PINOCCHIO : La conception et la fabrication des marionnettes
Article Animation du Jeudi 01 Decembre 2022

LA CONCEPTION ET LA FABRICATION DES MARIONNETTES

Si les illustrations des personnages de PINOCCHIO par Gris Grimly avaient au départ poussé del Toro à proposer sa propre adaptation du conte, le cinéaste était bien conscient qu’il allait devoir en modifier le graphisme pour créer des marionnettes en trois dimensions. C’est ainsi qu’il a sollicité l’un de ses plus proches collaborateurs, le chef-décorateur Guy Davis (THE SHAPE OF WATER - LA FORME DE L’EAU, NIGHTMARE ALLEY), afin d’imaginer des marionnettes qui se démarquent des stéréotypes associés à l’animation. (Davis est aussi l’un des décorateurs du film.)

Soucieux d’éviter un style trop cartoonesque, Davis a donné aux créatures une allure artisanale et européenne. En revanche, il a fait en sorte que les personnages humains ne soient pas trop réalistes, n’hésitant pas à allonger leur corps ou à exagérer certaines expressions de visage. « C’est une histoire qui parle de marionnettes, jouée par des marionnettes », poursuit del Toro. « On n’a pas besoin de se dire que ces sont des êtres réalistes – il faut seulement croire à leurs personnages. On voulait que l’allure et la personnalité soient réunies en une seule créature. On voulait que le style contribue à raconter l’histoire ».

C’est le studio anglais Mackinnon & Saunders qui a fabriqué les marionnettes. Plus grand spécialiste mondial de marionnettes pour le stop-motion, Mackinnon & Saunders a notamment conçu des personnages mémorables pour MARS ATTACKS !, LES NOCES FUNÈBRES et FANTASTIC MR. FOX. Autant dire que dès les premiers jours du tournage, les réalisateurs étaient convaincus que les artisans de l’entreprise de Manchester étaient les seuls à pouvoir imaginer les personnages comme Pinocchio, Geppetto, le Criquet, Volpe, Spazzatura et le Podestat. « Ce sont des maîtres dans leur domaine et ils sont capables de fabriquer des choses que d’autres marionnettistes n’ont ni la patience, ni l’expertise pour le faire », ajoute Lisa Henson.

Pour PINOCCHIO, del Toro souhaitait que les marionnettes soient munies de visages mécaniques. Autrement dit, leur peau de silicone dissimule un dispositif complexe de pales et de roues dentées que les animateurs pouvaient manœuvrer pour faire naître des expressions. Dans la mesure du possible, le cinéaste souhaitait limiter le recours au prototypage rapide, également connu sous le nom d’animation de substitution. Il s’agit d’une technique qui fait appel à une imprimante 3D capable de créer plusieurs facettes d’une marionnette, dont chacune correspond à une expression du personnage. Si un personnage est censé avoir l’air content, triste, perplexe ou agacé dans telle ou telle scène, l’animateur choisir une facette correspondant à l’émotion recherchée. Si la plupart des personnages étaient munis de visages mécaniques, del Toro et ses collaborateurs ont pris conscience que le recours au prototypage rapide allait s’avérer nécessaire, particulièrement pour Pinocchio. Ce dernier devait donner le sentiment qu’il est fait en bois, et l’effet était beaucoup plus simple à obtenir à partir d’une imprimante 3D et d’un matériau en plastique rigide qu’à partir de silicone – matière employée pour la plupart des autres personnages.

Georgina Hayns, responsable de la fabrication des personnages, a joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre de la vision de del Toro. Elle avait travaillé au début de sa carrière chez Mackinnon & Saunders, puis a passé treize ans au sein du prestigieux studio de stop-motion Laika, collaborant ainsi à Coraline et L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN. C’est grâce à ShadowMachine qu’elle a commencé à travailler sur PINOCCHIO à l’automne 2018, au moment où les marionnettes étaient encore à l’état de prototypes, et elle a su déjouer les difficultés de leur fabrication. « En tant que responsable de la fabrication des marionnettes, on a à cœur de respecter, autant que possible, la vision d’ensemble du réalisateur », indique Georgina Hayns. « Mon boulot consiste à régler les problèmes, à faire en sorte que les marionnettes soient fonctionnelles et qu’elles puissent exprimer les émotions requises ».

Un aspect souvent négligé en matière de stop-motion a dû être pris en considération par Georgina Hayns : la nécessité d’animer les costumes des marionnettes. Après s’être documentée sur les costumes italiens du début du XXème siècle, la responsable fabrication, qui était aussi chef-costumière, a constitué des mood-boards à l’aide d’images de référence et d’échantillons de tissus qui, selon elle, pouvaient répondre aux critères des animateurs. « On recherchait un tissu finement tissé et élastiqué, parce que si ce n’est pas le cas, le tissu entrave les mouvements de la marionnette », dit-elle.

