COMPANION : Entretien exclusif avec l’auteur-réalisateur Drew Hancock - 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 21 Fevrier 2025

Retour sur cet excellent thriller d’anticipation, en salles depuis le 31 janvier, et dont une jeune femme timide est l’héroïne.

Les secrets d’une héroïne

Vous jouez habilement avec le point de vue et les convictions d’Iris pour surprendre les spectateurs. Pouvez-vous parler de la manière dont vous avez conçu les émotions et les réactions de votre heroïne, afin de susciter de l’empathie pour elle ?


Dès le début, en développant cette idée, le concept pouvait se résumer à ‘une femme va passer un week-end avec deux autres couples dans une cabane au fond des bois, et elle découvre qu’elle est un robot que l’on s’apprête à éteindre.’ Instinctivement, ma première réaction consistait à aller dans le sens où je crois que le plupart des gens iraient spontanément, c’est-à-dire penser qu’elle allait forcément devenir la méchante de l’histoire. Qu’il s’agirait donc d’un robot dont l’I.A. tournerait mal à la suite d’un mauvais contact dans ses circuits ou d’un autre incident, et la pousserait à agir comme l’androïde de M3GAN, la rendant incontrôlable et la poussant à tuer. Dans ce contexte, il fallait se sentir proches des autres protagonistes, ceux qui allaient être menacés… Je suis donc parti sur cette première piste, mais dès que j’ai commencé à écrire et à me mettre à la place d’Iris arrivant dans cette maison isolée, en pleine nature, et se retrouvant au milieu de personnes qu’elle ne connait pas, j’ai éprouvé sa solitude, son isolation. A partir de là, je me suis senti proche d’elle, et non pas des autres personnages. Dès que j’ai eu ce déclic, cette révélation, je me suis souvenu de circonstances similaires que j’avais vécues, et que nous connaissons tous. Nous nous sommes tous retrouvés, à un moment ou à un autre de nos vies, dans cette position inconfortable de la « pièce rapportée » lorsque l’on accompagne un coinjoint ou un compagnon de vie pour la première fois chez ses amis de longue date ou dans sa famille. On se sent mal à l’aise et terriblement seul…Dès que je me suis connecté à ces émotions-là, j’ai compris que ce serait infiniment plus intéressant de voir tout cela en adoptant le point de vue d’Iris, et d’en faire l’héroïne de l’histoire, plutôt que d’aller dans la direction prévisible d’une I.A. devenue incontrôlable. Je me suis dit ’Qu’est-ce qui se passerait si, paradoxalement, Iris était le personnage le plus humain, le plus attachant de tout ce groupe, même si elle n’est pas vraiment une femme de chair et d’os ? Et comment pourrait-elle réagir face à des forces qui veulent la rabaisser et disposer d’elle ?’ En fait, COMPANION est devenu naturellement le récit d’un I.A. qui a raison, et qui agit bien ! (rires) En ce qui concerne Josh, j’ai considéré qu’il devait se comporter en ayant les réflexes relationnels d’un homme du futur. J’ai d’abord réfléchi à la manière dont il réagirait en utilisant Iris. Aurait-il tendance à s’en servir presque comme un smartphone à l’aspect d’être humain ? Cette situation technologique aurait-elle tendance à le déshumaniser, parce qu’elle pousse insidieusement Josh à considérer les autres comme des objets ? C’est ainsi que j’ai abordé ce futur proche, comme si nos smartphones prenaient une forme humaine, en songeant à l’impact que cela aurait sur le comportement des gens. Je trouve ce type de sujet sensationnel et excitant. C’est typiquement ce qui stimule mon imagination et me motive assez pour me donner envie de passer des centaines d’heures à écrire, en explorant la personnalité et les motivations d’Iris, ses besoins et son cheminement émotionnel.

