Alien : Romulus : Entretien avec Fede Alvarez, producteur exécutif, co-scénariste et réalisateur
Article Cinéma du Lundi 21 Octobre 2024
Alors qu’Alien Romulus sortira en Blu-ray et DVD le 18 décembre prochain, nous vous proposons de retourner dans les coulisses de film…
Fede Alvarez est né en 1978 à Montevideo, Uruguay, un an avant la sortie de l’Alien original de Ridley Scott. Il est scénariste, producteur et réalisateur. En tant que réalisateur & co-scénariste (avec son co-auteur récurrent Rodo Sayagues), il a abordé l’épouvante avec le remake d’Evil Dead (2013), Don't Breathe : La Maison des ténèbres (2016) et le thriller policier avec Millénium : Ce qui ne me tue pas (2018). En 2022, Alvarez & Sayagues ont signé l’histoire du remake de Massacre à la Tronçonneuse, dont le scénario a été finalisé par Chris Thomas Devlin.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Vous nous aviez terrifiés en 2016 avec Don't Breathe, La Maison des Ténèbres, votre thriller aux rebondissements totalement imprévisibles. Vous savoir aux commandes d’un nouvel Alien a été d’emblée rassurant !
Merci !
Les principaux protagonistes d’Alien : Romulus ont une vingtaine d’années. La manière dont vos héros vivent dans cette colonie semble refléter le ressenti d’une bonne partie de la jeunesse actuelle, qui ne sait pas comment envisager l’avenir…
Exactement. Ils vivent dans une colonie minière au bout de la galaxie, dans un site industriel construit sur une planète en cours de terraformation, et ce processus est long. Imaginez ce que vous ressentiriez si vous deviez patienter pendant cinquante ans avant de pouvoir respirer à l’extérieur sans scaphadre, avant de voir le soleil se lever au travers d’une atmosphère protectrice ! Je dois préciser que nous nous sommes basés sur de vraies raisons scientifiques quand nous avons décidé que cette colonie serait installée sur le côté obscur de la planète. Cela vient du fait que l’on ne peut pas être exposé en permanence à la lumière solaire en l’absence d’atmosphère : non seulement on baignerait dans un flux constant de radiations cancérigènes, mais en plus, on serait exposé à des températures infernales qui détruiraient progressivement les équipements et les scaphandres. La seule solution consisterait donc à vivre de l’autre côté, sur la face cachée dans l’ombre…
Et donc dans une nuit permanente, pendant cinquante ans.
Oui, avec le sentiment pesant et déprimant provoqué par l’absence de lumière naturelle…Pour vous expliquer le côté symbolique de tout cela, je dois préciser que je suis né et ai grandi en Uruguay, dans la petite bourgade de Montevideo, puis que j’ai quitté mon pays quand j’étais enfant pour aller vivre à Louvain-la-Neuve, en Belgique, qui était encore plus éloignée de tout ! (rires) J’ai toujours vécu dans ce genre de petites villes où la jeunesse sait que les possibilités de se construire un avenir meilleur sont limitées…Je crois que c’est de là que vient mon envie de raconter toujours le même type d’aventures, avec un groupe de jeunes gens qui essaient de s’en sortir, de s’évader pour accéder à une vie meilleure. En l’occurrence, les personnages d’Alien : Romulus rêvent tous de quitter la colonie minière et le futur lugubre qui les attend. Je pense qu’il s’agit d’une situation à laquelle la plupart des gens pourront s’identifer, tous pays confondus. C’est un thème important pour moi en tant que scénariste, et je peux aisément revisiter mes souvenirs de ce type, lorsque je développe un script.
Votre histoire se déroule juste après Alien. Quels sont les objectifs de la société Weyland-Yutani à ce stade ? Ils n’ont pas encore trouvé la navette de Ripley, puisque cela se produit au début d’Aliens, mais sont-ils déjà activement à la recherche de formes de vie extraterrestres ?
Eh bien c’est déjà implicite dans le premier film, même si la multinationale Weyland-Yutani se présente essentiellement comme une société minière et colonisatrice, qui crée des centrales de terraformation, comme on le voit ensuite dans Aliens. C’est une entreprise colossale, multi-planétaire, dont les filiales mènent des recherches dans de nombreux domaines, y compris dans l’armement. Ayant des intérêts aussi variés, la recherche de créatures extraterrestres est l’un de ses objectifs, mais je pense qu’en vérité, c’est son but principal. Le slogan de Weyland-Yutani inscrit sous son logo est “Nous construisons de meilleurs mondes” (“Building better worlds” en v.o.). Cette quête est son objectif majeur, et elle essaie encore d’atteindre ce but dans Alien : Romulus. Même si Weyland-Yutani n’est pas encore arrivée à ses fins, vous constaterez qu’elle joue un grand rôle dans cette histoire, comme toujours dans la saga Alien. Je ne révélerai pas ce qu’elle tente de faire, mais disons que ses méthodes pour “bâtir des mondes meilleurs”, reposent habituellement sur des moyens qui peuvent être peu orthodoxes et susciter des controverses, même si le but final est de construire des colonies sur d’autres planètes.
