Donjons et Dragons : Entretien avec Shane Mahan – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 04 Aout 2023
Pêche miraculeuse
Parmi les autres créatures que vous avez créées pour le film, il y a l’énorme poisson que l’on voit dans la scène du village des pêcheurs…
Oui, quand il ouvre sa gueule, on voit un bébé Tabaxi – une race de félins humanoïdes - allongé sur sa langue, car il l’a gobé précédemment. La tête, la queue, les branchies et les yeux du poisson géant étaient animés par des mécanismes pneumatiques. Ce dispositif était puissant et permettait à sa queue de fouetter l’air de manière convaincante, comme celle d’un poisson qui se retrouve hors de l’eau. Mais nous avons conçu son animation pour que ses mouvements puissent ralentir lorsqu’il se trouve sur le dock et qu’on le calme. Le bébé Tabaxi était un animatronique aux servomoteurs pilotés par radiocommande. On pouvait le saisir sans qu’il y ait des câbles reliés à lui, ce qui a permis de tourner en continu le moment où nos héros immobilisent et calment le poisson, ouvrent sa gueule, en extraient le petit et le rendent à sa mère. La tête de la mère Tabaxi était également un masque animatronique radiocommandé. C’était compliqué de coordonner tout cela pour que les actions s’enchaînent. Nous disposions de peu de temps pour filmer cette scène, car le tournage avait pris du retard ce jour-là. Mais nous avons eu la satisfaction que tout se passe si bien que ces prises de vues ont pu être réalisées vite et en satisfaisant pleinement les deux metteurs en scène.
Les réalisateurs m’ont dit que vous avez construit des tentacules concrets pour une scène de magie…
Oui, on les voit quand le personnage que joue Hugh Grant demande à la sorcière Sofia de capturer Edgin et Simon, incarnés par Chris Pine et Justice Smith. Elle fait un geste et l’on voit alors des tentacules pourpres surgir du sol. Tout cela a été tourné devant les caméras, avec des tentacules équipés de mécanismes qui leur permettaient de s’enrouler autour des corps des comédiens. Les tentacules étaient ensuite soulevés par des câbles, tout comme les deux acteurs qui étaient suspendus ainsi au-dessus du sol. Le département des effets visuels a réalisé des scans 3D de nos tentacules pour en animer brièvement des versions virtuelles dans le plan où on les voit émerger du sol en se dépliant.
Morts de rire
Revenons sur les guerriers ressuscités. Comment les avez-vous abordés ?
Comme je vous le disais au début de notre conversation, en lisant le script, j’avais trouvé que le rythme comique de cette séquence était génial, absolument hilarant. Je me réjouissais de créer des personnages qui allaient se retrouver au centre d’une scène de comédie, car nous n’avons pas souvent l’occasion de faire cela. Nous intervenons habituellement sur des aventures de super-héros, des productions de pure science-fiction ou d’épouvante qui sont traitées sérieusement. J’ai donc pensé que ce serait intéressant de créer les dépouilles de différents individus, en partant de leur aspect lorsqu’ils étaient vivants – que l’on découvre dans les flashbacks – et en donnant à leur cadavre un look qui reflète la manière dont ils ont été tués, mais de façon stylisée et ironique. J’ai suggéré àn ce moment-là que l’un d’eux devrait être roux, pour être plus facilement identifiable. Les réalisateurs voulaient que les acteurs jouant ces personnages puissent respecter le rythme comique très précis des dialogues de cette scène, et même improviser de nouvelles répliques avec les comédiens principaux. Il fallait que leurs réactions puissent être instantanées, et donc que nos effets ne les ralentissent pas. C’est ce qui a été le point de départ de notre travail. Nous voulions que ces cadavres exhumés de leurs tombes et ramenés à la vie soient impressionnants mais pas trop effrayants non plus, pour ne pas déstabiliser les plus jeunes spectateurs. Cela étant dit, les gamins adorent avoir peur ! Je ne me faisais donc pas trop de souci concernant la manière dont nos designs allaient être accueillis par le public. Concrètement, il s’agissait de costumes représentant des corps flétris et désséchés, avec des os traversant certaines parties de la peau, et de prothèses appliquées sur les visages des acteurs. Mais nous avons également raccordé des mains et des bras mécaniques fins et squelettiques aux épaules des costumes de ces personnages, car si on fabrique des gants pour donner l’impression que la main d’un comédien est flétrie et osseuse, on ne peut que tricher en ajoutant des volumes sculptés, ce qui finit par l’épaissir et produire exactement l’inverse de l’effet recherché ! Ces bras mécaniques étaient manipulés en accompagnant le jeu des acteurs. En les voyant, on ne peut que remarquer qu’ils sont si fins qu’il est impossible que les vrais bras d’un comédien puissent être dissimulés dedans. Voilà comment nous avons tenté, autant que faire se peut, de donner un aspect excentrique et charmant à ces dépouilles ressuscitées ! (rires) Nous avons veillé aussi à rester fidèle au patrimoine visuel et fictionnel du jeu de rôle original. Les conseillers de la compagnie qui édite le jeu, Wizards of the Coast, se sont énormément impliqués dans le développement du film, et nous rappelaient toujours quel était l’aspect initial de chaque personnage ou créature, et nous décrivaient ses capacités. Chacun de nos designs leur a donc été soumis, afin qu’ils puissent les passer en revue et les commenter.
