LES ANNEAUX DE POUVOIR, SAISON 2 – Entretien avec la réalisatrice et co-productrice exécutive Charlotte Brändström – 2ème partie
Article TV du Lundi 02 Septembre 2024
Propos recueillis par Pascal Pinteau
Cette deuxième saison a été dirigée par Louise Hooper, Sanaa Hamri et vous…
Effectivement. J’ai réalisé les épisodes 1 et 3, Louise a dirigé les 2 et 4, Sanaa les 5 et 6, puis j’ai mis en scène les épisodes 7 et 8. Comme les showrunners ont changé un peu le montage, les épisodes de Louise ont été mélangés avec mes scènes et celles tournées par Sanaa.
Quels sont les ajustements et les améliorations que vous cherchiez à apporter à cette deuxième saison, après avoir fait le debriefing de la saison un et de tout ce que vous avez réussi à accomplir ? Quelles étaient les choses que vous aviez envie de retoucher ?
Personnellement, j'avais envie que ce soit moins « propre » et que l’on sente beaucoup plus de textures, de poussière, de vécu dans tous ces environnements. C'est difficile à cerner parce que je trouve qu'on peut toujours améliorer les choses. Et en même temps, dans la saison un, les showrunners devaient présenter un monde qui allait ensuite être détruit en grande partie par les agissements de Sauron… Si nous n’avions pas montré la beauté initiale de ce qui allait être ravagé plus tard, nous serions passés à côté de quelque chose de capital…C'était donc très important de prendre le temps de décrire cet univers, ces royaumes, de montrer que tout allait bien, de faire connaissance avec ces peuples, ces gens, pour permettre aux spectateurs de s’y attacher. Après, c'est beaucoup plus émouvant d’assister à la destruction de quelque chose que l'on a découvert au moment de sa splendeur…J’ai éprouvé moi-même ce sentiment en dirigeant les épisodes 7 et 8, où l’on voit le siège d'Eregion, qui a été la première bataille pendant la guerre des elfes contre Sauron. Après avoir longuement préparé les scènes de cette grande bataille avec des maquettes, quand je me suis promenée dans les magnifiques décors qui avaient été construits, je n’ai pas pu m’empêcher de songer ‘Quelle tristesse, dire que je vais devoir détruire tout cela…Sauron va arriver, et presque tout va être ravagé…’ Mais pour revenir à votre question, en analysant la première saison et en y réfléchissant, nous avons voulu améliorer un peu le rythme. C’est ce qui était ressorti aussi des critiques des spectateurs, une certaine lenteur due au fait qu’il y avait énormément de situations et de personnages à présenter. Le rythme a donc été repensé, la dramaturgie a été travaillée plus en profondeur, et on a apporté plus de nuances aux personnages, pour faire en sorte, comme le disait si bien Jean Renoir, de comprendre que chacun a ses raisons pour faire ce qu'il fait, que personne n’est totalement pur ni entièrement corrompu : il y a des nuances de gris partout, dans les gradations entre le bien et la mal. Sauron, par exemple, pense vraiment qu'il agit pour le bien de tout le monde. Au début, il est d’ailleurs confronté à un choix important, pendant la scène qui se passe dans le bateau, au moment de l’attaque du monstre marin. Quand le navire coule, Sauron peut soit sauver le vieil homme qui est bloqué par la poutre, ou bien lui voler son blason pour usurper son identité…A ce moment précis, il prend la décision d’aller du côté du mal. Finalement la dramaturgie repose essentiellement sur les choix que font les personnages, au théâtre, à la télévision et au cinéma. Je pense que nous avons cherché à entrer le plus possible dans la tête des personnages. Et évidemment, le personnage principal de cette deuxième saison est Sauron. Tout tourne autour de lui, il existe partout en même temps, et fait peur à tout le monde, même si ce n’est qu'une seule et unique entité…Ce n’est pas vraiment un homme mais une intelligence diabolique qui arrive à manipuler simultanément tout le monde pour tenter de prendre le pouvoir, et on le sent vraiment à la fin de cette saison.
