ANZU, CHAT FANTÔME : une charmante aventure surnaturelle, coproduction franco-japonaise. Entretien avec les réalisateurs Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita – 1ère partie
Article Animation du Lundi 12 Aout 2024
Le Pitch :
Karin, 11 ans, est abandonnée par son père chez son grand-père, le moine d’une petite ville de la province japonaise. Celui-ci demande à Anzu, son chat-fantôme jovial et serviable bien qu’assez capricieux, de veiller sur elle. La rencontre de leurs caractères bien trempés provoque des étincelles, du moins au début...
Les sources d’inspiration du film
Quels sont les films en prises de vues réelles et les longs-métrages d’animation qui vous ont donné envie de devenir réalisateurs ?
Nobuhiro Yamashita : Quand j’étais enfant, j’ignorais comment on fabriquait un film, et ne connaissais pas le métier de réalisateur. Mais comme j’aimais beaucoup le cinéma, je rêvais de devenir acteur. Plus tard, au lycée, j’ai découvert les films de Takeshi Kitano, Aki Kaurismäki et Jim Jarmush. Ce sont des films dont le découpage est relativement simple, et en y réfléchissant, j’ai pensé que je pourrais peut-être parvenir à effectuer moi aussi ce travail. Bien sûr, je ne me compare pas à ces grands cinéastes en disant cela ! Ce qui m’a plu dans leur approche, c’est qu’elle est très différente du cinéma hollywoodien qui repose d’abord sur ce qui est spectaculaire. Ces trois réalisateurs racontaient leurs histoires en présentant des successions de plans très simples, et c’est ce qui m’a donné envie de faire le même métier.
Oui, et d’ailleurs les derniers films de Spielberg et de Kaurismäki vont vers plus de simplicité et comptent parmi leurs plus belles œuvres… Et pour vous Yoko, quelle a été l’origine de votre vocation ?
Yoko Kuno : Comme Nobuhiro, j’ai été étonnée par le cinéma de Takeshi Kitano qui a parfois un aspect assez brouillon, car Kitano est aussi un peintre, et il filme sur le vif, comme s’il créait une peinture en mouvement, de manière spontanée. Quand je vois ses longs-métrages, je suis frappée par cette maladresse volontaire qui les rend encore plus émouvants. J’ai eu envie de diriger des films comme il le fait, en m’inspirant de sa démarche créative. Mais au fond de moi, je sentais que je n’étais pas faite pour mettre en scène des films en prises de vues réelles. Finalement, ce sont plutôt des courts-métrages qui m’ont donné envie de devenir réalisatrice de films d’animation, notamment les chef d’oeuvres du grand artiste russe Iouri Norchteïn Le Hérission dans le Brouillard ou Le Conte des Contes. Il les a créés de manière traditionnelle en 1975 et 1979, en réussissant à donner à ses personnages et décors en papier découpé, filmés avec une caméra multiplane, des effets de profondeur et une poésie incroyables. Ce sont ces films de Iouri Norchteïn qui m’ont permis de comprendre que le cinéma d’animation est lui aussi un cinéma à part entière.
Les Yokai et les créatures surnaturelles des légendes ont-elles joué un grand rôle dans l’imaginaire de votre enfance ?
Nobuhiro Yamashita : Je pense que tous les enfants japonais passent par une phase pendant laquelle l’imagerie et les histoires de Yokai les fascinent. C’est probablement aussi dû au travail du mangaka Shigeru Mizuki, qui a contribué à populariser la culture des Yokai au Japon. Le paradoxe de ces créatures, c’est d’être à la fois effrayantes et attachantes. Je crois donc qu’inconsciemment, j’ai du être influencé aussi par tous ces récits découverts pendant mon enfance.
Yoko Kuno : Pour ma part, ce sont moins les Yokai que les créatures magiques du Totoro de Hayao Miyazaki qui m’ont fascinées pendant mon enfance. En voyant ce film, j’ai eu l’impression qu’il s’agissait de ma propre histoire. Comme beaucoup d’enfants, j’ai eu l’impression de voir des êtres surnaturels quand j’étais petite.
Toujours à ce sujet, vous êtes-vous inspirés de certaines légendes précises pour créer les scènes du film dans lesquelles interviennent des Yokai ? Ou pour imaginer certains gags ?
Yoko Kuno : Comme dans le manga original, les Yokai que l’on voit dans le film sont assez éloignés de leur image traditionnelle des légendes. Ces créatures surnaturelles sont souvent impressionnantes, et parfois même érotiques. Dans notre histoire, il s’agit de Yokai un peu ratés, de seconde catégorie pour ainsi dire ! Et c’est ce qui les rend amusants.
