Entretien exclusif avec Pierre-Olivier Persin, superviseur des effets spéciaux de maquillages de THE SUBSTANCE – 2ème partie
Article Cinéma du Lundi 30 Decembre 2024
Propos recueillis par Pascal Pinteau
Quand tu parlais des choses que les chefs maquilleurs qui font des effets spéciaux ne maîtrisent pas forcément, il y a par exemple la lumière. La lumière, on sait que c'est extrêmement important pour les maquillages…
Ah oui, la lumière, c'est un truc essentiel. C'est ce qui était très compliqué sur THE SUBSTANCE, c'est le choix d’éclairage de Coralie Fargeat, la réalisatrice… Beaucoup d'effets se déroulent dans la salle de bain, un décor avec du carrelage blanc. C'est presque comme une salle d'opération et c'est éclairé aussi violemment que dans un stade de football. Il n'y a absolument aucun ombre, c'est l'anti - HURLEMENTS de Joe Dante, dans l’approche de l’éclairage ! (rires). La plupart des grands effets spéciaux de maquillage se passent dans cette salle de bain. Beaucoup de choses sont filmées en macro, littéralement, avec une lumière qui est implacable, qui montre absolument tout.
Il faut donc s’adapter à tout ce qui peut se produire pendant un tournage…
Oui, et c’est là où l’expérience acquise est si importante. Sur beaucoup de films français, j'ai travaillé aussi bien sur films à gros budgets que sur des films d'auteurs avec des budgets modestes. Je pense qu'il n'y a pas de petits projets, et que toute approche est bonne. Mais travailler sur des films d'auteurs qui sont des drames où l’on se trouve dans une cuisine ou dans une salle de bain, éclairées comme une cuisine ou comme une salle de bain, m'a progressivement appris à augmenter la qualité de notre travail. Pendant le tournage d’un film d’auteur, on sait que l’éclairage ne va pas devenir subitement un truc stylisé à la Freddy dans LES GRIFFES DE LA NUIT ! La cuisine ne va pas se transformer avec des éclairages bleus ou jaunes à la Joe Dante, que j'adore. Avec le cinéma européen, on est obligé d’avoir cette déformation professionnelle.
Est-ce que, pour te parer à toute éventualité quand tu prépares un maquillage, tu le prévois d’emblée pour qu'il soit visible avec un éclairage comme celui de THE SUBSTANCE, c'est-à-dire extrêmement intense, très lumineux, comme pour des éclairages un peu plus faibles ? Comment arrives-tu à trouver le bon réglage sur les couleurs, les finitions, pour que le maquillage puisse passer le mieux dans toutes les conditions de lumière possibles ?
C'est une très bonne question. Il y a une chose que je fais toujours dans les loges dans lesquelles je maquille, c'est que je demande des Kino Flo qui sont de vrais éclairages LED de cinéma, de plateau. Je ne travaille pas qu'avec des ampoules autour d'un miroir de maquillage, parce que ce sont des lumières très douces, qui vont venir de face, et qui vont tout adoucir. Ça va être très bien dans la loge et on va s'évanouir en arrivant sur le plateau et en découvrant tout ce qu’on n’a pas pu voir en faisant le maquillage. Ces petites ampoules autour d’un miroir de maquillage n’ont rien à voir avec un éclairage de cinéma mis en place par un chef-opérateur.
Je n'ai jamais compris pourquoi on voyait dans des making of, des maquilleurs pourtant très connus, travailler avec ces petites loupiottes qui faussent l’appréciation du rendu…À chaque fois que je posais des maquillages en mousse de latex, je m'arrachais les cheveux parce que je ne voyais rien à cause de ces petites ampoules ridicules !
Oui, c'est exactement ça ! Du coup, je demande à avoir ces Kino Flo et aussi des Kino quatre tubes 60 ou 90 centimètres. J'en installe de chaque côté que je dispose latéralement sur les côtés de façon un peu rasante, légèrement par l’arrière. Du coup, j'ai deux sources de lumières très puissantes, rasantes qui arrivent par l’arrière et révèlent le moindre raccord. Ensuite, je fais pivoter un peu mon acteur, et le moindre raccord, le moindre truc, va ressortir à mort. Maintenant, on a quand même aussi de chouettes Miroirs de maquillage plus perfectionnés, avec un potentiomètre, qui permet de régler la luminosité et la température de couleur de l’éclairage. Je joue donc beaucoup avec la lumière pendant le maquillage. J'essaye aussi de savoir quelle sera l'ambiance lumineuse sur le plateau ou dehors et puis, je joue avec les réglages des Kino et des éclairages du miroir. Si on se trouve dans une ambiance de nuit, généralement, les éclairages intérieurs vont être basés sur des lumières très chaudes, très orangées. Inversement, un éclairage jour va donner une lumière très froide, plus bleutée. Donc je n'essaie pas du tout d'utiliser une lumière qui va adoucir l’aspect de mon travail, mais au contraire d’avoir une une lumière vive et impitoyable pour essayer de repérer tout ce qui pourrait buguer sur mon maquillage, notamment au niveau des raccords. Et oui, en atelier, en fabrication, on est hyper attentif à ça, à la façon dont on fabrique les choses. Je pense aussi qu'il faut concevoir, créer les designs des choses en pensant aussi à la façon dont ça va bouger. Il y a une vraie réflexion à avoir en ce sens, car il faut peser le pour et le contre. L'idée, notamment, n'est pas nécessairement de recouvrir l’acteur de trois tonnes de prothèses. Même si c'est une approche un peu plus délicate, il y a un équilibre à trouver en se demandant «Est-ce que ça doit être épais, ou est-ce que, même si ça raconte une histoire importante, ça ne peut pas être un peu allégé ? » Il y a un équilibre à trouver, une juste mesure...
