FLOW : Entretien avec Gints Zilbalodis, auteur-réalisateur - 3ème partie
Article Animation du Samedi 15 Fevrier 2025
Le réflexe d’accumulation d’objets du lémurien est-il aussi une satire du consumérisme, de nos achats impulsifs, parfois irrationnnels ?
Oui. J’espère que le public arrivera aussi à comprendre ses motivations, malgré tout. Même s’il agit de manière irrationnelle dans les circonstances de cette inondation, il a été formaté par la société des lémuriens, et c’est difficile pour lui de renoncer à ce comportement.
L’atmosphère onirique de FLOW est fascinante. On a le sentiment de se retrouver entre la réalité et l’imaginaire, presque comme dans un rêve qui se poursuit au réveil, et que l’on n’a pas envie de quitter. Pouvez-vous nous parler de ces ambiances de rêves et de cauchemars que l’on retrouve dans vos films ?
Dans AWAY, c’était délibéré, notamment dans la scène où le garçon s’endort et rêve. Dans le cas de FLOW, ce n’était pas prévu, mais je pense que le rythme du film et son langage cinématographique donnent ce sentiment, ce qui me plaît beaucoup. J’aime créer cette impression « d’augmentation de réalité » dans le film. Et ne pas tout expliquer non plus. La raison de l’inondation n’est pas précisée, ni la signification des statues que les personnages découvrent. Nous donnons quelques indices, ça et là, mais jamais d’explication complète. Je n’ai pas envie de concevoir un film comme un puzzle dont le public va devoir retrouver puis assembler les pièces. L’intérêt de FLOW n’est pas de résoudre une énigme, mais de se laisser porter par cette expérience visuelle… J’imagine que d’ici quelques temps, certains articles ou des vidéos postées sur le web présenteront leurs théories sur la signification de la fin du film, mais je n’ai pas envie de livrer ces réponses. La conclusion de FLOW est plus ouverte, et j’espère que cela vous permettra d’y penser un peu plus longtemps et de continuer à vous poser des questions sur cette histoire. Cela étant dit, la trajectoire des personnages est clairement définie : le chat évolue constamment et n’aborde plus la vie de la même manière à la fin du film. Mais je n’ai pas envie d’expliquer la logique de ce monde, car c’est le récit initiatique des protagonistes qui m’intéresse le plus. Il y a aussi une scène de rêve dans FLOW, mais son but est d’explorer les pensées et les motivations du chat. Tout est construit autour de lui : les environnements et les autres personnages avec lesquels il interagit servent à raconter son histoire. Du moins, c’est ainsi que tout a commencé. Par la suite, les autres animaux ont commencé à mener leur propre vie, et cela a fait surgir de nouvelles trames narratives les concernant. L’atmosphère onirique s’est imposée plus tard. C’est sans doute quelque chose qui me vient naturellement.
Le titre anglais FLOW se réfère à la fois à l’inondation et à la narration visuelle fluide à plus d’un sens, puisque nous suivons les personnages réfugiés dans la barque, et que le courant nous entraîne à la découverte d’autres horizons…Pourriez-vous parler de ce titre ?
Je crois qu’il reflète bien le côté « road movie » du film, puisque l’action se déroule sans dialogues, sur un bateau qui avance et nous permet de découvrir constamment de nouveaux paysages. Pour moi, c’était important que cela détermine très clairement la fin de la route, le but que les personnages doivent atteindre. L’inondation donne aussi un sentiment d’urgence, comme l’exprime le chat qui essaie d’atteindre les tours qui vont lui permettre de se libérer de ses peurs. Toute la narration est liée à lui. Ce n’est pas un “MacGuffin” Hitchcockien, un prétexte pour forcer le personnage à agir, mais un besoin lié à ce qui le terrorise. Au début, le chat escalade des choses pour éviter les problèmes. Il se hisse au sommet de la maison, et plus tard tout en haut du mât de la barque. Et quand il atteint enfin ces très hautes tours, il gravit l’escalier de l’une d’entre elles pour fuir ses difficultés. Partir pour éviter d’affronter des problèmes ou des situations déplaisantes est une réaction humaine très répandue, et cela m’arrive aussi. Mais finalement, arrivé tout en haut, le chat décide de faire demi-tour et de relever les défis de ce monde, quitte à prendre des risques et à renoncer à son confort.
FLOW est votre première expérience de collaboration avec de nombreux artistes et technciens. Comment cela vous a-t-il permis d’évoluer en tant que scénariste et réalisateur ?
J’avais 24 ans quand j’ai achevé AWAY, et j’ai commencé à développer FLOW juste après, en disposant d’un plus gros budget et d’une grande équipe. Sa création a pris presque deux fois plus de temps : cinq ans et demi. Tout était plus ambitieux, plus grand et plus complexe. J’ai appris énormément de choses nouvelles. Il y a peu, j’ai retrouvé les premères esquisses que nous avions préparées pour FLOW. Grâce aux talents réunis dans notre équipe, ce que l’on découvre dans le film est infiniment supérieur. C’était sensationnel de pouvoir travailler avec des gens aussi doués et compétents, même si au début, je dois avouer que cela m’intimidait un peu. Finalement, cette collaboration a été assez facile en général. Dans certains cas c’était plus compliqué car avant, quand un problème se posait pour créer ce plan, je prenais le temps de le résoudre pour découvrir comment faire. Mais pendant la production de FLOW, il a fallu aussi que l’explique à quoi je voulais aboutir, sans savoir comment y arriver ! Heureusement, nous avons trouvé des moyens d’avancer et de communiquer, en utilisant beaucoup de références visuelles et d’esquisses. J’ai procédé de même pour créer une première ébauche de la musique, en ajoutant des images de références et des croquis à mes essais. J’ai avancé d’abord de mon côté, puis nous avons fait appel à un autre compositeur, Rihards Za?upe, qui est un musicien professionnel, alors que ce n’est pas mon cas. Ce n’est que la deuxième fois que je fais cela. Je n’avais aucune expérience préalable avant de composer la musique d’ AWAY: je ne joue d’aucun instrument, par exemple. Mais mon esquisse de musique a été utile : je l’ai donnée à Rihards, et elle m’a permis de lui expliquer des chose que j’aurais été incapable de décrire, ne possédant pas le vocabulaire musical nécessaire. J’ai procédé ainsi pour communiquer dans d’autres domaines, en créant parfois des modélisations 3D basiques, ou des croquis qui servaient de points de départ aux équipes. Ensuite, elles amélioraient tout cela. La communication n’est pas passée par les mots, mais par la collaboration en elle-même.
