Entretien exclusif avec Pierre-Olivier Persin, superviseur des effets spéciaux de maquillages de THE SUBSTANCE – 1ère partie
Article Cinéma du Vendredi 27 Decembre 2024

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Nous sommes particulièrement heureux de publier aujourd’hui cet entretien avec un ami qui a été aussi l’un des premiers piliers du forum d’ESI lors de sa fondation en 2007, Pierre-Olivier Persin, qui est devenu au fil des ans une référence dans le domaine des effets spéciaux de maquillage. Au moment où nous écrivons ces lignes, il s’apprête à vivre une expérience exceptionnelle, puisque ses effets spéciaux de maquillage de THE SUBSTANCE lui ont déjà valu d’entrer dans la « shortlist » des présélections aux nominations pour les Oscars ! C’est déjà en soi un bel honneur, et une première récompense pour le travail acharné accompli non seulement sur ce film, mais depuis de longues années. Pour revenir sur ce parcours pendant lequel Pierre-Olivier a fait preuve d’une ténacité, d’un talent et d’un courage exceptionnels, nous allons évoquer d’abord ses débuts. C’est une belle leçon de professionnalisme pour tous les maquilleurs débutants qui veulent travailler sur des effets prosthétiques !

Pierre-Olivier, merci beaucoup de nous accorder du temps en cette période de fin d'année, c'est très sympa. Je voudrais juste préciser à nos amis d’Effets-speciaux.info qui vont lire cette interview que si l’on se tutoie, au lieu du vouvoiement habituel pour un entretien, c’est parce qu'on se connaît depuis une éternité, depuis le siècle dernier ! (rires) En fait, quand nous nous sommes rencontrés la première fois, je ne sais plus quel âge tu avais, 18 ans, à peu près ?

J'avais 17 ans. J'étais au lycée, en seconde ou en première.

Ce qui m'a tout de suite frappé chez toi, c'est ta passion et le fait que tu étais vraiment impliqué à 2000% dans ta vocation de maquilleur FX, avec toute la motivation nécessaire pour pouvoir faire des choses bien. Et c'est pour ça que j'ai essayé le plus possible de te faire bosser sur les trucs que je faisais à l’époque. À l'époque, on a fait ensemble des ateliers de maquillage avec des démos pour des classes d’adolescents, on a travaillé sur certaines pubs…

…et sur les séquences cinématiques de jeux vidéo pour Cryo….

Oui, pour Cryo, j’avais sculpté et préparé des prothèses en mousse de latex pour des extraterrestres, et aussi pour des zombies, et on les posait ensemble sur les acteurs… J'ai toujours été super impressionné par ton talent, ton côté méticuleux, le fait que tu faisais des choses très bien, très sérieusement. Et je n'ai jamais douté que tu aurais un jour ton propre atelier, et que tu dirigerais toute une équipe. Je suis donc d'autant plus content de voir que ça marche super bien pour toi depuis déjà une bonne quinzaine d’années. Et que maintenant, tu arrives à une étape capitale de ta carrière, avec de plus en plus de projets très importants, et une ouverture sur le marché américain et anglais qui se confirme depuis plusieurs années. Je suis content que modestement, la version anglaise de mon bouquin sur les effets spéciaux, dans laquelle tu figures, t'ait permis d'envoyer ainsi une carte de visite à des maquilleurs anglais auxquels j’ai fait parvenir le livre après les avoir interviewés…

Oui, à Mark Coulier, notamment.

Pourrais-tu nous résumer les grandes étapes de ta carrière, et les savoir-faire que tu as acquis ? À tes débuts, tu as créé surtout des maquillages sanglants, de blessures. Tu as fabriqué beaucoup de cadavres, de bébés hyperréalistes…Raconte-nous...

C'est arrivé par phases. Il y a eu les tout débuts, d'abord. Il faut en parler. Quand j’étais amateur au sens noble du terme, et que je travaillais seul dans ma chambre. Je pense que ça apprend à faire des erreurs et à trouver des solutions soi-même. Et ça me sert toujours maintenant. C'est vraiment une école essentielle. C'est la première étape. Après, effectivement, je t'ai rencontré. Tu es le premier spécialiste des effets spéciaux que j'ai rencontré. C'était très impressionnant. Tu m'as fait débuter. C'était super, et je t’en remercie encore, 47 000 ans après ! (rires) Après, j'ai travaillé dans l'atelier Daynès, qui était spécialisé en muséographie, et m'a appris des techniques de moulage professionnels très en avance à l'époque, au milieu des années 90, sur le travail du silicone. J'ai appris à réaliser des moules pro et des mannequins en silicone translucide, et donc à manier ces matériaux un peu compliqués. Ça m'a ouvert d'autres portes…

Pour les visiteurs d’Effets-speciaux.info, je dois préciser que l'atelier Daynès créait notamment des effigies hyperréalistes d’hommes et de femmes préhistoriques…

