FLOW, une magnifique fable initiatique - Entretien avec Gints Zilbalodis, auteur-réalisateur - 2ème partie
Article Animation du Vendredi 31 Janvier 2025
Que représente l’animation pour vous, sur le plan personnel et en tant qu’artiste et conteur ?
J’ai l’impression qu’elle me permet d’explorer plus profondément le subconscient que je ne pourrais le faire si je tournais un film en prises de vues réelles. L’animation n’est pas autant impactée par les barrières culturelles ou linguistiques : elle peut être bien plus universelle et primale. Je ne pense pas qu’elle devrait être considérée comme un registre à part du cinéma, car il s’agit juste d’une autre technique narrative. J’ai eu d’emblée le sentiment que FLOW ne pouvait être raconté qu’en animation, parce que tous les personnages sont des animaux, et parce que j’avais des mouvements de caméra très spécifiques en tête. J’espère que cette aventure ne sera pas seulement perçue comme un long-métrage animé, car elle est fortement inspirée par les films en prises de vues réelles. En fait, FLOW est un mélange de ce que je préfère dans tout le cinéma.
FLOW est une expérience visuelle quasi onirique, et une fable très agréable à découvrir. Une fois encore, vous n’utilisez que la narration visuelle pour entraîner les spectateurs dans le voyage initiatique des personnages. Pourquoi avez-vous choisi de ne jamais utiliser de dialogues, et ce, dès votre premier court métrage de 2010, RUSH ?
Les dialogues ne me viennent pas naturellement. FLOW a été conçu d’emblée pour être raconté ainsi. J’essaierai peut-être d’utiliser des dialogues dans le futur si l’histoire en dépend, mais ils seront brefs et le film reposera encore sur la narration visuelle. Je me sens à l’aise en m’appuyant sur des images, c’est plus stimulant. Les films et les scènes que je préfère ne reposent pas sur des dialogues : ce sont toujours les images et le ressenti qu’elles procurent dont je me souviens le plus. L’animation est parfaitement adaptée à cette approche, puisque l’on peut concevoir un plan de A à Z avec une précision absolue alors que c’est extrêmement difficile en prises de vues réelles.
Avez-vous le sentiment que les films d’animation actuels sont trop bavards ?
Oui, mais ils le sont déjà depuis longtemps, surtout en ce qui concerne les très grosses productions. Beaucoup de films d’animation indépendants sont plus audacieux et s’appuient davantage sur la narration visuelle. J’ignore pourquoi les dialogues ont pris une telle importance. J’apprécie les moments plus calmes d’un film, car ils permettent de changer de rythme et de renouveler l’intérêt lorsqu’une nouvelle scène d’action débute. Ça ne fonctionne plus quand tout est constamment frénétique et saturé de dialogues et de cris. Je préférerais qu’il y ait plus de changements de tempo dans ces blockbusters animés. J’imagine que leurs créateurs multiplient ces échanges de plaisanteries dans le but de distraire les enfants, mais je suis persuadé que les jeunes spectateurs peuvent se passionner aussi pour un film sans dialogues s’il est spectaculaire.
Les thèmes des catastrophes naturelles et des personnages qui s’entr’aident pour survivre sont importants dans FLOW. Pourquoi aimez-vous tant raconter des histoires de ce genre ?
Principalement parce que je ne veux pas inclure un méchant ou un antagoniste dans mes films. En revanche, je peux me servir d’une catastrophe pour créer des conflits et forcer les personnages à entamer leur cheminement. Dans FLOW, l’inondation dévaste de nombreuses parties des paysages naturels. On la perçoit d’abord comme une force négative, mais progressivement, les personnages en viennent à apprécier la beauté de ces panoramas submergés, puisque l’eau a envahi une grande partie du monde. Ces désastres naturels étant connus de tous, ils se passent d’explication. C’est un avantage précieux puisque je n’utilise pas de dialogues : je dois m’appuyer sur des idées qui ne nécessitent aucun présentation préalable, afin de me concentrer sur le traitement des personnages.
Les événements cathartiques suscitent les meilleurs et les pires comportements des gens. Ils vous aident à mettre en place les conflits et les enjeux du récit…
Oui, et ils sont aussi très spectaculaires. Vous pouvez utiliser les éléments de décor, les couleurs et le traitement de l’animation pour les décrire très précisément. Tout cela repose sur une conception artistique approfondie. Nous avons passé énormément de temps à créer toutes les conséquences de ce cataclysme.
Dans AWAY, la menace était représentée par le géant obscur qui suit le jeune héros pour le dévorer…
Oui, mais il s’agissait d’un esprit, d’une force primale issue de la nature, ni bonne ni mauvaise, dépourvue d’émotion ou d’intention humaine. En ce sens, le géant était comparable a l’inondation de FLOW. Il me servait à pousser mon héros à agir.
