PINOCCHIO : Direction artistique & décors
Article Animation du Mardi 20 Decembre 2022

Le tournage de PINOCCHIO s'est déroulé sur 60 plateaux différents totalisant 99 décors, occupant ainsi l'intégralité des vastes studios de ShadowMachine à Portland, y compris deux gigantesques entrepôts. Aux côtés du directeur artistique Robert DeSue (MONSIEUR LINK, KUBO ET L'ARMURE MAGIQUE), les chefs décorateurs Guy Davis et Curt Enderle (L'ÎLE AUX CHIENS, LES BOXTROLLS, L'ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN) ont mis au point une atmosphère aux tons reconnaissables et une ambiance d'avant-guerre évoquant l'Italie mussolinienne tout en rendant hommage aux précédentes œuvres cinématographiques de del Toro.

DeSue a choisi des couleurs spécifiques pour chacun des principaux décors : des ors chaleureux et des tons ambrés pour le village, où l'église et la maison de Geppetto sont situées ; de l'orange et du vert pour la fête foraine ; du rouge pour le camp fasciste ; et des tons froids entre le bleu et le violet pour le monde de Limbo, palette chromatique également utilisée pour les scènes avec la Baleine.

Davis et Enderle ont aussi conçu des décors pour les besoins des animateurs : nombre d’entre eux ont été construits avec des murs modulables ou des points d'accès leur permettant d'atteindre les marionnettes et de les manœuvrer. « Les spécificités techniques pour rendre les décors fonctionnels exigent une discipline rigoureuse », explique del Toro, « et il faut donc l’aborder comme un puzzle ou un labyrinthe ».

L'ATELIER DE GEPPETTO

« Le dispositif destiné à concevoir l'atelier de Geppetto était intéressant, car c'est le décor qui s’inspire le plus de la réalité. On s’est beaucoup servi de photographies comme références pour être certain que le décor soit authentique et réaliste, comme dans l'Italie rurale des années 30 », explique Enderle. « Dans l'atelier, un détail architectural marquant est sans doute la grande fenêtre circulaire qui occupe une partie du mur, conçue pour rappeler la grande fenêtre circulaire de l'appartement d'Elisa, l'héroïne de THE SHAPE OF WATER : LA FORME DE L’EAU ».

L'ÉGLISE

L’un des premiers décors à avoir été construit, la gigantesque église du village, est l'endroit où Carlo est tué lors d'une séquence en flash-back. Le décor mesure approximativement 3,30 m de large, 4,5 m de long et 2,4 m de hauteur et l'église est ornée d'impressionnantes fresques et de vitraux détaillés. Au-dessus de l'autel, on y trouve une réplique de crucifix merveilleusement sculptée et des clins d'œil aux films précédents de del Toro sont disséminés dans tout le décor (voir les notes finales pour en savoir plus).

L'église s’inspire de plusieurs recherches historiques, de références authentiques et de souvenirs personnels de del Toro. « C'est une église issue de ma propre enfance en quelque sorte, même si l'intérieur du confessionnal et la chaire viennent d'un confessionnal que j'ai photographié à Paris dans l'église de Notre-Dame de l'Assomption, rue Cambon », confie-t-il.

« On voulait que l'église soit un peu emblématique et on a légèrement joué avec les proportions. La taille du crucifix est gigantesque. On a aussi revu les autres films de del Toro comme L'ÉCHINE DU DIABLE et on s'est servi de la croix que portent les enfants comme référence, même si on voulait qu'elle ait davantage l'air d'être née de la main de Geppetto », précise Enderle.

LA FÊTE FORAINE DE VOLPE

Pour bâtir la tentaculaire fête foraine de Volpe, Davis et Enderle se sont inspirés du catalogue d’archives réunies pour NIGHTMARE ALLEY, dont la première partie se déroule dans une foire itinérante des années 1930, et pour lequel Davis avait été graphiste. « Ce n'est pas une fête foraine au sommet de sa gloire, et on voulait que l'usure et la crasse soient bien visibles – et les stands ne sont pas bien entretenus. Il était important que ç’ait l'air ancien, comme tout le reste dans l'univers de Guillermo, mais aussi authentique et réel », détaille Enderle.

La sphère intime de Volpe, quant à elle impeccablement entretenue, est éloquente sur la vraie nature de ce personnage abject. L'espace, avec son mobilier sculpté et son service à thé ancien, est celui d'un homme au goût raffiné, même si l'usure du tapis montre qu'il n'a pas les moyens de rénover son intérieur. Les décorateurs ont aussi ajouté une touche sinistre en plaçant trois têtes de singes fixées au mur telles des trophées de chasse. « On voulait que cet intérieur raconte une histoire, ce qui nous permet de comprendre l'espace grâce à des détails qui indiquent que Spazzatura a sans doute eu des frères et sœurs ou des prédécesseurs qui ont fini empaillés », témoigne Enderle. « Ça nous dit long sur Volpe ».

