AVATAR : LA VOIE DE L’EAU : Entretien avec le producteur Jon Landau – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 20 Janvier 2023

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

A chaque fois qu’un film révolutionne les techniques du cinéma et des effets visuels, ses innovations sont utilisées par d’autres. Selon vous, quelles sont les progrès réalisés pour ce nouvel AVATAR qui vont servir à concrétiser d’autres projets ?

Le nouvel effet principal de LA VOIE DE L’EAU est l’évolution de la capture de performance, et le degré de détails et de subtilités que nous sommes désormais capables de saisir puis de restituer totalement dans l’animation des personnages 3D. Je pense que cela incitera d’autres réalisateurs à avoir confiance en cette technique, et à imaginer et écrire des projets dans lesquels des personnages virtuels pourront se retrouver assis à côté d’acteurs en chair et en os sans que l’on puisse les différentier les uns des autres.

Étiez-vous convaincu dès le départ que Sigourney Weaver pourrait jouer une adolescente de 14 ans grâce à cette technique, ou avez-vous du attendre et le vérifier après avoir franchi cette nouvelle étape de l’évolution de la capture de performance ?

Pour vous répondre de la manière la plus complète possible, je vais remonter à l’époque du premier AVATAR. Sigourney Weaver n’était pas nécessairement le choix de casting le plus évident pour incarner cette doctoresse un peu cynique, et comme nous en étions conscients, nous avons changé le nom du personnage, qui s’appelait initialement Grace Shippley, parce qu’il ressemblait trop à celui de Ripley dans ALIENS ! Nous l’avons nommée Grace Augustine. Quand James a créé le personnage de Kiri et a commencé a écrire des scènes avec elle, il avait déjà l’idée que ce soit Sigourney qui l’incarne, pour des raisons que vous comprendrez en voyant le film. L’une des choses que nous aimons dans la capture de performance, c’est justement de nous en servir pour permettre à des acteurs de jouer des personnages qu’ils ne pourraient pas incarner en prises de vues réelles. Sigourney est une actrice tellement talentueuse que nous savions qu’elle parviendrait à jouer cette adolescente de 14 ans, et Jim n’a jamais douté que nous arriverions aussi à restituer sa performance. C’est pour cela qu’il a pensé à elle depuis le début.

Elle a du adorer relever ce défi !

Oh oui, elle était ravie. J’en discutais encore avec elle il y a deux jours, et Sigourney me disait combien se replonger dans l’esprit ludique et espiègle d’une adolescente pour incarner Kiri l’avait enchantée. Je ne crois pas qu’elle aurait imaginé avoir cette opportunité un jour, car les acteurs savent bien qu’en dépassant un certain âge, on ne leur propose plus ce type de rôles au cinéma. Quand nous étions ensemble à la convention D23 pour présenter le film, j’ai observé Sigourney pendant qu’elle découvrait en 3-D Relief la scène où l’on voit Kiri évoluer sous l’eau et explorer les fonds marins. Elle semblait tellement émerveillée en voyant le résultat de la transposition de sa performance que cela m’a fait sourire.

Dans le premier film, la séquence de la forêt bioluminescente a été une magnifique surprise. Ce deuxième volet nous révéle d’autres merveilles et d’autres dangers dans l’océan. Pandora étant une très grande planète, allons-nous découvrir des paysages nouveaux et des clans aux caractéristiques très différentes dans chacun des épisodes suivants, alors que Jake essaie de les rallier tous pour combattre les envahisseurs terriens ?

Absolument. C’était l’intention de Jim dès le début. Il nous reste encore beaucoup d’endroits de Pandora à explorer. C’est un peu comme lorsque l’on observe un globe terrestre en se disant « Mmm, je me demande comment sont les paysages de cette chaîne de montagnes, ou ces étendues glacées… » À chaque fois, c’est l’intrigue que Jim a imaginée qui nous poussera à nous rendre dans ces nouveaux lieux et à découvrir leurs caractéristiques.

