Donjons et Dragons, l’Honneur des Voleurs : Entretien avec Jeremy Latcham, producteur – Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 26 Mai 2023

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Gérer l’héritage du passé

L’adaptation précédente de Donjons & Dragons sortie en 2000 n’a pas été une réussite. Avez-vous considéré cette situation comme un fardeau compliqué à gérer au niveau du marketing, ou plutôt comme un défi à relever, pour surprendre agréablement les gens avec ce nouveau film ?


A vrai dire, cela me rappelle ce que nous avons vécu pendant les premières années des Studios Marvel, avant de lancer la production de L’Incroyable Hulk et de Iron Man en 2006 / 2007. A cette époque, la création du MCU n’était encore qu’un projet…Les gens que nous rencontrions dans l’industrie du cinéma étaient extrêmement sceptiques concernant nos chances de réussite. Ils nous disaient souvent, de manière ouvertement ironique « Ah, vous voulez produire des films avec les personnages Marvel ? Comme Roger Corman l’a fait avec Les 4 Fantastiques ? Ou comme les téléfilms avec Captain America, ou le vieux film de Batman tiré de la série des années soixante ? ». À cette époque, les films de super-héros étaient très mal considérés, car la plupart d’entre eux avaient été produits avec des petits budgets, sans tenter de respecter l’esprit des comics originaux…

Oui, et on se rappelle que du côté de DC Comics, Batman et Robin de Joel Schumacher sorti en 1997 et Superman Returns de Bryan Singer sorti en 2006 avait été des échecs au boxoffice…Et en 2007, le Spider-Man 3 de Sami Raimi produit par Sony avait reçu des critiques mitigées…

Tout cela avait contribué à créer à Hollywood une attitude très négative envers les projets de films de super-héros. Je crois qu’il était facile de se laisser submerger par ce pessimisme ambiant à ce moment-là. Mais premièrement, toutes les technologies dont nous avions besoin pour représenter efficacement des super-héros en action n’étaient pas encore inventées, et deuxièmement, la culture Geek n’avait pas encore pris l’importance qu’elle occupe aujourd’hui dans l’univers du divertissement. Bref, pour toutes ces raisons, personne ne nous prenait au sérieux, ni ne nous traitait avec respect. Aucun de nos interlocuteurs n’avait pris le temps de se pencher sérieusement sur le potentiel de la transposition cinématographique des personnages Marvel ni de réfléchir à l’incroyable richesse de cet univers développé depuis les années 60 par des scénaristes et des dessinateurs de génie. Nous espérions que des analystes sérieux pourraient comprendre qu’il y avait là tout ce qui était nécessaire pour plaire aux fans, à condition d’investir les moyens financiers indispensables pour créer d’excellents trucages et de réunir les talents artistiques capables de diriger ces adaptations, mais nous nous retrouvions face à un mur... Je tiens à dire que je ne veux pas dénigrer ces productions à petit budget du passé, car elles ont eu le mérite d’entretenir la flamme de la passion des fans pour ces personnages, et de préserver l’espoir qu’ils puissent apparaître un jour dans des productions plus ambitieuses. Ce contexte des premières années des Studios Marvel est donc assez proche de la situation de Donjons et Dragons, puisque l’univers du jeu avait été développé lui aussi depuis très longtemps, et qu’il avait été transposé en un film à petit budget et deux téléfilms sortis directement en vidéo. Certains fans qui aiment bien les productions un peu fauchées ne les détestent pas, et d’une certaine manière, le film de 2000 et les téléfilms ont eux aussi incité les amateurs du jeu à espérer qu’un jour, Donjons et Dragons deviendrait un blockbuster amusant et spectaculaire. Nous avons tout fait pour les surprendre agréablement, et nous espérons que le public accueillera bien notre film.

Les maîtres du jeu

Pouvez-vous nous parler de votre partenariat commercial et de votre collaboration artistique avec Hasbro et avec Wizards of the Coast, l’éditeur du jeu de rôle, pendant la création du film, tant sur le plan du développement du récit que de sa conception visuelle ?


