Les trucages de STAR WARS : SKELETON CREW - Entretien exclusif avec les showrunners Jon Watts & Chris Ford – 2ème partie
Article TV du Lundi 23 Decembre 2024

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Entretien avec Jon Watts réalisateur / showrunner & Chris Ford Scénariste / showrunner.

Vous parliez tout à l’heure des astuces utilisées par les magiciens, et l’une de leurs règles d’or est de ne jamais répéter le même « truc », pour éviter que les spectateurs ne finissent par le remarquer et par comprendre leurs secrets. Je me souviens que Jon Favreau m’avait expliqué que les gens qui connaissent la technique du mur d’écrans LED de StageCraft essaient à présent de deviner quand elle est utilisée dans les séries STAR WARS . Il tente donc de brouiller les pistes par différents moyens…De votre côté, comment avez-vous choisi à quels moments vous préfériez utiliser des décors concrets, des trucages de plateau et des personnages animatroniques, et quand vous alliez utiliser essentiellement StageCraft ?


Jon Watts : Dans la plupart des cas, c’est juste une question de logistique de production : jusqu’où faut-il aller pour créer ce dont vous avez besoin dans cette scène ? A partir de là, il faut estimer le temps qui sera nécessaire pour modéliser les décors en 3D si vous décidez de recourir à StageCraft, plutôt que de construire ces environnements en studio. Pour ma part, je trouve que le volume est particulièrement performant quand vous devez représenter des environnements assez sombres. Le système est parfait pour générer des reflets exactement là où vous en avez besoin pour que l’on puisse bien suivre l’action. Et plus largement, même quand la scène se passe dans un espace plus clair, les effets de reflets sur des surfaces brillantes sont très bien rendus dans le volume avec StageCraft.

Chris Ford : Oui, il y a beaucoup de choses à prendre en considération lorsque l’on choisit les techniques qui vont être employées, mais on dispose quand même de nombreuses références pour déterminer ce qui permettra d’obtenir le meilleur résultat, celui qui sera le plus crédible. Dans certains cas, c’est presque évident. Notamment quand il s’agit d’un décor avec des colonnes qui se répètent jusqu’au loin : là, vous savez d’emblée que cela fonctionnera parfaitement avec StageCraft, en fabriquant juste quelques colones, et en les installant au centre du plateau, tandis que le reste de la perspective sera généré en 3D sur le mur vidéo. C’est ce genre de situation qui rend StageCraft quasiment impossible à détecter. En revanche, certains plans attirent l’attention et peuvent éveiller la suspicion des gens uniquement en raison de leurs caractéristiques. Imaginez par exemple que l’on filme quelqu’un qui se tient debout au bord d’une des crêtes surplombant le Grand Canyon. Si on prend une photo d’une personne qui pose dans ce vrai panorama, cette image pourra sembler avoir été truquée alors qu’elle est authentique. On peut avoir cette impression à cause de l’énorme distance qui sépare cette personne et le paysage très éloigné, ou parce que l’éclairage rend la silhouette de la personne trop claire ou trop sombre. C’est parfois très subjectif. L’une des meilleures méthodes pour éviter cela consiste à prolonger dans le décor 3D les éléments concrets installés au centre du plateau. Quand c’est fait soigneusement, on n’arrive plus à différencier les deux, ce qui est l’espace physique et ce qui est virtuel. Les acteurs sont si bien intégrés dans le plan que l’on ne peut plus voir où se trouvent les points de raccords entre le décor concret et les images affichées sur le mur LED.

Jon Watts : StageCraft est vraiment un procédé ahurissant, à n’en pas croire ses yeux…Je vais vous raconter une histoire amusante à ce sujet, Pascal. Un jour, pendant le tournage, alors que nous portions tous des masques parce cela se passait pendant la période de la pandémie, notre superviseur des mesures de précautions anti-COVID a soudain commencé à crier pour interpeler une personne qui se trouvait à l’autre bout du plateau, et qui parlait à quelqu’un sans porter son masque. Le superviseur s’est mis à courir à toute allure pour lui apporter un masque neuf et lui demander de le mettre immédiatement et là, il s’est heurté de plein fouet contre le mur d’écrans LED. Les deux personnes qu’il avait vues étaient en réalité des figurants virtuels intégrés dans l’arrière-plan généré en 3D. Ces deux types qui bavardaient n’étaient pas réels, mais cette personne avait été absolument incapable de s’en rendre compte ! C’est vous dire si le système peut être convaincant, même dans la vraie vie. J’ai trouvé cela très impressionnant.

