PINOCCHIO, de Guillermo del Toro et Mark Gustafson, un nouveau chef d’oeuvre de la Stop Motion, à découvrir sur Netflix – 1ère partie
Article Animation du Mardi 29 Novembre 2022

Guillermo del Toro, cinéaste oscarisé, et son coréalisateur Mark Gustafson réinventent le conte de Carlo Collodi autour du pantin de bois qui s’anime par magie. Ils l’entraînent dans une aventure féerique qui révèle la toute-puissance de l’amour...

L’ANIMATION IMAGE PAR IMAGE, UNE PASSION DE JEUNESSE

La passion de Guillermo del Toro pour l’animation en stop-motion en est née dès l’enfance, à l’époque où il vivait à Guadalajara, au Mexique. À l’âge de 8 ans, il tournait ses propres petits films amateur en stop-motion en se servant de ses jouets et d’une caméra Super 8 appartenant à son père. Adolescent, il a commencé à donner des cours d’animation en pâte à modeler – et c’est alors qu’il a eu une idée qui allait aboutir quarante ans plus tard ! Il s’agissait de l’adaptation d’un classique du conte pour enfants autour d’une marionnette qui prend vie...

« J’enseignais le stop-motion et un des élèves était bien meilleur que moi en animation, si bien que je lui ai proposé de faire équipe avec moi : il allait piloter l’animation et j’allais imaginer le récit », se souvient del Toro. « C’est à cette époque que, pour la première fois, j’ai eu l’idée de faire Pinocchio en stop-motion, mais le projet évoquait davantage l’histoire de FRANKENSTEIN. En effet, il s’agissait d’un personnage totalement vierge qui se retrouvait projeté dans le monde pour découvrir son identité, quelle était sa place, et pourquoi il avait été créé ».

Désormais, avec ce douzième long métrage, le cinéaste entame un nouveau chapitre de sa brillante carrière en portant à l’écran le conte écrit par Carlo Collodi au XIXème siècle : son adaptation rend hommage au texte d’origine et à l’art du stop-motion, tout en les sublimant. En s’attachant à la dimension sombre du livre et à ses questionnements existentiels, et en faisant appel à un style d’animation qui plonge aussitôt le spectateur dans un état d’émerveillement, del Toro a cherché à signer une œuvre à la fois jubilatoire et mélancolique, féerique et porteuse de sens. Une œuvre destinée à toutes les générations, adultes et enfants confondus.

« Nous sommes dans un monde devenu beaucoup plus complexe depuis ces quinze ou vingt dernières années, et les enfants se posent désormais des questions et veulent avoir des réponses sur des réalités particulièrement complexes », relève le réalisateur. « Ils sont traversés par des émotions complexes, elles aussi. Ils ont le sentiment qu’on a besoin de se parler pour distinguer entre la vérité et les mensonges, pour savoir ce qui crée du lien au sein des familles, ce qui définit l’être humain et la vie même. Je trouve que cette fable est attachante, vive, drôle et émouvante, mais, surtout, qu’elle favorise ce genre de débat ».

« J’ai eu l’impression que le moment était tout choisi pour proposer une version plus sombre de PINOCCHIO », poursuit-il. « Je voulais faire un film sincère, qui s’adresse à tous les spectateurs, mais en utilisant l’une des techniques d’animation les plus délicates et les plus artisanales et en en exploitant toutes les possibilités. Je crois que l’animation est arrivée à un stade qui permet d’en faire une forme d’expression artistique, reconnue comme du cinéma à part entière, et non seulement comme un genre destiné à un public familial. À mes yeux, l’animation doit se dépasser en faisant davantage preuve d’audace, sur le plan technique et thématique, et en abordant le conte dans sa forme artistique la plus pure afin qu’elle nous touche au plus profond. L’histoire de Pinocchio s’y prête parfaitement ».

LE TOURNAGE

Plusieurs décennies après avoir envisagé sa propre version de Pinocchio en stop-motion, del Toro a enfin eu l’occasion de concrétiser son rêve lorsqu’il a été contacté par Lisa Henson, PDG de la Jim Henson Company, qui lui proposait de s’atteler à une nouvelle adaptation du célèbre conte. La Henson Company avait acquis les droits d’une édition de 2002 du PINOCCHIO de Collodi, illustrée par l’artiste primé Gris Grimly.

« On était totalement emballés par le graphisme de Gris et la vision qu’il avait de l’histoire », souligne Lisa Henson. « C’était un formidable point de départ d’une relecture de Pinocchio qui correspondait beaucoup plus à la noirceur et à l’étrangeté du livre de Collodi. On a immédiatement contacté Guillermo ».

