Alien : Romulus : Entretien avec Eric Barba, superviseur des Effets visuels
Article Cinéma du Mercredi 30 Octobre 2024

Alors qu’Alien Romulus sortira en Blu-ray et DVD le 18 décembre prochain, nous vous proposons de retourner dans les coulisses de film…

En faisant ses débuts chez Digital Domain, Eric Barba a contribué d’emblée aux trucages du Cinquième Élément de Luc Besson et de Supernova de Walter Hill. Il a entamé sa collaboration avec David Fincher sur Zodiac, la poursuivant avec L’Étrange Histoire de Benjamin Button. Les stupéfiants effets de vieillissement / rajeunissement de Brad Pitt dans Benjamin Button ont ouvert la voie à la création du clone digital de Jeff Bridges dans Tron l’Héritage de Joseph Kosinski, autre cinéaste qui lui reste fidèle pour Oblivion puis pour Seuls les Braves. Depuis, Eric Barba a supervisé les effets visuels de Terminator : Dark Fate de Tim Miller, et de The Killer, toujours pour Fincher.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Recréer le style visuel des deux chefs d’oeuvre de la saga

Parlons d’abord de la direction artistique des effets visuels. Toutes les scènes comportant des trucages ont-elles été storyboardées par Fede Alvarez une fois le script terminé, ou a-t-il préparé d’emblée des pré-visualisations animées en 3D schématique ?


Fede aime être impliqué dans tous les aspects des trucages. Il fait partie de ces cinéastes complets qui adorent participer à toutes les étapes du de la création du film, à tous les processus techniques. C’est ce que l’on appelle un “Homme de la Renaissance”, un artiste aux multiples talents. Pour répondre à votre question, oui, il était fortement impliqué dans les pré-visualisations. Il utilisait lui-même les premières modélisations 3D de décors, d’accessoires et de personnages que l’équipe de prévis ou notre équipe interne avaient préparées. Concrètement, nous les installions d’abord dans l’espace 3D, avec des caméras virtuelles à sa disposition. Ensuite Fede prenait le relais et travallait de son côté. Il plaçait les caméras virtuelles où il le souhaitait, réglait les cadrages puis la chorégraphie des mouvements de caméras pour suivre les personnages avec le rythme voulu, et ajoutait toutes les autres nuances désirées. C’est ce qui a constitué la base de chacun de ces plans.

Puisque l’histoire d’Alien : Romulus se déroule entre Alien et Aliens, l’approche visuelle du film devait évoquer ces deux chefs d’oeuvres de la saga. Comment avez-vous aidé Fede Alvarez à intégrer une partie du vocabulaire visuel de Ridley Scott et de James Cameron dans les effets visuels d’Alien : Romulus, en termes de design, d’éclairages et de direction de la photographie des trucages ?

Bien sûr, nous avons été fortement inspirés par ces deux films emblématiques. Ce sont des oeuvres extraordinaires que j’ai découvertes et adorées pendant ma jeunesse, comme beaucoup de gens. Alien et Aliens nous ont servi de guides visuels et Fede lui-même nous a dit dès le début qu’il souhaitait que nous abordions les trucages de la manière la plus « analogique » et la plus concrète possible, a chaque fois que c’était envisageable. Je crois que chaque cinéaste, surtout quand il s’agit d’un réalisateur comme Fede qui aime s’impliquer dans toutes les étapes de fabrication de son film, privilégie cette approche pour pouvoir tourner un maximum d’effets directement devant les caméras. Mais le public actuel attend beaucoup plus de choses que les spectateurs qui ont découvert Alien et Aliens au moment de leurs sorties en salles, en 1979 et en 1986. Nous savions que nous allions essayer d’utiliser certaines techniques traditionnelles pour recréer ce rendu particulier des trucages. Nous avons fait construires des maquettes des deux vaisseaux spatiaux principaux, et nous avons tenté de les filmer de la même façon. Nous avons étudié la manière dont les miniatures du Nostromo et du Sulaco avaient été éclairées, et noté les objectifs utilisés pour réaliser ces prises de vues. C’est en analysant soigneusement tout cela que nous avons déterminé ce qui allait fonctionner et bien correspondre à l’univers d’Alien. Tout cela ayant été établi avant nous, il fallait que nous le reproduisions fidèlement.

