LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – La Vallée de Gwangi
Article Cinéma du Mardi 28 Novembre 2023

Par Pascal Pinteau

La Vallée de Gwangi ( The Valley of Gwangi) USA 1969 Réalisation: Jim O’Connolly. Scénario : William Best et Julian More d’après une histoire de Willis O’Brien. Production : Ray Harryhausen & Charles H. Schneer. Effets visuels : Ray Harryhausen. Musique : Jerome Moross. Avec : James Franciscus, Gila Golan, Richard Carlson. Couleurs. Distribution : Warner. Durée : 1h36. L’histoire : A la fin du 19ème siècle, la séduisante T.J. Beckenridge et sa troupe de cowboys se déplacent de ville en ville pour présenter un spectacle sur le thème de l’Ouest sauvage. Excellente cavalière, T.J. participe aussi aux numéros de rodéo. Hélas, les recettes s’amenuisent et la faillite semble inévitable à moins de trouver une idée sensationnelle pour attirer les foules. Alors que la troupe s’est installée dans une petite ville au Sud du Rio Grande, T.J. reçoit la visite de son ex-fiancé Tuck, qui a quitté le spectacle par crainte de s’engager davantage dans leur relation. Il semble le regretter, mais ce n’est pas la seule raison de sa venue : travaillant désormais pour le show de Buffalo Bill en tant que fournisseur de purs sangs, et sachant que T.J. a des problèmes financiers, il lui propose d’acheter son meilleur destrier pour l’aider. Mais la jeune femme dispose encore d’un atout qui pourrait devenir une attraction sensationnelle : un cheval guère plus grand qu’un chien et surnommé El Diablo comme s’il était le fruit d’une facétie démoniaque. Tuck ne croit pas à ces superstitions, et le professeur Bromley, un paléontologue réputé, lui apprend qu’il s’agit d’un eohippus, animal que l’on croyait disparu depuis des millions d’années. Aux abords de la ville, les gitans dirigés par Zorina ont entendu parler de la créature et savent qu’elle provient d’un site sacré : la vallée interdite. Ils veulent l’y ramener pour éviter qu’une malédiction ne frappe la population. Ils kidnappent El Diablo, et T.J., Tuck et Bromley organisent une expédition pour le retrouver. Ils y parviennent et l’eohippus les conduit jusqu’à un accès étroit. Il s’agit du passage qui mène à la fameuse vallée interdite, où s’ébattent d’autres créatures préhistoriques, dont un tyrannosaure particulièrement féroce. T.J., Tuck et leurs équipiers tentent le tout pour le tout et le capturent au lasso. Rebaptisé Gwangi, le T-Rex va devenir la star de leur nouveau spectacle…

Le projet de son mentor Willis O’Brien

En 1942, quelques jours avant son départ à l’armée, Ray avait été invité par Willis O’Brien dans les studios RKO pour y découvrir les illustrations et maquettes préparatoires en carton de son nouveau projet, LA VALLEE DE GWANGI. Enthousiasmé par les dessins de cowboys capturant des dinosaures au lasso et par les magnifiques storyboards que son mentor a patiemment préparés, Ray veut en savoir plus. Son idole lui apprend que Gwangi est un mot amérindien qui signifie lézard, et que c’est la raison pour laquelle il a baptisé ainsi l’allosaure qui est la créature principale de cette histoire…Le temps passe, et quand Ray travaille sur MIGHTY JOE YOUNG, il demande à O’Brien où en est son autre projet. Obie lui confie une copie du scénario et lui explique que LA VALLEE DE GWANGI devait être tourné en couleurs et co-financé par la RKO et par Colonial Pictures. Mais les tests nécessaires pour adapter les techniques de rétroprojection à la couleur ayant duré un an et coûté 50 000 dollars, la RKO s’était retirée du projet, et Colonial avait refusé de récupérer le travail déjà effectué alors que O’Brien ne demandait que 30 000 dollars pour le céder. Ce fut une terrible déception pour lui, d’autant que son autre projet War Eagles venait d’être annulé peu avant…Vingt-cinq ans plus tard, en fouillant dans ses archives, Ray retrouve le script de LA VALLEE DE GWANGI, et prend plaisir à le relire, même si certains passages lui semblent trop lents pour séduire le public moderne. Charles Schneer croit aussi au potentiel de cette histoire, et en achète les droits. Le scénariste William Bast est engagé pour réviser le script et intégrer les idées que Ray a développées sous la forme de huit illustrations. Julian Moore y contribue aussi dans un second temps. Ray et Schneer prévoient de collaborer à nouveau avec la Columbia, mais elle refuse le projet, jugeant son budget préparatoire trop élevé. Heureusement, pendant le tournage d’UN MILLION D’ANNEES AVANT J.C., Ray a fait la connaissance du producteur Kenneth Hyman, dont le père, l’agent Elliot Hyman, a racheté la Warner. Kenneth Hyman n’a pas oublié l’énorme succès remporté par cette aventure préhistorique, grâce aux dinosaures de Ray et au sex appeal de Raquel Welch. Un accord est donc rapidement signé entre Morningside et la Warner, et la production du film débute.

