THE PRIMEVALS, l’incroyable histoire d’un film fantastique achevé 30 ans après son tournage – 1ère partie
Article Cinéma du Vendredi 04 Octobre 2024

Par Pascal Pinteau

C’était le projet d’une vie pour le grand animateur David Allen, disparu à la fin des années 90 avant d’avoir pu l’achever. Trente ans plus tard, on peut enfin découvrir son mythique THE PRIMEVALS en Blu Ray import (zone 1/A USA), grâce à la fidélité de ses amis et proches collaborateurs.

En 1994, Charles Band, patron du studio Full Moon Features spécialisé dans les films fantastiques à petit budget, accepte de produire THE PRIMEVALS, un projet très ambitieux de l’animateur David Allen. Un premier concept du film intitulé RAIDERS OF THE STONE RING a été développé au début des années 70, puis des marionnettes, des décors miniatures et des accessoires fabriqués par Allen en 1978, pendant une période de quatre mois. Ces éléments spectaculaires ont incité le magazine américain Cinefantastique à présenter le projet en cours de préparation et à lui consacrer sa couverture la même année. Mais en dépit de l’intérêt qu’il suscite dans le public des fans de cinéma fantastique et de SF, c’est un faux départ, car le financement du projet ne peut pas être complété. David Allen met alors à profit cet arrêt provisoire pour retravailler longuement le script, entre ses engagements d’animateur freelance sur d’autres projets. Une nouvelle histoire est co-écrite par Allen et par Randy Cook (un autre grand artiste de la stop-motion, qui anima notamment les chiens-démons de S.O.S. FANTÔMES), et finalisée sous la forme d’un script dix ans plus tard. Le récit débute dans la chaîne des montagnes de l’Himalaya, lorsqu’une créature simiesque géante attaque brutalement un groupe de sherpas. L’un d’eux périt, mais ses amis parviennent à tuer l’animal en furie. Quand ses restes sont ramenés à la civilisation pour y être étudiés, le Docteur Claire Collier est persuadée que cette bête inconnue est l’un des fameux yétis évoqués dans de nombreuses légendes locales. Elle contacte son ancien élève Matt Connor, qui a toujours cru en l’existence de ces “abominables hommes des neiges”, et le convainc de se joindre à l’expédition qu’elle prépare pour retrouver d’autres animaux de la même espèce. Le chasseur de gros gibier Rondo Montana va les accompagner et leur faire bénéficier de son expérience. Arrivé sur place, le groupe engage des sherpas, chemine dans les montagnes et finit par découvrir un passage menant à une vallée verdoyante, mystérieusement protégée des neiges éternelles. Ils observent une tribu d’hominidés et sont confrontés à des créatures reptiliennes extraterrestres aux sinistres projets…Fortement influencé par KING KONG et par les films de Ray Harryhausen comme L’ÎLE MYSTÉRIEUSE, JASON ET LES ARGONAUTES ou LE 7ÈME VOYAGE DE SINBAD, Allen a doté son projet de nombreux morceaux de bravoure où l’on verra les acteurs affronter des créatures animées image par image. Initier ce projet avec Charles Band signifie qu’il faudra tourner les prises de vues réelles avec peu de moyens, mais c’est la seule solution viable pour Allen en ce début des années 90 où l’industrie du cinéma s’adapte aux nouvelles techniques numériques.

