Alien : Romulus : Entretien avec Eric Barba, superviseur des Effets visuels – Seconde partie
Article Cinéma du Lundi 04 Novembre 2024
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Comment avez-vous aidé les équipes des effets de maquillage concrets à représenter les morts des hôtes des chestbursters ? Avez-vous utilisé des clones numériques des acteurs à des moments donnés ?
Eh bien, dans ce cas, Alec Gillis et notre équipe de maquillage de Budapest ont réalisé de fantastiques effets spéciaux de maquillage que nous n’avons pas eu à retoucher numériquement, sauf peut-être pour retirer des petits éléments techniques ici ou là. Vous savez, quand vous posez des prothèses sur un acteur, il peut arriver que les raccords se voient un peu dans certains gros plans tournés les uns à la suite des autres, au fil des heures, parce que la matière travaille et que le comédien transpire et bouge beaucoup. Nous devons parfois les estomper. Il peut arriver aussi qu’un autre détail caché auparavant apparaisse parce que le comédien change de position pendant que l’on filme. Grâce à la qualité des maquillages, la plupart des plans étaient fantastiques et ne nécessitaient que d’infimes retouches dans certains cas. Alec et ses collaborateurs ont accompli un travail sensationnel. Toutes les équipes chargées des effets concrets se sont surpassées. Mais elles ont réussi à faire des choses tellement extraordinaires sur le plateau que les techniciens qui voyaient cela étaient stupéfaits !
Cela fait plaisir à entendre. Legacy Effects et le Studio Gillis font partie des meilleures équipes d’effets spéciaux de maquillage et d’animatronique et c’est formidable que Fede Alvarez leur ait donné l’opportunité de prouver de quoi ils sont capables…Avez-vous également mélangé numériquement plusieurs phases d’effets de maquillage concrets, pour ajouter un effet mécanique à un autre grâce à cette transition ?
Oui. Dans le cas d’une créature en particulier, nous avons amélioré les choses de cette manière. Mais tout était basé sur un acteur extrêmement talentueux portant un costume prosthétique, et je peux vous assurer qu’il était déjà stupéfiant tel quel, devant les caméras. Il ne fallait pas effectuer beaucoup de retouches digitales, mais simplement intervenir sur un raccord ou sur une chaussure dépassant du costume organique. Uniquement de légers ajustements, donc, car l’essentiel a été obtenu en prises de vues réelles. Idem avec notre créature xénomorphe : il y avait toujours des petites choses à ajouter pour lui permettre de conserver cette étrangeté inhumaine, sans rien retirer au travail accompli.
Comme nous l’avons appris dans Alien et Aliens, il y a toujours des androïdes intégrés aux équipages des vaisseaux Weyland-Yutani. Sans gâcher ce qui a été créé dans cette histoire, pouvez-vous nous dire si vous avez collaboré avec les équipes de maquillage sur des effets relatifs à cet androïde ?
Oui, nous avons collaboré avec l’équipe de Legacy sur la version de l’androïde imaginée par Fede Alvarez. C’était une excellente collaboration, et elle a permis d’obtenir de fantastiques résultats. Tous les artistes de Legacy ont énormément d’expérience. Ils ont accompli un excellent travail sur le plateau, et nous ont livré quelque chose qui nous a permis de prendre le relais. Je pense que le public aimera découvrir cela.