D’après la directrice de production des marionnettes Jennifer Hammontree, la magie propre à l’animation des costumes tient aux environnements surnaturels dans lesquels travaillent les animateurs. « On n’est pas en extérieurs, avec la neige, le vent ou la pluie », souligne-t-elle.?« On doit imaginer la manière dont le tissu se comporte quand il est exposé à ces éléments naturels. Du coup, nos costumiers doivent trouver des idées et des techniques innovantes et deviennent presque des experts en effets spéciaux. On a dû équiper l’intérieur des costumes de fils de fer, de mailles et de papier aluminium. À chaque fois qu’on fabriquait une frange, on confectionnait de tout petits fils de fer recouverts de tissus si bien qu’on pouvait animer la frange. Chaque partie de la marionnette était censée pouvoir être contrôlée par les animateurs, et notre boulot consistait à leur fournir autant d’outils que possible ».

Georgina Hayns a proposé au sculpteur marionnettes Toby Froud (DARK CRYSTAL : LE TEMPS DE LA RESISTANCE, MONSIEUR LINK), autre artiste aguerri du stop-motion, d’intégrer l’équipe. Il a aussitôt commencé par créer des maquettes de chaque personnage, puis par sculpter diverses versions de chacun d’entre eux en fonction des échelles.

Bien entendu, il était crucial de déterminer le bon gabarit des marionnettes. En accord avec les réalisateurs, Georgina Hayns et Toby Froud ont conclu que Pinocchio devait mesurer entre 15 et 18 cm de haut – c’était la plus petite taille possible pour que les animateurs puissent tout de même manœuvrer la marionnette manuellement. À partir de là, les personnages adultes comme Geppetto et le Podestat devaient mesurer de 30 à 38 cm de haut pour que l’échelle d’ensemble du film soit cohérente. « Si la marionnette est trop petite, on ne peut pas l’animer », explique Gustafson. « Si Pinocchio est trop grand, tous les autres personnages sont forcément beaucoup plus grands, et il faut alors agrandir tous les décors pour qu’ils puissent accueillir les marionnettes. C’est pourquoi on a cherché à mettre au point la plus petite version de Pinocchio répondant à tous nos besoins, et tout le reste a découlé de son gabarit ».

Tandis que Mackinnon & Saunders s’attelait à la fabrication des principales marionnettes en Angleterre, Froud et d’autres artisans de ShadowMachine ont commencé à construire les autres personnages comme Carlo, le Podestat, l’Esprit des bois, la Mort et la Baleine.

En outre, un deuxième département Marionnettes a été créé au Centro Internacional de Animación (CIA) de Guadalajara, studio d’animation fondé par del Toro en 2019 pour accompagner les talents de la région et promouvoir la production dans le centre et l’ouest du Mexique. « C’est un lieu qui stimule la créativité des habitants de Guadalajara et, à mes yeux, c’est l’un des hauts lieux du stop-motion de l’Amérique latine », explique le cinéaste. C’est là qu’il a engagé León Fernandez, spécialiste primé du stop-motion, pour construire les Lapins Noirs que Guy Davis avait conçus avec des visages longilignes, des cages thoraciques aux os apparents et des mains squelettiques.

Au plus fort du tournage, le département de Georgina Hayns a été surnommé avec humour?« l’hôpital des marionnettes » parce qu’il réparait en un temps record les marionnettes qui avaient été manipulées pendant des semaines par les animateurs. Alex Bulkley propose une analogie éclairante pour évoquer la vitesse et l’attention avec lesquelles travaillait l’équipe de Georgina Hayns. « La réparation des marionnettes qui se cassent pendant le tournage doit se faire aussi rapidement qu’une voiture de Formule 1 se fait ravitailler pour ne pas freiner la production », dit-il. Gustafson ajoute : « Il faut aussi fabriquer des personnages aussi solides que possible parce qu’ils sont brutalisés pendant l’animation. Ils passent par toutes sortes d’épreuves et se cassent. C’est pour cela qu’on a besoin d’un hôpital pour marionnettes. Et grâce à la pandémie, on a tourné beaucoup plus longtemps qu’on ne pensait, si bien qu’on a exploité les marionnettes au-delà de ce qu’elles pouvaient endurer. Du coup, on a instauré un dispositif de rotation permettant de les transporter, de les réparer, puis de les remettre sur le plateau ».

La suite de notre dossier PINOCCHIO apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


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