THE PRIMEVALS, l’incroyable histoire d’un film fantastique achevé 30 ans après son tournage – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 11 Octobre 2024
Par Pascal Pinteau
Après le décès de David Allen en 1999, ses amis et collaborateurs tentent de trouver des solutions pour achever THE PRIMEVALS et le présenter au public...
Après avoir reçu de David Allen tous les éléments de THE PRIMEVALS existant sur pellicule, les storyboards, et les marionnettes d’animation, ainsi que les équipements techniques du studio, son collègue et ami Chris Endicott reprend le flambeau du projet. Il explique : “Ayant été le bras droit de David sur THE PRIMEVALS pendant la planification de la postproduction du film, nous avions tout organisé en détail ensemble : le nombre de jours nécessaires pour réaliser tous les types de trucages, le nombre de jours à prévoir pour animer tous les plans avec des créatures, etc. Des storyboards très détaillés reprenaient toutes ses intentions de mise en scène de ces plans. Bien entendu, quand vous travaillez sur un film, des choses vous viennent à l’esprit, de nouvelles idées, des inspirations. Mais je connaissais bien la vision de David pour le reste du film. Quand il est mort, Charles Band était toujours déterminé à faire aboutir THE PRIMEVALS, même si rien ne l’y obligeait. Il se trouvait alors dans une situation où ses ressources financières étaient sévèrement diminuées, mais il ne voulait pas jeter l’éponge. Il a continué à nous payer, Kent et moi, pour nous permettre d’avancer pendant un an et demi sur l’animation des plans. Certains chèques n’étaient pas approvisionnés, comme ceux qui devaient régler le loyer de l’endroit où nous nous étions installés pour réaliser ces animations. Les propriétaires du lieu étaient furieux. Ils voulaient absolument nous expulser, à cause de ces problèmes de paiement. Pour arranger les choses et régler les loyers, Kent et moi décrochions aussi des petits boulots sur des spots de pub, ce qui nous a permis de continuer à avancer pendant ces 18 mois. Mais passé ce délai, Charles n’a plus été en mesure de nous payer plus longtemps, nous avons dû tout remballer, les marionnettes, les décors et nos équipements, et le local a été vendu à la société Playboy.”
Nouveaux problèmes et nouvelles initiatives
Paul Gentry, un ami de David Allen, contacte Endicott peu après pour lui suggérer un moyen d’avancer. Gentry et lui entreprennent alors de scanner la copie de travail 35mm du film. Une fois numérisée, ils effacent digitalement les rayures et autre petits défauts d’usure des images, puis réalisent un étalonnage, l’étape où l’on corrige les couleurs, en réglant aussi la luminosité et les contrastes de chaque plan. Gentry et Endicott ajoutent des ambiances musicales, des effets 2D basiques et obtiennent alors une copie digitale du film qui est tout à fait présentable. “Nous étions au début des années 2000, et à ce moment-là, c’était le top du top de ce que l’on pouvait faire numériquement” explique Endicott. “Nous avions enfin quelque chose de concret et d’abouti que nous pouvions montrer à des gens. J’ai demandé à Charles s’il serait partant pour vendre le film si je trouvais un acheteur intéressé, et il m’a dit oui. J’ai donc rencontré beaucoup de gens, et le film en lui-même a suscité beaucoup d’enthousiasme. Mais à chaque fois que j’expliquais tout ce qu’il restait à faire pour l’achever, et pour résoudre les problèmes juridiques liés à sa production et aux dettes à régler, mes interlocuteurs prenaient peur. C’était compréhensible : THE PRIMEVALS n’était pas une licence à succès permettant de prendre certains risques. C’était un film étrange, qui même en 2000, semblait avoir été conçu dans un passé assez lointain. L’approche artistique et la sensibilité de David lui donnaient ce côté nostalgique, très différent du traitement des projets de cinéma contemporains.” Après ce constat, Endicott doit donc se résoudre à laisser THE PRIMEVALS retourner dans son état d’hibernation, en attendant d’autres opportunités…
De nouvelles chances à saisir
S’il travaille au studio David Allen Productions sur les nouveaux plans en stop motion de THE PRIMEVALS jusqu’en 2001, Endicott s’est également formé à l’animation de personnages 3D. Il exerce son art en tant que freelance, puis est engagé par Sony Pictures Imageworks de 2004 à 2012. Il rejoint Animal Logic jusqu’en 2014, et intègre ensuite Digital Domain 3.0. Ce parcours lui permet de travailler successivement sur le film d’animation MONSTER HOUSE, puis sur SPIDER-MAN 3, LA LÉGENDE DE BEOWULF, JE SUIS UNE LÉGENDE, ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, SUR LA TERRE DES DINOSAURES LE FILM, PIXELS, DEADPOOL, ainsi que sur les productions des Studios Marvel AVENGERS : INFINITY WAR, AVENGERS : ENDGAME, SHE-HULK AVOCATE, et SECRET INVASION. Pendant toutes ces années, Endicott continue à chercher des solutions pour achever THE PRIMEVALS. Charles Band et lui restent en contact, et tentent régulièrement de relancer le projet en présentant la copie de travail du film à de nouveaux partenaires potentiels, mais sans obtenir de résultat concret.