James Cameron a déclaré récemment que sa décision de s’engager à concevoir, produire et réaliser quatre suites d’AVATAR jusqu’en 2028 était risquée et probablement « un cas exemplaire de stupidité dans l’histoire de ce métier ». Pourquoi a-t-il dit cela, même si l’on comprend bien qu’il s’agit d’une boutade, alors que la licence AVATAR est l’une des rares à être aussi connue dans le monde entier ?

Jim se référait de manière ironique à l’ambition et l’énorme ampleur des moyens qu’il allait falloir mettre en oeuvre pour créer ces suites. Clairement, il faut être complètement fou pour se lancer dans un tel projet, et sur un temps si long ! (rires)

Avez-vous besoin, lui et vous, de « prendre des vacances » et de vous éloigner de temps en temps de l’univers d’AVATAR, justement pour ne pas devenir fous ?

(rires) Tout le monde a besoin de se ressourcer et d’aller respirer de l’air frais après être resté focalisé sur un seul sujet. Jim s’est impliqué dans un documentaire de la chaîne National Geographics intitulé LE SECRET DES BALEINES. Il a pu se changer les idées tout en explorant encore les connexions entre la vraie faune marine et celle de Pandora. Mais en dehors de cela, je ne crois pas que Jim ou moi aurons le loisir d’aller nous prélasser sur une plage de Tahiti pendant les prochaines années !

Quelle est la plus grande qualité de James Cameron en tant que réalisateur, et la plus grande difficulté à être son producteur, selon votre point de vue ?

Ces deux choses sont en fait les mêmes. Ce qui rend ses films difficiles à produire vient des plus grandes qualités de Jim. Il n’accepte jamais le statu quo. Ni le « ce sera assez bien comme ça ». Il repousse toujours les limites techniques existantes au-delà de ce que l’on considère comme possible. En faisant cela, il vous met au défi de vous surpasser, et vous incite à faire des choses dont vous ne vous seriez pas cru capable. Mais dans ces situations, il reste juste : il n’attend pas plus de résultats de votre part que ce qu’il exige de lui-même.

Avez-vous entamé des discussions avec Disney+ pour envisager une série inspirée d’AVATAR ?

Pour l’instant, nous restons entièrement mobilisés sur AVATAR : LA VOIE DE L’EAU. Nous sommes conscients qu’il existe des opportunités de développer la franchise au-delà des films, par exemple au travers du spectacle TORUK, LE PREMIER VOL produit avec le Cirque du Soleil, des bandes dessinées que nous co-créons avec Dark Horse Comics, ou des jeux vidéos développés avec Ubisoft games, dans lesquels nous pouvons enrichir aussi le récit de notre saga. Mais je crois que ni Jim ni moi ne nous sentirions à l’aise en nous engageant dans un projet dont nous n’aurions pas le temps de pouvoir bien nous occuper, en lui consacrant toute notre attention.

Quels sont les plans d’expansion de la superbe aire de PANDORA, LE MONDE D’AVATAR qui a été créée dans le parc Animal Kingdom de Walt Disney World, et sur laquelle vous aviez tant travaillé personnellement ? Avez-vous commencé à discuter d’une troisième attraction basée sur les nouveaux épisodes d’AVATAR avec la direction des parcs Disney et avec les imagineers ?

Nous espérons que Disney créera des aires AVATAR dans ses autres parcs, et savons que cela est à l’étude actuellement. Quand nous avons choisi d’installer LE MONDE D’AVATAR dans le parc Animal Kingdom, c’était à la fois pour son environnement luxuriant proche des paysages forestiers de Pandora et parce qu’il y avait un fort potentiel d’expansions futures. Les attractions du MONDE D’AVATAR figurent parmi celles qui sont les mieux notées par les visiteurs de Walt Disney World, et je serais très heureux de voir y arriver des nouveautés.

