LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS : Premier film en solo
Article Cinéma du Vendredi 14 Avril 2023

LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (THE BEAST FROM 20000 FATHOMS) USA 1953 Réalisation: Eugène Lourié. Scénario : Lou Morheim et Fred Freiberger, inspiré par la nouvelle The Fog Horn de Ray Bradbury. Production : Hal E. Chester et Jack Dietz. Effets techniques : Ray Harryhausen. Musique : David Buttolph. Distribution : Paul Hubschmid, Paula Raymond, Cecil Kellaway. Noir et Blanc. Distribution : Warner. Durée : 1h20.
L’histoire : Après un test d’explosion nucléaire dans l’arctique, un « rhedosaure » libéré des glaces revient à la vie sous les yeux du professeur Nesbitt. Il veut lancer l’alerte, mais personne ne le croit, hormis le paléontologue Thurgood Elson, qui décide d’enquêter sur place en explorant les fonds marins en bathyscaphe. Le rhedosaure surgit et détruit l’engin, un drame qui prouve son existence. Peu après, il sème le chaos à Manhattan. Nesbitt cherche comment vaincre ce monstre que les armes conventionnelles ne stoppent pas…

Après MIGHTY JOE YOUNG, Ray peine à trouver du travail. Il suit le conseil d’O’Brien, « Ne jamais dépendre de personne », et réalise un autre conte de fées, LE PETIT CHAPERON ROUGE. LES CONTES DE MA MERE L’OIE et ce nouvel opus étant bien accueillis, leur exploitation lui rapporte un peu d’argent. Il adapte ensuite RAPUNZEL ET HANSEL & GRETEL, mais s’interroge sur son avenir. Ray a 29 ans, et craint que la stop-motion ne soit plus utilisée dans les films fantastiques ou de science-fiction. L’échec financier de MIGHTY JOE YOUNG est dû aux retards provoqués par la complexité des trucages. Le budget de 1,5 millions a été dépassé pour atteindre 2 millions. À Hollywood, on considère désormais l’animation comme une technique de trucage risquée et onéreuse. Tous les animateurs sont impactés, même George Pal, dont la Paramount rejette le projet de long métrage sur TOM POUCE. Ray montre à Pal un test d’animation qu’il a réalisé, basé sur LA GUERRE DES MONDES : on y voit un martien à tentacules émerger du sas d’une soucoupe. Pal est intéressé, mais fera aboutir une toute autre version du roman de H.G. Wells en 1953. Et il devra attendre jusqu’en 1958 pour concrétiser TOM POUCE. Ray se désespère de voir ses projets rejetés comme ceux d’O’Brien. Il doit prouver que l’on peut réaliser des trucages en animation à moindre coût.

Une nouvelle approche

Il a déjà peaufiné sa méthode dans sa tête. A l’aide d’un projecteur de cinéma modifié, il va rétroprojeter les vues des acteurs sur un grand écran translucide dépoli, placer sa créature devant, et masquer le support de la créature au ras de ses pattes, par un cache noir. Il rembobinera la pellicule après l’animation, masquera la partie supérieure de l’image, puis filmera la partie basse, pour insérer totalement la marionnette dans l’image réelle. Ray reprend espoir quand un de ses amis l’avertit que le producteur Jack Deitz développe un projet intitulé THE MONSTER FROM UNDER THE SEA, mais ignore comment réaliser la créature. Faut-il faire porter un costume à un figurant ? Ou affubler un bébé alligator de crêtes en latex, puis le laisser gambader dans des maquettes ? Ray téléphone à Dietz et l’invite à venir voir ses films chez lui. Ce dernier accepte, et est d’autant plus impressionné que Ray lui assure pouvoir créer des séquences spectaculaires avec un budget modeste. Dietz le convie à rencontrer l’autre producteur du film, Hal E. Chester, et le réalisateur français Eugène Lourié, qui fut le chef décorateur de Jean Renoir dans les années 30/40. Ray s’entend bien avec Lourié, qui comprend vite comment utiliser ses techniques. Il est engagé pour réaliser les trucages du film.