Bien qu’il ait été créé en mêlant animation 2D dessinée à la main et 3D, votre court-métrage AQUA a été une première ébauche de FLOW…
C’est exact. AQUA est l’un de mes premiers films, et raconte l’histoire d’un chat qui a peur de l’eau. C’était l’idée principale. Mais dans FLOW, sa transposition en long métrage, il ne s’agit que du point de départ, car le chat est encore plus effrayé par les autres…L’inondation en elle-même n’est que l’arrière-plan. Avec le recul, il m’a semblé que AQUA avait des qualités particulières et une énergie que j’ai eu du mal à retrouver dans mes courts-métrages suivants, même s’ils étaient plus aboutis techniquement, plus professionnels. Je l’aimais beaucoup. Quelques années plus tard, quand j’ai cherché une nouvelle idée de projet, j’ai décidé de transposer AQUA en long métrage, en ajoutant des thèmes concernant notre société. L’autre raison était plus « meta » : je venais d’achever AWAY, dont le héros devait se débrouiller tout seul pour traverser une île, exactement comme moi qui devait tout faire sur ce film! J’ai eu envie de m’appuyer à nouveau sur une meta-narration, et ai imaginé que le récit de FLOW concernerait la collaboration du chat avec un groupe de personnages, exactement comme moi, qui allait réaliser pour la première fois un film en travaillant avec une grande équipe…Dans AQUA, j’utilisais beaucoup de gros plans très courts, et le montage était rapide. FLOW est plus contemplatif, et l’aventure a une toute autre ampleur. J’avais envie d’utiliser le travail avec la caméra pour créer un sentiment agréable de curiosité, de plaisir d’explorer de vastes paysages. C’est l’une des principales différences de styles entre AQUA et FLOW.
Peut-on décrire FLOW comme une fable dans laquelle les animaux nous représentent, nous les humains ? Ainsi que les différents aspects de nos réactions face à l’adversité ?
Oui, je pense que les gens s’identifieront à ces animaux. Mais dès le départ, notre intention a été de représenter leurs comportements de manière crédible. Bien sûr, nous prenons aussi des libertés artistiques, comme dans la scène où le chat aggrippe le gouvernail du bateau, ce qui ne se produirait pas dans la réalité ! Mais en dehors de cela, nous avons tenté de rendre les mouvements des animaux aussi plausibles que possible, pour éviter les clichés des bêtes qui agissent et pensent exactement comme des humains. Nos personnages ont des buts simples, essentiels, ce qui est indispensable en l’absence de dialogues. Mais simple ne veut pas dire simpliste : nous nous laissons le temps d’explorer pleinement ces idées et leur signification, sans nous précipiter.
Au début de FLOW, on considère le chat comme le héros astucieux que nous espérons tous être. Mais plus tard, on réalise que les autres animaux représentent d’autres facettes de ce que nous sommes, y compris les moins positives.
C’est amusant de vous entendre parler du chat comme d’un héros. J’imagine qu’il l’est, mais pour ne rien vous cacher, nous avions aussi envie qu’il se comporte mal ! Les chats sont très égoistes et parfois brutaux. Mais j’imagine qu’on finit par tout lui pardonner parce qu’il est trop mignon ! Et parce qu’on l’accompagne dans son voyage initiatique. Au début, le chat est indépendant et n’a aucune envie de côtoyer les autres animaux. Mais je ne voulais pas baser le film sur une idée aussi didactique. J’ai donc décidé de créer un nouvel équilibre en ajoutant des personnages comme le chien dont le cheminement est à l’opposé du sien : au début de l’histoire, il est toujours en train de suivre quelqu’un, mais il évolue, et à la fin, il est plus indépendant et prend ses propres décisions. Chacune des personnalités de ces bêtes reflète un aspect de l’individu confronté à la vie en société. Le lémurien, lui, collectionne toutes sortes d’objets au cours du voyage. Jusqu’au moment où l’on comprend qu’il se comporte ainsi parce que c’est ce que font tous les autres lémuriens. Autrement dit, il agit ainsi parce qu’il pense que ses semblables ne l’accepteront qu’en fonction de ces possessions matérielles plutôt que pour ses qualités personnelles. Le lémurien est en quête de validation par les siens. Idem pour l’oiseau blessé, qui voudrait désespérement voler à nouveau pour rejoindre sa nuée. Le dernier, le capybara, est un marginal qui n’évolue pas vraiment au fil des événements. J’ai voulu en intégrer un dans l’équipe, car j’ai vu de nombreuses photos de capybaras dormant paisiblement à côté de lions ou de crocodiles ! Apparemment, ils coexistent avec toutes sortes d’animaux, et c’était intéressant d’avoir un tel personnage dans cette histoire.
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