Au-delà du réel – Saison 1
Article TV du Jeudi 10 Avril 2008

"Ce n'est pas une défaillance de votre téléviseur, n'essayez donc pas de régler l'image. Nous avons le contrôle total de l'émission : contrôle du balayage horizontal, contrôle du balayage vertical. Nous pouvons aussi bien vous donner une image floue qu'une image pure comme le cristal. Pour l'heure qui vient, asseyez-vous tranquillement. Nous contrôlerons tout ce que vous verrez et entendrez. Vous allez participer à une grande aventure et faire l'expérience du mystère avec Au-delà du réel".
Par Pascal Pinteau



Pour tous les fans de SF de plus de 30 ans, ce monologue évoque de délicieux frissons. A la fin des années 70, la télévision Française ne diffusait les séries Fantastiques Américaines qu'au compte-goutte et faisait l'impasse sur des séries cultes comme Star Trek, qui triomphaient pourtant dans le reste de l'Europe. Produite par Guy Lux, l'émission La une est à vous diffusée le samedi après-midi allait changer cela en proposant aux téléspectateurs de voter par téléphone pour choisir leurs séries préférées. Les titres proposés appartenaient à différents genres : comédie, policier, western, etc. Dans la catégorie Fantastique et Science-Fiction, se retrouvaient pêle-mêle Le sixième sens (formidable série d'angoisse consacrée aux enquêtes d'un médium. Pourquoi est-elle injustement oubliée ?), Les mystères de l'ouest, Cosmos 1999 et Au-delà du réel. Régulièrement plébiscitée, Au-delà du réel entraînait les téléspectateurs dans un univers mystérieux, magnifiquement photographié en noir et blanc par Jack Nickolaus et Conrad Hall, et porté par l'extraordinaire musique de Dominic Frontiere, qui composa aussi celle des célèbres Envahisseurs. A l'époque, cette découverte fut un véritable choc pour tous ceux qui se désolaient que le paysage télévisuel Français soit largement fermé à l'imaginaire !

Les origines de la série

Au-delà du réel, dont le titre original est The Outer Limits (que l'on pourrait traduire par "au-delà de toutes les limites") est la première série de science-fiction Américaine destinée à un public adulte, amateur de mystère et d'angoisse. Le projet est conçu en 1962 par le producteur/scénariste Leslie Stevens, qui est ensuite rejoint par Joseph Stefano. Stefano est un maître du suspense : c'est lui qui a signé l'extraordinaire scénario de Psychose pour Hitchcock, en améliorant considérablement l'intrigue originale du livre de Robert Bloch. Par un heureux hasard, un jeune directeur des programmes nommé Daniel Melnick vient d'être engagé par la chaîne ABC. Il n'a que 26 ans et aime la Science-Fiction. Leslie Stevens lui propose son concept de série dite d'anthologie : des histoires de SF riches de mystère et de suspense, traitées avec un ton original et ponctuées d'apparitions de créatures fantastiques, pour attirer le grand public. Melnick donne son feu vert et accepte de produire un épisode pilote. La préparation commence aussitôt. Le script écrit par Leslie Stevens est achevé le 11 novembre 1962. Après deux semaines de préproduction intense, le budget de tournage du pilote est estimé à 213000 dollars. Stevens définit alors ce que sera le style d'Au-delà du réel : des dialogues rapides, des concepts intéressants inspirés par de véritables faits scientifiques, et un remarquable casting d'acteurs. Le rôle principal du pilote sera ainsi attribué à l'excellent Cliff Robertson, qui vient alors d'incarner John Kennedy au cinéma dans Patrouilleur 109. Reste encore à résoudre un problème de taille : qui sera le présentateur de la série, l'indispensable fil rouge qui assurera une continuité d'épisode en épisode ? Désireux de s'éloigner le plus possible de ce que l'on connaît déjà – les monologues comiques d'Hitchcock au début et à la fin des épisodes d'Alfred Hitchcock présente ou les apparitions "in situ" de Rod Serling dans les décors de La quatrième dimension (Twilight Zone) – Stevens songe alors à une idée toute simple : le poste de télévision va donner l'impression de s'éteindre. Un point blanc va demeurer au centre de l'écran (c'est ainsi que les téléviseurs se comportaient à l'époque !) puis s'animer d'une vibration, comme si quelqu'un en prenait le contrôle ! Ce concept génial va être incarné, - si l'on peut dire ! - par une voix off, celle de l'acteur Vic Perrin. L'idée de la prise de contrôle du téléviseur va d'ailleurs si bien marcher qu'une téléspectatrice écrira un peu plus tard à ABC pour se plaindre : " depuis la diffusion d'Au-delà du réel, vous ne m'avez pas bien rendu le contrôle de mon poste. L'image est toute brouillée et je crois que la moindre des choses serait que vous me remboursiez la facture de la réparation " !