Une période charnière de l’histoire des trucages

Après la révolution des dinosaures créés en 3D hyperréaliste par ILM pour JURASSIC PARK en 1993, Hollywood ne jure plus que par les créatures générées en images de synthèse. La stop-motion, que l’on employait encore très souvent dans les blockbusters des années 80 comme L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, ROBOCOP, BEETLEJUICE, CHÉRIE J’AI RÉTRÉCI LES GOSSES ou S.O.S. FANTÔMES est brutalement considérée comme une technique de trucage révolue. Pour Charles Band, ces bouleversements ne remettent rien en cause, car ces nouveaux effets 3D haut de gamme sont si coûteux et si complexes à réaliser qu’ils ne peuvent être utilisés que dans les superproductions des grands studios. Et ce, dans un nombre de scènes très limité : dans JURASSIC PARK, il n’y a que 6 minutes d’images 3D de dinosaures (les plans larges où l’on voit les animaux préhistoriques marcher ou courir), le reste étant filmé avec les animatroniques grandeur nature fabriqués par Stan Winston et ses équipes. En 1994, ILM est quasiment le seul studio d’effets visuels au monde à pouvoir créer de telles animations 3D hyperréalistes, et ce, pour un coût si élévé qu’il va rester confidentiel (il n’a jamais été révélé depuis). Band n’oublie pas non plus tout ce qu’il a pu accomplir grâce aux trucages en stop motion de David Allen dans les productions de Full Moon comme PUPPET MASTER, SUBSPECIES, DEMONIC TOYS et DOLLS. Les créatures de ces séries B ont été créées pour des coûts très raisonnables, et sont si attractives qu’elles figurent toujours en bonne place sur les affiches et les jaquettes des DVDs. Le travail réalisé par David Allen a tellement plu aux amateurs de fantastique qu’il a largement assuré le succès commercial de ces films. Miser sur l’animation image par image a évité à Full Moon de passer par la réalisation de personnages animatroniques aux mécanismes complexes, manipulés par des dizaines de techniciens.

Un talent reconnu à Hollywood

Comme beaucoup de ses pairs, c’est dans le cadre de son propre studio – tout simplement appelé David Allen Productions - que l’animateur travaille sur des trucages, après avoir reçu des commandes de spots publicitaires ou de plans destinés à toutes sortes de films. Il les crée de A à Z, soit lui-même, soit avec l’aide de sa petite équipe de collaborateurs, dont fait partie le jeune Chris Endicott, engagé en 1991. La qualité des animations de David Allen est bien connue à Hollywood, et lui vaut de travailler régulièrement sur les productions de Steven Spielberg des années 80, comme LA QUATRIÈME DIMENSION (TWILIGHT ZONE THE MOVIE), LE SECRET DE LA PYRAMIDE (YOUNG SHERLOCK HOLMES), pour la scène d’hallucination où le jeune Watson voit des pâtisseries prendre vie, ou MIRACLE SUR LA 8ÈME RUE (BATTERIES NOT INCLUDED), dans lequel des petites “soucoupes volantes” se révèlent être des créatures extraterrestres organiques.

