LA SAGA RAY HARRYHAUSEN : LE MONSTRE VIENT DE LA MER
Article Cinéma du Jeudi 27 Avril 2023

Par Pascal Pinteau

LE MONSTRE VIENT DE LA MER (IT CAME FROM BENEATH THE SEA) USA 1955 Réalisation: Robert Gordon. Scénario : George Worthing Yates et Harold Jacob Smith. Production : Sam Katzman et Charles H. Schneer. Effets techniques : Ray Harryhausen. Musique : Misha Bakaleinikoff. Avec : Kenneth Tobey, Faith Domergue et Donald Curtis. Noir et Blanc. Distribution : Columbia. Durée : 1h19. L’histoire :Au cours d’une mission, le sous-marin dirigé par le commandant Pete Mathews détecte au sonar la présence d’une créature titanesque. Mathews rencontre la scientifique Lesley Joyce et le Docteur John Carter et leur fournit des informations pour identifier le mystérieux animal. Les deux savants établissent qu’il s’agit d’une pieuvre mutante, exposée à de fortes radiations lors de tests nucléaires réalisés en mer. Son gigantisme la contraignant à s’alimenter en permanence, elle cherche de nouvelles sources de nourriture, attaque plusieurs bateaux en haute mer, puis s’approche de San Francisco. La marine utilise en vain des explosifs pour la tuer. La pieuvre détruit une partie du pont du Golden Gate, pénètre dans la baie de la ville, et écrase des bâtiments en cherchant à happer des proies avec ses tentacules. Le sous-marin du commandant Mathews est envoyé à sa poursuite. Parviendra-t-il à la stopper ?

Après LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS qui a sévèrement entamé ses économies, Ray s’empresse de réaliser un nouveau conte, L’HISTOIRE DU ROI MIDAS, car ses courts-métrages sont sa seule source de revenus réguliers. Il s’inquiète à nouveau de son avenir, commence à animer LE LIEVRE ET LA TORTUE, et reçoit alors un coup de fil de Lou Appleton, un de ses anciens camarades de l’unité cinématographique des armées dirigée par Frank Capra. Il lui annonce que Charles H. Schneer, jeune producteur des studios Columbia, a été tellement impressionné par les trucages du MONSTRE DES TEMPS PERDUS qu’il aimerait rencontrer Ray pour lui parler d’un projet consacré à une pieuvre géante. Ray hésite, car il a envie d’achever LE LIEVRE ET LA TORTUE, qui représente une sécurité financière. Mais la tentation de participer à un nouveau long-métrage est irrésistible. Il appelle Schneer et un rendez-vous est fixé.

La découverte d’un partenaire talentueux

Ray est agréablement surpris par le dynamisme et les idées de Schneer, qui souhaiterait que le clou du film soit l’attaque du célèbre pont du Golden Gate de San Francisco par la pieuvre monstrueuse. Dès cette première réunion informelle, les suggestions créatives de Ray sont accueillies avec enthousiasme par Schneer, car il est convaincu que ses trucages en stop-motion peuvent décupler le potentiel commercial d’un film à petit budget. Dès le lendemain, Ray accepte de réaliser les effets du projet, et c’est ainsi que débute une longue et fructueuse collaboration, fondée sur un grand respect mutuel. Schneer sait gérer les coûts de fabrication d’un long métrage et éviter les dépassements, deux compétences assez rares à Hollywood. Ray négocie un bon salaire, et loue son matériel de tournage personnel à la production. Sur la base du synopsis, Il estime que six mois seront nécessaires pour produire tous les plans truqués du film. Comme Schneer souhaite le tourner en couleurs, et peut-être même en cinémascope, Ray l’avertit qu’il faudra d’abord réaliser des tests. Il tourne des plans animés, puis des vues en cinémascope de maquettes, combinant des rétroprojections de la surface de l’océan et de bâtiments côtiers. Ces essais s’avèrent si longs à régler que Schneer renonce à cette approche et en revient à un tournage en noir et blanc dans un format 1:85 non anamorphique.

Des tentacules sacrifiés !