Pour en revenir aux plans faisant intervenir des xénomorphes, votre travail consistait-il surtout à retirer des câbles, ou des tiges de manipulation ? Nous aimerions avoir une meilleure idée des différentes techniques utilisées pour animer les créatures concrètes…
Eh bien en ce qui concerne la marionnette du xénomorphe, nous avons employé cette méthode très intéressante où le manipulateur se place derrière la marionnette physique grandeur nature, et utilise des tiges pour la manœuvrer. Dans ce cas-là, il faut effectivement effacer les tiges derrière la marionnette, ainsi que le manipulateur, si on le voit. Le xénomorphe mécanique, lui, devait être déplacé sur un chariot de type “dolly” en raison de son poids. Ses déplacements étaient limités à cause de cela, mais quand il bougeait, c’était vraiment effrayant à voir. Il devenait l’incarnation du xénomorphe qui nous hante dans nos cauchemars ! Il fallait parfois effacer un élément technique du xéno animatronique, ou ajouter une queue en images de synthèse au xéno joué par l’acteur portant un costume. Les différents comédiens qui incarnaient les xénomorphes étaient très agiles et mobiles dans les décors, mais il fallait amplifier leurs actions dans certains plans. En fait, les proportions humaines deviennent plus évidentes quand on a recours à un acteur portant un costume de xéno, et nous avions parfois d’autres choses à ajuster. Chaque méthoque a ses avantages et ses inconvénients. Et puis bien sûr, quand il s’agit d’actions qui doivent être très rapides, ou de choses comme des sauts ou des tractions permettant au xéno de se hisser sur une autre partie du décor, cela devient incroyablement difficile à accomplir avec des techniques concrêtes, ou beaucoup trop long à mettre en place sur le plateau. Dans ces cas-là, nous nous appuyons beaucoup plus sur nos versions 3D des créatures.
Dans la bande-annonce du film, on voit des plans très impressionnants avec des facehuggers qui bondissent au travers de portes vitrées, les font éclater, puis courent sur le sol pour sauter sur de malheureuses victimes. Je suppose qu’il s’agit surtout d’animations 3D, vu la rapidité de ces actions, mais avez-vous également utilisé des facehuggers mécaniques pour tourner ces plans ?
Oui. Et vous en verrez encore plus dans tout le reste de la séquence. C’est l’équipe de Weta Workshop qui a construit nos facehuggers concrets. Il s’agissait de marionnettes équipées de roues, qui pouvaient se déplacer très rapidement tout en bougeant leurs pattes. D’autres bougeaient grâce à d’autres types de mécanismes, et nous avons pu les mêler à nos facehuggers 3D ajoutés en postproduction. Nous avons mis en place la scène en nous servant de ces facehuggers concrets. C’est vraiment grâce à eux que Fede a établi la scénographie et les mouvements de caméra. Et notre directeur de la photographie Galo Olivares savait aussi à quoi ils ressemblaient, puisqu’il les avait sous les yeux. Je crois que c’est une excellente séquence, dans laquelle nous avons utilisé toutes les techniques permettant d’arriver aux résultats voulus. On avait vraiment l’impression que les facehuggers étaient en train de déferler sur le plateau. Et les acteurs pouvaient aussi interagir directement avec les facehuggers concrets , lorsqu’on passe d’une créature 3D à la marionnette qui entre en contact avec sa proie humaine, via une transition digitale de l’une à l’autre. Dans d’autres situations, c’est l’inverse : on part du facehugger concret pour prolonger ses actions avec sa version en synthèse qui bondit et court. C’est ce qui nous a permis de les rendre effrayants et très menaçants.
Vous avez donc scanné en 3D tout ce que Legacy Effects, Studio Gillis et Weta Workshop ont fabriqué concrètement...
Absolument. Une équipe de la société Clear Angle était présente avec nous sur le plateau pour s’en occuper au quotidien. C’était indispensable, parce que nous utilisions énormément d’éléments concrets comme ceux que nous avons déjà évoqués, et d’autres qui doivent rester confidentiels et que nous devions scanner aussi. Nous envoyions donc constamment des pièces de maquillage ou des créatures à l’équipe de Clear Angle pour communiquer ensuite ces données de base aux équipes des effets numériques, et leur permettre de commencer à créer les modèles 3D correspondants. Nous l’avons fait aussi pour des raisons liées à l’historique du tournage. C’est une précation, juste au cas où nous nous rendrions compte pendant le montage que nous avons besoin d’images de choses qui n’ont pas été filmées, comme un certain angle d’un décor, ou un insert d’un accessoire. Nous avons donc scanné à peu près tout, de manière à pouvoir recréer des choses dans des plans entièrement numériques si nécessaire.