LIMBO

Si l'esthétique de l'église du village, de la maison de Geppetto et de la fête foraine est ancrée dans l'histoire italienne, le monde de Limbo a permis aux auteurs de créer un espace résolument stylisé. Pour le mettre en œuvre, il a fallu effectuer plusieurs essais, et Davis, Enderle et DeSue ont échangé leurs idées. « Limbo a été l’un des décors les plus difficiles à concevoir », reconnaît Enderle, «et nous avons sans doute réalisé au départ 15 ou 20 illustrations au moment où on tentait de visualiser comment Limbo pouvait sembler vaste et infini tout en étant lié au personnage de la Mort. On sentait que la Mort avait besoin d’espace et d'un endroit où respirer et on devait donc y insuffler une certaine gravité ».

Les auteurs ont finalement convenu que la salle devrait être circulaire, et que la créature elle-même serait sur un énorme piédestal entouré d'étagères aux multiples sabliers, avec au-dessus d'elle une voûte céleste donnant le sentiment de s'étendre à l'infini dans les ténèbres. « Tout cet environnement est lié au temps. La Mort explique à Pinocchio qu'il doit passer plus de temps à Limbo à chaque fois qu'il s'y rend. C’est pour cela qu’il y a des sabliers sur les étagères au mur et que le sol où il se trouve est en sable. Et c'est grâce à un portail dans ce sable qu'il retourne dans le monde réel, presque comme si un sablier avait commencé à s'écouler », raconte DeSue.

La chambre de la Mort est l'un des rares décors de PINOCCHIO à avoir été presque entièrement conçu à l'aide d'effets visuels. Les seuls éléments physiques à avoir été construits en dur sont le sol, recouvert de véritable sable, le piédestal où repose la Mort et les portes menant à la chambre. L'équipe de Mr. X a créé à la fois les étagères et les sabliers qui y sont posés ainsi que le ciel numérique.

Juste à l'extérieur de la chambre de la Mort se trouve une antichambre occupée par ses assistants, les Lapins Noirs. Leur environnement s’inspire directement d’une série de tableaux intitulés Chiens jouant au poker de l’artiste Cassius Marcellus Coolidge. « Les Lapins Noirs sont assis autour d'une table, en train de jouer, dans ce qui ressemble à un banal bureau, et leur existence est vraiment monotone », déclare DeSue. « Ils sont tout simplement les porteurs de cercueils entre le monde des vivants et celui des morts. Tous les Lapins se ressemblent et on tenait à ce que les murs soient également identiques. Les cercueils autour d'eux évoquent du papier peint, et même à ce moment-là, ce n'est pas un papier peint particulièrement macabre. »

LE CAMP D'ENTRAÎNEMENT FASCISTE

Certaines scènes parmi les plus troublantes du film se déroulent à l'intérieur du camp d'entraînement fasciste. Il s’agit d’un site ancré dans l'histoire puisque, vers le milieu des années 1930, le gouvernement italien a financé des organisations paramilitaires pour la jeunesse : les enfants participaient à des exercices et compétitions sportives, apprenaient à se servir d'armes à feu et à marcher en cadence. Les images de ces lieux ont influencé les premières ébauches de Davies pour le camp mais il s'est aussi inspiré de la célèbre série de tableaux de l'artiste symboliste suisse Arnold Böcklin, L'île des morts, qui représentent une forêt touffue au centre d'un îlot rocheux désolé. « J'essayais de m’imaginer ce camp comme étant situé sur l’une de ces formations rocheuses mais il a ensuite évolué. On ne voulait pas qu'il soit coupé des horreurs de la réalité », explique Davis.

Enderle et lui ont décidé d'y intégrer une fantaisie architecturale : le bâtiment est conçu pour former un M géant en hommage au dirigeant du pays. « Nous nous sommes servis d’une photo que Curt a dénichée où l’on voit de véritables camps d'entraînement fascistes qui illustraient déjà l'esthétique surréaliste et dystopique totalitaire que nous souhaitions pour le film », poursuit-il. « Chaque aspect du camp était conçu pour que l'endroit semble aussi hostile que possible, de l'imposante entrée des dortoirs, où dorment les enfants dans des rangées de petits lits, à l'extérieur du camp, où fausses tranchées et champs de batailles permettent de simuler des jeux de guerre ».

La suite de notre dossier PINOCCHIO apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


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