L’adaptation du Manga original
Comment avez-vous approché cette adaptation et mis en scène la personnalité et le caractère d’Anzu ?
Yoko Kuno : Nous sommes restés fidèles à ce que l’on voit dans le manga original de Takashi Imashiro, y compris dans les séquences nouvelles créées pour le film.
Nobuhiro Yamashita : Ensuite, il y avait deux choses très importantes à nos yeux. Anzu est avant tout un personnage positif, qui veut aider les gens. Mais comme il est aussi un chat, il a un côté très capricieux, imprévisible, et garde une certaine distance vis-à-vis des humains.
Avez-vous adapté un peu le design d’Anzu à l’animation ? Vous êtes-vous inspirés aussi des représentations traditionnelles de chats-fantômes surnaturels ?
Yoko Kuno : Non, nous avons repris son aspect du manga original, c’est-à-dire celui d’un chat géant. Dans le folklore japonais, les chats-fantômes sont généralement effrayants et cet aspect n’aurait pas convenu à cette histoire.
Comment avez-vous adapté les autres personnages principaux du manga pour l’animation, et comment avez-vous créé le personnage de Karin, qui n’apparaissait pas dans l’oeuvre originale ?
Yoko Kuno : Dans le manga original, c’est vraiment Anzu qui est le personnage principal, et on le voit aider différentes personnes dans des histoires qui sont très courtes. Pour adapter l’oeuvre sous la forme d’un long métrage, il fallait inventer d’autres personnages complémentaires et leur donner une présence et une importance presque égale à celle d’Anzu. C’est ce qui nous a poussé à en imaginer plusieurs, et notamment Karin. Le film qui nous a le plus inspirés, les producteurs Pierre Baussaron, Keiichi Kondô, Emmanuel-Alain Raynal, Hiroyuki Negishi et nous, quand nous avons créé le personnage de Karin, c’est Le Déménagement, un long-métrage en prises de vues réelles qui a été réalisé en 1993 par Shinji Sômai. C’est l’histoire d’une jeune fille dont les parents sont en train de divorcer, et qui tente de s’opposer à cela par tous les moyens.
Karin est un personnage d’adolescente forte, impertinente, volontaire, au caractère indépendant, qui s’éloigne des représentations classiques…
Nobuhiro Yamashita : Nous avons passé six ans à écrire le scénario, et chacun a apporté des idées qui ont permis de rendre le personnage de Karin assez complexe. La manière dont on la voit agir dans le film est le fruit de ces réflexions que nous avons mises en commun. C’était vraiment un travail d’équipe.
Tous les autres personnages déjouent eux aussi les clichés des films d’animation fantastiques. Le père, par exemple, qui a de mauvaises fréquentations et de nombreuses dettes, n’est pas un père modèle. La mère fait le ménage dans un hôtel de l’au-delà. Et la grand-père est intransigeant et assez violent avec son gendre, puisqu’il le chasse en lui disant qu’il trouve son comportement inacceptable. Tout cela crée un contexte conflictuel intéressant…
Nobuhiro Yamashita : Dans notre récit, il n’y a pas de gens parfaitement bons ni entièrement mauvais. Très souvent, quand on construit un film, ce qui est un processus artificiel, on crée des personnages qui doivent tenir des rôles de héros ou de méchants, mais ce n’est pas le cas dans notre histoire.
Yoko Kuno : Nous présentons une galerie de personnages qui doivent sembler vrais. C’était déjà l’approche de l’oeuvre originale de Takashi Imashiro, qui utilise souvent cette approche réaliste dans ses mangas. Et cela correspondait aussi à notre vision du film et au travail d’adaptation mené par le scénariste Shinji Imaoka.
La suite de notre dossier ANZU, CHAT-FANTÔME paraîtra bientôt sur E.S.I. !
Si vous voulez tout connaître sur l’histoire des trucages, dans le cinéma, les séries, le maquillage, le cinéma d’animation et les plus belles attractions des parcs à thème, offrez-vous EFFETS SPÉCIAUX : 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, la bible des SFX, unanimement célébrée par la presse comme l’ouvrage absolument incontournable sur le sujet, avec 848 pages, 2500 photos dont beaucoup exclusives, et les interviews de 160 des plus grands spécialistes mondiaux ! Vous découvrirez des anecdotes incroyables sur les tournages des films et séries cultes, et vous saurez exactement comment les moments les plus étonnants de vos œuvres favorites ont été créés !
Pour vous procurer ce livre de référence en un clic sur Amazon, c’est par Ici.