Dans l’envers du décor de Pinocchio
Article Animation du Vendredi 23 Decembre 2022

LE MONTAGE

Le montage des films en prises de vue réelles intervient le plus souvent en postproduction, mais celui d'un long métrage en stop-motion de l'envergure du PINOCCHIO a nécessité un immense travail de préparation et de planification en amont du tournage. Il a fallu réaliser à l'avance des story-boards de tous les plans pour que les animateurs sachent quelles images ils étaient censés produire chaque jour, tout en ménageant une marge de manœuvre pour d’éventuels changements artistiques. Pour établir le rythme des plans, le monteur Ken Schretzmann (TOY STORY 3, 2010) a échafaudé un animatique détaillé comprenant les story-boards réalisés par les graphistes, ainsi que les dialogues, les effets sonores préliminaires et la musique. « Je construis en gros ce film de A à Z, j'établis son rythme et je mets en place toutes les pièces du puzzle », déclare Schretzmann. « On donne ainsi aux réalisateurs et aux animateurs la possibilité de visualiser le film dans son intégralité avant qu'ils ne s'y attellent et ce dispositif offre aussi l’occasion de réécrire certains passages, si le besoin s'en fait sentir. Cela fait partie du processus d'écriture ».

Une fois le tournage entamé, la co-monteuse Holly Klein (L'ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN, CORALINE) a fait en sorte de filmer les équipes sur le plateau sous tous les angles. « On passe en revue les essais plateau, les essais caméra, les prises de vue – on visionne absolument tout, on importe ces images dans l’ordinateur et on sait exactement ce que fait chaque département. Et quand j'envoie quotidiennement à Mark et Guillermo différentes versions de ce travail, on peut en vérifier chaque élément – par exemple, on peut savoir si la vitesse des caméras doit être accélérée ou ralentie – si bien que s'ils souhaitent explorer d'autres pistes dans la version finale, on peut le simuler dans le logiciel de montage ».

La souplesse en matière de création était importante tant pour les auteurs que pour les animateurs qui ont senti qu’ils avaient la maîtrise de leur travail. « Je dirais que, sur ce film, on a utilisé presque chaque plan de chacune des prises. Ce que j'apprécie vraiment avec Guillermo, c'est que, comme il vient du cinéma en prises de vue réelles, il connaît le temps nécessaire au spectateur pour percevoir un visage et des émotions sur un écran », estime Klein. « Chaque fois qu'on voyait Guillermo et qu'on lui disait quelles prises allaient être animées, il réfléchissait et disait ‘cette prise est trop courte, on a besoin de 20 ou 36 plans de plus’. En animation, en général, on tourne les plans pour obtenir le moment désiré et on termine la scène. Dans ce film, Guillermo a vraiment pris le temps de dire ‘Il faut qu’on aille moins vite. On a besoin de voir Pinocchio réfléchir à telle ou telle chose. On doit le voir prendre en compte les réactions des autres’. Cette démarche prend du temps et parfois jusqu’à 20 plans de plus dans une prise donnée, mais quand on s’est donné la peine de comprendre ce qui traverse la tête de Pinocchio ... c’est là qu’on a le sentiment qu'il est vivant ».

L’ÉCLAIRAGE DE L'UNIVERS DE PINOCCHIO : LA PHOTOGRAPHIE

Le directeur de la photographie Frank Passingham, qui a notamment travaillé sur CHICKEN RUN, SOURIS CITY et KUBO ET L'ARMURE MAGIQUE, a intégré l’équipe et mis en place de nouvelles techniques pour éclairer ce tournage en stop-motion, tout particulièrement grâce au layered lighting ou éclairage de plusieurs sources. Passingham s'est appuyé sur des méthodes utilisées en général dans le cinéma en prises de vue réelles pour éclairer certaines scènes afin de produire un effet hyperréaliste et naturel à la fois qu'on ne voit que très rarement en stop-motion.