L'épisode pilote

Le tournage du pilote de la série, Ne quittez pas l'écoute ! (The Galaxy Being) débute le 3 décembre et est bouclé en neuf jours. Cliff Robertson incarne le jeune savant Allan Maxwell, qui tente de contacter d'autres mondes par le biais des ondes radio. Maxwell téléporte par accident un extraterrestre aux intentions pacifiques, mais dont le corps est entouré par un champ magnétique destructeur. Leslie Stevens a tenu compte des conseils du directeur des programmes d'ABC, qui lui a suggéré "montrez la créature très vite, pour accrocher le public". L'extraterrestre se manifeste donc dès les trente premières secondes, sous la forme d'une image fantôme sur un écran. Le costume de l'alien a été fabriqué très simplement. Il s'agit d'un masque de latex brun, doté de gros yeux récupérés sur une statue géante de corbeau, et d'une combinaison de plongée brun foncé. Mais ce n'est pas cette image banale que les téléspectateurs vont découvrir. Le masque et la tenue sont enduits de glycérine, et l'on place l'acteur costumé (William O. Douglas, un élève du mime Marceau) sur un fond blanc. La scène est filmée avec un éclairage intense, mais c'est en fait le négatif de l'image qui va être utilisé : le costume luit alors d'une blancheur surnaturelle, les reflets deviennent d'étranges tâches sombres et le fond blanc devient noir. L'extraterrestre semble vraiment surgir d'un autre monde. Il sera incrusté dans chaque prise de vue en post-production, un travail long et complexe qui témoigne de la volonté de Stevens de concevoir des séquences visuelles plus ambitieuses que celles des autres séries de l'époque. L'enregistrement de la musique est lui aussi particulièrement soigné : le compositeur Dominic Frontiere dispose d'un orchestre de 40 musiciens pour enregistrer le générique de la série, les thèmes récurrents, et la partition de ce premier épisode. Lorsqu'ils découvrent Ne quittez pas l'écoute !, les dirigeants d'ABC sont fortement impressionnés. Dès le lendemain de la projection, Stevens reçoit un coup de fil qui lui confirme que la chaîne désire acheter la série. Une nouvelle aventure commence : la production de la première saison, qui sera diffusée de septembre 1963 à mai 1964.

Extrait de l'épisode pilote en version originale :


La loi des séries

Entre les mots jetés sur la page blanche et la dure réalité de la production d'une série télé, il y a un obstacle de taille, plus redoutable que toutes les entités extraterrestres : le budget ! Stevens et Stefano ne disposent que de 120 000 dollars par épisode pour mettre en scène des intrigues spectaculaires. Il leur faut réunir une équipe de grand talent pour accomplir l'impossible avec si peu. Le directeur de la photo Conrad Hall est engagé à temps plein. Des acteurs de premier plan comme Robert Culp et Robert Duvall sont approchés. Mais il reste à dénicher des spécialistes des trucages aussi talentueux que rapides, car une nouvelle créature étrange - surnommée "the bear" (l'ours) - doit apparaître dans chaque épisode, au rythme d'une tous les huit à dix jours... Contacté par les producteurs, le réalisateur Byron Haskins (La guerre des mondes, L'île au trésor, Robinson Crusoe sur Mars) accepte de superviser anonymement la conception des monstres. Ils seront fabriqués par l'équipe de la société Projects unlimited avec laquelle Haskins a souvent travaillé - notamment pour le producteur de cinéma Georges Pal - et qui réunit Wah Chang, Gene Warren, Tim Baar, Al Hamm, Paul LeBaron, Ralph Rodine et l?fanimateur Jim Danforth. Les maquilleurs Fred B. Phillips et John Chambers sont chargés des maquillages prosthétiques. Les extraterrestres et les monstres de la série sont souvent incarnés par des comédiens qui portent des masques de mousse de latex que l'on raccorde très simplement autour de la bouche. L'équipe de Projects unlimited joue souvent avec les proportions du visage en plaçant les yeux de verre des créatures au-dessus ou en dessous des vrais yeux de l'acteur. Le comédien voit ce qui se passe à l'extérieur en regardant au travers de fentes dissimulées dans les reliefs du masque. Dans d'autres cas, le cascadeur Janos Prohaska et le mime William O.Douglas disparaissent à l'intérieur de costumes en mousse de latex.

