COMPANION, quand la science-fiction donne le frisson- entretien exclusif avec l’auteur-réalisateur Drew Hancock - 3ème partie
Article Cinéma du Mardi 18 Mars 2025
Retour sur cet excellent thriller d’anticipation, en salles depuis le 31 janvier, et dont une jeune femme timide est l’héroïne.
Quand la réalité rejoindra-t-elle la fiction ?
Vous y avez fait brièvement allusion, mais avez-vous parlé avec des spécialistes de l’I.A. et de la robotique avant de vous lancer dans l’écriture du script ? Et si tel a été le cas, leurs réponses vous ont-t-elles donné des idées ?
Je ne me suis pas lancé dans des recherches très spécifiques pour construire cette histoire. Mais au début, j’avais besoin de savoir si la technologie que je décris pourrait exister. C’est tout ce qui m’importait. Je voulais savoir d’ici combien de temps elle serait à la disposition du public. Après avoir lu les déclarations de plusieurs experts, il semblerait que des compagnions robotisés pourraient exister d’ici une quinzaine d’années, que la technologie pourrait les rendre possibles, en tous cas. Raymond Kurzweil, qui est l’un des spécialistes / philosophes / scientifiques / futurologues les plus réputés dans ce domaine considère que c’est une estimation tout à fait crédible. Dès que j’ai appris cela, j’ai été rassuré, et je me suis dit ‘Parfait, maintenant que je suis sûr que c’est possible, ce qui va être intéressant à imaginer, c’est la manière dont on va contrôler tout ça’. En effet, si de tels robots arrivaient sur le marché, il faudrait d’abord légiférer pour établir la manière dont ils devraient être réglés pour ne pas mettre les consommateurs en danger. Il faudrait concevoir des lois fixant des limités à leur force physique et leur intelligence, pour encadrer les risques. J’aime ce genre de sujets. C’est très amusant à imaginer, une fois que j’ai nourri mon cerveau avec les informations réelles et que je me demande ce qu’il faudrait créer dans un monde où cette technologie existerait déjà.
Avez-vous consulté aussi des interviews d’hommes qui achètent des poupées grandeur nature articulées avec des peaux en silicone, et s’en servent d’accessoires sexuels ? Ces simulacres de compagnes vous ont-ils inspiré des choses que Josh dit et fait avec Iris ?
Non, je n’ai pas consulté de temoignages de propriétaires de ces poupées sexuelles. J’ai préféré puiser dans le Josh qui sommeille en moi. Mais heureusement, il ne constitue pas une grande partie de ma personnalité, sinon, j’aurais de gros problèmes psychologiques ! (rires) Il s’agissait plutôt de se mettre à sa place, d’adopter son point de vue sur les événements qui se déroulent, d’imaginer son raisonnement et les choix qu’il décide de faire ensuite. Je voulais que tout cela soit un processus logique et crédible, basé sur ces faits. D’une certaine manière, on pourrait aussi considérer que Josh a raison, que Iris, au fond, n’est qu’un objet utilitaire, au même titre qu’un aspirateur ou une macine à café. On pourrait aussi imaginer une version de ce film dans laquelle on adopterait totalement sa vision des choses. Personnellement, cela ne m’intéresserait pas autant, car Iris est celle dont le spectateur se sent le plus proche. Mais pour répondre plus précisément à votre question, je n’ai pas regardé d’interviews vidéo de possesseurs de ces poupées sexuelles en silicone, parce qu’il s’agit d’une technologie qui en est à ses débuts. Ces hommes achètent des compagnes très rudimentaires, qui ne ressemblent pas encore à de vrais êtres humains. Quand on les voit, on se rend compte que l’on est clairement dans le registre de « la vallée de l’inconnu » (uncanny valley), comme à l’époque où on n’arrivait pas à créer des personnages 3D hyperréalistes totalement convaincants...Mais cela n’a pas d’importance, car je pouvais puiser mon inspiration ailleurs : il y a pléthore d’homme aigris, qui considèrent qu’ils n’ont pas reçu de la vie ce qui leur était dû. Le sujet concernait moins ces gens qui ont recours actuellement à ces technologies, et davantage la vision que certains hommes ont des femmes et aussi de ce qu’ils mériteraient d’avoir. Dans ce monde où l’on a tendance à dire à tous les gens qu’ils sont les héros de leur propre histoire, et des personnes uniques, on peut aisément les manipuler et leur faire croire qu’il ont droit à des choses qu’ils n’ont pas vraiment mérité de posséder, faute d’avoir fait les efforts nécessaires, d’avoir travaillé dur et de s’être accomplis dans leur propre domaine. Et je crains que ce genre de messages existe jusqu’à la fin de l’humanité !