Les premières scènes où l’on voit Carlo dans l'église, par exemple, ont permis à Passingham de définir l'un des codes visuels les plus essentiels du film, à savoir la manière dont la lumière traverse les décors et atteint les personnages. « Dans la réalité, la lumière bouge tout le temps et je voulais avoir la même sensation de lumière en mouvement », dit-il. « On peut reproduire cet effet pour accentuer la force émotionnelle d'une scène, comme, par exemple, lorsqu’un personnage s'enfonce dans l’obscurité ».

Juste avant le bombardement de l'église, Passingham baigne Carlo d'une lumière céleste tandis qu'il observe la statue en bois du Christ sur la croix. « On voulait que Carlo arrive à un endroit de l'église où il regarde la statue du Christ et que cette lumière surgisse et descende sur lui au moment où il lève les yeux », ajoute-t-il.

La maison de Geppetto est éclairée par la petite fenêtre située sur le côté opposé de la pièce centrale, ainsi que par la cheminée. « Quand on arpente le plateau d'un film en prises de vue réelles, on commence par demander quelles sont les sources d'éclairage envisageables », explique del Toro. « Ce n'est pas si différent en stop-motion. Les sources de lumière doivent être visibles dans le plan ». Pour éclairer la séquence déchirante où Pinocchio est presque brûlé vif par Volpe, une torche à la main, Passingham a installé des lampes LED à l'intérieur de la torche qui projetaient une lumière vacillante jaune-orangée sur les visages des personnages à chaque plan. « On voulait montrer que lorsque Volpe agite sa torche, elle éclaire son visage, celui de Spazzatura et celui de Pinocchio », explique Passingham. « On s'est rendu compte que si on utilisait des LED dans la torche, cela éclairait son visage et tous les autres personnages mais également le décor environnant au moment où la lumière se déplaçait. En alliant ces différents modes d’exposition, et en traitant la lumière de la lune séparément, on a pu harmoniser l’ensemble en post-production et faire en sorte que le résultat soit très fluide. Comme si la lumière émanait réellement de la torche ».

Del Toro a beaucoup aimé cet effet. « Avec Frank à la lumière, c’était l’équivalent d’un Vittorio Storaro dans un long-métrage en prises de vue réelles », dit-il en faisant allusion au célèbre directeur de la photographie italien oscarisé notamment pour APOCALYPSE NOW et LE DERNIER EMPEREUR. « J’adore la façon dont Frank dispose la lumière en couches distinctes puis les associe harmonieusement ».

LE SOUND DESIGN

Le premier défi à relever pour le designer sonore Scott Martin Gershin et les mixeurs son Jon Taylor et Frank A. Montaño, qui ont tous deux collaboré à THE REVENANT ou encore BARDO : FAUSSE CHRONIQUE DE QUELQUES VÉRITÉS d'Iñárritu (2022), a consisté à créer intégralement une mosaïque sonore dynamique. Dans le cinéma en prises de vue réelles, les équipes disposent d’une « toile de fond sonore », autrement dit une palette de bruits constituée des claquements de mains, des pas sur le sol, du brouhaha en arrière-plan des figurants, etc. Mais en stop motion, chacun de ces éléments a dû être créé, puis méticuleusement intégré aux dialogues et à la musique pour étoffer le paysage sonore du film.

Étant donné qu’il avait déjà collaboré avec del Toro sur PACIFIC RIM et la série THE STRAIN, Gershin a choisi d’aborder l'environnement sonore du film de manière philosophique, conscient que la charge émotionnelle du film trouvait un fort écho chez le réalisateur. « Je veux que les gens ressentent certaines émotions, consciemment ou pas », dit-il. « Mais le public ne doit pas en connaître la raison. Mon travail consiste à susciter l'émotion grâce aux sons les plus subtils ».

Pour Taylor, le stop-motion se prête bien à cette approche : « On peut travailler dans la nuance et la délicatesse, et entendre tous les sons très distinctement, car on n’est pas en rivalité avec d’autres sonorités. Pour autant, c'est plus difficile de travailler sur un film en stop-motion, car on ne peut pas se réfugier derrière des bruits de fond », explique-t-il.