Making of de la série (en anglais) :


Au-delà du pilote...

Pendant que l'équipe des maquillages spéciaux s'organise, le tournage du second épisode débute. Il s'agit de La frontière (The Borderland), au cours duquel des savants vont proposer à un riche industriel de rentrer en contact avec son fils décédé au moyen d'une invention qui permet d'accéder à une autre dimension. A nouveau écrit par Stevens, cet épisode pêche par des dialogues saturés d'explications scientifiques et des effets spéciaux un peu envahissants, qui semblent reléguer les comédiens – pourtant très bons – au second plan. L'épisode suivant, Le Facteur humain (The Human Factor),est beaucoup plus satisfaisant. Dans une base militaire de l'arctique, le docteur Hamilton a développé une machine capable de capter les pensées d'un cerveau humain et de les transférer dans un autre. On demande à Hamilton de soigner le Major Brothers, en proie à des accès de folie. Hamilton tente de sonder les pensées de son patient, mais un séisme provoque un court-circuit et les esprits des deux hommes sont échangés, d'un corps à l'autre. Brothers se retrouve doté de l'apparence du respectable Docteur Hamilton. Il est désormais libre de mener à bien son plan insensé : détruire l'isthme situé près de la base au moyen d'une bombe atomique... Si le script de l'épisode et sa réalisation ne sont pas d'une originalité folle, en revanche, les angles de prise de vues de Conrad Hall et sa science de l'éclairage font merveille. Le directeur de la photo n'hésite pas à laisser des personnages en silhouette noire sur un fond clair ou à n'éclairer qu'en contre-jour. Ces jeux d'ombres et de lumière créent à eux seuls un sentiment d'étrangeté, amplifié par le décor de la base arctique perdue dans l'immensité blanche... Attraction pour touristes (Tourist Attraction) s'avère ensuite doublement décevant. Cette histoire de monstres marins qui menacent de détruire un barrage érigé par un dictateur sanguinaire est non seulement bourrée de clichés, mais le tournage des scènes sous-marines et la construction des créatures (d'énormes costumes de mousse de latex portés par des plongeurs) génèrent d'importants dépassements de budget. Les comptables d'ABC envahissent alors les bureaux de la production pour s'assurer que cela ne se reproduira plus !

Le vétéran Byron Haskins propose de remettre la série sur les rails en réalisant l'épisode suivant, Les architectes de la peur (Architects of fear). Le scénario de l'épisode est passionnant. Accablé par l'escalade de la menace atomique entre les blocs de l'ouest et de l'est, un groupe de savants imagine un plan terrible : transformer l'un d'entre eux en créature extraterrestre au moyen d'une série d'opérations irréversibles, puis l'envoyer dans une fusée se poser près du bâtiment des nations unies à New York. Confrontés à une menace venue d'une autre planète, les dirigeants terriens ne pourront que se résoudre à s'unir. C'est l'excellent Robert Culp qui tient le rôle du savant qui tire la mauvaise paille et accomplit ce sacrifice atroce. La créature qu'il devient peu à peu est baptisée "Thetan". Il s'agit d'un des costumes les plus complexes de la série, dotés de longs bras simiesques et de jambes dotées de trois articulations. Les pieds de Janos Prohaska sont prolongés par des sections de jambes rigides dotées de pattes. Ses avant-bras sont munis d'échasses qui lui permettent de manipuler les membres supérieurs de l'extraterrestre. La réalisation de Byron Haskins crée un tel climat d'angoisse que certaines stations de télévision locales paniquent et refusent catégoriquement de diffuser l'épisode. D'autres substituent un écran noir aux gros plans du monstre ou décalent la diffusion en fin de soirée ! Même si aujourd'hui la créature paraît caoutchouteuse et assez inoffensive, Les Architectes de la peur fonctionne toujours aussi bien et compte parmi les meilleurs épisodes de la série.

