ANZU, CHAT FANTÔME : une charmante aventure surnaturelle, coproduction franco-japonaise. Entretien avec les réalisateurs Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita – 2ème partie
Article Animation du Lundi 19 Aout 2024
Le tournage en prises de vues réelles et la rotoscopie
Pouvez-vous nous décrire comment le film a été créé techniquement, en utilisant la rotoscopie et de vrais environnements ? Après ces tournages réels, comment ces images ont-elles été adaptées artistiquement ?
Yoko Kuno : Le film a d’abord été entièrement tourné en prises de vues réelles sous la direction de Nobuhiro, puis il a réalisé aussi le montage. C’est ensuite que nous avons commencé à travailler en animation, en sélectionnant les plans réels qui nous plaisaient le plus, pour retracer ensuite les traits et les transposer en dessin animé.
Comment avez-vous créé les décors qui ne sont pas basés sur des lieux réels ? Avez-vous fabriqué des maquettes pour pouvoir les filmer et faire des mouvements de caméra dedans ?
Yoko Kuno : Non, nous n’avons pas fabriqué de maquettes, mais parfois, nous filmions les acteurs dans une salle de réunion toute simple, pour avoir un fond d’image neutre, puis dans un second temps, nous nous sommes rendus dans des lieux qui correspondaient à ces scènes, nous avons photographiés et filmés ces environnements vides, puis nous avons envoyé tout cela à Julien de Man et à l’équipe française qui se chargeait de peindre les décors. Je précise aussi que certaines scènes de nuit ont été photographiées et filmées en réalité pendant la journée, ce qui a contraint Julien à retravailler les images que nous lui fournissions, pour leur donner un aspect nocturne.
Pouvez-vous nous parler de Mirai Moriyama, l’acteur qui a joué Anzu pendant le tournage en prises de vues réelles et qui lui prête aussi sa voix ? Comment avez-vous travaillé avec lui sur la gestuelle et les mimiques d’Anzu ?
Nobuhiro Yamashita : Je n’ai pas donné des indications très précises à Mirai Moriyama, car il est à la fois acteur et danseur. Grâce à son expérience et son talent, je savais qu’il saurait jouer Anzu comme je le souhaitais. Quand cette histoire débute, Anzu est un chat-fantôme de 37 ans, un adulte, donc. Il n’aurait pas été judicieux de lui faire faire des mouvements exagérés ou correspondant à ceux d’un jeune félin. De temps en temps, je demandais à Mirai Moriyama de faire des gestes ressemblant à ceux d’un chat, et c’est ce qu’il a fait, comme lorsqu’on le voit se gratter les oreilles avec ses pattes. Il arrive aussi qu’un chat se mette à courir très vite tout d’un coup, sans raison apparente, et nous nous sommes parfois inspirés de ces comportements déroutants.
Avez-vous tourné de nombreuses versions des scènes avec les acteurs, pour pouvoir disposer de différentes options de gestuelles et d’expressions ?
Nobuhiro Yamashita : Non, et d’ailleurs quand je réalise un film en prises de vues réelles, je ne tourne pas les scènes avec plusieurs caméras placées sous différents angles, et je filme très peu de prises. Il y a relativement peu de plans dans mes films. Mais j’ai probablement changé un peu ma direction d’acteur selon les personnages. Par exemple, Karin, son père et sa mère étant des personnages humains, je les ai dirigés normalement. En revanche, j’ai parfois demandé aux acteurs qui jouaient les Yokai et les deux petits garçons d’exagérer un peu leur jeu, afin que cela corresponde au traitement graphique plus caricatural de ces personnages.
Certains personnages de Yokai ont-ils été créés directement en animation traditionnelle, sans rotoscopie ?
Yoko Kuno : Certaines scènes d’action, comme la course-poursuite, n’ont pas été tournées en prises de vues réelles. Idem pour les petits esprits de la forêt et les animaux qui transmettent des messages aux Yokai, comme les souris et les cafards. Nous n’avons pas pu filmer non plus la scène où l’on voit Karin seule dans la gare, sous une pluie battante. Ces quelques séquences ont donc été réalisées directement en animation.
Quelles ont été les scènes les plus difficiles à créer, et pour quelles raisons ? Quelles solutions avez-vous trouvées pour résoudre ces problèmes ?
Nobuhiro Yamashita : La technique de la rotoscopie a des avantages et des inconvénients. En ce qui concerne les avantages, à un moment l’actrice qui joue Karin est tombée malade et a du être remplacée par une autre, mais cela ne se voit absolument pas dans le film puisque tout a été redessiné. De la même manière, il est arrivé que Mirai Moriyama ne puisse pas venir sur le tournage pour des raisons de planning, et nous avons eu recours à un autre comédien pour jouer Anzu ces jours-là, sans que cela ne pose de problème de continuité. Il m’est même arrivé de remplacer la petite fille et d’interpréter des scènes de Karin, puisque tout allait être transposé ensuite en animation ! Dans ces cas-là, nous avons fait réenregistrer les voix des personnages par les acteurs principaux, en post-synchronisation.