Wizards of the Coast a participé au projet depuis le tout début, grâce à une équipe dirigée par Nathan Stewart et Jeremy Jarvis. Ils étaient en quelque sorte les « gardiens de la marque » Donjons et Dragons et nous conseillaient sur la manière d’adapter le jeu dans le scénario, en restant fidèle à son esprit. Je dois dire que j’ai énormément apprécié et respecté tout ce qu’ils nous ont apporté, car ils ont compris d’emblée qu’un film était un tout autre support narratif qu’un jeu de rôle, et qu’il ne fallait pas respecter à la lettre les textes du jeu pour créer notre script, exactement comme le font les joueurs assis autour d’une table, qui s’amusent en inventant de nouvelles histoires à partir des situations de base décrites dans les textes des quêtes. C’est précisément parce qu’ils contournent les règles et trouvent des astuces et des solutions inédites que ces parties sont si plaisantes et si drôles. Nathan et Jeremy ont été des partenaires formidables, qui accueillaient nos idées en répondant toujours « Oui, et d’ailleurs on pourrait faire ceci… » et jamais « Non, parce que… ». Grâce à cet esprit positif et constructif, nous savions que nous pouvions leur présenter sans crainte nos idées, et qu’ils rebondiraient en nous soumettant des suggestions judicieuses qui nous feraient découvrir des aspects de Donjons et Dragons que nous ignorions. Nous avons pu nous familiariser ainsi avec les richesses de cet univers, en l’explorant grâce à leurs connaissances. Ils avaient la même attitude quand nous leur montrions les illustrations conceptuelles des créatures et des environnements, ou que nous leur expliquions dans quels mondes nous avions envie que certaines séquences se déroulent. Je me souviens qu’après avoir reçu des designs de monstres, ils nous envoyaient des descriptions détaillées de leurs capacités, de ce que quelqu’un qui se trouverait devant eux et les combattrait pourrait voir, ressentir et tenter de faire pour se défendre et survivre. Ils étaient une formidable source de renseignements et d’idées. Notre partenariat avec Hasbro concerne davantage les choses directement liées à leur activité de fabricant de jouets. Ils voulaient bien évidemment s’assurer que les séquences du film permettraient de créer des figurines intéressantes. Je dois dire que pour moi, cela a été l’un des aspects les plus amusants de cette production. D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, pendant que nous nous parlons via l’application Zoom, je suis en train de manipuler une figurine tirée du film qui s’appelle un diceling. Elle a la forme de l’un des dés à 20 faces du jeu (appelé aussi un D20 ou icosaèdre, NDLR), et se déplie grâce à de nombreuses articulations pour prendre l’aspect d’un dragon, à la manière d’un transformer ! Et j’adore ça ! D’ailleurs, mon bureau est rempli de jouets et d’objets collectors liés au cinéma. Comme vous l’imaginez, pour moi, travailler avec Hasbro sur un film basé sur une de leurs licences, puis recevoir ensuite les jouets adaptés du film est une expérience absolument extraordinaire ! Et si amusante ! J’avoue que j’ai encore du mal à replier correctement le dragon pour qu’il reprenne sa forme de dé, mais je finirai bien par y arriver ! (rires) Pendant la production du film, c’était passionnant de discuter avec les équipes créatives de Hasbro et de les voir réfléchir à ces projets de jouets. Parfois, nous avons dû renoncer à certaines idées, comme celle d’une épée destinée à l’un de nos héros, qui devait se déployer pour révéler une seconde lame projetée comme une flèche par un mécanisme. Mais après y avoir songé, les équipes de Hasbro nous ont dit qu’il n’existait aucune solution pour rendre un tel jouet inoffensif, et nous avons donc éliminé cette arme des équipements de nos personnages! (rires)

L’ombre du Titanic

Plus de 120 décors ont été fabriqués pour ce film. Dans quel studio ont-ils été construits ? Avez-vous créé autant de décors concrets pour améliorer le réalisme des environnements et ne pas trop dépendre des fonds bleus et des effets 3D ?


