LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – MIGHTY JOE YOUNG : La collaboration avec Willis O’Brien
Article Cinéma du Mardi 11 Avril 2023

MONSIEUR JOE (MIGHTY JOE YOUNG) USA 1949 Réalisation : Ernest B. Schoedsack. Scénario : Ruth Rose et Merian C. Cooper. Production : Merian C. Cooper et John Ford. Créateur Technique : Willis O’Brien. Musique : Roy Budd. Distribution : Terry Moore, Ben Johnson et Robert Armstrong. Noir et Blanc. Distribution : RKO. Durée : 1h34.
L’histoire :En Afrique, la petite Jill Young recueille un bébé gorille et décide de l’élever. Douze ans plus tard, le producteur Max O’Hara arrive dans la région, accompagné du cowboy Gregg et de ses équipiers, pour y trouver des idées d’attractions à présenter dans son cabaret d’Hollywood. Après avoir attrapé des lions, les cowboys voient un énorme gorille rôder près de leur campement, tentent de le capturer, mais découvrent qu’il s’agit d’un animal domestiqué lorsque Jill Young, devenue une jolie jeune fille, apaise le gorille en quelques mots. Enthousiasmé, O’Hara convainc Jill qu’elle mènerait une vie de rêve à Hollywood, et lui fait signer un contrat pour se produire avec Joe dans son cabaret. Mais sur place, Jill réalise que cette situation est terrible pour le gorille, qui végète dans une cage entre ses prestations. Elle veut retourner en Afrique mais O’Hara la persuade de rester un peu plus longtemps. Un soir, trois spectateurs éméchés se faufilent dans les coulisses et font boire de l’alcool au gorille. Ils le tourmentent à un tel point que Joe défonce sa cage et détruit le cabaret. Considéré comme dangereux, il est condamné à être euthanasié. Mais Jill, Gregg et O’Hara lui viennent en aide, et Joe échappe à son funeste destin en prouvant son courage et sa bienveillance…

Un remake déguisé de KING KONG

Ray voit souvent O’Brien pendant le tournage de ses contes de fées. Son mentor lui révèle que son nouveau projet est consacré à un gorille géant, et lui confie son découragement quand les pourparlers avec un studio tournent court, ou sa joie quand les réactions sont positives. Ray devine qu’il lui proposera de participer à ce film, s’il aboutit un jour…En 1945, O’Brien, Ernest Schoedsack et Merian C. Cooper réussissent à intéresser la RKO, dont KING KONG a été l’un des triomphes. Elle accueille d’un bon œil leur nouvelle histoire de gorille géant, puisqu’elle est portée par la même équipe. La fameuse formule Hollywoodienne de copie des succès - « La même chose, mais en différent » - définit bien ce MIGHTY JOE YOUNG décalqué sur KING KONG, mais en oubliant la férocité et la dimension fantastique de l’original. Cooper est convaincu qu’un ton humoristique sera plus attractif, alors que cette approche n’a pas réussi à SON OF KONG, suite produite à la va vite en 1933. Mais comme la RKO n’a pas encore donné son feu vert, il faut peaufiner la conception visuelle du film pour la convaincre.

Des moments privilégiés avec O’Brien

Ray est engagé en tant qu’assistant d’O’Brien : il fabrique des cadres et coupe des feuilles de dessin pour les illustrations des storyboards, et tape les légendes à la machine à écrire. Il retrouve régulièrement son mentor pour échanger des idées, dans une ambiance si décontractée que leurs brainstormings du matin s’achèvent souvent par une partie de golf à midi. Ray se régale en voyant O’Brien dessiner les vignettes des storyboards avec une telle habileté qu’il en produit une vingtaine en une matinée. Ensuite, Ray les dispose sur des panneaux en contreplaqué, les encadre, et ajoute les légendes. O’Brien présente chaque jour un nouveau storyboard à Schoedsack et Cooper, qui l’examinent et le valident dans le meilleur des cas. Même s’il n’est pas crédité en tant que co-scénariste O’Brien est l’un des auteurs de l’équipe. D’un jour à l’autre, son humeur varie selon que ses idées – souvent excellentes, d’après Ray - ont été acceptées ou pas. Mais ce travail préparatoire porte ses fruits : fin 1946, la RKO valide le film et lui attribue un budget de 1,5 millions de dollars, un record pour ce studio abonné aux séries B. En 1947, la vieille équipe de KING KONG reprend du service. Schoedsack, bien que partiellement aveugle, réalise. Son épouse Ruth Rose écrit le scénario qui compile ses propres idées, celles d’O’Brien et du tandem Schoedsack & Cooper. Ray est promu animateur, et fait la connaissance des 47 techniciens des effets spéciaux à l’oeuvre dans les ateliers des studios RKO, parmi lesquels figurent Marcel Delgado et son frère Victor.