Hantises personnelles
De quelles manières avez-vous utilisé ce qui vous effraie le plus dans la vraie vie pendant que vous imaginiez les situations et les rebondissements de COMPANION ?
Je dirais qu’il s’agit à nouveau de manipulation, et de la scène où Iris se retrouve seule sur la plage avec Sergey. Ce qui est le plus effrayant, c’est l’engrenage de cette situation dans laquelle on voit comment des gens peuvent vous manipuler parce que vous avez de l’empathie et que vous êtes une personne sympathique et confiante. C’est de cette manière que l’on peut vous tromper et vous entraîner dans des choses vraiment effrayantes, uniquement parce que vous voulez bien faire et être gentil avec quelqu’un. Au début, Sergey se contente de dire à Iris « Vous êtes heureuse de passer du bon temps ici chez moi en tant qu’invitée, alors tenez-moi compagnie, ça me ferait plaisir ». Et cela semble raisonnable. Quand vous observez le visage d’Iris au moment où elle accepte de s’asseoir sur la chaise longue à côté de celle de Sergey, il est clair qu’elle est inquiète et préférerait se trouver ailleurs. Il la révulse, mais elle n’a pas envie d’être impolie ni ingrate, alors elle se force à rester.
Comment avez-vous employé les effets spéciaux concrets et les trucages numériques pour représenter les caractéristiques robotiques d’Iris, et ce qu’elle peut faire pendant les scènes d’action ?
J’ai essayé d’avoir recours le moins possible aux effets 3D, et de filmer surtout des trucages en direct. Je précise que je n’ai rien contre les effets visuels numériques : ils ont leur utilité. Mais pour diriger la mise en scène et faciliter le jeu des acteurs, je préfère les effets concrets, que l’on utilise sur le plateau, et que tout le monde voit pendant que l’on filme. C’est particulièrement utile dans COMPANION, car ces moments jouent un rôle important. Par exemple, je voulais que les comédiens manipulent réellement les appareils de contrôle, utilisent les applications que nous montrons à l’image, et sachent où se trouvent ces boutons sur les écrans tactiles de leurs tablettes ou de leurs autres appareils. Il fallait qu’ils les manipulent aussi vite et efficacement que les autres applications de leurs smartphones, tout en jouant leurs personnages. Je ne voulais surtout pas que l’on ajoute cela pendant la postproduction, car c’est en tournant ces plans directement qu’ils sont devenus crédibles et efficaces. Dans d’autres cas, on peut s’appuyer sur les effets numériques pour effacer des choses dans le cadre, ou amplifier ce que l’on a déjà tourné en prises de vues réelles. Mais il faut prévoir les choses dans cet ordre-là : partir de ce qui a déjà été filmé en vrai pour le retoucher en digital si c’est nécessaire et vraiment utile pour raconter l’histoire. En ce qui concerne les scènes d’action, pour prendre l’exemple du plan dans lequel Iris place sa main au-dessus de la flamme d’une bougie, et qu’elle commence à brûler, c’est la performance de Sophie Thatcher qui vous permet de voir la peur et la douleur dans le regard d’Iris. C’est cela qui fait fonctionner ce moment et le rend pénible pour les spectateurs. Nous nous sommes contentés d’amplifier les flammes réelles en les rendant plus hautes avec des simulations 3D, mais au moment du tournage de la scène, Sophie pouvait interagir avec le faux bras et la fausse main qui avait été installée, et sentir la chaleur du vrai feu. Elle a pu réagir à cette situation, donner l’impression que tout cela se produisait réellement et que sa main était bel et bien en train de brûler. C’est tellement important pour les comédiens de pouvoir vivre le moment, et d’interagir avec les éléments d’une scène comme celle-là. Ça n’aurait pas été pareil si nous avions seulement demandé à Sophie de porter un gant vert, en lui disant ‘Bon, alors là tu vas tendre ton bras, et plus tard, on le fera brûler d’ici à là.’ C’est tellement mieux pour une actrice de voir où le feu démarre, quelle est sa couleur, la chaleur et la fumée qu’il provoque, de voir cette fausse main brûler et d’interagir avec tout cela.