Je dois dire que dans les trois premiers épisodes que j'ai visionnés avant cet entretien, j’ai beaucoup aimé la manière dont Sauron « étend ses tentacules » pour influencer insidieusement tous les personnages malgré leur méfiance initiale. Et cela fonctionne très bien…
Oui, et ce qui est étrange aussi dans cette deuxième saison, c'est que le public sait maintenant qui est Sauron sous sa forme humaine, tandis que les protagonistes de l'histoire ne le savent pas…Grâce à cela, quand Sauron arrive à tromper et à manipuler ces gens, le public a une longueur d’avance sur ces situations, alors que dans la première saison, les spectateurs ne savaient pas qui était Sauron : la grande révélation finale était sa véritable identité. Cela fait donc une grande différence dans l’organisation des effets dramatiques. Et c’était très intéressant de jouer avec cela.
Charlie Vickers est formidable dans le rôle de Sauron…
Ah oui, il est phénoménal ! Vous savez, c’est drôle, parce que dans la vie tous les jours Charlie est très discret : si on le croise dans la rue, on ne le remarque pas. Mais dès qu’il porte son costume et incarne Sauron, il amène quelque chose d'exceptionnel. Cela passe parfois par ses regards et par ce qu'il exprime de maléfique en utilisant subtilement sa gestuelle. Charlie reste toujours dans la nuance, sans trop en faire.
Comment avez-vous travaillé avec les acteurs principaux ? Il y a beaucoup de comédiens récurrents dans la série, qui avaient certainement des idées à proposer sur l'évolution de leurs personnages respectifs au cours de cette nouvelle saison. Avez-vous pu tenir compte de leurs suggestions ou était-ce trop compliqué à gérer ?
Non, il reste de la place pour les suggestions des acteurs même dans une production aussi importante que celle-là. Tout le monde me demande si le processus de travail est contraignant, eh bien je peux vous assurer qu’en réalité, il est extrêmement créatif. Pendant la préparation, nous nous asseyons tous autour d’une table pour lire ensemble à voix haute les scripts des épisodes, et les acteurs jouent chacun leurs rôles. Avant ces séances de lectures, dès la réception des scripts chez eux, ils lisent tout attentivement, et réfléchissent aux trajectoires de leurs personnages. Du coup, quand ils arrivent aux « table readings » ils sont bien préparés, arrivent avec leurs notes et ont tous des choses à dire. Au départ, moi et les showrunners, on s'assoit déjà avec eux et on discute parce que leurs idées nous intéressent. ils Les acteurs connaissent déjà bien leurs personnages et savent où ils vont grâce au travail accompli pendant la première saison. Bien sûr, il n’y a que les showrunners qui savent exactement ce qui va se passer dans les saisons 3, 4 et 5 et comment les situations vont évoluer…Après les lectures communes, les showrunners modifient des choses. Ensuite on répète les scènes, et à nouveau on change certains éléments : les showrunners et les autres scénaristes vont retoucher les scripts. Ils reviennent ensuite et nous donnent les nouvelles scènes que nous nous apprêtons à tourner. On les répète le matin. J’ai l’habitude de tout répéter en détail, parce que l’on a tellement d’éléments à gérer avec les différentes équipes que l’on ne peut pas changer d’avis à la dernière minute. Donc tout est vu très précisément le matin, puis les acteurs partent pour mettre leurs costumes, et pendant ce temps on met en place l’éclairage. Ensuite, quand on tourne, il reste encore de la place pour faire des changements, et pour apporter de nouvelles idées.
Comment collaborez-vous avec Patrick McKay et John D. Payne, les showrunners de la série ?
Patrick et John viennent du cinéma, et ont travaillé avant sur le scénario de STAR TREK : SANS LIMITES (sans être crédités, NDLR). Ils ont un profond respect pour le travail de mise en scène et pour la collaboration avec les réalisateurs. Ils sont donc en demande de suggestions, et adorent que l’on vienne leur proposer des idées. Quand c'est une bonne proposition, il n'y a pas d'ego en jeu : ils s’organisent pour changer les choses. Mais la décision finale leur appartient. Je trouve que depuis le début de la série, ils ont fait des choix artistiques audacieux, qui ressemblaient parfois à ce que l’on voit dans des films d’auteurs. On retrouve cela dans notamment dans le premier épisode de cette nouvelle saison, dans les scènes avec Sauron et les orcs. C’est très fort dans la dramaturgie, et ils prennent le temps d’installer tout cela. Nous avons longuement travaillé ensemble sur cela.