Quelle a été l’étape déterminante qui a convaincu Disney & la Fox qu’il fallait distribuer le film en salles, et non plus le diffuser sur la plateforme Hulu ? Était-ce le scénario ou les premières scènes que vous leur avez montrées au début du tournage ?
C’était la qualité du scénario. Le projet a été jaugé sur cette base, celle de la version finalisée de notre script. A vrai dire, je pense qu’ils ont toujours voulu que ce film sorte en salles. Je ne crois pas que la Fox ait envisagé à un moment que la saga Alien se poursuive uniquement sur une plateforme de streaming. Ça n’a jamais été l’intention initiale. Cette option dépendait des circonstances. Quand nous avons décidé de faire ce film, en 2021, les conséquences de la pandémie étaient encore bien présentes : les salles de cinéma étaient fermées, et les studios ne recevaient plus de recettes. Tout le monde essayait de trouver des solutions pour lancer la production d’Alien : Romulus. C’est pour cette raison que cela a commencé ainsi, en tenant compte du contexte de l’époque, et en annonçant prudemment que le film serait destiné au streaming. Mais en coulisses, personne ne souhaitait que ce soit le cas : l’objectif a toujours été une sortie en salles. Ensuite, ce qui s’est produit a été le fruit de l’amélioration de la situation dans le monde, de la réouverture des cinémas, du retour progressif des spectateurs, et surtout de la réaction du studio après avoir lu le script. Nous l’avions retravaillé maintes fois pour qu’il soit très abouti. Le studio l’a beaucoup aimé, soutenu, et a annoncé que Alien : Romulus sortirait en salles. Cela s’est passé au moment où les cinémas recommençaient à générer des recettes, dans un climat de soulagement général après cette période très dure pour la population et pour l’industrie cinématographique. Mais franchement, leur enthousiasme pour le script a toujours été porteur. Après, bien sûr, dès que les décideurs commencent à voir des scènes du film, ils y croient encore plus. Mais ils nous ont toujours soutenus. J’ai pu diriger ce film aussi librement que j’avais réalisé Don’t Breathe, comme s’il s’agissait d’une petite production au budget modéré. J’ai travaillé de manière indépendante en tant qu’auteur-réalisateur, en gardant le contrôle créatif dont j’avais besoin, exactement comme je le souhaitais.
Vous avez fait appel aux équipes originales des effets de maquillage et de créatures d’Aliens, Shane Mahan et les artistes de Legacy Effects, ainsi que le studio d’Alex Gillis. Sans gâcher les surprises du film, comment avez-vous utilisé leur expérience considérable de la saga Alien pour créer de nouveaux Chestbursters, Facehuggers et Xenomorphes ?
Paradoxalement, je dirais que nous avons surtout essayé de ne pas innover ! Vous savez, en tant que fan, quand on voit des choses que l’on aime être réinventées trop souvent, tout ce que l’on a envie de voir, ce sont des trucages classiques et efficaces de la vieille école. On a envie de revenir aux sources. Les artistes que vous avez cités connaissent ces créatures mieux que quiconque. Et par-dessus tout, ils les aiment passionnément, sincèrement. C’est précisément ce que je recherche quand j’engage des gens pour collaborer à la création de mes films. Ils doivent aimer le projet autant que moi. Si on adore quelque chose - une franchise ou un personnage - on s’implique totalement dans le projet. Cela élimine les risques de travaux bâclés et de mauvais résultats. Quand toutes les équipes sont hyper motivées et enthousiastes, elles se surpassent et n’abandonnent jamais une tâche avant de l’avoir accomplie à la perfection. Personne ne réagit en se disant “Bon, ce sera déjà assez bien comme ça, c’est ce qu’on pouvait faire de mieux dans ces délais.” Ces artistes ne raisonnent pas en ces termes. Ils continuent à avancer tant qu’ils ne sont pas satisfaits eux-mêmes, et les résultats dépassent largement vos attentes. Shane Mahan, Alec Gillis et leurs collaborateurs de la même génération ont gardé en tête les souvenirs de leurs débuts, quand ils travaillaient avec Stan Winston sur Aliens, pour concrétiser la vision de James Cameron. Tout cela est encore frais dans leurs mémoires. Et Alec Gillis a travaillé ensuite sur d’autres Alien de son côté. Pour tous ces artistes, collaborer sur un nouvel Alien est un rêve devenu réalité, tout comme l’était pour moi l’envie de les réunir pour travailler sur Alien : Romulus. Ils se réjouissaient de pouvoir recréer le xénomorphe. Je me souviens même que la première réaction de Shane a été de dire “Oh, c’est pas vrai ! On va ENFIN pouvoir faire les choses correctement, cette fois-ci ! ” (rires) Cela paraît fou de les entendre dire ça, tellement leur travail est iconique. Ils réagissent de cette manière parce qu’ils sont toujours convaincus qu’ils auraient pu mieux faire les choses sur Aliens ! Quand j’en discutais avec Cameron, il avait le même réflexe. Je lui disais à quel point je trouvais que les scènes avec la reine Alien étaient extraordinaires, et il m’a répondu “Oui, mais c’est parce que dans le film, vous ne voyez que les quelques images qui étaient utilisables !” Il suggérait que si ces plans avaient été un peu plus longs, l’illusion aurait été brisée et la reine Alien n’aurait plus été crédible. Cela étant dit, on connait son perfectionnisme et la qualité qu’il exige d’obtenir dans chaque image de ses films. Quand ils ont tourné Aliens en 1985, les technique d’animatronique étaient beaucoup plus limitées. Alien : Romulus leur a donné l’occasion d’utiliser de nombreuses technologies actuelles, tout en partant des mêmes principes de base pour construire les créatures. Aujourd’hui, les servomoteurs sont plus petits et plus puissants, les circuits des commandes électroniques ont été miniaturisés, tandis que les capacités de stockage des données d’animation ont augmenté de façon exponentielle. Tous ces vétérans des trucages de la saga étaient heureux et reconnaissants d’avoir l’opportunité de faire les choses comme ils le souhaitaient depuis longtemps. L’ambiance était très agréable pendant le tournage, ils plaisantaient tout le temps.
Toujours sans entrer dans les détails, quelle a été votre méthode pour imaginer les nouvelles choses épouvantables que les xénomorphes vont faire subir à leurs proies humaines ?
Eh bien l’idée, c’est de mélanger un peu les ingrédients déjà connus ! Le principe était de revenir au concept original, en tenant compte du fait que les gens ont envie de se replonger dans la saga tout en découvrant des choses différentes. Dès le départ, il fallait que l’on sente qu’il s’agit d’un nouveau chapitre de l’histoire d’Alien, et que l’on est de retour dans cet univers tant apprécié. Nous avions envie de satisfaire les nombreux fans des films originaux, parce que nous en faisons partie. Nous avons tenu compte aussi des nouveaux spectateurs, de cette partie du jeune public qui n’a pas vu les les deux premiers Alien ni les plus récents, et n’a donc aucun point de repère. Ils ont peut-être vu des images du xénomorphe sur le web, et entendu parler de cette licence, mais sans avoir réellement vu ces films. Il a fallu en tenir compte pendant l’écriture, et raconter cette histoire en veillant à ce que ces jeunes spectateurs qui ne connaissent pas la saga ne se sentent pas perdus. Notre objectif était de rendre la narration accessible à ces nouveaux venus, en leur présentant les informations essentielles de cet univers. Il fallait qu’ils puissent tout comprendre aisément, sans jamais avoir l’impression de rater des choses, faute de disposer des bonnes références. Il n’y a rien de pire que de multiplier les clins d’oeil que le public qui n’a pas vu les films précédents ne comprendra pas : il se sent exclu, et c’est tellement frustrant que cela le fait sortir de l’histoire que vous êtes en train de raconter…Mais en même temps, vous avez envie de faire plaisir aux passionnés de la saga qui adorent Alien et Aliens. Et pour les satisfaire eux aussi, vous voulez leur donner non seulement tout ce qu’ils espèrent voir dans un nouvel Alien, mais aussi dépasser leurs attentes en leur présentant des choses étonnantes…Nous sommes donc partis de cette analyse des objectifs à atteindre pour développer l’histoire d’Alien : Romulus. Sans rien révéler, au début, on retrouve des références familières, comme dans le film original. Les nouveaux spectateurs et les fans de la saga pourront suivre cette introduction sans problème. Pendant la première heure, vous vous direz peut-être, “D’accord, je crois que j’ai une petite idée de ce qui va se produire après”, parce que vous connaissez les autres films, mais ensuite, les événements vous conduisent en territoire inconnu, et là, vous perdez vos points de repères et ne pouvez plus deviner comment le récit va évoluer. Nous vous entraînons au-delà de ce que vous aviez vu auparavant, tout en vous permettant de revivre les moments horrifiques que l’on aime dans les films originaux. Mais même arrivés à ce point-là, nous allons encore plus loin…
La suite de cet entretien envahira ESI en fin de semaine !
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