L’apport créatif des acteurs
Quelles suggestions Sophie et Jack vous ont-ils faites au sujet de leurs personnages respectifs ?
Oh, ils ont eu énormément d’idées ! J’essaie toujours de ne pas en dire trop sur les personnages dans le script, pour préserver un peu d’ambiguité, de possibilité d’interprétation. Cela me permet de mettre en place un processus collaboratif plus ouverts avec les comédiens, afin que le film ne repose pas uniquement sur mes choix. Je souhaitais que Sophie réagisse et me parle de ses idées pour Iris. Si je prends l’exemple de son aspect, son maquillage, sa coiffure et ses tenues, c’est Sophie qui a été à l’origine de tous les choix que vous avez vus dans le film. Au départ, nous étions partis sur une perspective masculine, en nous disant que si Josh objectifie cette jeune femme, c’est certainement lui qui a choisi sur catalogue son aspect et ses vêtements. En suivant ce raisonnement, lors de nos discussions initiales avec la cheffe costumière Vanessa Porter, nous étions partis sur un look sexy rappelant celui de Britney Spears dans ses vidéoclips de la fin des années 90. Un côté « Lolita » aguicheuse, avec des tenues infantilisantes. Mais quand Sophie est arrivée, elle a tout de suite vu que nous faisions fausse route en utilisant ces clichés. Elle nous a dit ‘Ça ne marchera pas. Ma vision d’Iris serait qu’elle soit habillée comme Anna Karina dans les films français de Godard des années 60, pendant la nouvelle vague’ . Elle voulait lui donner l’allure d’une jeune femme moderne, intelligente et indépendante, qui a envie de s’accomplir dans la vie. Et elle avait raison. Ce traitement-là de son maquillage, sa coiffure, et ses vêtements était juste assez stylisé et rétro pour préserver un petit côté « poupée joliment apprêtée », tout en convenant bien à la personnalité d’Iris. Dès que nous avions filmé des tests avec ces vêtements et ce look, nous avons vu que cela correspondait parfaitement au personnage, et que Sophie se sentait totalement à l’aise en portant ces tenues, ce qui est extrêmement important…Les suggestions de Jack Quaid ont été également très précieuses. Nous avons longuement exploré ensemble les différentes manières d’aborder le comportement de Josh dans les situations du film. Devait-il être un peu maladroit, distrait et amusant, bref globalement sympathique ? Ou devait-il arborer un grand sourire tout en agissant comme un petit ami épouvantable, un sale type ? Nous nous demandions aussi jusqu’à quel point nous devions laisser transparaître ses intentions. La solution a consisté à changer constamment de ton et d’attitude, pour préserver l’ambiguité des situations. Quand nous tournions avec Jack, il jouait une version de la scène de la manière la plus chaleureuse et sympathique possible, puis une autre avec une attitude antagoniste, avec plus de folie dans le regard, de manière à brouiller les pistes autour de Josh. Au moment du montage, nous disposions toujours de deux options, celle avec le Josh sympa, et celle avec le Josh inquiétant. Nous avons fini par utiliser surtout les prises où Josh est agréable et drôle. Mais Jack a vraiment joué à fond toutes les facettes de son personnage sur le plateau, et je lui en suis très reconnaissant.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Si vous voulez tout connaître sur l’histoire des trucages, dans le cinéma, les séries, le maquillage, le cinéma d’animation et les plus belles attractions des parcs à thème, offrez-vous EFFETS SPÉCIAUX : 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, la bible des SFX, unanimement célébrée par la presse comme l’ouvrage absolument incontournable sur le sujet, avec 848 pages, 2500 photos dont beaucoup exclusives, et les interviews de 160 des plus grands spécialistes mondiaux ! Vous découvrirez des anecdotes incroyables sur les tournages des films et séries cultes, et vous saurez exactement comment les moments les plus étonnants de vos œuvres favorites ont été créés !
Pour vous procurer ce livre de référence en un clic sur Amazon, c’est par Ici.