Del Toro a été frappé par la représentation que proposait Grimly de la marionnette, avec un long nez pointu semblable à un bec et des bras et jambes filiformes. « En quelques coups de crayon, Gris a réussi à cerner la nature profonde du personnage comme je ne l’avais jamais vu auparavant », témoigne del Toro. « Il dégageait l’énergie enfantine et l’innocence d’une marionnette turbulente, mais qui a bon cœur ».

Bien que l’enthousiasme du cinéaste pour le projet ne se soit jamais émoussé, le film est passé par plusieurs phases de gestation et de changements de style au fil des années. Rapidement, l’équipe de tournage a commencé à prendre forme dès lors que Mark Gustafson, grand spécialiste de stop-motion, a été engagé pour coréaliser le film aux côtés de Guillermo del Toro. Tout comme le cinéaste avait collaboré avec son élève à l’époque où, adolescent, il vivait au Mexique, il comptait sur l’expérience de Gustafson en matière de stop-motion : en effet, celui-ci pouvait prendre en charge les tâches quotidiennes avec un bataillon d’animateurs cherchant tous à repousser les limites d’une des plus anciennes techniques du cinéma.

Del Toro était un admirateur de longue date de Gustafson qui avait témoigné d’un esprit novateur lorsqu’il travaillait pour le studio d’animation Will Vinton Studios, spécialisé en Claymation [animation de pâte à modeler, NdT]. À l’époque de Gustafson, le studio avait conçu des publicités célèbres – pour les raisins de Californie ou les M&M’s – ou encore la série LES STUBBS (1999) et le long métrage LES AVENTURES DE MARK TWAIN (1985). « À mes yeux, les réalisations de Mark en Claymation sont d’une importance capitale », reprend del Toro. « Ce que j’adore, c’est qu’avec la pâte à modeler, on perçoit les empreintes digitales de l’animateur sur les personnages, si bien que le résultat est délibérément impressionniste – les décors et les personnages ont un côté tactile. Il a obtenu un style similaire dans FANTASTIC MR. FOX. Son registre artistique, en matière de Claymation, est d’une richesse extraordinaire. C’est le seul dans sa spécialité qu’on ait contacté ».

« Il y a un nouvel engouement pour le stop-motion depuis une quinzaine d’années », relève Gustafson. « Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a désormais des artistes qui ont vu des films en stop-motion quand ils étaient petits, qui ont été forgés par ce moyen d’expression et qui ont aujourd’hui la maturité suffisante pour concrétiser un rêve comme PINOCCHIO. Guillermo a insufflé son énergie et son esthétique issues du cinéma en prises de vue réelles au film. Lorsque le stop-motion, qui est avant tout un artisanat, bénéficie d’un tel degré de raffinement, on obtient un résultat d’une force inouïe ».

D’après le producteur Gary Ungar, « Mark était le partenaire idéal de Guillermo parce qu’il connaît le stop-motion sur le bout des doigts et qu’il le pratique depuis très longtemps. Guillermo possède un véritable esprit d’équipe, il aime apprendre au contact des autres et avoir des échanges artistiques avec eux ».

Lisa Henson a ensuite présenté del Toro et Gustafson à Alex Bulkley et Corey Campodonico, cofondateurs du studio d’animation primé ShadowMachine. Grâce à la série plébiscitée ROBOT CHICKEN et la série Netflix BOJACK HORSEMAN, ShadowMachine s’est bâti la réputation de savoir produire des programmes de grande qualité – et la structure était ravie de s’associer avec les réalisateurs pour PINOCCHIO. « Quand un cinéaste, quelles que soient son envergure et son expérience, nous contacte, Corey et moi, sa passion nous galvanise », affirme Bulkley. « Avec Guillermo, on sentait que la relation père-fils qui l’intéressait dans PINOCCHIO est la raison pour laquelle il s’est autant passionné pour le projet. On l’a accompagné jusqu’au bout ».

Alex Bulkley et Corey Campodonico n’ont pas tardé à faire venir une formidable équipe d’artistes, de graphistes, d’animateurs et de techniciens dans leur studio de Portland, dans l’Oregon. Campodonico précise : « On a eu la chance de réunir l’une des meilleures équipes de stop-motion au monde pour permettre à Guillermo et Mark de concrétiser leur vision du film. Tout le monde voulait participer au projet pour le faire aboutir ».