Toujours à propos du mélange entre les effets concrets et digitaux, Fede Alvarez nous a confié que c’est le grand spécialiste des maquettes Ian Hunter qui a fabriqué les vaisseaux miniatures, et notamment celui que l’on découvre au début du film. Il nous a également expliqué que bien que vous ayez recréé ces astronefs en 3D, vous avez inclus aussi quelques prises de vues réelles des maquettes. Pouvez-vous nous parler de tout cela en détail ? C’est fascinant !

Eh bien, je pense que nous allons éviter de dire précisément de quels plans il s’agit, et laisser le public tenter de deviner où ils apparaissent dans le film ! (rires) Mais comme vous venez de le dire, notre objectif était d’adopter cette approche analogique et de construire des miniatures pour qu’elles puissent nous servir de guides, de références visuelles principales, pendant la reconstitution des vaisseaux en images de synthèse. Elles nous ont aidé à reproduire aussi cette esthétique pendant la modélisation 3D et le texturage de la station spatiale, parce que nous pouvions nous baser sur ce que les maquettistes avaient fabriqué concrètement, avec le savoir-faire unique d’un maître artisan comme Ian Hunter. Cela a ajouté une forte crédibilité au rendu final. Nous avons tous oeuvré ensemble pour que le résultat ne ressemble pas à de la 3D, et pour que spectateurs aient l’impression de voir des vaisseaux bien réels.

Le processus de conversion en 3D des miniatures consistait-il à les scanner en trois dimensions puis à en prendre des photos en haute résolution sous tous les angles ?

Oui, c’est le principe de base. Nous les avons fait construire, puis une équipe est venue les scanner et les photographier en très haute résolution afin que nous puissions construire nos versions numériques des astronefs à partir de ces données. Ensuite, nous avons dû les améliorer et ajouter des choses comme les vibrations des moteurs, les lumières internes, les vues du cockpit et les dégagements d’énergie des réacteurs. Et quand la caméra s’approche de très près des vaisseaux dans certains plans, nous devions ajouter des petites modifications, créer des détails plus fins que ceux que l’on pouvait intégrer aux maquettes, afin que ces très gros plans paraissent réalistes, et correspondent aux énormes dimensions de ces engins dans le cadre de l’histoire. Il ne s’agit que de petits ajouts. En les créant, nous nous inspirons toujours des maquettes. Elles restent nos références de base. Tout ce travail virtuel est ancré dans celui des maquettistes. Comme vous le mentionniez, on voit l’un des astronefs créé par Ian et son équipe dans la séquence d’ouverture du film. Ils ont également construit le vaisseau principal, le Corbellan 4. Nous les avons énormément utilisés. Pour ne rien vous cacher, nous avions envie de créer d’autres miniatures, mais les contraintes de temps nous en ont empêché…

Vous n’avez pas pu faire fabriquer une maquette de la station spatiale Romulus ?

Non. Nous voulions vraiment le faire, mais cela n’a pas été possible.

Avez-vous utilisé un support de caméra de type “motion control”, autrement dit une grue montée sur un travelling et pilotée par ordinateur, pour filmer les maquettes comme on le faisait dans les années 70 / 80 ?

Non, principalement par manque de temps. Cela nous aurait probablement aidé lorsqu’il fallait caler précisément les cadrages et la mise au point sur les maquettes. Si nous avions disposé de plus de temps et d’un budget plus important, nous aurions certainement fait des essais avec des équipements de motion control. Nous avions aussi des idées de trucages combinant des maquettes et des écrans LED. Finalement, nous avons utilisé des écrans LED d’une autre manière dans le film, toujours pour mêler trucages traditionnels et effets numériques.

Pouvez-vous décrire le processus de collaboration d’ILM avec Shane Mahan de Legacy FX et Alec Gillis du Studio Gillis ? Je me demandais si vos trois équipes avaient analysé le scénario, le storyboard et les prévis chacune de leur côté pour imaginer comment elles aborderaient chaque effet, ou si tout le monde était réuni autour de la même table, pour ainsi dire, afin d’échanger des idées et d’obtenir l’avis de Fede Alvarez ?