C’est une anecdote géniale ! (rires) Je voulais vous demander aussi de nous parler de l’impressionnante équipe de réalisateurs que vous avez réussi à constituer, et de la manière dont vous avez choisi les épisodes que vous vouliez leur proposer de diriger, en fonction de leurs sensibilités et de leurs approches visuelles ?

Jon Watts : Oui, je dois avouer que je suis encore sidéré que nous ayons réussi à les convaincre tous de se joindre à notre équipe ! Au départ, nous avons tout simplement écrit une liste de nos réalisateurs favoris et parmi eux, de ceux qui avaient aussi déjà dirigé des enfants dans des films reposant en partie sur des effets visuels. Cette approche nous a permis d’affiner la liste, puis nous avons contacté ces réalisateurs, et à notre grande surprise, ils ont tous dit oui. Choisir les épisodes en fonction de ce que nous pensions leur correspondre le mieux a été également très amusant à faire. Et cela a parfaitement fonctionné.

Chris Ford : David Lowery venait tout juste de travailler avec Jude Law sur PETER PAN ET WENDY, où il jouait le capitaine Crochet. David cochait donc absolument toutes les cases, et d’autres en plus : Jude Law, les jeunes acteurs, et il avait dirigé une histoire de pirates, remplie d’effets visuels ! Il s’est donc retrouvé en territoire familier en réalisant son épisode de SKELETON CREW. Nous en plaisantions, d’ailleurs, et David disait « J’ai l’étrange sentiment d’avoir déjà vécu tout cela ». Il s’amusait beaucoup pendant le tournage, tout comme Jude Law, qui était ravi de le retrouver. Tout s’est passé de la manière la plus fluide et agréable qui soit.

Jon Watts : L’épisode réalisé par le tandem des “Daniels”, comme on les surnomme, est un peu à part, un peu étrange, et correspondait parfaitement à la sensibilité qu’ils aiment développer dans leurs films. Bryce Dallas Howard a mis en scène un épisode qui est extrêmement émouvant. Elle a très bien su coacher nos jeunes acteurs pour les guider en leur donnant de bonnes indications, puis saisir toutes les expressions de ces sentiments visuellement, en tant que réalisatrice. Mais je dois préciser que même si faire ces choix a été très intéressant, initialement, ces réalisateurs ne savaient pas ce qu’ils allaient mettre en scène, ni de quelles histoires il allait s’agir. Tout ce qu’ils savaient, c’est que cela allait se passer dans l’univers de STAR WARS , et c’est tout ! C’est sur cette base qu’ils ont signé leurs contrats, en raison de toutes les mesures de confidentialité mises en place par Lucasfilm. Elles sont hyper strictes, comme vous le savez certainement. Ils ont tous du se lancer, et ce n’est qu’après avoir signé que nous avons pu les rencontrer et leur présenter la série et les histoires qu’ils allaient mettre en scène.

Jude Law m’a dit avoir été très impressionné par le talent et le comportement très professionnel des jeunes acteurs. Mais je me demandais si vous vous êtes servi aussi des caractères et du sens ludique de ces enfants pour improviser des répliques ou ajouter certaines de leurs réactions spontanées à une situation…