L’obsession de l’originalité

En découvrant COMPANION, on est ravi de constater que les situations et l’intrigue ne donnent jamais le sentiment d’être des copies de choses déjà vues dans d’autres films. Hollywood produit tellement de duplicatas de concepts vus et revus que c’est un souffle de fraîcheur bienvenu ! Pour parvenir à ce résultat, avez-vous abandonné beaucoup d’idées qui vous étaient venues, parce que vous vous êtes rendu compte qu’elles ressemblaient à celles de films précédents ?


Vous venez de décrire tout mon processus d’écriture ! Dès que je me rends compte qu’une plaisanterie d’un dialogue, qu’un moment d’action ou qu’un personnage ressemble à quelque chose qui a déjà été fait, çà ne m’intéresse plus du tout et je le supprime immédiatement. D’ailleurs, je ne me fie pas seulement à mon propre avis ni à ma mémoire. Quand j’envoie un script à mes amis pour leur demander leur avis, je les incite à me dire sans hésitation s’ils l’ont trouvé original, ou si malgré moi, inconsciemment, quelque chose a ressurgi de ma mémoire en me poussant à croire que c’était une idée nouvelle alors que ce n’est pas le cas. Mon cerveau d’auteur est toujours focalisé sur la recherche de choses inédites. Mais quand j’y parviens, j’ai quand même des doutes. Je me demande s’il n’y avait pas une bonne raison expliquant pourquoi cela n’a pas été tenté avant ! Est-ce parce que ça ne fonctionne pas ? Ou tout simplement parce qu’on n’avait pas abordé le concept sous cet angle-là, pour le transformer, le subvertir ? Donc oui, j’essaie toujours de chercher des idées inédites, pour les choses capitales comme la structure de l’intrigue ou la conception du troisième et dernier acte, comme pour les détails les plus microscopiques, qu’il s’agisse d’un gag rapide ou d’une réplique comique. C’est mon obsession.

En toute franchise, nous n’avons vu venir aucune des surprises et des retournements de situation de l’histoire. Sans faire référence à des points précis de l’intrigue, pour ne pas gâcher l’expérience de nos lecteurs quand ils iront voir le film, pourriez-vous nous parler un peu plus de vos méthodes d’écriture, et de la manière dont vous développez les multiples conséquences des situations ?

Pour moi, c’est toujours extrêmement important de déterminer quelle sera la première partie de l’histoire, avant même que je ne me lance dans l’écriture du script. J’ai besoin de savoir dans quelle direction nous nous dirigeons jusqu’au moment où l’on arrive au milieu du film. J’ai écrit suffisamment de scénarios pour savoir que quelle que soit la fin que vous aviez imaginée initialement, une fois que vous vous lancez dans l’écriture, que les personnages prennent vie et que les situations se présentent, vous allez forcément arriver à un point où vous vous direz ‘Oh, mais l’histoire ne peut pas s’achever comme ça ! Ce serait mieux de prévoir cette autre fin !’ À force de constater cela, j’en suis arrivé à ne mettre en place qu’une simple ébauche de la deuxième partie quand je développe un nouveau projet, parce que je veux pouvoir rester ouvert à toutes les choses que je vais découvrir en avançant, et qui vont naturellement se transformer en moments importants de la structure narrative. En observant ce qui surgit dans les pages, vous vous dites ‘Comme j’ai mis cela en place, puis fait intervenir ces autres personnages ici, cela ouvre de nouvelles intrigues et possibilités de rebondissements.’ Ma méthode consiste donc à construire et bien détailler toute la première partie du récit, puis à élaborer la structure de la seconde moitié en me basant sur ce que j’ai appris en créant la première, et en développant les sentiments et les motivations de ces personnages. Cela m’aide à lier toutes leurs trajectoires et à les combiner dans le cadre de l’intrigue.

