ont été filmées normalement, avec des personnes de différentes tailles, alors qu’il s’agit d’effets visuels très sophistiqués.

Avez-vous employé aussi des effets plus traditionnels de fausse perspective, réalisés directement à la prise de vue pour créer l’illusion qu’un personnage placé plus loin est plus petit que l’acteur qui se tient en fait plus près de la caméra et plus haut, sur une plateforme ?

Oui. Nous avons utilisé cette méthode et aussi absolument tous les autres trucages existants pour créer ce type d’effets !

On a beaucoup parlé du budget record de la série. Change-t-il beaucoup de choses au jour le jour dans votre travail de réalisation ?

Il nous permet d’utiliser tous les outils techniques dont nous avons besoin, et aussi de disposer du temps nécessaire pour tourner des trucages complexes comme ceux dont nous venons de parler. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune limite, aucune contrainte à respecter. Très franchement, et même si, une fois encore, nous avions le temps de filmer ces séquences d’effets visuels, je mentirais si je prétendais n’avoir jamais souhaité disposer d’une ou deux heures de plus à certaines occasions ! (rires)

La prochaine partie de notre dossier consacré aux ANNEAUX DE POUVOIR arrivera bientôt sur ESI. Bookmark and Share


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