L’ÉCRITURE D’UN NOUVEAU CONTE DE FÉE

Au cours de ses premières discussions avec Gustafson, del Toro lui a expliqué qu’il souhaitait bousculer l’un des postulats majeurs de l’œuvre de Collodi. « Dans mon esprit, il était clair que Pinocchio ne devait pas se transformer en petit garçon en chair et en os, ni que cela soit un but ultime qu’il cherche à atteindre, sans y parvenir », relève le cinéaste. « Quand j’étais gamin, j’avais le sentiment que le message de PINOCCHIO, c’était que pour être aimé, il fallait nécessairement changer, ce qui me semblait inacceptable. C’est ce qu’on a vu dans toutes les adaptations précédentes. Si on peut ajouter deux ou trois nuances qui vont totalement à l’inverse des adaptations antérieures, il ne s’agit pas d’en adopter le contrepied gratuitement, mais de prendre conscience que l’œuvre peut avoir une résonance différente si on en change la tonalité ».

Del Toro a collaboré à l’écriture avec le scénariste Patrick McHale, lauréat d’un Emmy, qui a notamment écrit la série d’animation ADVENTURE TIME AVEC FINN ET JAKE. « Je savais qu’il me fallait quelqu’un qui ait l’habitude de l’animation car on y aborde l’écriture et les dialogues très différemment », confie del Toro. Ce dernier avait été emballé par La Forêt de l’étrange, minisérie signée McHale autour de deux frères perdus dans une forêt enchantée qui, pour retrouver leur chemin, ne peuvent se fier qu’à un sage bûcheron et à un merlebleu doué de parole. « Sur le plan de la dramaturgie comme du style visuel, LA FORÊT DE L’ÉTRANGE est l’une des plus belles œuvres d’animation que j’aie jamais vue », reprend le cinéaste. « On s’est tout de suite bien entendus parce qu’on est aux antipodes l’un de l’autre ! Patrick est réfléchi et posé, tandis que je suis mon instinct ».

Pour les scénaristes, il était également important de situer l’histoire à l’époque de Mussolini.

« Je tenais à évoquer un monde où chacun se comporte comme une marionnette et obéit au doigt et à l’œil, et où la seule créature rebelle est une marionnette », indique del Toro.

McHale, dont l’arrière-grand-père était lui-même menuisier et italien, s’est documenté sur le contexte historique dans lequel s’inscrit le conte de Collodi pour enrichir le scénario. « Le récit est raconté d’un point de vue très enfantin, si bien que la perception de l’univers de PINOCCHIO est nécessairement déformée », témoigne le scénariste. « Ce qui peut sembler absurde et arbitraire pour un lecteur adulte peut permettre à un enfant de mieux cerner les absurdités de l’existence – et en particulier celles des dépositaires de l’autorité et de la bureaucratie de l’administration. Le livre est très italien dans les émotions fortes qu’il convoque, dans les alternances entre allégresse et détresse. Il y a beaucoup de disputes dans le roman, mais c’est toujours drôle et bon enfant ».

Progressivement, del Toro et McHale ont sélectionné certains personnages et situations dans le texte de Collodi et quelques éléments dramaturgiques écrits par le cinéaste antérieurement. Ensemble, ils ont mis l’accent sur la complexité des rapports père-fils entre Pinocchio et Geppetto, nés de la relation entre le vieux menuisier et son fils Carlo. « Dans notre adaptation, Pinocchio n’est pas tel que Geppetto voudrait qu’il soit », explique McHale. « Les parents se projettent souvent une idée de leurs enfants, et quand ces derniers ne correspondent pas à cette projection, ils cherchent à faire en sorte qu’ils s’y conforment. On s’est dit que la lecture de Guillermo du conte allait trouver un écho chez beaucoup de parents désemparés par le comportement de leurs enfants – et chez les enfants agacés par leurs parents intrusifs. Le film leur permettra peut-être à chacun de comprendre le point de vue de l’autre ».

« Ce qui me plaisait bien, c’était d’avoir un homme désespéré qui supplie le ciel de lui ramener son fils – et incapable de le reconnaître quand celui-ci revient », complète del Toro. Souhaitant évoquer la matière dont Pinocchio est constitué, il ajoute : « Pinocchio a été fabriqué à partir d’un arbre qui a lui-même poussé à partir d’une pomme de pin que Carlo a sélectionnée et sur laquelle il a veillé amoureusement. L’idée que le Criquet se fasse un nid dans cet arbre – le nid qui deviendra le cœur de Pinocchio – m’a emballé ».

La suite de notre dossier PINOCCHIO apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


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