Entretien exclusif avec Pierre-Olivier Persin, superviseur des effets spéciaux de maquillages de THE SUBSTANCE – 4ème partie
Article Cinéma du Vendredi 17 Janvier 2025

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Dans THE SUBSTANCE, il y a certains effets plus discrets que d'autres, mais qui m'ont beaucoup plu, comme par exemple le vieillissement du doigt de Demi Moore, le premier moment pivot du film dans lequel on se dit « Oh oh…les choses pourraient très mal tourner dans cette histoire ! » (rires). J’ai trouvé cet effet génial et totalement crédible. C’est d’autant plus réussi qu’on voit ce doigt en hyper gros plan, et qu’il est fantastique. Pourrais-tu nous en parler ?

Eh bien, ce doigt, comme tu le dis, c'est la clé de voûte de l’histoire, et littéralement le départ de tout. Nous avons abordé cet effet de façon très classique, par un moulage de la main de Demi Moore, puis un tirage positif sur lequel nous avons fait une sculpture. Je savais bien évidemment que cet effet serait compliqué, car il fallait réussir à créer l’illusion d’un doigt décharné, vieilli, qui doit donc être plus fin, alors que le maquillage prosthétique consiste à ajouter du volume : c'est un processus additif…On ne peut pas soustraire du volume au visage ou au corps d’une actrice comme on pourrait le faire en numérique. Donc forcément, je devais grossir certaines parties de son doigt en ajoutant une prothèse, alors qu'on souhaite créer l'impression d'un doigt amaigri et parcheminé…Et la difficulté additionnelle, c’est que l’on voit les autres doigts de la main de Demi Moore, qui sont restés normaux, eux. Donc tout ce processus n'est pas très logique, quand on y pense ! (rires). Mais pour revenir à la fabrication, après la prise d’empreinte puis un tirage positif sur lequel on a modelé une première version du doigt vieilli, nous avons fabriqué un doigt creux en silicone translucide, en le rendant aussi fin que possible. Mais quand j’ai fait un essai à l'atelier en l’enfilant sur mon doigt ou sur une doublure - je ne m’en souviens plus exactement – et que j’ai observé ce que ça donnait, ça m’a fait penser au doigt d'E.T. ou de Mickey Mouse ! C’était une grosse saucisse, et là, j’ai vu immédiatement que ça ne fonctionnait pas du tout. Je ne l'ai même pas montré à Coralie Fargeat, la réalisatrice. Mais cette prise de conscience a été extrêmement utile, car au même moment, nous étions en train de fabriquer les éléments de l'étape de transformation qui arrivait juste après, que nous surnommions « Requiem », en référence au film de Darren Aronofsky REQUIEM FOR A DREAM. Il s’agissait d’un bras entier qui est vieilli, d’une jambe entière et de la moitié du visage du Demi Moore. Fort de cette expérience du doigt qui a été refait de A à Z, nous avons intégralement recommencé le travail sur la jambe, le bras et le visage, et j'en suis bien content, même si mon équipe m'a détesté à ce moment-là ! Je savais qu'il fallait que l'approche classique de sculpture, moulage, tirage, fabrication des noyaux, etc. allait fonctionner pour certains éléments, mais pas pour tous, et que nous allions nous planter si nous utilisions des méthodes traditionnelles sur ces effets très particuliers. Voilà, cette prise de conscience lors de l’étape du doigt m’a permis de changer mon fusil d'épaule, et que nous nous organisions pour obtenir des résultats plus convaincants.

Et au final, comment as-tu réalisé l’effet ?

J'ai allongé la dernière phalange de l'index vieilli pour l'affiner, et je l’ai tordu un peu aussi. Après, mon autre truc principal a été de jouer avec des bosses ou des volumes stratégiquement placés et asymétriques au niveau des articulations, en alternance avec des zones extrêmement fines. Le reste est une affaire de couleur.

Après tout ce dur labeur, tu as été approché par la branche maquillage de l'AMPAS (Academy of Motion Picture Arts and Sciences ) qui organise les Oscars, à propos de ton travail sur THE SUBSTANCE, ce qui est déjà fantastique en soi. Car être pré-nominé n'arrive pas souvent à des maquilleurs français. Et pour les étapes suivantes, c’est encore plus rare. Le dernier français récompensé en date, si je ne me trompe pas, c’était Didier Lavergne en 2008 pour le maquillage de Marion Cotillard en Edith Piaf dans LA VIE EN ROSE... Donc, au moment où nous parlons, le 20 décembre 2024, tu fais officiellement partie de la « shortlist » des dix présélectionnés en lice pour une nomination pour les meilleurs maquillage. A cette étape, il s’agit de THE APPRENTICE, BEETLEJUICE BEETLEJUICE, A DIFFERENT MAN, DUNE: PART TWO, EMILIA PEREZ, MARIA, NOSFERATU, THE SUBSTANCE, WALTZING WITH BRANDO, et WICKED. Ensuite, il n’y aura que cinq films retenus parmi les nominés dans cette catégorie…Alors, parle-nous un peu de cette expérience et de la manière dont les choses se déroulent, vues de ton côté !