Y-a-t-il eu des modifications entre les mouvements des prises de vues réelles rotoscopées et ceux de l’animation finalisée des personnages ? Et si oui, pour quelles raisons ?
Yoko Kuno :De manière générale, nous sommes restés très fidèles aux performances des acteurs tournées en prises de vues réelles, mais parfois, oui, nous avons un peu accentué certains mouvements. Inversement, nous avons profité aussi de certains accidents ou événements imprévus du tournage. Au cours de la scène avec le dieu du malheur, par exemple, nous avons ajouté une mouche sur sa jambe, parce que pendant les prises de vues, une fourmi est montée sur la cuisse de l’acteur qui jouait ce personnage. Et cela nous a ravi, car nous nous sommes dits que cela ressemblait encore plus à ce que l’on voit quand on se trouve réellement à la campagne. Nous en avons profité, mais en transformant la fourmi en mouche.
Le Fantastique mêlé à la réalité
L’un des grands charmes du film est la manière dont Anzu le chat-fantôme est inclus dans la vie quotidienne de tous les personnages de cette petite communauté, comme si c’était parfaitement normal. Qu’est-ce qui vous a donné envie de mêler ainsi le surnaturel à la vie de tous les jours de ces gens, dans votre adaptation du manga original ?
Nobuhiro Yamashita : Eh bien comme j’adore les mangas de Takashi Imashiro, j’avais d’abord imaginé de souligner davantage ce mélange de surnaturel et de vie quotidienne en adaptant les aventures d’Anzu en prises de vues réelles. L’idée initiale était de fabriquer un costume en fourrure et de le faire porter par un comédien qui incarnerait Anzu, et jouerait avec d’autres acteurs. Maintenant que le projet s’est concrétisé sous la forme d’un film d’animation, je ne regrette vraiment pas d’avoir changé d’approche, car l’animation nous a permis d’estomper le décalage entre le réel et le surnaturel. Mais en toute franchise, je dois dire que j’ai beaucoup hésité, et que j’avais des doutes concernant l’aboutissement de certaines scènes, comme celles où l’on voit Anzu se rendre à Tokyo. Je me demandais ce qui pourrait justifier que les passants ne se retournent pas lorsqu’ils croisent ce chat géant ! Mais en même temps, nous nous sommes dits que cela pourrait marcher, parce que l’on voit énormément de gens bizarres qui portent des costumes extravagants dans les rues de Tokyo ! (rires) Du coup, ils sont tellement blasés qu’il ne s’étonnent pas de voir Anzu : ils s’en fichent, parce qu’il ne détonne pas dans cet environnement étrange. C’est sûr que trouver le bon équilibre dans ce mélange entre réel et fantastique a été très délicat, mais je crois que nous sommes parvenus à nous ancrer dans la réalité pendant tout le déroulement de cette histoire, notamment grâce aux dessins que Yoko a créés.
Yoko Kuno : Nous avons longuement parlé de la taille d’Anzu et finalement, nous avons décidé qu’il devait être plus grand que Karin et plus imposant, car s’il avait été plus petit qu’elle, on aurait pu avoir l’impression que Karin maltraitait un animal domestique lorsqu’elle se met en colère. Et d’une manière plus pragmatique, dans les prises de vues réelles, c’est un acteur adulte qui joue Anzu, et il est donc plus grand que la jeune actrice qui incarne Karin. Finalement, sa grande taille nous a permis aussi d’apporter des choses amusantes à notre histoire. L’énorme silhouette d’Anzu est déjà drôle en elle-même.
Cette différence de taille est très émouvante dans la scène où Karin se jette dans les bras d’Anzu et semble disparaître dans la fourrure de son ventre. C’est un moment magnifique…
Yoko Kuno : Merci. Nous pensons vraiment que cette taille convient bien à la narration de cette histoire.
Déjouer les clichés
Même si l’on croit que certains personnages vont agir comme des méchants, aucun d’entre eux n’est totalement mauvais. Soit ils appliquent des règles, comme les créatures de l’enfer, soit ils affrontent des difficultés, comme le père de Karin. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez tenu à ne pas intégrer des méchants classiques dans cette histoire ?
Nobuhiro Yamashita : Nous avons beaucoup discuté de cela avec le scénariste Shinji Imaoka, car nous n’aimons pas les personnages totalement mauvais. D’abord, de telles personnes n’existent pas dans la réalité, qui est toujours beaucoup plus nuancée et complexe. Les méchants absolus font partie des clichés et accentuent le caractère artificiel d’une histoire. Nous voulions donc éviter ce schéma à tout prix. Tout comme les personnages gentils et sans défaut, qui ne sont pas crédibles non plus.