Pouvez-nous nous expliquer ce que le logiciel Blender vous permet d’accomplir dans le film ?
L’un des grands avantages de Blender, c’est qu’il intègre un logiciel de rendu en temps réel appelé Eevee. Je ne vous garantis pas que je suis au courant des tout derniers logiciels disponibles, mais quand j’ai commencé à faire des recherches pour développer FLOW, Blender et Eevee ont été de précieux atouts. Ils m’ont permis d’expérimenter et de créer rapidement de nombreuses variantes de mes essais. Je pouvais tester d’autres angles de camera, lancer un rendu, et voir très vite si cela fonctionnait ou pas. J’ai pu avancer de manière plus spontanée et intuitive, moins rigide. Et bien évidemment, le fait que ce soit un logiciel gratuit est un avantage budgétaire quand on travaille sur un film d’animation, car on n’a pas à acheter des licences pour chacun des membres de l’équipe. De plus, comme Blender peut être customisé, nos talentueux techniciens ont créé des outils spécialement pour FLOW. Cela nous a permis de les ajuster en fonction de nos besoins.
Les animaux sont merveilleusement bien animés dans le film. Pouvez-vous nous parler de ce travail accompli par l’équipe dirigée par Léo Silly-Pélissier ?
FLOW est une co-production entre trois pays, la Lituanie, la France et la Belgique. L’animation a été créée en France et en Belgique, à l’exception de quelques tests réalisés en Lituanie, mais l’essentiel de ce travail a été fait en France. Nous avions une équipe de très jeunes animateurs, ce qui était vraiment sensationnel. Ils étaient tous extrêmement enthousiastes, talentueux et désireux de livrer le meilleur travail possible. Ils voulaient faire leurs preuves, et ont investi beaucoup de passion dans leurs animations. C’était amusant de les voir regarder souvent des vidéos de chats parce qu’ils avaient besoin de se référer à des exemples précis pour avancer. Comme nous voulions que les personnages bougent de manière très naturelle, ils ont créé d’énormes archives de vidéos de chats, de chiens et d’autres animaux. Pour les effets sonores aussi, nous avons collé à la réalité en n’utilisant aucun artiste de doublage imitant des cris d’animaux, mais seulement des enregistrements faits dans la nature.
Vous n’aimez pas expliquer des scènes mystérieuses, mais j’aimerais malgré tout en évoquer une, si vous le permettez. Quand l’oiseau blessé se rend au sommet de la tour et disparaît dans la lumière issue du ciel étoilé, nous avons l’impression qu’il s’agit d’un passage vers l’au-dela. Y a-t-il une autre signification ?
Oui. Cette scène a été conçue pour refléter l’évolution du chat, et ce qui se passe est un tournant pour lui. Auparavant, le chat essayait seuleent de grimper de plus en plus haut pour échapper à la montée des eaux et rester en sécurité. Il espérait continuer à vivre seul grâce à cela. Quand il suit l’oiseau blessé jusqu’au sommet de la tour, ils atteignent les étoiles. Arrivés là, au seuil de l’espace, ils découvrent l’environnement ultime pour vivre seul : il n’y a plus rien, plus aucune vie ni présence qui vous causera des problèmes. C’est la raison pour laquelle il gravit cet escalier qui le mène à une telle hauteur, à la lisière du vide intersidéral. Toute la narration visuelle a débuté à partir de cette idée. Dans une version antérieure de la séquence, le chat était seul. Puis j’ai réalisé à quel point la présence de l’oiseau blessé amplifierait l’impact émotionnel de la scène, et je l’ai ajouté. Le chat le suit, et quand l’oiseau disparaît, il ressent une telle solitude qu’il comprend que ce n’est pas ce qu’il veut faire. Ce moment précis exprime ses émotions conflictuelles, c’est le tournant de son périple, qui le pousse à redescendre pour affronter le monde.
Qu’espérez-vous que les enfants et les parents tireront de l’expérience de la découverte de FLOW ?
Je suis très curieux de voir comment le public réagira. Il y a beaucoup de choses différentes à découvrir dans cette histoire, qui pourra satisfaire les enfants comme les adultes. Les parents comprendront le symbolisme plus profond des situations, et je crois que les enfants aussi, à leur manière, car ce n’est pas l’apanage des grandes personnes. Certains membres de notre équipe ont montré des extraits de FLOW à leurs jeunes enfants, et ils semblaient fascinés par cet univers. Mais je ne raisonne pas vraiment en ces termes. Je n’essaie pas de créer un long métrage d’animation pour les enfants, mais de créer le film que je voulais voir, en espérant que tout le monde le comprendra et l’aimera.
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