Un partenariat fragile avec Paramount Video

Pour lancer le tournage de THE PRIMEVALS, Charles Band doit réunir quatre millions de dollars, soit dix à vingt fois plus que le budget habituel de ses productions. Pour y parvenir, il compte sur la prolongation de ses accords de distribution avec Paramount Video, car l’essentiel des recettes générées par les films de Full Moon vient des locations et ventes de cassette VHS et de DVDs. C’est donc en puisant sur les fonds limités de Full Moon que Band initie le tournage du projet. Heureusement, David Allen connaît bien Band et son fonctionnement financier très particulier qui réserve souvent des surprises. Il a donc anticipé ces problèmes, et réparti le budget alloué aux effets visuels de THE PRIMEVALS sur une longue période, commençant à les préparer de son côté, avec ses propres moyens, bien avant que le signal officiel du départ soit donné par Full Moon. Dès 1993, son équipe et lui-même fabriquent déjà des accessoires pour le film. C’est pendant l’été 1994 que Charles Band donne son feu vert. Le tournage va avoir lieu en Roumanie, dans les studios Castel Film Romania, qui abritent la société de production éponyme fondée par le producteur de films roumain Vlad P?unescu et par Band en 1991. Allen et son équipe se rendent sur place en compagnie des acteurs, pour y tourner les prises de vues principales. Les vedettes du film sont Juliet Mills (Le docteur Claire Collier), Richard Joseph Paul (Matt Connor, son ancien élève), et Leon Russom (le chasseur Rondo Montana). Une partie du tournage a également lieu dans le massif montagneux des Dolomites, en Italie. Dès le début des prises de vues, David Allen et son petit commando américain sont confrontés à de nombreux problèmes. Le manque de moyens financiers limite ce que les équipes du studio Castel Film – réduites au strict minimum - peuvent faire. Cela se répercute dans tous les domaines, de la construction des décors à la fabrication des accessoires en passant par les effets spéciaux de plateau les plus simples. Chris Endicott, qui a fait ses débuts d’animateur dans le studio de David Allen et a suivi toutes les étapes de création de THE PRIMEVALS, se souvient de cette expérience difficile : “Il était évident dès notre arrivée en Roumanie que nous n’aurions ni les moyens nécessaires pour tourner un tel film, ni des équipes suffisantes pour avancer dans de bonnes conditions. Par exemple, pour réaliser la scène dans laquelle plusieurs personnes affrontent un yéti géant dans les montagnes de l’Himalaya, nous avions besoin d’une machine qui projette de la fausse neige. Mais l’équipe locale n’en avait pas à disposition. Tout ce qu’ils avaient en stock, c’était un sac de jute qui avait contenu des pommes de terre, et qu’ils avaient rempli avec les débris de polystyrène qui restaient après la fabrication des flancs de montagne et des faux rochers. On projetait donc tant bien que mal ces miettes de polystyrène avec un ventilateur pour simuler les flocons de neige. Mais après chaque prise, il fallait prendre des balais et des pelles pour ramasser le polystyrène, et le réutiliser pour la prise suivante car c’était tout ce qui avait été mis à notre disposition ! Imaginez le temps que nous avons perdu à faire cela, juste pour récupérer un matériau au coût dérisoire…Chaque jour, nous devions faire face à de nouvelles absurdités de ce genre.”

Un pressentiment décisif

Malgré cette avalanche de problèmes, David Allen garde son calme. Patient comme le sont la plupart des animateurs de stop-motion (c’est indispensable pour exercer cet art minutieux), il savoure malgré tout le plaisir de diriger enfin le film dont il a rêvé depuis vingt ans, comme l’explique Chris Endicott : “David n’était pas du genre à perdre son sang-froid. Il ne se décourageait jamais, et n’était pas non plus exagérément optimiste, pensant qu’un coup de chance inattendu apporterait probablement aussi son lot de difficultés. Pendant le tournage, il gardait le cap, en étant ravi d’avancer et de concrétiser chaque plan. S’il était content d’en être arrivé là, il estimait aussi avoir tant apporté aux productions de Charles Band que ce retour d’ascenseur en sa faveur était amplement mérité. David maîtrisait parfaitement la situation, contrôlant tous les aspects artistiques et techniques du projet.” Alors que David Allen a prévu de boucler son tournage en 10 à 12 semaines, il reçoit soudain un appel de Charles Band qui l’inquiète au plus haut point : ce dernier lui demande de revenir rapidement aux USA “en suspendant momentanément les prises de vues, même s’il ne reste que deux journées de tournage à boucler”. Allen comprend immédiatement que Band est à nouveau à court d’argent. Il sait aussi que s’il lui obéït et rentre à Los Angeles, le tournage ne reprendra pas. Le film ne sera jamais achevé, et restera une ébauche incomplète. Allen fait donc la sourde oreille, gagne du temps, et continue à tourner un maximum de plans pour aller au bout du planning prévu. Grâce au soutien de son équipe, qui travaille gratuitement pendant ces quelques jours critiques, il dispose d’assez de prises de vues pour raconter l’essentiel de l’histoire de THE PRIMEVALS. De retour à Los Angeles, Allen va voir Charles Band, qui lui confirme ce qu’il craignait : les finances de Full Moon sont à sec, car l'association avec Paramount Home Video vient d’être rompue à la suite d’un litige (Paramount accuse Band d’avoir truqué le budget d’une de leurs productions communes, en n’ayant investi réellement que le tiers de la somme annoncée, pour augmenter sa part de profits). C’est une catastrophe pour Charles Band, qui ne peut plus investir de grosses sommes dans le projet, ayant déjà une montagne de dettes à gérer par ailleurs. Mais il promet à Allen qu’il fera de son mieux pour l’aider financièrement à avancer de son côté sur les effets de THE PRIMEVALS, s’il le fait en utilisant son studio d’animation et ses équipes. Pour achever son film, David Allen va donc devoir assumer avec quelques collaborateurs la réalisation des centaines de plans faisant intervenir les créatures animées image par image. Dès ce moment, il accepte encore plus de projets de spots publicitaires, afin de pouvoir créer les trucages de THE PRIMEVALS dans son studio, entre ces travaux de commandes.