Le déclic
C’est finalement en 2018 que Charles Band et Chris Endicott abandonnent les recherches de partenaires et décident de tout entreprendre pour achever le film par leurs propres moyens, avec des fonds réduits. Grâce aux logiciels apparus au cours des dernières années, les coûts de postproduction ont énormément baissé. Mais il reste plusieurs problèmes à résoudre. Faute d’avoir été réglé par Charles Band et par Paramount Video, le laboratoire de développement Fotokem a saisi le négatif du film. Band peut y avoir accès, mais le négatif en lui-même ne doit pas quitter l’enceinte du laboratoire. En revoyant la copie de travail qu’il a numérisée avec Paul Gentry, Endicott se rend compte qu’elle pourrait servir de master vidéo et permettre au public de découvrir le film en DVD et Blu Ray. Se passer d’une sortie en salles n’est pas un problème : pour récolter de nouveaux fonds, la solution du financement participatif semble être la seule qui reste. Les fans d’effets spéciaux et d’animation qui entendent parler du projet depuis des décennies seraient certainement partants pour en acheter une édition DVD ou Blu Ray de bonne qualité. Mais avant de lancer cette initiative de la dernière chance, Endicott pose une condition : que les séquences manquantes imaginées par David Allen soient réalisées et ajoutées au montage. “Mon raisonnement était tout simple”, explique Endicott. “Je suis allé voir Charles en lui disant que nous devrions sortir le film en vidéo nous-mêmes, mais dans un coffret Blu Ray qui permettrait aux spectateurs de voir à la fois la version que Charles avait réduite en coupant plusieurs séquences, et une autre version qui présenterait la vision originale de David, avec des scènes inachevées complétées par des créatures dessinées en 2D, à la manière de storyboards animés. De cette manière, on pourrait comprendre ce que David voulait faire, et comment ces scènes devaient s’intégrer à la continuité de l’histoire. Quand Charles m’a dit qu’il était d’accord pour procéder ainsi, je lui ai tout de suite fait remarquer que dans la version de David, la première scène de combat avec le yéti n’avait pas été animée, et que ce serait vraiment gênant que cette version débute avec une créature représentée schématiquement en 2D. Charlie a reconnu que ce serait effectivement un problème, et accepté de débloquer des fonds pour que les animations de la séquence d’introduction puissent être créées telles que David les avait imaginées.”
Un nouveau départ
Une campagne de financement participatif est lancée sur Indiegogo en 2020 pour récolter 40 000 dollars et permettre la sortie du film en Blu Ray. Mais dans ce budget, une fois retiré le coût de fabrication des coffrets Blu Ray, la somme qui reste pour réaliser les nouveaux plans truqués s’avère trop réduite pour pouvoir engager des animateurs à temps plein et les faire travailler sur cette première séquence si importante, qui va donner le ton du film. Une fois de plus, Endicott doit trouver lui-même des solutions atypiques. En se replongeant dans le projet, il commence par sortir de leurs boîtes les marionnettes et les décors miniatures qui ont été soigneusement stockés depuis 2001. La plupart des hommes-lézards originaux sont restés en assez bon état pour pouvoir être utilisés tels quels, après quelques petites réparations. Idem pour les maquettes de décors. Mais ce n’est pas le cas du modèle initial de yéti : il faut en fabriquer un nouveau de A à Z, autrement dit réaliser une nouvelle sculpture aussi proche que possible du modèle original, faire usiner et assembler une armature d’animation avec des rotules (un travail d’une grande précision, réservé à des spécialistes de cette technique), puis faire des tirages de peaux en mousse de latex, et réaliser toutes les finitions : pose d’une fourrure très fine, fabrication des yeux, dents, griffes, etc. Endicott sollicite alors l’aide de plusieurs de ses connaissances dans le milieu de l’animation : “J’ai expliqué la situation et obtenu des contributions bénévoles de plusieurs artistes. La nouvelle marionnette du yéti a mis un peu plus d’un an à être achevée grâce à tous ces efforts. Pendant ce temps, après que les marionnettes originales des hommes-lézards aient été remises en état, nous les avons utilisées pour réaliser des plans qui manquaient. Comme tout cela était un processus long et minutieux, auquel les gens participaient pendant leur temps libre, ce que nous avions envisagé d’achever en six mois a été créé en presque trois ans.”