Subir ou se révolter

L’un des aspects les plus frappants du point de vue d’Iris est son histoire d’amour contrariée. Et les abus psychologiques et physiques qu’on lui inflige…


Je ne sais plus exactement à quel moment j’ai pris conscience que je ne racontais pas une histoire de SF traditionnelle, mais que ce film était en réalité le récit d’une rupture sentimentale. Si l’on retire les aspects scientifiques, le suspense, les moments d’épouvante et les scènes d’action, il s’agit de l’histoire d’une jeune femme qui se rend dans un endroit isolé et qui se rend compte que sa relation avec son conjoint est toxique. Elle a été programmée - au sens littéral et métaphorique - pour aimer ce type, Josh. Et le cheminement qu’elle entreprend consiste à trouver la manière de retrouver son indépendance, et de se libérer de cet homme qui a controlé toute sa vie. J’ai écrit COMPANION il y a trois ans déjà, et je ne me souviens plus quand cela m’a paru évident. En y repensant, je me suis dit, ‘bien sûr que c’est la chronique d’une relation et des tourments d’une rupture.’ Il y a de nombreux petits moments qui jalonnent le récit comme les panneaux signalétiques des étapes de l’histoire d’amour d’Iris, tous les petits obstacles, les moments où elle prend conscience qu’elle a évolué, pris du recul par rapport à sa situation en analysant les choses. C’est une relation nocive, et un homme qui ne lui convient pas. Elle finit par penser ‘il faut que je lui échappe. Je dois l’effacer de ma mémoire, de mon cerveau.’ Quand j’en suis arrivé à ce point de compréhension intime du personnage d’Iris, c’est cet angle qui est devenu la colonne vertébrale de l’histoire. Et à chaque étape de son cheminement personnel, Iris se rapproche du moment où elle pourra finalement se débarrasser de cet homme.

Dans cette époque post « Me Too », COMPANION peut aussi être considéré comme une satire de l’objectification des femmes dans notre société. Iris, d’une certaine manière, est presque comme ces ravissantes « épouses-trophées » que l’on voit au bras des millionnaires, puisqu’elle peut être achetée…Et même louée !

Initialement, je n’ai pas abordé cette histoire en pensant ‘je vais imaginer un récit consacré au mouvement Me Too ou à la masculinité toxique’. Mais dès que vous commencez à écrire l’histoire de quelqu’un qui est contrôlé, l’antagoniste doit forcément être la personne qui exerce ce contrôle : c’est la seule façon de procéder. Une fois que j’ai commencé à construire le parcours personnel d’Iris, il a fallu que je conçoive celui de Josh. Et le découvrant, on se rend compte que son évolution est celle d’un homme amer qui pense ne pas avoir reçu de la vie tout ce qu’il aurait souhaité, alors qu’en réalité, il a été élevé dans un milieu favorisé où on lui a probablement donné tout ce qu’il voulait. A présent, il se retrouve dans une position où la seule chose dans sa vie sur laquelle il devrait avoir un contrôle absolu est Iris, et voilà qu’elle ne veut plus vivre avec lui ! Elle veut le quitter ! C’est un échec cinglant pour lui. Et c’est aussi la raison pour laquelle ma scène préférée du film est celle où Iris parle avec Josh au téléphone et lui annonce qu’elle veut rompre. Aussi simple qu’elle paraîsse, nous avons dû préparer plusieurs versions de son montage pour arriver à celle qui fonctionne bien. Quand vous tournez une conversation de ce genre, vous filmez chacun des interlocuteurs, du côté d’Iris et du côté de Josh. Nous avons fini par nous rendre compte que ce qui ne marchait pas initialement était que nous restions surtout du côté d’Iris annonçant la rupture, alors qu’à ce moment précis, c’est Josh qui subit cela de plein fouet. C’est un tournant qui, à partir de ce point-là, va le mener dans une spirale infernale. Pendant la narration visuelle de la scène, j’avais besoin que tout le monde comprenne que sa souffrance n’est pas d’ordre physique, même si Josh a été un peu malmené juste avant. Ce qui le pousse vers de point de non-retour est l’affront qu’il subit parce que sa petite amie rompt avec lui. C’est son ego qui est blessé, et cette nouvelle motivation émotionnelle le pousse à agir. Toutes ses décisions suivantes vont passer par ce filtre de colère et d’amertume, et découler de cet instant.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

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