Après avoir passé tant d’années à travailler sur AVATAR, ses suites au cinéma et ses déclinaisons dans d’autres médias, le monde de Pandora est-il devenu quasiment réel pour vous ? Vous arrive-t-il par exemple d’en rêver ? Ou reste-t-il uniquement une projection dans l’imaginaire pendant vos journées de travail ?

Pandora et les personnages d’AVATAR sont devenus réels dans ma conscience quand je suis éveillé, bien plus que dans mes rêves, parce que je vis avec eux tous les jours. Je m’en suis rendu compte pendant que nous produisions le premier film. J’étais en train de dîner avec un ami, et j’ai commencé à parler d’un leonopteryx. Il m’a regardé en me disant « Mais c’est quoi, un leonopteryx ?! »(rires) J’avais tellement l’habitude de voir les représentations de cet énorme reptile volant que je l’avais mentionné comme s’il existait vraiment ! Par contre, quand je rêve, ce que je vois est inspiré par le monde réel. Mais ces songes peuvent également m’apporter des idées qui trouvent parfois leur place dans le développement d’AVATAR ! (rires)

En tant que producteur de l’une des grandes franchises du cinéma, que pensez-vous de l’évolution de la consommation des films par le public, et de ce que l’on décrit parfois comme une guerre entre la multiplication des offres des plateformes et les sorties en salles, dont les armes sont souvent des projets appartenant au fantastique ou à la science-fiction, comme LES ANNEAUX DE POUVOIR sur Prime vidéo ou les séries STAR WARS de Disney+ ? Et comment voyez-vous l’évolution de l’industrie hollywoodienne ?

Je crois que tout le monde peut coexister avec les autres fournisseurs de contenus de divertissement. Je me souviens d’un article du New York Times qui disait « Aujourd’hui on peut si facilement se divertir à prix cassés en restant chez soi que le modèle de sortie des films en salles est condamné à mourir. » Cet article a été écrit en 1983, au moment où la vente et la location de vidéocassettes s’est popularisée ! La sortie des films en salles est destinée à continuer. Même si c’est sensationnel de pouvoir bénéficier d’offres de streaming, cela reste un spectacle que l’on voit sur des écrans de téléviseurs ou d’ordinateurs. Tout cela permet aux futurs Steven Spielberg et James Cameron de nourrir leur appétit de cinéma, de découvrir des films de toutes sortes, puis de diffuser leurs courts-métrages sur le web. Mes enfants ont grandi en regardant les chaînes du câble à l’époque où elles se sont multipliées et où le visionnage à la demande a débuté. Il n’y a pas une différence énorme entre ce mode de divertissement à domicile et le streaming actuel si ce n’est la possibilité de choisir et de voir immédiatement encore plus de films et de séries. Je pense simplement qu’il faut veiller à ne pas agir de manière à ce que les prophéties négatives s’auto-réalisent. Si, par exemple, les dirigeants des grands groupes se disent « OK, les salles de cinéma ne vont pas survivre, donc produisons moins de films », les cinémas auront moins de films intéressants à proposer aux spectateurs, et alors là, évidemment, ils ne pourront pas continuer à fonctionner ! Si vous êtes un patron de studio et que vous annoncez « Nous allons sortir ce film en salles, puis deux semaines plus tard, on pourra le voir sur notre plateforme de streaming », là encore l’impact est catastrophique pour les exploitants de salles…Je pense qu’il vaut mieux agir en maintenant la fenêtre d’exclusivité de présentation des films en salles, et la préserver comme un trésor. Si je fais référence à l’industrie musicale, je dirais que l’expérience du visionnage d’un film en salles est l’équivalent de ce que l’on ressent quand on assiste à un concert. Et heureusement, personne ne songe à supprimer ces grands shows live pour les remplacer par des captations de performance des Rolling Stones ou de Lady Gaga à la télévision, en s’appuyant sur le fait que les plateformes de streaming de chansons se sont multipliées, avec Spotify et tous les autres moyens d’écouter de la musique partout et tout le temps, dans sa voiture, sur son smartphone ou chez soi !

Remerciements à Alain Lorfèvre et à Aude Thomas

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