L’aboutissement du projet
Pendant toute cette période, et malgré ses vastes compétences dans le domaine de l’animation 3D, Chris Endicott reste fidèle à la stop motion, indissociable du projet de son ami. Il n’a jamais envisagé de scanner les marionnettes originales et les décors miniatures en 3D pour compléter plus facilement les parties manquantes du film : “Dans mon travail, je réalise essentiellement des animations 3D, mais cette approche est vraiment à l’opposé de tout ce en quoi David croyait artistiquement. Il n’y a donc absolument aucune animation digitale dans THE PRIMEVALS. Nous n’avons utilisé les avantages du numérique que pour réaliser les plans composites, effectuer des retouches ou ajouter des effets visuels, mais toujours en répliquant ce que l’on faisait avec des trucages optiques sur pellicule, dans les films de Ray Harryhausen. Il fallait que le résultat final ressemble aux composites qu’il créait avec son procédé Dynamation (les marionnettes étaient placées devant un écran ressemblant à une grande feuille de calque, et les images réelles des acteurs étaient rétroprojetées derrière elles, NDLR). Nous nous sommes volontairement limités à ce vocabulaire visuel de la Dynamation. Il n’y a aucun plan de survol de paysage comme ceux que l’on filme actuellement avec des drones, pas de mouvements de caméra où elle flotte dans l’espace autour des personnages, pas de simulations 3D de fumées ni de recours à l’intelligence artificielle pour générer de nouvelles images. Notre objectif était que chaque plan ait l’aspect d’un composite optique parfaitement réalisé en Dynamation, et non pas celui d’un trucage numérique contemporain.” C’est ainsi que le projet a été achevé, en respectant à la lettre la vision de David Allen.
Les premières réactions des spectateurs
La version enfin complétée de THE PRIMEVALS a été présentée pour la première fois pendant le festival international Fantasia, à Montréal, au Québec, puis en Espagne, au festival de Stiges, en recevant un accueil enthousiaste des fans et des journalistes présents. Avec ses animations entièrement réalisées en stop motion, et une belle musique originale composée par Richard Band (le frère de Charles Band), le film existe désormais tel que David Allen l’avait souhaité. Pour Chris Endicott, la toute première projection de THE PRIMEVALS devant le public du festival Fantasia a été un moment inoubliable : “C’était merveilleux et presque irréel, comme un rêve qui vous donne l’impression de sortir de votre corps… Je n’avais jamais ressenti une telle ferveur venant de spectateurs assistant à la première d’un film. Ils le soutenaient à 100%, comprenaient parfaitement le projet. C’était formidablement gratifiant. J’ai organisé d’autres projections par la suite, notamment à ILM, en réunissant les amis de David, et ce furent aussi des moments très agréables. Charles Band a toujours soutenu cette initiative, et le voir aussi heureux que tout s’achève aussi bien était une belle manière de conclure ce long cheminement. À titre personnel, comme j’avais promis à David de tout faire pour achever son film, je suis soulagé et content d’avoir pu tenir parole. C’est une grande chance que nous y soyons parvenus.”
Notre avis sur le film
Entre la première vision du projet de l’auteur-réalisateur-animateur David Allen en 1978 et l’aboutissement de son rêve, cinquante ans se sont écoulés, jalonnés d’un grand nombre de difficultés que nous avons évoquées dans cet article. Alors au bout du compte, même si THE PRIMEVALS n’a pas pu se hisser au niveau des oeuvres cultes de Ray Harryhausen, faute d’avoir disposé d’un budget correct pour concrétiser toutes les scènes imaginées par Allen, ce film se laisse voir avec un grand plaisir. Certes, on aurait préféré découvrir un meilleur casting autour de l’excellente Juliet Mills, car Richard Joseph Paul manque de charisme et parfois de crédibilité dans le rôle du héros principal. Mais l’essentiel est ailleurs. THE PRIMEVALS est imprégné de la magie d’une époque où les trucages ne visaient pas l’hyperréalisme, mais cherchaient d’abord à faire rêver, en assumant une certaine naïveté. L’animation image par image était alors la seule et unique forme d’expression artistique qui permettait de partir à la découverte de mondes perdus et de créatures défiant l’imagination. Ce film emprunt de nostalgie nous le rappelle, et procure aussi le plaisir rare de découvrir une oeuvre qui a failli rester inachevée, et à jamais enfermée dans des archives poussiéreuses. Les amateurs de fantastique et d’effets spéciaux sauront apprécier THE PRIMEVALS pour ce qu’il est : une superbe démonstration du talent de David Allen.