Faire vivre le projet coûte que coûte

On peut découvrir David Allen à l’oeuvre pendant cette période intensive de travail dans le documentaire Imax SPECIAL EFFECTS, ANYTHING CAN HAPPEN, réalisé en 1996 par Ben Burtt. Allen a ressuscité l’icône de sa jeunesse, King Kong, pour les besoins de la séquence d’introduction du film, où le gorille géant grimpe jusqu’au sommet d’un gratte-ciel, non plus à New York, mais à San Francisco (où le tournage a été plus facile à organiser !). Même si le contexte est contemporain, Kong est malgré tout attaqué par des avions biplans, comme dans le chef d’oeuvre de 1933 ! La scène est spectaculaire à découvrir sur l’écran géant Imax. Quand King Kong est mortellement touché par les tirs des aviateurs, on le voit tomber, puis la marionnette articulée atterrit dans un filet, et la caméra recule pour révéler le studio et les maquettes de gratte-ciels entourant David Allen et les autres techniciens. Ce projet prestigieux enthousiasme l’animateur, mais malheureusement, ce sera la dernière de ses créations que découvrira le public…Peu après, Allen a des malaises, et on lui diagnostique un cancer du système lymphatique. Il se sait condamné, mais espère pouvoir vivre encore quelques années. Il consacre ses dernières forces à l’animation de plans de THE PRIMEVALS, travaillant sans répit, même pendant sa chimiothérapie. Chris Endicott raconte : “Dave n’arrivait plus à animer les personnages pendant toute une journée, et parfois, ne filmait que quelques images avant de se sentir trop mal pour pouvoir continuer. Ensuite, il a du être hospitalisé. Charles Band a engagé l’animateur Kent Burton pour venir nous aider à avancer. Kent et moi travaillions sur des animations que nous enregistrions aussi parallèlement en vidéo. Nous emmenions une petite télé portable et un lecteur VHS pour montrer les nouveaux plans à David dans sa chambre d’hôpital. Il nous faisait part de ses commentaires, et continuait à participer au film de cette manière. C’est ainsi que ses derniers mois se sont passés : il a continué à travailler sur le projet jusqu’au bout. Il ne s’est jamais arrêté.” Malheureusement la maladie progresse rapidement et emporte David Allen en dix mois. Il meurt en août 1999. Dans son testament, il lègue tous les éléments sur pellicule, les storyboards, et les marionnettes d’animation de THE PRIMEVALS, ainsi que l’intégralité de ses équipements techniques à son collègue et ami Chris Endicott, espérant qu’il pourra trouver des solutions pour achever le film dans le futur. Bien décidé à faire aboutir le projet de son mentor en animation, Endicott rencontre souvent Charles Band pour mettre au point de nouvelles présentations du projet, et tenter de trouver des partenaires. Mais la tâche est difficile et les années passent sans que les fans de fantastique sachent si ce film devenu mythique pourra être visible un jour….

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