Jon Watts : Oh oui, absolument ! En fait nous avons développé davantage les rôles en fonction de leurs personnalités, après les avoir choisis. Ensuite, ils étaient libres de changer les choses et d’ajouter ce qu’ils avaient envie de dire à titre personnel, tant que cela correspondait bien à l’histoire. Et c’est ce qui a rendu les scènes vivantes. C’est d’ailleurs l’une des choses que nous avons apprises des GOONIES, de la bouche même de Richard Donner, qui l’a réalisé. Richard m’a raconté que quand ils avaient organisé les première lectures du script en table ronde, avec tous les jeunes acteurs, ils prenaient garde de ne pas commencer à dire leur réplique avant que l’autre acteur ait fini de parler. Et ça ne semblait pas du tout naturel pour des gamins. Richard leur a demandé de dire leur texte comme si c’était eux qui discutaient avec leurs potes dans la vraie vie, et là, ils ont commencé à parler les uns sur les autres, et en n’écoutant pas attentivement ce que leur disaient leurs copains. C’est à ce moment-là que ce scène est enfin devenu crédible, vivante, et que Richard et le reste de l’équipe ont eu l’impression qu’ils s’agissait d’une vraie bandes de gamins ! Je crois que c’est ce côté chaotique et imprévisible qui définit le mieux l’esprit des GOONIES. Et c’est ce que nous avons tenté d’évoquer avec nos jeunes acteurs.

Vous êtes tous les deux de grands fans de STAR WARS . Avez-vous fait des recherches dans les archives de Lucasfilm pour y puiser des designs encore inutilisés de Ralph McQuarrie et les inclure dans SKELETON CREW ?

Jon Watts : Oui, nous avons effectivement inclus des références à ses créations que les superfans de STAR WARS  vont pouvoir s’amuser à repérer au fil des épisodes. Chris, ne disons pas de quoi il s’agit. Laissons les gens trouver par eux-mêmes !

Chris Ford : OK, je ne dirai rien !

Pouvez-vous nous parler encore de votre collaboration avec Jon Favreau et Dave Filoni ? Et citer quelques exemples de conseils qu’ils vous ont donnés ?

Jon Watts : J’ai toujours tendance à les décrire comme « notre grand filet de sécurité », car c’est une image qui leur correspond bien. Jon et Dave nous ont laissé développer notre histoire en suivant nos intuitions créatives. Ensuite, ils ont été présents pour nous aider à ne pas dévier de la voie que nous nous étions tracés, pour que le récit soit toujours cohérent, et que l’on se sente bien dans l’univers de STAR WARS. Ils étaient toujours là si nous avions besoin d’eux. Mais ce n’était jamais comme s’ils nous surveillaient, en regardant ce que nous faisions par-dessus nos épaules, à chaque fois que nous prenions une décision. En fait, nous les avons traité comme s’ils étaient nos premiers spectateurs. Au départ, une fois que nous avions écrit un épisode et préparé un storyboard ou une prévisualisation en animation 3D simplifiée, nous leur demandions de venir les voir pour observer leurs réactions, en espérant que cela leur plaise. Comme ils sont eux-mêmes des superfans de STAR WARS, ils sont le public idéal. Et c’est très agréable de collaborer avec eux. Dave apporte tout l’immense savoir institutionnel qu’il a acquis en travaillant si longtemps en étroite collaboration avec George Lucas sur les séries animées. Il peut vous offrir de nouvelles perspectives et vous dire des choses que vous n’avez jamais entendues raconter par qui que ce soit à propos du processus créatif de George, de ses sources d’inspirations, et de ses méthodes de travail. Et cela nous a énormément aidé, dans tous les aspects de ce que nous avions à faire..

Chris Ford : Exactement. L’un des conseils que je peux citer a été « Ne tentez pas de ‘faire du STAR WARS’ . Essayez de raconter une bonne histoire en vous appuyant sur des sources d’inspiration similaires aux choses qui ont inspiré George Lucas. Laissez l’histoire évoluer comme elle en a naturellement envie, et ensuite, trouvez le point d’entrée pour qu’elle puisse fonctionner dans l’univers de STAR WARS . »

Jon Watts : George Lucas a été inspiré par les vieux « serials » de FLASH GORDON tournés dans les années 30 et 40. C’est de cette manière qu’il a commencé à développer son projet de science-fiction qui est finalement devenu STAR WARS . De notre côté, Chris et moi avons regardé de nombreux sérials et films de pirates de la même époque, comme L’AIGLE DES MERS, et d’autres classiques du genre. Ensuite nous avons employé ces références exactement comme George a utilisé les western spaghettis, les films de samouraïs de Kurosawa et des films de guerre comme LES BRISEURS DE BARRAGE. Et tout ça a été versé dans la casserole pour laisser mitonner notre ragoût de SKELETON CREW ! (rires)

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