Un budget minuscule

Dietz veut produire le film pour 150 000 dollars, et sur cette maigre somme, attribue 15000 dollars à Ray. Il signe son contrat le 2 mai 1952 et s’engage à livrer tous les effets le 9 septembre, tandis que la production lui fournira le matériel technique pour les tourner. Le scénario est développé par Lou Morheim et Fred Freiberger, et le monstre baptisé « rhédosaure » en reprenant les initiales de Ray. Un jour, Dietz découvre le dessin d’un dinosaure attaquant un phare dans le Saturday Evening Post. Il le montre aux scénaristes, convaincu qu’il faut intégrer cette scène au film. C’est un ami d’enfance de Ray, avec lequel il a écumé les premières conventions de « Scientifiction » des années 30, qui a écrit la nouvelle illustrée ainsi : Ray Bradbury. Le magazine l’a intitulée THE BEAST FROM 20 000 FATHOMS, alors que son titre initial était THE FOG HORN (LA CORNE DE BRUME). Dietz achète les droits de la nouvelle pour 2000 dollars, et son titre devient celui du film. Il propose à Bradbury de contribuer au script, mais ce dernier n’y tient pas. Malgré l’ajout de la scène du phare, il manque encore une idée spectaculaire pour conclure l’histoire. Ray suggère que le rhédosaure s’empêtre dans la structure d’une montagne russe du parc de Coney Island, qui finirait par prendre feu. À sa grande surprise, sa proposition est acceptée et intégrée au scénario. Le tournage débute peu après. Lourié multiplie les astuces pour filmer des plans efficaces avec peu de moyens. Quand la production refuse de payer le billet d’avion d’un opérateur et de louer une voiture-travelling à New York, Lourié utilise le break du machiniste local et bricole un support de caméra avec des lanières pour filmer les plans de Manhattan. Pendant ce temps, Ray conçoit le rhédosaure en mélangeant les caractéristiques d’un mosasaure - reptile marin du Mésozoïque - et d’un tyrannosaure. Son design est validé.

Des essais déterminants

Ray teste d’abord sa méthode de trucages dans son petit studio, avec sa caméra 16mm. L’effet fonctionne : la marionnette est bien intégrée dans la rétroprojection, mais apparaît plus nette que ce qui l’entoure. Ray doit la filmer avec un léger flou pour obtenir un rendu homogène. Le voilà rassuré. Son père l’aide à construire l’armature du rhedosaure. Ray la recouvre d’une musculature en caoutchouc mousse et d’une peau en latex moulée sur celle d’un alligator. Il loue le local tout en longueur d’un magasin de Culver City pour le convertir en studio, car il a besoin de recul pour que la rétroprojection couvre une surface d’environ 1,50 à 2 mètres de large sur l’écran dépoli. Débordé, Ray engage Willis Cook pour construire les maquettes du bathyscaphe, de quelques immeubles, du phare et de la montagne russe. Le phare est conçu pour pouvoir s’effondrer (les débris coulissent sur des fils tendus) et révéler son escalier en spirale. A la demande de Ray, Cook construit deux maquettes du rollercoaster : une grande de 6m de longueur et 1m50 de hauteur, et une petite à l’échelle du rhédosaure. La grande est installée sur un plateau pour y tourner les vues où elle brûlera, qui seront rétroprojetées derrière la marionnette. Ray l’enduit de colle à base de latex, qui produit des petites flammes, et filme l’incendie à 120 images/seconde pour le ralentir à la projection à 24 images /seconde. La petite version est construite en balsa pour être facilement brisée pendant l’animation du reptile. En tournant les trucages, Ray utilise des caches et contre-caches du sol plus complexes que lors de ses tests. Il suit notamment les contours supérieurs des automobiles abandonnées au premier plan et crée ainsi l’illusion que le rhedosaure passe derrière les véhicules en traversant New York. Dans d’autres scènes, le monstre écrase des voitures qui sont des miniatures en fer blanc achetées dans une boutique de jouets, et que Ray peut déformer aisément. Dans la scène finale, le rhédosaure semble encerclé par la montagne russe en feu grâce à la rétroprojection de l’incendie miniature et à une deuxième section de maquette placée devant la marionnette. L’effet est complété par la surimpression de flammes à l’avant-plan. Ray a gagné son pari et les producteurs sont d’autant plus ravis que la Warner leur rachète le film pour 450 000 dollars, leur faisant faire un énorme bénéfice. Hélas, c’est l’inverse pour Ray, qui a sous-estimé le coût des fournitures, de l’aménagement du magasin en studio et de la fabrication de sa marionnette et des maquettes. Il a pêché par inexpérience et dû puiser dans ses économies pour honorer son contrat, mais il a obtenu son premier crédit de superviseur des effets visuels. Et le film est un succès, qui rapporte 5 millions de dollars à la Warner…

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