Pouvez-vous aussi parler des extensions numériques des décors, ou des environnements entièrement numériques que vous avez créés pour le film ? Vous avez mentionné des murs LED un peu plus tôt, faisiez-vous référence au processus StageCraft ?
Nous avons utilisé des écrans LED, mais de manière plus simple. En fin de compte nous n’avons pas employé le plateau StageCraft d’ILM. Fede est un artiste accompli, incroyablement compétent et habile en 3D. Il utilise aisément le logiciel 3D Studio Max et peut faire toutes sortes de choses lui-même. Il sait comment réaliser tous ces effets. Fort de ces connaissances, quand il avance sur le montage du film et se rend compte qu’il lui manque certains plans pour perfectionner une séquence, il imagine aussi comment les tourner de la manière la plus simple et la plus efficace possible. De ce fait, quand nous sommes passés à l’étape du tournage additionnel, nous avons utilisé un grand mur LED pour servir d’arrière-plan derrière les acteurs ou derrière un petit bout de décor concret, pour le prolonger dans l’axe du point de vue de la caméra. Le but était d’obtenir ainsi un plan finalisé directement à la prise de vue, avec les éclairages affichés sur le mur LED qui projetaient aussi de la lumière sur les décors et les comédiens. Cela contribue à convaincre les spectateurs que tout ce qu’ils voient est réel. C’était l’approche de Fede depuis le début. Chaque fois que nous pouvions utiliser cette méthode, nous le faisions. Pendant le tournage additionnel, nous avons filmé ainsi de nombreux plans d’inserts, ou des nouveaux plans plus concis, qui permettaient de resserrer le rythme du montage ou de rendre plus intéressant un moment précis de l’histoire. Fede est tellement habile que nous avons utilisé toutes les techniques possibles.
Si je comprends bien, vous vous êtes servis aussi du mur LED pour augmenter la taille apparente d’un décor concret, par exemple pour prolonger un couloir à perte de vue ?
Oui, c’est exactement ça. C’était l’une des idées de Fede. Vous savez, dans Aliens, ils avaient placé un miroir au fond du décor des pods cryogéniques, pour les dédoubler à l’image lorsqu’ils s’ouvrent tous, juste avant que l’on passe à un autre angle, où les membres du l’équipage se réveillent et sortent des pods. Quand Fede m’a demandé si nous nous pourrions pas utiliser des effets de miroirs nous aussi, je lui ai répondu que notre caméra numérique Alexa 35 capte remarquablement bien les détails et nous permet d’obtenir une grand profondeur de champ. Les nuances de contraste et de luminosité que l’on peut obtenir à partir de l’image d’origine sont stupéfiantes. Nous avions toutes les raisons de craindre que ce bon vieux truc du miroir soit détectable en utlisant une caméra aussi performante. Nous avons donc imaginé d’autres manières d’obtenir les effets voulus, mais je peux vous dire que Fede et moi avons envisagé d’utiliser absolument toutes les techniques employées dans les deux premiers films de la saga. Il fallait simplement tenir compte de nos contraintes de temps et de budget lorsque nous choisissions les moyens d’atteindre ces objectifs.
Comme avez-vous tourné les plans où l’on voit une personne en combinaison d’astronaute flotter en apesanteur ?
Notre équipe de cascadeurs présente sur le plateau nous a aidés à accomplir les effets à base de câbles et de harnais dont nous avions besoin. L’astuce que nous avons utilisée a consisté à utiliser deux versions des mêmes décors, l’une installée normalement à l’horizontale et l’autre en position verticale afin de pouvoir passer de l’une à l’autre pendant cette scène d’apesanteur, en utilisant des techniques différentes. Grâce à cela, le public aura du mal à savoir où se trouve réellement le haut le bas, puisqu’on ne peut pas déterminer si ces images ont été filmées à la verticale ou à l’horizontale…Dans ce cas, c’était une approche vraiment maligne de l’équipe des cascadeurs. Ensuite, il nous suffisait de placer des extensions de décors pour effacer les câbles, les déformations du costume dûes à la présence du harnais, ou pour effectuer des transitions d’un décor à l’autre avec le même personnage. Mais nous avions bien prévisualisé toute la scène pour déterminer quels étaient les moments les plus judicieux pour utiliser le décor vertical, et quels autres plans gagneraient à être filmés dans le décor horizontal, de manière à ce que le public n’ait jamais l’impression de voir une personne suspendue à des câbles, ni les effets de la gravité. Notre but était qu’il réagisse en se disant “Mais comment ont-ils fait ça ?! ». Cette scène est le fruit d’une excellente collaboration avec l’équipe des cascadeurs.