Avez-vous mêlé des maquillages prosthétiques et des effets 3D dans cette scène hilarante des guerriers ramenés à la vie ?
Les nez des personnages étant sensés avoir disparu, Ben Snow et ses équipes ont effacés ceux des comédiens. La seule autre modification numérique de ces images que nous avons demandée à Ben a consisté à retoucher le torse de l’un des comédiens, car on voyait sa poitrine se soulever et s’abaisser lorsqu’il était allongé dans la tombe, avant que son personnage ne revienne à la vie ! Cet acteur était tellement excité à l’idée de tourner cette scène qu’il ne pouvait pas s’empêcher de respirer fort et vite. Nous avions essayé de lui demander de retenir sa respiration, mais il ne parvenait pas à le faire assez longtemps, et se mettait à gigoter à cause de l’effort demandé…Donc dans le tout premier plan, l’équipe des effets visuels a retouché l’image et immobilisé son torse, et ce trucage est insoupçonnable.
La défaite d’un Gobelin
Vous avez créé aussi le maquillage de Gorg, un Gobelin de grande taille que l’on voit au début du film…
Oui, ce personnage est incarné par un autre acteur anglais de grand talent, Spencer Wilding. Il fait partie des brigands qui sont amenés dans la prison fortifiée et que l’on jette dans la cellule où se trouvent déjà Holga et Edgin. Quand Gorg menace Holga, elle lui administre une telle correction qu’il est K.O. au bout de quelques secondes. C’était un maquillage prosthétique intéressant à faire, et je crois que ce qui arrive à ce personnage permet d’établir très vite le ton surprenant et humoristique du film. Tout ce que nous avons fabriqué pour Donjons et Dragons permet de donner un côté concret et tactile aux créatures de cet univers, qui complète bien ce qui a été réalisé par ailleurs en images de synthèse par Ben et ses équipes. Ces effets numériques sont excellents.
Avez-vous créé aussi des masques inertes destinés aux figurants, pour ajouter des créatures à l’arrière-plan dans certaines scènes ?
Oui, des masques des félins Tabaxi et de Drakeïdes aussi. Je voudrais citer aussi l’autre département chargé des maquillages, supervisé par Alessandro Bertolazzi, qui a fait un excellent travail sur l’aspect des sorciers rouges et de Sofina. Et je voudrais souligner la contribution de David Malinowski, qui dirigeait le département chargé de créer les prothèses des oreilles d’elfes et de les appliquer. C’est la collaboration de toutes ces équipes avec celles des costumes, des décors et des effets visuels, qui a permis de créer l’aspect magique de ce grand film d’aventures.
Paramount TV a annoncé récemment qu’une série Donjons et Dragons allait être développée. Savez-vous déjà si vous y participerez ?
Non, pas encore, mais je dois dire que je serais extrêmement déçu si nous n’étions pas conviés à y collaborer ! (rires)
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Remerciements à Shane Mahan et à Alexis Rubinowicz