Dans Expérience contrôlée (Controlled Experiment), nous découvrons d'affables martiens jouant avec une machine à remonter le temps pour étudier cette curieuse pratique Terrienne que l'on appelle "meurtre". Placé sous le signe de la comédie, cette histoire écrite et réalisée par Leslie Stevens rompt avec la tradition d'angoisse de sa série, mais s'avère très amusante. Après cet intermède humoristique, Byron Haskins signe une nouvelle réussite : Les Cents Jours du dragon (The Hundred Days of the Dragon). On y voit des savants Chinois faire la démonstration d'un sérum qui rend les traits du visage aussi malléables que de la pâte à modeler. Un de leurs agents va se servir de ce produit pour devenir le double d'un des candidats à la présidence des Etats-Unis, dont il a mémorisé toutes les informations personnelles. Idée originale, bons interprètes, réalisation parfaite, tous les ingrédients de choix d'Au-delà du réel sont présents dans cet épisode mémorable. La place nous manque pour décrire chacun des 31 épisodes de cette première saison, mais citons cependant quelques uns des meilleurs : Dans Le sixième Doigt (The sixth finger) un savant invente une machine qui lui permet de faire franchir à un cobaye humain des dizaines de milliers d'années d'évolution humaine. L'Espion robot (O. B. I. T.) nous présente une mystérieuse machine qui capte les ondes émises par le corps humain et permet ainsi d'espionner n'importe qui, à tout moment, où qu'il se trouve. Le héros de La Pierre parle (Corpus Earthling) entend les voix de créatures extraterrestres qui ont adopté la forme de pierres, et qui sont capables d'envahir et de contrôler un corps humain. Dans Les Forçats de Zanti (The Zanti Misfits) des extraterrestres à l'aspect insectoïde (animés image par image par Jim Danforth) s'avèrent être des criminels exilés sur terre afin d'y subir leur châtiment.

Les Invisibles (The Invisibles) traite avec originalité le thème des parasites qui s'emparent des esprits humains pour envahir la terre. L'épisode bénéficie de l'excellente prestation de Don Gordon dans le rôle de l'agent secret qui feint de se joindre aux complices des extraterrestres. Martin Landau et Sally Kellerman campent un savant spécialiste des lasers et son épouse arriviste dans Le Bouclier (The Bellero Shield). Lorsque le laser pointé sur les étoiles attire un extraterrestre, ce dernier est confronté aux manigances de l'épouse, qui cherche à lui voler son générateur de champ de force, pour prétendre ensuite que son mari l'a inventé. Dans Le Caméléon (The Chameleon), Robert Duvall incarne un tueur engagé par le gouvernement américain pour une mission bien particulière : se débarrasser de deux extraterrestres qui ont tué les policiers qui s'approchaient de leur soucoupe endommagée. L'assassin va subir une métamorphose physique complète pour ressembler aux aliens, puis va tenter de s'infiltrer dans leur soucoupe pour les tuer. Alors que la première saison de la série touche à sa fin, les taux d'écoute baissent un peu et les dirigeants d'ABC reprogramment la série à un horaire que Joseph Stefano juge moins favorable. Lassé des directives de plus en plus contraignantes d'ABC, Stefano claque la porte. Leslie Stevens est alors contraint de travailler avec un nouveau producteur, Ben Brady, tout acquis aux exigences de la chaîne. La seconde saison sera donc moins ésotérique, nettement plus commerciale, et mettra en avant le "Monstre de la semaine", comme ABC ne cesse de le réclamer. Malgré ce contexte conflictuel, de nouveaux épisodes passionnants vont voir le jour. Nous les découvrirons dans la seconde partie de ce dossier...

Création : Leslie Stevens
Production : Joseph Stefano (saison 1); Ben Brady (saison 2)
Scénario : Leslie Stevens, Albert Walter, Meyer Dolinsky, Jerome Ross, Ellis St Joseph, Anthony Lawrence, David Duncan, Orin Bornstein, Joseph Stefano, Dean Riesner, Bill Balinger, Stephen Lord, Lou Morheim et Lin Dane, William Bast, Robert Miritz, Donald S. Samford, Robert Spech, Olivier Crawford, Robert Towne, Lou Morheirn, Harlan Ellison, Dan Ulman, Milton Krims, John Mantley, Francis Cockrell, Louis Charbonneau, Jerry Sohi, Richard Landeau, Seeleg Lester, Otto Binder, Sam Newman, Ed Adamson, Robert C. Dennis, Sam Rocca.
Réalisation : Leslie Stevens, Byron Haskin, Laslo Benedeck, James Goldstone, Leonard Hom, Gerd Oswald, Abe Biberman, Kohn Erman, John Bram, Paul Stanley, Robert Florey, Alan Crosland, Charles Haas, Leon Besnon, Felix Feist.
1e diffusion US: 16 septembre 1963, ABC - 1e diffusion française: 1967, 2ème chaîne ORTF

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Le coffret de l'intégrale de la saison 1 (31 épisodes) est distribué par MGM. Les copies remastérisées des épisodes sont d'une qualité irréprochable.
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