Un défi supplémentaire pour un film comme PINOCCHIO, remarque Montaño, est l'ampleur du public visé : « On s'adresse à la fois aux jeunes et aux moins jeunes, à des enfants mais aussi à des adultes qui adorent les flms de Guillermo. On cherche donc à donner une tonalité bien plus sophistiquée à ce film. D'un point de vue sonore, on respecte la vision de Guillermo et ses goûts en la matière sont intéressants et inhabituels. C'est ce qui rend ce film aussi singulier et amusant, car on n'est pas enfermés dans une case, sur le plan acoustique ou visuel ».

Dans leur portrait sonore de Pinocchio, Gershin, Taylor et Montaño renvoient à l'évolution du personnage en variant la musicalité du bois utilisé pour la marionnette au fil de l'histoire. « On voulait que Pinocchio ait une sonorité fragile, comme si on regardait un bébé girafe ou cerf essayer de faire ses premiers pas. Mais quand il prend confiance et s’épanouit, le son évolue également. Sans vouloir avoir un discours trop philosophique, il a l'air moins fragile au fur et à mesure qu'il perd de son innocence. À chaque voyage à Limbo, puis au camp de rééducation, on soustrait davantage ces sons qui rappellent au public sa fragilité. Il s’humanise, en quelque sorte », raconte Gershin.

PRS Guitars a fourni à Gershin plus de 20 kilos de bois pour guitare afin de permettre à l'équipe de restituer les sonorités exactes désirées, comme par exemple l'érable ondé, le palissandre brésilien et d'autres types de bois exotiques pour guitare. Dans un magasin de bois et métal près de chez Taylor, l'équipe a coupé le bois en tronçons, comme les pièces d'un xylophone, et ont fait de même avec plusieurs types de métaux pour figurer les bruits grinçants des clous dans le corps de Pinocchio. Ils ont même tenté d'utiliser de véritables marionnettes en bois mais le son était trop proche de quilles de bowling. « On ne voulait pas entendre un bruit de claquement au long du film qui serait vite devenu gênant », déclare Gershin. « Pinocchio est constitué pour l’essentiel de six sonorités différentes et, à tout moment, je me suis servi d'une demi-seconde de tel son, d'une seconde de tel autre, etc. Je me sers du son pour nourrir une interprétation ».

L’équipe a également mis au point l’univers sonore des autres personnages et, en particulier, celui de Volpe. Elle a ajouté des claquettes à ses chaussures et le bruit de pièces de monnaie cliquetant dans ses poches pour évoquer sa personnalité flamboyante. Pour les voix de l'Esprit des bois et de la Mort, l'équipe a conçu des échos complexes et a marié des voix enregistrées en réverb' pour donner un sentiment d'omniprésence. La voix de l'Esprit des bois est mêlée à des bruits de respiration pris à un ensemble de voix féminines pour imiter la sensation duveteuse des nombreux yeux de ses ailes. Pour la chambre de la Mort à Limbo, l'équipe a manipulé des gongs et des cloches d'églises pour faire allusion au glas qui retentit pour marquer le passage dans l'au-delà.

Mais c'est pour les séquences centrales du film avec la Baleine que l'équipe s’est donné le plus de mal. « Guillermo semble avoir deux facettes. Il peut aussi bien réaliser LE LABYRINTHE DE PAN et L'ÉCHINE DU DIABLE d'un côté que PACIFIC RIM et BLADE 2 de l'autre. Ce film est l'un de ceux qui témoignent de ces deux aspects. L’atmosphère est calme et étrange au début mais, au fur et à mesure, elle change et on se retrouve dans un univers à la PACIFIC RIM », détaille Montaño.

Gershin se souvient de son premier rendez-vous avec del Toro. « Quand on a évoqué ces séquences pour la première fois, il m'a dit ‘Vous savez vous y prendre : c'est un Kaiju’. Parce qu'on avait travaillé sur PACIFIC RIM ensemble ». Outre l'utilisation de sa propre voix pour créer le cri de la créature, le designer sonore s’est servi de cuivres exotiques et des cris de plusieurs morses. Et quant aux bulles, remous et autres gargouillis, il ne lui a fallu qu’une simple paille et un milkshake !

La suite de notre dossier PINOCCHIO apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


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