Pour les visiteurs d’Effets-speciaux.info, tu veux bien préciser ce que signifie la température de couleur ?
Les degrés kelvin, c'est la température de la lumière. Donc sur un tournage en intérieurs, pour une scène de nuit, on a une ambiance lumière très orange, avec des températures de couleur qui se rapprochent de celles des vieilles ampoules au tungstène très orangées des lampes de salon avec des abat-jours. Là ce sont des éclairages très chauds qui vont adoucir les maquillages. A l’opposé, il y a l’éclairage du soleil. J'ai fait un film cette année pour lequel nous avons posé des faux crânes sur l'acteur principal. On tournait sur la plage, soleil de 14h, plein pot, en gros plan ! Là, ce n'est pas du tout pareil.
Donc pendant l’application du maquillage, en jouant sur la température de couleur, tu peux obtenir des lumières soit très chaudes, soit très froides, soit qui se rapprochent de celles de néons un peu verdâtres, pour pouvoir les tester.
Exactement.
Parlons à présent de THE SUBSTANCE. Comment le projet a-t-il débuté pour toi et quels ont été les principaux travaux, les choses les plus importantes à faire pour le film, dont tu as entamé les recherches et la préparation en premier ?
C'est le producteur exécutif français du film, Nicolas Royer qui m'a contacté. J'avais travaillé avec lui dans le passé. Souvent, quand on nous appelle à propos d’un film, on nous dit « j'ai un très gros projet pour toi » et puis, au final, il n’y a que deux faux nez à poser ! (rires) Dans ce cas-là, quand j'ai lu le scénario, j’ai été très étonné, parce que c'était énorme. J’étais perplexe et me demandais ‘Qu’est-ce qui va être traité en numérique ? Qu'est-ce qui va être tourné avec des effets de maquillage ? » Mais quand j’ai rencontré la réalisatrice Coralie Fargeat, elle a été très claire en me disant ‘Je veux utiliser un maximum d'effets et de maquillage réalisés en direct’. Donc, c'était un très gros projet… Elle m’a confié aussi lors de cette première réunion à l'atelier qu’elle était en train d'interviewer d'autres ateliers parallèlement. Je n'étais pas engagé officiellement, et c'est un processus normal. C'était un casting pour les effets de maquillage. Elle fonctionnait comme ça, et a ajouté ‘Ce qui me fait le plus peur c'est le monstre à la fin’, celui que nous avons surnommé Monstro. Un autre atelier était en train de travailler sur le design de cette créature - des gens très talentueux - mais Coralie m’a dit qu’elle n'était pas contente du résultat. Du coup, même je n'étais pas engagé, et que je travaillais sur un autre film, j'ai sculpté le soir même une petite maquette qui était assez proche du monstre final que l’on voit dans le film. Il y avait déjà tous les éléments essentiels, tous les seins, les bras inversés, la tête penchée… Coralie a vu la sculpture et tous ces trucs lui ont plu même si c'était une ébauche, un modelage fait très rapidement. 15 jours après elle m’a dit ‘Je veux que tu fasses tout le film’. C'était quand même un petit peu rapide, car il fallait déjà établir le budget . Comme c’est un projet énorme - on a travaillé presque un an sur le film avec une équipe de 15 personnes - cela représente beaucoup d'argent en salaires et matériaux, et il ne faut surtout pas se planter. Ça déjà, le budget, ça prend beaucoup de temps pour ne rien oublier, et pour tout préparer soigneusement. Et il faut aussi savoir comment on va fabriquer chaque chose. Donc, il ne faut pas se planter techniquement et artistiquement pour pouvoir mettre un prix sur un tel projet. Au final, le devis était détaillé sur 15 pages, ce qui donne une petite idée du temps que cela prend !
La suite de notre entretien exclusif avec Pierre-Olivier Persin paraîtra bientôt sur ESI !
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