Nous parlions tout à l'heure de l'avènement de Sauron qui est de plus en plus net au début de cette saison. Comment avez-vous suscité ce sentiment de force sinistre à l'oeuvre autour de Sauron, par vos cadrages, par l’éclairage et par votre scénographie ?
D'abord et avant tout, il y a évidemment beaucoup de choses qui passent dans le jeu de Charlie Vickers, dans les nuances, les petites choses. Cela veut dire qu’à certains moments, il faut le cadrer en restant très serré sur son visage pour sentir l'évolution de son personnage, en captant juste un petit sourire. Nous avions mis cela en place dès la première saison, d’ailleurs, quand l’identité humaine de Sauron n’était pas encore révélée, et qu’il se présentait sous le nom de Halbrand. Dans le premier épisode de cette deuxième saison, on voit aussi Charlie sourire avec une expression maléfique quand il est couché sur le sol de sa cellule, et que Adar, le chef des orcs, lui dit qu'il doit lui promettre de lui rester fidèle. À ce moment-là, on sait que Sauron est satisfait parce qu'il a réussi à obtenir ce qu'il veut, et que son plan se déroule comme prévu. Il faut donc déjà bien capter les performances des acteurs. Puis il y a le travail réalisé sur l’éclairage, qui va servir à les mettre en valeur. Nous jouons beaucoup avec les ombres et les lumières. Depuis la première saison, je collabore avec un jeune chef-opérateur formidable qui s’appelle Alex Disenhof. Il a un goût artistique très sûr, et il est excellent dans la mise en place des éclairages. Avec les nombreux effets spéciaux et trucages numériques que nous utilisons, c’est capital de bien éclairer ces scènes. C’est indispensable pour que tous ces effets puissent être bien intégrés dans les images finales. Il ne faut surtout pas croire que l’on peut tourner n’importe comment, puis que les équipes des effets numériques vont résoudre les problèmes après. C'est une grave erreur que font certaines personnes, que l’on entend parfois dire ‘Oh, ce n’est pas grave, on corrigera ça pendant la post-production numérique.’ En réalité, c’est très important de livrer des images bien éclairées, qui mettent en valeur les décors, les maquillages des créatures et les effets spéciaux concrets, car ensuite, elles pourront servir de bases solides au travail des équipes des effets visuels. En même temps, nous avons la chance d’avoir des personnes exceptionnelles en charge du numérique. Ce sont vraiment des pointures ! Notre superviseur senior des effets visuels, Jason Smith, est juste incroyable… Donc il faut savoir écouter, savoir prendre son temps, savoir collaborer et en tant que réalisatrice, ne jamais perdre la perspective de chaque scène. Je collabore avec tout le monde, mais j'ai toujours un point de vue assez précis sur ce que raconte une scène. Je choisis donc le cadre en fonction de cela. Pour prendre un exemple dans la première saison, dans une scène de face à face entre Galadriel et Adar, j'ai « débullé » complètement la caméra (référence à la bulle de niveau, quand le cadre est mis en biais pour créer une sensation de déséquilibre, NDLR). Il y a des moments dans cette saison où je reprends un peu cela. A la fin, je reprends des choses de ce genre et d’autres que j'avais mises au point dans la saison précédente. Le cadre est important, les déplacements de caméra aussi. Par le passé, sur certains tournages, j’ai constaté une certaine paresse qui consiste à ne pas changer d’objectif, de focale, pour filmer tout plus rapidement dans le même axe avec une focale plus longue, et éviter de déplacer la caméra. Moi je considère qu’il est très important de savoir quel est le point de vue de la scène, et de choisir alors de déplacer la caméra pour la rapprocher de l'acteur. Cela reste alors le point de vue de vue du personnage sur ce qui se passe. Le résultat n’est pas le même…Avant de conclure, je tenais juste à rendre hommage au travail accompli par J.A. Bayona, qui a initié cette série. C’est un metteur en scène extraordinaire, et il a fait de magnifiques choix de casting.
La suite de notre dossier consacré à la 2ème saison des ANNEAUX DE POUVOIR sera bientôt publiée sur E.S.I. !
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