Ray établit ensuite la liste des éléments à créer pour tourner les trucages : quelques décors miniatures et maquettes, trois marionnettes de la pieuvre, des tentacules séparés réalisés à une échelle plus grande, et trois personnages humains articulés. Le tout représente un budget de 26000 dollars d’autant plus raisonnable qu’il repose sur une astuce : au lieu de huit tentacules, les marionnettes de la pieuvre n’en compteront que six, afin d’économiser le coût de fabrication de ces parties d’armatures dotées de nombreuses articulations. Le corps de la pieuvre étant souvent dissimulé sous l’eau, Ray estime que le public ne remarquera pas que l’octopode sera devenu un hexapode ! Schneer accepte le devis et Sam Katzman, son patron chez Columbia, valide la production du film en mars 1954. Ray se rend à l’aquarium d’Hermoso Beach pour observer des céphalopodes, les dessiner, et mémoriser leurs mouvements. Il soumet son design de pieuvre géante à Schneer et Katzman, mais ce dernier affirme que l’aspect de l’animal est erroné, et que la partie charnue et ronde de son corps doit se trouver au-dessus de sa tête et de ses tentacules. Ray lui montre une photo de pieuvre pour avoir gain de cause, et se rend compte alors que la seule référence visuelle de Katzman est une pieuvre vue dans une BD de Popeye ! Le design est enfin approuvé, et Ray construit les marionnettes, toujours avec la précieuse aide de son père pendant la fabrication des armatures. Il loue à nouveau le local de magasin utilisé pour animer les effets du MONSTRE DES TEMPS PERDUS, et se dote d’un nouvel outil : un support monté sur une large vis sans fin, qu’il peut faire monter ou descendre progressivement en tournant une manivelle. C’est grâce à cet équipement qu’il va faire surgir lentement l’un des grands tentacules au-dessus d’un navire, représenté par un modèle réduit acheté dans un magasin de jouets. Pour donner l’impression que l’appendice sort de l’eau, Ray le badigeonne de glycérine avant de filmer chaque image.

La destruction du Golden Gate

Contactées par la production, les autorités de San Francisco refusent d’autoriser le tournage sur le pont du Golden Gate, estimant que le spectacle de sa destruction par une pieuvre géante pourrait faire croire au public qu’il n’est pas assez solide ! Et comme des centaines de milliers d’automobilistes paient pour le traverser matin et soir, il n’est pas question de risquer une diminution de cette manne financière…Schneer décide de filmer ces plans sans permission : une caméra est cachée à l’arrière d’un break, tandis qu’un caméraman traverse le pont à pied et s’arrête à intervalles réguliers pour tourner des plans fixes. Apprenant cela, les autorités fulminent, mais comme filmer sur un pont n’a rien d’illégal, elles ne peuvent qu’interdire à l’équipe de stationner près du Golden Gate. Ces mesquineries n’ont aucun impact : la récolte de plans permet à Ray d’intégrer la pieuvre dans les images réelles du fameux pont, selon la méthode à base de rétroprojections et de caches/contre-caches qu’il maîtrise parfaitement. Certaines structures du pont et quelques voitures sont recréées sous la forme de miniatures en plomb, afin de pouvoir être tordues aisément pendant l’animation des tentacules du céphalopode. Quand Ray achève ses trucages, le coût total du film n’est que de 150 000 dollars, un exploit compte tenu du nombre de scènes spectaculaires qu’il présente. LE MONSTRE VIENT DE LA MER est bien accueilli par la critique et remporte un joli succès. Sam Katzman est si heureux qu’il s’emballe en déclarant aux journalistes « Chaque tentacule de la pieuvre a coûté 10000 dollars ! ». Cela amuse Ray qui aurait bien aimé que ce soit vrai ! Katzman invite Schneer à lui présenter un autre concept de film reposant sur les trucages de Ray. Il a déjà pensé au thème des soucoupes volantes, sujet récurrent dans la presse depuis que l’homme d’affaires Kenneth Arnold a déclaré en avoir vu pendant qu’il pilotait son avion privé. Mais pour l’instant, Ray n’est pas disponible, car il a été contacté par un producteur qui développe chez Warner un film ressemblant étrangement à ÉVOLUTION, le projet inachevé de sa jeunesse…

Lisez la suite de notre Saga Ray Harryhausen bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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