Il s’agissait de reconstitutions paléontologiques. Le grand spécialiste Yves Coppens - celui qui a découvert « Lucy » - venait à l'atelier, par exemple. C'était quand même assez chouette. Il y avait de belles rencontres. Et puis après, de fil en aiguille, j'ai réussi à avancer... Il n'y avait pas vraiment beaucoup d'ateliers d'effets spéciaux qu'on pouvait démarcher, à l’époque, avec des équipes de 10 personnes ou plus. J'ai eu la chance, un peu par hasard - parce que s'il faut beaucoup travailler, il faut avoir un peu de chance aussi - j'ai eu la chance, donc, de trouver des productions de cinéma, de longs-métrages, qui m’ont confié quelques petits effets, à la fin des années 90. Avec une société de production, j'ai commencé à faire des prothèses par-ci, par-là, quelques mannequins. Il y avait des gros trous entre chaque boulot quand même, des trous quantiques pour ainsi dire ! Mais je continuais à m'entraîner entre ces différents jobs. Et puis au fur et à mesure, après une dizaine d'années de ce régime-là, les trous quantiques ont commencé à se resserrer, à se réduire. Je dirais que ce n’est que vers 2007 - en ayant commencé en 1994 quand même, soit presque 13 ans plus tôt - que j'ai vraiment commencé à diriger des équipes un peu conséquentes, et à travailler beaucoup plus. Et cela dure depuis 17 ans, à partir du moment où il y a eu un déclic. Je pense que j’avais atteint un stade où j’avais acquis suffisamment d’expérience du métier, de « bouteille » , au bout de 15-20 ans de travail.

Pourrais-tu nous parler de ce que tu as appris en faire en plus de ce qui concerne directement les techniques de maquillage FX ? Le côté relationnel, par exemple ?

Eh bien, j'ai commencé à m’occuper de comédiens et de comédiennes de premier plan, comme Carole Bouquet, Mathieu Kassovitz ou Benoît Poelvoorde, que je transformais en posant des prothèses. Je me souviens notamment qu’avec Carole Bouquet ou Mathieu Kassovitz, comme notre collaboration s’était bien passée, ça a donné confiance aux productions. Elles se disaient « Bon, on peut confier des acteurs confirmés à maquiller à ce gars-là, ça va bien se passer. Il a su les gérer humainement, et le travail était bien… » Bref, ça marchait, ça passait en tout cas… Voilà, on apprend de chaque expérience. Et puis, après, j'ai eu la chance de travailler sur des productions étrangères, américaines, comme GAME OF THRONES, WORLD WAR Z, des choses comme ça, et d'ouvrir des ateliers de façon exponentielle, qui se sont agrandis, tout comme les équipes. On s'est professionnalisés. Je dirais aussi qu'il y a eu des grandes étapes. C'est vrai qu'au début, j'ai fabriqué beaucoup de blessures, ou des mannequins en silicone, des cadavres pour des scènes d’autopsies, mais c'est cyclique…Depuis pas mal d'années, je réalise aussi beaucoup de maquillages réalistes, des vieillissements, notamment. J’en ai fait énormément sur LE COMPTE DE MONTE-CHRISTO. Et je dois dire que, même si ça m'éclate de faire des trucs spectaculaires comme des blessures, eh bien les choses réalistes, les vieillissements que j’ai pu créer pour MONTE-CHRISTO, c'est quand même super classe à faire. J'adore !

Pour MONTE-CHRISTO, tu as fabriqué des masques aussi...

Oui, dans MONTE-CHRISTO, Pierre Niney porte des prothèses d'une façon ou d'une autre, du début à la fin du film, quel que soit le personnage qu'il incarne.

En fait, je voulais parler des effets de masques dont le personnage se sert pour se métamorphoser…

Ah oui ! En plus de toutes les prothèses, on a fabriqué plusieurs masques, style MISSION : IMPOSSIBLE, mais transposé au 19e siècle. Le réalisateur m'avait dit, on veut quelque chose qu'un fan de cinéma aimerait avoir sur une étagère chez lui. Voilà, c’était une belle façon de décrire un truc imaginaire, mais un peu magique aussi.

Et puis il y a eu aussi MONSIEUR AZNAVOUR, qui est une jolie performance car il fallait réussir à créer une ressemblance avec un acteur, qui au départ ne ressemble pas du tout à Charles Aznavour…

Non, ça c'est vrai, c'est ce qu'on a fait avec Tahar Rahim. Comme le résultat était un mélange entre Tahar et Charles Aznavour, on le surnommait Taharle pendant le tournage. Et c'était ça. Parmi les choses que j'ai apprises, j'ai travaillé aussi sur le film consacré à Simone Veil, SIMONE, LE VOYAGE DU SIECLE. Je suis content de certains maquillages sur le film, et moins content de certains autres. Parfois il y a des choses qui nous échappent, pour des raisons qui ne sont pas nécessairement artistiques, qui sont plus politiques. On n'a pas la main sur tout... Certaines décisions ne nous appartiennent pas. Et ça a été une bonne expérience. Je me suis très bien entendu avec le réalisateur Olivier Dahan. Ça c'était super, il me soutenait vraiment. Mais justement, ça m'a appris ce qu'on pouvait faire et ce qu'on ne pouvait pas faire dans des films historiques, de biopics comme celui-là, et où il y avait certaines batailles vraiment utiles à mener. Parfois il faut un petit peu se planter pour prendre du recul sur les choses, ou bien se bagarrer après pour défendre ce qu’on pense être la bonne approche d’un maquillage.

La suite de notre entretien exclusif avec Pierre-Olivier Persin paraîtra bientôt sur ESI !

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