Nous avons construit la plupart des décors en Irlande du Nord, dans le studio Titanic de Belfast (ainsi nommé parce qu’il fut d’abord l’atelier de peinture du fameux paquebot, NDLR), mais aussi en modifiant des architectures réelles pendant les tournages en extérieurs, ce qui est une idée très astucieuse de notre chef décorateur Ray Chan. Quand Ray trouvait un lieu qui l’inspirait, il nous disait «Bon, si j’utilise les murs, le sol et le plafond de ce sous-sol plutôt terne du 19ème siècle comme structure de base, je peux ajouter des éléments qui vont le transformer en un endroit spectaculaire issu d’un monde fantastique. » Ensuite, le mélange des designs de Ray Chan, des beaux éclairages mis en place par notre directeur de la photographie Barry Peterson et des extensions numériques ajoutées par notre superviseur des effets visuels Ben Snow achevait de transformer ces vieux bâtiments délabrés de Belfast qui sentaient le renfermé en des lieux enchanteurs ! On avait l’impression qu’il s’agissait d’intérieurs magiques, dans lesquels des gens vivaient depuis longtemps, grâce aux effets de patine des décors et à tous les accessoires soigneusement disposés pour créer cette illusion. Nous avons construit d’énormes décors en studio, et eu parfois recours à des portions de décors placées devant des fonds bleus. Tout dépendait de la nature des effets à créer pour chaque plan. Mais pour revenir à votre question, oui, nous avons toujours essayé de filmer le plus possible de choses de manière concrète. La raison pour laquelle je suis convaincu que c’est capital, c’est parce que cela aide les artistes des effets visuels à compléter le plan en créant en 3D un espace qui semble réaliste. Ils peuvent copier et imiter les éclairages et les textures de ces éléments réels pour construire l’environnement de la scène. Ainsi, tout ce que l’on voit est lié de manière crédible et forme un ensemble harmonieux. Parfois il suffit d’installer un bout de paroi rocheuse sur le plateau ou de disposer d’un vrai sol et d’un vrai plafond pour pouvoir créer virtuellement le reste et obtenir un résultat convaincant. Tant qu’il y a des choses réelles sur le plateau, vous voyez tout de suite ce qui est déjà bien abouti tel quel, ou ce qui gagnerait à être amplifié en post-production. Cela vous permet de garder des références raisonnables, et de ne pas succomber à la tentation d’ajouter trop de choses en 3D. Même si l’action se passe dans un univers imaginaire, il est indispensable qu’une certaine authenticité humaine se dégage de ces décors. Les acteurs apprécient énormément de ne pas se retrouver souvent devant des fonds bleus ou verts, car leurs interactions avec des accessoires réels influe beaucoup sur leur gestuelle et les inspirent pendant qu’ils jouent. Je crois que toute l’équipe a apprécié le mélange d’éléments concrets et d’effets digitaux que nous avons mis en place pour tourner ce film.

Les sorciers de l’animatronique

Et dans ce domaine, Legacy Effects a réalisé des créatures animatroniques très réussies…


Oui, leur équipe dédiée aux créatures de Donjons et Dragons était dirigée par Shane Mahan, qui est l’un des visionnaires des effets spéciaux les plus expérimentés, talentueux et géniaux d’Hollywood. A chaque fois que l’un des monstres qu’ils ont fabriqués pour nous apparaît dans le film, tout s’illumine ! C’est magique et fascinant ! Je voudrais d’ailleurs profiter de notre conversation pour parler d’une idée reçue que l’on propage souvent au sujet des effets spéciaux concrets, et qui consiste à dire qu’il s’agit de trucages traditionnels et donc vieillots, dépassés, remontant aux années 70 et 80. C’est totalement faux, car les techniques des effets concrets ont énormément évolué au fil des ans, en incorporant les technologies les plus récentes, tout comme cela a été le cas du côté des effets numériques. A présent, une créature comme le Drakéide de notre film est animée par des servomoteurs pilotés par ordinateur. Cette tête animatronique est portée par un acteur costumé, mais en coulisses, il y a un opérateur relié à un dispositif d’enregistrement des mouvements de son visage qui dit le texte du Drakéide, et qui contrôle à distance et en temps réel la performance de la tête mécanique. Le résultat est formidable, et la quantité de travail d’ingénierie que nécessite la conception et la fabrication de ces animatroniques est impressionnante. Je crois que cela contribue énormément à créer la magie du film.

Le bouche à oreille concernant le film devrait être très positif et lui assurer un grand succès. Si Paramount vous demande de produire une suite ou une trilogie avec ces personnages, comment l’envisageriez-vous ?

Oh, ce serait sensationnel d’avoir la chance de produire d’autres films comme celui-ci…J’aurais envie que nos héros se lancent dans une autre quête qui nous permettrait de les connaître encore mieux, et de découvrir d’autres mondes, d’autres royaumes du vaste univers de Donjons et Dragons. Pour l’instant, nous n’avons voyagé que dans une toute petite partie de la carte ! Narrativement aussi, nous avons à peine effleuré la surface de l’immense patrimoine d’histoires qui existe…Et le grand avantage de la structure ouverte du jeu, c’est que nous pouvons aussi imaginer n’importe quelle histoire nouvelle à partir de ces éléments ! J’irais jusqu’à dire que nous pourrions choisir d’aborder n’importe quel genre cinématographique dans l’univers de Donjons et Dragons, tout en restant parfaitement cohérents. Les possibilités sont infinies ! Je suis enthousiasmé par cette perspective rien qu’en y pensant ! Mais avant de songer à tout cela, j’espère d’abord que nous allons réussir à séduire le public avec ce premier film, et que les spectateurs apprécieront autant que nous le fruit des trois années de travail intensif que nous avons passées à créer Donjons et Dragons, L’Honneur des Voleurs. Je suis extrêmement fier de ce que nos équipes ont accompli.

Remerciements à Alexis Rubinovicz et Jeremy Latcham Bookmark and Share


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