Alors, à ce stade, j'ai un peu l'impression d'être un lapin qui traverse l'autoroute, et qui se trouve encore au milieu du chemin ! (rires) Voilà, on n'a pas envie de faire marche arrière, mais on aimerait bien arriver au bout de la traversée. Je découvre que se présenter et faire connaître son travail, c'est un vrai travail, et que cela réclame beaucoup d'investissement de temps. Je vais aller passer une semaine à Los Angeles début janvier, pour participer à ce qu’ils surnomment le « bake-off », la cuisson en français. Donc, on participe à une grande soirée où sont réunis tous les membres de la branche maquillage, coiffure et prothèses, de l’AMPAS, et on doit monter sur scène et présenter le travail réalisé en se servant d’une vidéo. Je crois que quand je devrai faire mon speech, j’éviterai de regarder les gens présents dans le public, car il y aura tous les maquilleurs de Los Angeles qui nous ont fait rêver et que tu connais pour les avoir rencontrés et interviewés…J'ai déjà préparé une vidéo démo de sept minutes que je dois faire valider par la production, puisque le format est limité à sept minutes précises, au grand maximum. Après validation, la production va l’envoyer à l'académie. Ensuite, quand je serai à Los Angeles pour représenter notre travail, au moment du « bake-off », les organisateurs vont profiter que je sois sur place pour me faire faire tout un parcours, rencontrer des gens influents, assister à différentes choses… Le but est qu’il y ait une vraie visibilité du travail accompli… Que les gens qui vont voter sachent ce que nous avons fait et puissent juger ce qui a été accompli. Dans tout cela, il y a un côté « campagne de promotion » intensive. Et pour nous maquilleurs, c’est quelque chose que nous n’avons pas l’habitude de faire, contrairement aux acteurs ou aux réalisateurs qui sont constamment médiatisés. On nous demande parfois des interviews, mais pas à ce niveau-là. Cela dit, les choses ont été différentes pour THE SUBSTANCE, puisque j’ai fait 40 interviews pendant la promotion du film… Mais pour en revenir à l’organisation des Oscars, le mérite de ce système, c'est que comme on communique nous-mêmes, cela nous permet d'expliquer le travail accompli, et de montrer pourquoi il est intéressant. Tout est très précis dans l’organisation des choses. Et je dois ajouter que quand j’ai reçu la lettre de l’académie le soir de l’annonce de la shortlist, il était bien précisé que le travail qui était pris en compte ne concernait que les différents aspects du personnage d’Elizabeth Sparkle, que joue Demi Moore. C'est-à-dire quand elle est très belle au début, qu'elle anime encore son show d'aérobic, puis toute la naissance avec le dos qui s’ouvre, le doigt vieilli, le vieillissement progressif, la phase « Gollum », puis Monstro, jusqu'à sa mort, le visage écrasé sur le trottoir… Et dans tout cela, c'est uniquement l'évolution de Demi Moore, de son maquillage de beauté à son aspect « au naturel » avec les yeux cernés, au stade avec toutes les cicatrices dans son dos, et puis tout le travail de vieillissement. C'est ça qui les intéresse. Ils ont donc « exclu », la partie plus gore à la fin.

Quelles sont les prochaines étapes dans la chronologie des événement, après cette inclusion dans la shortlist ? Tu viens de dire que tu pars bientôt à Los Angeles, mais quand les nominations finales seront-elles annoncées ?

Le bake-off c'est le 11 janvier et les nominations finales le 17 janvier.

Ce sera donc un suspense insoutenable jusque là ! Écoute, l’équipe d’ESI et nos fidèles visiteurs vont croiser les doigts des deux mains pour toi, et on y croit ! Ne stresse pas trop, je pense que ça va très bien se passer, parce que ton travail parle pour toi. Et même si tu vas être forcément intimidé quand tu vas te présenter, tu verras en rencontrant tes idoles à Los Angeles, que la plupart d'entre eux sont charmants et bienveillants.

Merci. Il va juste falloir que j’essaie de ne pas avoir un sourire béat jusqu'aux oreilles pendant deux heures, et ça, ça va être extrêmement difficile ! (rires)

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