D’une certaine façon, vous en êtes presque revenus aux vieilles astuces de 2001, l’Odyssée de l’Espace, avec des décors placés à la verticale, et des câbles cachés derrière la silhouette de l’astronaute en combinaison spatiale…
C’est le même principe, mais peut-être pas aussi complexe. Pendant la planification des trucages, Fede nous a montré une prévisualisation 3D complète de cette séquence et nous a dit : «Je veux que cela soit tourné de cette manière, avec ce trucage de base.” Ensuite, l’équipe des cascadeurs a pu étudier chaque partie de la scène, et nous aussi, avec les équipes des effets visuels. Nous avons dialogué pour établir comment filmer chacun des plans, et à quels moment effectuer les transitions entre les deux versions du décor. Nous avons essayé de concevoir le meilleur mélange possible, afin que les spectateurs ressentent la joie qu’éprouvent les personnages en flottant ainsi. J’espère que cela leur plaira.
Y a-t-il d’autres aspects du travail accompli par ILM et par Weta que nous n’avons pas encore évoqués et dont vous aimeriez parler ?
ILM et Weta ont été d’excellents partenaires, et ont pris en charge une bonne partie des plans d’effets visuels. En raison des délais impartis pour achever le montage du film puis pour en livrer la version finalisée, nous avions besoin de nous appuyer sur deux grands partenaires très fiables, ainsi que sur d’autres studios de plus petite taille, mais qui ont été extrêmement utiles eux aussi. Ils ont tous effectué de très bonnes prestations. En ce qui concerne les accomplissements les plus remarquables, je dirais que ces équipes ont tout fait pour nous aider à créer des effets digitaux correspondant exactement aux éléments concrets. Leur objectif était qu’ils soient impossible à distinguer des effets de maquillage, des animatroniques ou des miniatures. Ils nous ont aidés à créer le « look maquette » des scènes qui se déroulent dans l’espace. Et pour certaines de ces vues du cosmos, nous avons été inspirés par plusieurs documentaires étonnants consacrés aux anneaux de Saturne. La planète que vous verrez dans le film a des anneaux qui ne ressemblent à aucun de ceux que l’on a vus jusqu’à présent dans les films de science-fiction. Nos partenaires ont fait un excellent travail pour donner vie à tout cela. Et Weta a créé une grande partie des trucages phénoménaux du troisième acte du film.
De nouvelles scènes ou de nouvelles idées de plans ont-elles émergé des discussions entre Fede, ILM, Weta et les équipes d’effets de maquillage concrets ?
Eh bien, je dois dire que Fede était particulièrement ouvert aux suggestions lorsque nous en sommes arrivés à l’étape du montage du film. C’est aussi mon attitude, et ce, dès que la préparation d’un film commence. Quand je discute avec les différentes équipes, je leur dis toujours : «Donnez-nous d’abord ce que le réalisateur demande. Ce sont ses visions. Si vous avez une meilleure idée, développez-la aussi et montrez-nous les choses que vous avez en tête. » Toutes les équipes ont procédé ainsi en travaillant sur Alien : Romulus, et nous ont apporté ce que nous voulions, et plus encore. Ces artistes ont été fortement inspirés par les deux premiers volets de la franchise. En collaborant à ce film, ils voulaient se surpasser et prouver l’étendue de leurs capacités. Et ils y sont parvenus.
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