Comment se procurer le film, et l’équipement nécessaire pour pouvoir visionner ces Blu Rays
THE PRIMEVALS a d’abord été édité en vidéo aux USA dans un coffret “Special Edition Set” (qui est celui que Full Moon a fait parvenir à Effets-speciaux.info ) contenant 3 Blu Rays. Le premier est la version cinéma du film (91 minutes Format cinéma 1 :78 – Mixage Ultra Stereo - VO - Sous-titres Anglais pour malentendants), le deuxième intitulé “The David Allen Version” présente une version plus longue qui inclut les séquences que David Allen aurait voulu ajouter, et donne une idée de ce qu’elles auraient pu donner si elles avaient été achevées avec les animations en stop motion prévues. Elles sont présentées ici sous la forme des prises de vues réelles avec les acteurs, dans lesquelles sont ajoutées des animations 2D dessinées des créatures, qui permettent de visualiser les interactions qui devaient être créées entre les comédiens et les monstres. Le 3ème Blu Ray est celui dédié aux bonus. Il contient un long documentaire consacré à la genèse du film, son tournage et sa très longue postproduction, ainsi que les bandes-demo des différentes versions du projet, et une conférence qui a réuni à ILM les animateurs amis de David Allen qui ont collaboré à son oeuvre.
Important : si vous souhaitez vous procurer ce coffret THE PRIMEVALS, ou l’édition BR simple du film que l’on trouve sur Ebay, comme ils sont codés l’un et l’autre en “REGION FREE”, vous pourrez les visionner sur un lecteur DVD / Blu Ray standard.
Pour plus de précision, rappelons que c’est une exception, et que la plupart des DVDs et BR en import US sont codés en Zone A/1. Cela signifie que l’on doit être équipé d’un lecteur DVD/BR multi-zones pour pouvoir les visionner.
Si vous ne possédez pas d’appareil de ce type, et avez envie de découvrir d’autres films et séries rares uniquement disponibles aux USA (il y en a beaucoup), vous pouvez trouver des lecteurs DVD/BR multi-zone sur Amazon à des prix allant de 99 à 230 euros.
Aux USA, Amazon.com pratique régulièrement des soldes extrêmement spectaculaires sur des coffrets de séries cultes et de films. Investir dans l’achat d’un lecteur de ce type peut être intéressant si vous faites parties des passionnés de films et de séries qui parlent anglais et peuvent éventuellement se passer de sous-titres français.
En effet, sur ces imports américains, il n’y a pas toujours des sous-titres français, mais on en trouve parfois sur les DVDs et BR US vendus aussi sur le marché Canadien francophone. Si vous avez besoin de sous-titres français, c’est une info à vérifier dans la fiche technique avant votre achat.
Bref, si vous aimez dénicher des raretés à des prix défiant toute concurrence, posséder un lecteur multi-zones vous donnera de nouvelles opportunités de trouver des titres que vous cherchez depuis longtemps.
Pour mémoire, les classements par zone sont les suivants :
Zone A/1 : Amérique du Nord, Amérique centrale, Amérique du Sud, Japon, Corée du Nord, Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Asie du Sud-Est.
Zone B/2 : Europe, Angleterre, Groenland, territoires français, Moyen-Orient, Afrique, Australie et Nouvelle-Zélande.
Zone C/3 : Inde, Népal, Chine, Russie, Asie centrale et du Sud.
Si vous voulez tout connaître sur l’histoire des trucages, dans le cinéma, les séries, le maquillage, le cinéma d’animation et les plus belles attractions des parcs à thème, offrez-vous EFFETS SPÉCIAUX : 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, la bible des SFX, unanimement célébrée par la presse comme l’ouvrage absolument incontournable sur le sujet, avec 848 pages, 2500 photos dont beaucoup exclusives, et les interviews de 160 des plus grands spécialistes mondiaux ! Vous découvrirez des anecdotes incroyables sur les tournages des films et séries cultes, et vous saurez exactement comment les moments les plus étonnants de vos œuvres favorites ont été créés !
Pour vous procurer ce livre de référence en un clic sur Amazon, c’est par Ici.