Des techniques complexes

Avant le tournage, Cooper initie des tests de trucages pour déterminer si le film pourra être filmé en couleurs. Les effets conçus par O’Brien sont, comme en 1933, des mélanges de peintures d’avant-plans réalisées sur des plaques de verre, de décors miniatures et de rétroprojections sur des écrans insérés dans les maquettes. Des marionnettes articulées d’hommes, de chevaux, d’un lion et d’une fillette sont également prévues pour remplacer les humains et les animaux de chair et d’os lors des interactions avec Joe, notamment quand les cowboys tentent de le capturer au lasso. Avec ce dispositif compliqué, la mise en place de chaque plan nécessite un énorme travail avant même que l’animation ne commence. Ray comprend que cette approche coûteuse est la raison pour laquelle O’Brien a eu tant de mal à faire aboutir un nouveau projet après KING KONG. De plus, quand les essais reviennent du laboratoire, le rendu des couleurs des rétroprojections est trop différent de celui des peintures et des dioramas, et révèle le trucage. O’Brien a déjà connu ces difficultés lors des tests en Technicolor de WAR EAGLES, et finit par les corriger, mais ces tâtonnements sont longs. Cooper décide de tourner le film en noir et blanc pour éluder ces problèmes. Sous la supervision d’O’Brien, Ray conçoit l’armature prototype de Joe, aidé par Harry Cunningham, qui avait fabriqué celles de KING KONG. En tout, six marionnettes de Joe sont élaborées pour permettre le tournage simultané de plusieurs scènes : quatre de 38cm, une de 20cm et une de 10cm, prévue pour les actions vues de loin. Cunningham dote chaque modèle des articulations d’un vrai gorille, y compris la version de 10cm, dont les minuscules doigts bougent aussi bien que ceux des grands Joes. Dès que les armatures sont prêtes, Marcel Delgado construit les corps avec de la mousse de latex, des feuilles de caoutchouc et du coton imbibé de latex. Le taxidermiste George Lofgren réussit à transposer de la fourrure d’agneau sur une peau de caoutchouc, ce qui permet aux poils de mieux reprendre leur position quand on manipule les marionnettes. Le tournage des scènes d’animation débute en octobre 1947 et accapare Ray pendant 14 mois, car il réalise 85% de ces plans. Entre sa préparation, le tournage des prises de vues réelles puis des effets spéciaux, la production de MIGHTY JOE YOUNG dure trois ans. Ray apprécie cette expérience, mais comprend que les méthodes d’O’Brien pourraient être simplifiées. A lieu de construire des dizaines de maquettes, on pourrait utiliser seulement des rétroprojections de prises de vues réelles, et y insérer les marionnettes aux côtés des acteurs. L’idée va mûrir dans son esprit.

Le chant du cygne pour O’Brien

MIGHTY JOE YOUNG sort le 27 juillet 1949 aux USA. Les critiques louent la qualité de l’animation du gorille, jugée drôle et émouvante, mais le film ne rapporte que 1,9 millions de dollars au boxoffice, a peine de quoi couvrir son coût et les dépenses liées à son exploitation. Pour la RKO, c’est une mauvaise affaire. Le studio annule le projet de suite intitulé JOE MEETS TARZAN, prévu en 1950, dans lequel le gorille devait faire équipe avec Lex Barker. Seule consolation, MIGHTY JOE YOUNG reçoit l’Oscar des meilleurs effets spéciaux. A cette époque, c’est au producteur qu’on le remet, mais Merian C. Cooper insiste auprès de l’académie pour qu’il soit décerné à Willis O’Brien, afin de célébrer aussi son travail sur KING KONG. O’Brien est heureux d’être honoré, mais l’échec commercial de MIGHTY JOE YOUNG le stigmatise : il n’aura plus l’occasion de créer des projets aussi ambitieux. La voie est ouverte pour une nouvelle génération de créateurs, et Ray va pouvoir mettre en oeuvre ses idées.

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