En fait, cela n’a pas organisé de cette façon. Fede a dit à Shane, à Alec et à leurs équipes “Écoutez les gars, vous avez acquis une grande expérience de la saga en travaillant sur les films originaux. Nous voudrions que vous participiez à ce projet. Je vais vous expliquer très précisément ce que je voudrais faire, et ensuite, je serai à l’écoute de vos idées.” Il leur pitché toute l’histoire et sa manière de la visualiser. C’est cela qui les a guidés et les a incités à construire notre xénomorphe concret en trois versions différentes, afin que nous puissions tourner sur le plateau le plus de choses possibles parmi toutes celles que Fede avait imaginées et décrites. Comme nous connaissons les limites de ce qu’un acteur en costume de xénomorphe peut faire, les limites de l’utilisation d’une marionnette, et de celles d’une créature animatronique, nous avons consulté nos partenaires d’ILM pour savoir comment ils envisageaient d’augmenter ou de compléter les effets concrets avec des trucages numériques. Nous leur avons demandé “Comment devrions-nous utiliser la marionnette ? Qu’allons-nous pouvoir tourner avec l’acteur portant le costume ? Faudra-t-il lui ajouter une queue de xénomorphe en 3D ? Quelles sont les choses qui vont nous aider à faire fonctionner ces plans ou pas ? ”Après avoir compilé toutes leurs réponses basées sur leurs connaissances de ces techniques, Fede concevait la manière de tourner les plans sur le plateau avec Galo Olivares, notre directeur de la photographie. Ensuite nous attendions que le montage d’une scène soit prêt, puis nous augmentions numériquement les choses lorsque c’était nécessaire, en essayant toujours d’utiliser au maximum ce qui avait été filmé. Et comme les prises de vues de Galo étaient fantastiques, cela nous a facilité les choses.

Tout était donc basé sur ce que Fede Alvarez avait établi dans sa visualisation des scènes, reflétée dans ses prévis. Mais qu’en est-il du mélange des techniques, du choix des meilleures solutions, entre effets concrets et numériques ? On peut supposer que dans certains cas, cela pouvait être l’un ou l’autre, ou des mélanges plus concrets / moins numériques, ou vice versa…

Eh bien, l’objectif était toujours de commencer par l’option concrète. Et comme je l’ai déjà mentionné, les effets pratiques ont parfois des limites. Par exemple, si nous avions besoin de montrer un xénomorphe escaladant un mur, nous savions que ni l’acteur dans le costume de xéno, ni aucune des versions mécaniques ni la marionnette ne fonctionneraient pour tourner ces plans-là, simplement en raison de leur poids et de leurs limites de mobilité. Compte tenu de cela, soit nous tentions de filmer des petits bouts de l’action complète, soit nous filmions des choses qui allaient simplement nous servir de références pour de futures animations 3D du xénomorphe, de manière à rester au plus près du rendu des créatures concrètes et de leurs mouvements. Nous avons tourné aussi de grandes quantités de plans de référence de notre “vrai” xénomorphe, afin que nous puissions y greffer nos éléments 3D si besoin. Mais Fede a filmé autant de plans que possible avec les xénos concrets, et dans certains cas, plus que nous ne le pensions initialement ! Dans d’autres scènes, il était évident que ça ne pourrait pas fonctionner ainsi. Je ne veux pas divulgâcher les surprises du film, mais il y a quelques séquences où on voit de très bons mélanges de trucages pratiques et d’animations numériques. L’intention était toujours de commencer avec les vrais xénos, parce que nous les avions à disposition tous les jours sur le plateau, avec les acteurs qui les jouaient, et les manipulateurs des marionnettes et des animatroniques. Nous avons toujours pu compter sur eux, en sachant que nous pouvions tenter de les filmer même quand le plan était complexe. Je pense que c’est une excellente façon de procéder. Mais encore une fois, notre objectif étant de satisfaire le public actuel, il y a des limites à ce qu’on peut obtenir en filmant des acteurs en costumes, simplement pour des raisons physiques.

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