Yoko Kuno : Cette envie de créer un film qui ne serait pas manichéen et qui éviterait les clichés était très forte chez Nobuhiro et chez le scénariste Shinji Imaoka. Graphiquement, je voulais respecter leur souhait, mais en même temps, si l’on veut présenter un divestissement agréable aux spectateurs, il faut malgré tout inventer des protagonistes plutôt méchants, et des designs de personnages adaptés à leurs actions. Je crois qu’au bout de nos recherches narratives et visuelles, nous sommes parvenus à trouver un bon équilibre entre les héros et leurs antagonistes. Dans la forme finalisée du film, on voit relativement peu le dieu du malheur, et je dois dire que si cela avait été possible, j’aurais bien aimé raconter davantage son histoire et son parcours. Mais il a fallu y renoncer, car sinon le film aurait duré deux heures et demie ou trois heures !
Les thèmes du film
La rédemption et la possibilité d’avoir une seconde chance font partie des thèmes récurrents du film. Pourriez-vous nous en parler ?
Nobuhiro Yamashita :Cela concerne notamment Karin et son père. Mais le vrai thème principal du film est l’évolution d’une jeune fille qui s’est renfermée sur elle-même et qui a une attitude un peu coincée parce qu’elle a vécu des choses difficiles. Au cours de cette histoire, elle va commencer à s’ouvrir, retrouver le sourire, et aider les autres à se relever. Nous serions ravis si les spectateurs ressentaient eux aussi cette énergie positive en découvrant le film.
Yoko Kuno : À la fin du film, on voit Karin prendre de grandes décisions. Elle franchit un cap en faisant ces choix, car à partir de là, elle va mener son propre chemin. C’est vraiment un récit initiatique.
Karin est très affectée par la disparition de sa mère. Pensez-vous que cette histoire pourrait aider de jeunes spectateurs confrontés à un deuil similaire ?
Nobuhiro Yamashita : Ce n’était pas du tout notre but initial, mais en même temps, je serais très intéressé de connaître les réactions de jeunes spectateurs faisant face à cette situation, après qu’ils aient vu le film.
Le comportement excentrique et transgressif d’Anzu est-il une manière de remettre en cause les conventions sociales et le poids des traditions dans le Japon actuel ?
Nobuhiro Yamashita : J’aime beaucoup son côté fantasque, qui ne respecte pas les conventions. Anzu étant un chat, il a d’emblée une attitude indépendante, capricieuse et très libre. On peut effectivement considérer que les japonais sont un peu entravés par toutes ces règles, un peu coincés, et j’aime bien briser ces conventions.
Avez-vous montré le film en cours de création à des personnes extérieures pour découvrir leurs réactions, et recueillir éventuellement des suggestions ?
Nobuhiro Yamashita : A chaque fois que je réalise un film en prises de vues réelles, je suis tenté par l’idée de le montrer à des personnes extérieures au projet ou à un autre réalisateur. Je ne suis pas du tout fermé à cette idée, mais je dois tout de même constater qu’en vingt-cinq ans de carrière, cela n’est jamais arrivé ! (rires) Mais bien évidemment, je discute avec le ou les producteurs pendant toute la création du film.
Yoko Kuno : Je n’aime pas montrer un film en cours de fabrication à des personnes extérieures. Mais pour savoir si l’animation fonctionne et si l’intention de la mise en scène est bien compréhensible, il m’est arrivé de réunir toute l’équipe du film pour que nous puissions examiner ces plans ensemble. Cela nous permet d’échanger des commentaires constructifs pour nous assurer que tout marche bien.
Une création franco-japonaise
Pour conclure, pouvez-vous nous parler des avantages et des apports créatifs de cette collaboration franco-japonaise ?
Yoko Kuno : Le Japon est un pays insulaire, et aujourd’hui encore, on ne sait pas trop ce qui se passe à l’extérieur. Bénéficier de ce regard extérieur venu de France était quelque chose d’important pour nous, y compris pendant l’écriture du scénario. L’équipe française nous a fait part de ses commentaires très enrichissants. L’animation est une industrie florissante au Japon, mais le rythme de production a imposé une manière de faire qui est standardisée, rapide et très formatée. Et de ce fait, travailler avec des gens qui n’appartiennent pas à cette industrie-là était extrêmement intéressant et positif. Les remarques de l’équipe françaises étaient toujours très pertinentes et vraiment utiles.
Nobuhiro Yamashita : Les différences de point de vue des artistes français et des réalisateurs japonais ne pouvaient être qu’enrichissantes et très appréciables. Julien de Man, par exemple, n’a pas du tout la même sensibilité artistique que nous, et c’est précisément ce qui lui a permis de nous apporter énormément de choses. En dehors de cela, il y a eu aussi l’apport extrêmement bénéfique du mélange des collaborations, avec les décors peints par les équipes françaises, la mise en scène créée par un réalisateur de cinéma en prises de vues réelles, et l’animation créée par une réalisatrice. C’était donc d’emblée un travail d’équipe très riche, issu de plusieurs univers différents, et cela a merveilleusement bien fonctionné.
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