Star Trek II : la colère de Khan : L’effet Genesis – Longue vie et images de synthèse
Article 100% SFX du Dimanche 25 Aout 2024

Il y a plus de quatre décennies,  Star Trek  créait littéralement un monde (et bouleversait l’industrie des effets visuels) en embrassant les premiers pas de l’imagerie 3D.

Par Pierre-Eric Salard

En 1979,  Star Trek : Le Film  divise les fans en lorgnant davantage vers  2001 : L’Odyssée de l’espace  (1968) que vers  Star Wars  (1977). Le second opus va ainsi prendre un virage à 180 degrés. Les producteurs allouent un budget de onze millions de dollars à la production de  Star Trek II : la colère de Khan  (alors que  Star Trek : Le film  disposait de 46 millions). Qu’importe, la mise en scène est confiée à Nicholas Meyer ( C'était demain ). Avec le succès que l’on connaît, puisque ce film de 1982 est encore souvent considéré comme le meilleur de la saga.

Terraformation

Un vieil ennemi de l'Amiral Kirk, Khan (Ricardo Montalbán), cherche à s'emparer d'un dispositif ultra-secret, le projet Genesis. Ce dernier pourrait faire naître la vie sur une planète morte... ou être détourné à des fins guerrières ! L’affrontement se conclut sur superbe bataille spatiale où les vaisseaux sont aveuglés par le rayonnement d'une nébuleuse (créée en injectant un mélange d'ammoniaque et de latex dans un aquarium rempli d'eau salée, mais ce n’est pas le sujet du jour). Alors que le projet Genesis est mis en œuvre, l’USS Enterprise évite finalement de peu la destruction grâce au sacrifice d'un Vulcain bien connu. A l'origine, l'effet Genesis devait prendre la forme d'une démonstration de laboratoire : une pierre aurait été placée dans une machine pour être transformée en fleur. Mais l'idée ne convainc pas le superviseur des effets spéciaux, Jim Veilleux, qui propose de montrer, sur un écran placé dans le décor, les effets de la machine révolutionnaire… sur une planète entière ! Mais comment, au début des années 1980, mettre en images la formation accélérée d’un tout nouvel astre ? La Paramount exige que la simulation soit plus impressionnante qu'un simple film d'animation traditionnelle. Contrairement à Star Trek : Le film, Paramount fait appel à Industrial Light & Magic (ILM), le studio d’effets visuels créé en 1975 par George Lucas pour les besoins de Star Wars. L’équipe de Jim Veilleux (Poltergeist) et Ken Ralston (Forrest Gump) s'efforce donc de transformer les idées du scénario en storyboards et dessins conceptuels. Ce travail minutieux est essentiel pour éviter que le budget alloué aux trucages n’explose. La botte secrète d’ILM est, sans surprise, George Lucas. Revenons quelques années en arrière.

Visionnaire

Suite au succès de Star Wars, le cinéaste a massivement investi en recherche et développement. En 1979, il recrute Edwin Catmull, un jeune chercheur du New York Institute of Technology, pour mettre en place The Lucasfilm Computer Division. Grâce à un budget colossal, les chercheurs vont mettre au point d’importantes avancées technologiques. L’un de ces laboratoires, The Graphics Group (qui deviendra Pixar !), va œuvrer sur le processus de rendu des images de synthèse. Au début des années 80, le réalisateur comprend que l’avenir du cinéma sera numérique, de la prise de vues à la projection des films en salles. Or à l’époque, les rendus 3D sont encore terriblement schématiques. On contourne la difficulté en animant des formes mécaniques simples. Ce que l’on appellera les « Flying logos », autrement dit, les logos 3D des chaînes de télévision. Le Dr Ed Catmull est donc chargé de concevoir des logiciels exclusivement dédiés à la production d'images. Dès 1981, son équipe crée une démo pour ILM montrant un vaisseau Klingon réalisé sur ordinateur. Parallèlement, un jeune infographiste, Loren Carpenter (Toy Story), réussit à générer sur son ordinateur un paysage fractal. Ce sont des formules mathématiques qui produisent des formations aux structures répétitives, et qui permettent par exemple de créer des formes comme des structures de rocher.

L’éclat des étoiles

Les fractales sont devenues l'une des premières applications des images de synthèse : grâce à leur compression optimale, ils ne nécessitent qu'un faible espace de stockage. Il est temps d’appliquer les résultats de toutes ces recherches dans la production d’un film. « J'ai poussé ILM à créer les tout premiers effets visuels générés pour un grand film de l'époque », se souvient le producteur Robert Sallin. « ILM a été très enthousiaste et a pleinement soutenu l'idée, bien que cette courte séquence ait coûté près d'un quart de million de dollars et qu'elle ait été financée sur leur budget... » En réalité, c’est Jim Veilleux d’ILM qui a l’idée de demander à ses collègues du Graphics Group de participer. «Alvy Ray Smith présentait le projet (…) et je me souviens que Loren Carpenter a dit : ‘oh, je pense pouvoir faire la planète Terre avec des fractales’ », se souvient William Reeves auprès de CGM. « Une autre personne, Tom Duff, a répondu ‘je peux faire la lune avec des cratères’. Une autre personne a dit qu’elle pouvait faire le projectile ; Thomas Porter a dit ‘je peux faire le ciel étoilé’. » Un des artistes est effectivement chargé de vérifier que l'éclat des étoiles visibles en arrière-plan correspond à celui d'un astre visible de la Terre ! Pour la première fois, des effets de flammes, conçues grâce à un système de particules, sont intégrées. « Honnêtement je pense que personne ne voulait prendre le feu, car personne ne savait comment le simuler ! », poursuit William Reeves. « Je me suis dit que je devais essayer, voir ce que j’arriverais à faire. La base des systèmes de particules en découla ; de nombreuses petites choses lumineuses qui, cumulées, forment une image intéressante et complexe. De par leur nature individuelle, c’est juste un point qui zèbre l’écran et fait une trainée lumineuse grâce à un flou de mouvement. C’est le principe même des systèmes de particules ! »

Un renouveau des effets spéciaux

Le rendu de la séquence engendre un problème inattendu : au bout de plusieurs jours de calculs, les techniciens découvrent que la caméra virtuelle allait bientôt traverser l'une des montagnes virtuelles ! « Il y eut quatre à six mois de travail, beaucoup d’essais et d’échecs. », rappelle Reeves. Afin de ne pas relancer le processus, ils décident d'ajouter une vallée que la caméra pourra emprunter ! L'un des avantages des images de synthèse vient d'être découvert... Mais cette technologie s’avère si novatrice que les interfaces sont loin d‘être au point. « Les images étaient filmées sur nos écrans avec une caméra de cinéma. Nous n’avions pas de systèmes de transfert à cette époque. Nous faisions dont un rendu offline avec toutes les particules fractales, avant de compositer le tout en une image finale. Puis nous l’affichions sur l’écran, et nous déclenchions la capture d’une image. Puis nous faisions l’image suivante. Enregistrer toute la séquence prenait une nuit, mais c’était le mieux que nous pouvions faire. » Aux côtés de TRON, sorti la même année, l'effet Genesis inaugurait un renouveau des effets spéciaux. Cette séquence de soixante secondes fut réutilisée dans les deux volets suivants de la saga Star Trek. N’oublions pas que les besoins du plus grand nombre surpassent ceux de quelques individus.

Sources: CGM Interviews - William Reeves (Thomas Martin/Gorkab sur YouTube, 2021), ILM: the Art of Special Effects, Effets Spéciaux: 2 siècles d’histoires, Cinefex, CNET

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