Dans l’ombre de Roger Rabbit
Article 100% SFX du Vendredi 23 Aout 2024
Qui veut la peau de Roger Rabbit, réalisé par Robert Zemeckis en 1988, est sans doute l’héritier le plus célèbre d’une tradition qui remonte à l’aube du Septième art.
Par Pierre-Eric Salard
En 1919, Max Fleischer, créateur Betty Boop, mettait en scène Koko le clown dans un véritable combat de boxe. Au milieu de la décennie suivante, Disney invitait une fillette dans l’univers des cartoons avec la bien-nommée série de court-métrages Alice in Cartoonland. En 1945, Gene Kelly fait une Escale à Hollywood pour danser avec Jerry (la souris bien connue pour son duo avec Tom). Plus les années passent, plus le résultat s’avère convaincant. En 1964, le travelling matte au sodium permet d'affiner l'incrustation de Julie Andrews et de Dick Van Dyke au sein des séquences d’animation de Mary Poppins. Le fond (devant lequel les acteurs font semblant d’interagir avec des pingouins) n’est alors ni bleu ni vert, mais orange. L’animation des personnages fantaisistes est évidemment réalisée dans un second temps, en prenant en compte les déplacements des comédiens. Disney produira des œuvres similaires – on pense notamment à Peter et Elliott le Dragon en 1977 - sans toutefois atteindre le même succès que la nounou magicienne. Les yeux sont alors tournés vers une certaine guerre des étoiles, mise en scène grâce à des effets visuels novateurs…
Un test pour l’Histoire
Dans les années 1980, l’adaption du roman Who Censored Roger Rabbit ? de Gary K. Wolf fait figure de véritable OVNI, puisqu’il invite dans une même ville des personnages issus de studios concurrents. Dont les Looney Tunes de Warner Bros. Le projet est confié à Robert Zemeckis, dont Retour vers le futur vient de rencontrer un grand succès. Ce dernier se penche sur les effets de lumière, qui doivent offrur une dimension supplémentaire aux toons. Effectivement, les précédents films mêlant prises de vues réelles et animation mettent en scène des personnages fictifs animés en 2D, ce qui leur donnait une allure plate en comparaison avec les acteurs en chair et en os. Ici, les toons sont censés cohabiter avec les humains à Hollywood. Ce sont des citoyens partageant un même espace. C’est donc un travail sur la lumière qui permettra de donner de la dimension aux personnages animés. Préalablement au tournage, une courte séquence (visible sur internet) est financée afin de tester, sous la supervision de Ken Ralston d’Industrial Light & Magic différentes techniques, dont l’ombrage des toons. Ou encore un travelling de la caméra afin de rendre les scènes plus dynamiques. « Son équipe améliorait tous mes plans par le biais d'une tireuse optique, un appareil servant à exposer des effets optiques sur pellicule », expliquait Richard Williams. « En fait, un seul plan du film sera réalisé par ordinateur, au final. Tout le reste du métrage sera conçu avec des crayons et des gommes.» Steven Spielberg, producteur, s’avoue impressionné par un travelling réalisé alors même que Roger Rabbit se trouve dans le cadre. Le projet obtient ainsi le feu vert.
Des trucages novateurs
La production de ce film se divise majoritairement en trois phases distinctes : Le tournage des prises de vue réelles, l'animation et le compositing d'ILM permettant de combiner les deux premières. De nouveaux procédés sont inventés pour concrétiser la vision des producteurs. ILM met au point des Vistaflex, des caméras au format VistaVision qui permettent d’obtenir une bonne résolution – chaque image est deux fois plus large que sur une pellicule 35mm. Ce qui améliorera la qualité des trucages optiques. Cela n’empêche pas Robert Zemeckis d’aborder Roger Rabbit comme un long-métrage en prises de vues réelles « traditionnel ». C’est même l’idée au cœur du projet : les toons ne s’invitent pas dans notre monde pour l’artifice ; ce sont des personnages comme les autres. Le réalisateur va ainsi à l’encore des désidératas des animateurs, qui souhaitent, et on peut le comprendre, que la caméra reste fixe. Ce qui, forcément, va complexifier le travail d’animation, l’angle étant modifié à chaque image lors d’un travelling.
Un Oscar mérité
Sur le tournage, le doubleur de Roger Rabbit, Charles Fleisher, donne ses répliques hors-caméra… parfois habillé en lapin ! Et des silhouettes marquent l’emplacement des toons afin d’aider Bob Hoskins à porter son regard vers les personnages imaginaires. Ce n’est toutefois pas suffisant pour parfaire l’illusion. Tous les personnages doivent interagir. Ainsi des marionnettistes font bouger, à l’aide de câbles quasi invisibles, certains objets sur les plateaux ; des objets censés être manipulés par les toons, qui seront évidemment ajoutés en postproduction (le temps de la prévisualisation en temps réel est encore loin d‘être venu). « Lors de la scène du cabaret, on peut voir furtivement une pieuvre-barman», expliquait le marionnettiste Toby Philpott. «Tous les objets que ses tentacules manipulent sont réels. Cachés dans le plafond, nous les avons manœuvrés de concert. Nous étions particulièrement fiers d'avoir réussi à verser un liquide d'une bouteille dans un verre grâce aux manipulations des câbles invisibles ! » En ce qui concerne le travail d’animation, plus de 80 000 celluloïds sont produits, en fonction évidemment des mouvements des acteurs à chaque image. Un travail homérique. Reste encore à mêler les deux univers grâce à un méticuleux ouvrage de compositing. C’est là que le travail sur la scène de test paie. Les artistes d’ILM, légendaire studio d’effet visuel, vont offrir une troisième dimension aux toons en jouant sur l’éclairage. A partir des celluloïds, deux caches sont dessinés en suivant les contours de la morphologie de chaque personnage. Le premier cache correspond à la lumière, le second à l'ombre. Si l'éclairage principal se trouve à gauche, le cache « lumière » éclaire davantage la partie gauche du toon. Le côté droit, lui, sera légèrement obscurci grâce au cache « ombre ». Une œuvre pour le moins fastidieuse. Lorsque Roger est dissimulé dans une salle secrète du bar, il fait par exemple osciller une lampe. Pour chaque image, il s’agit d’altérer l'angle des lumières et des ombres avec des durées d’exposition différentes pour chaque toon. Près de trois quart du film – soit 1040 plans - bénéficie donc de ce traitement de choc. Un travail formidable qui sera heureusement récompensé par le succès public et un Oscar des meilleurs effets visuels.
Sources : Cinefex, ILM : The Art of Special Effects, Effets spéciaux: 2 siècles d’histoires, Variety, The Hollywood Reporter, SFX Magazine, Derrière les oreilles (Disney+), The Cinema of Robert Zemeckis, commentaire audio du DVD, Los Angeles Times, DisneyWar
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