Un western vraiment unique

L’excellent James Franciscus est engagé pour tenir le premier rôle, et comprend bien ce que l’on attend de lui dans ce film dont la vraie star sera le dinosaure animé par Ray. Il se montre d’ailleurs très intéressé par cet aspect du tournage. La charmante Gila Golan est choisie pour incarner l’héroïne T.J. Breckenridge, mais ayant été élevée en Israël puis en Pologne, elle en a conservé un accent qui ne convient guère à son personnage de cowgirl. Ses dialogues seront doublés par une comédienne américaine. Laurence Naismith est de retour après sa prestation dans JASON ET LES ARGONAUTES, cette fois-ci dans le rôle du professeur Bromley. Ses interventions vont apporter des petites touches humoristiques au récit. La mise en scène est confiée à Jim O’Conolly, qui a signé des films policiers et plusieurs épisodes de la série LE SAINT avec Roger Moore. C’est bien évidemment l’Espagne qui est choisie pour représenter le Mexique, grâce à des décors extérieurs filmés dans les environs d’Almeria et de Cuenca, tandis que les intérieurs sont tournés dans un studio de télévision de Madrid. Les formations rocheuses inhabituelles de Ciudad Encantada deviennent celles de la « vallée interdite », tandis que le village de Tabernas est choisi comme décor de la séquence finale. Les deux arènes qui apparaissent successivement dans le film sont celles de Colminar et d’Almeria. Après avoir méticuleusement préparé le tournage pour qu’il puisse progresser au rythme rapide dicté par le budget, Charles Schneer doit s’adapter à l’imprévisible, et notamment à une météo capricieuse. L’absence de soleil nuit à la netteté et au contraste des images d’arrière-plans destinés aux trucages en Dynamation, mais Ray doit se contenter de ce qu’il est possible d’obtenir dans ces conditions défavorables.

Le casting des dinosaures

Dans le projet initial d’O’Brien, Gwangi était un allosaure, mais Ray décide de rendre l’animal plus impressionnant en lui attribuant aussi des caractéristiques de T-Rex. Il ne fabrique qu’un seul modèle de Gwangi. Il mesure 30cm et est doté d’une armature très perfectionnée, afin de pouvoir être animé dans les situations très variées du film. Ray a soigné les détails de sa sculpture pour lui permettre d’apparaître en plan serré. Le minuscule cheval préhistorique, l’eohippus (appelé aussi hyracotherium) est un peu plus petit en réalité qu’à l’écran, puisqu’il ne mesure que 17cm. Deux autres animaux, le ptérodacyle et l’ornithomimus, sont réalisés en deux exemplaires, à des échelles différentes : 20cm pour les gros plans, et 10cm pour les plans larges. Le styracosaure à la collerette hérissée de cornes hérite de l’armature du tricératops d’UN MILLION D’ANNEES AVANT J.C.. L’animation débute en octobre 1967 dans le local des studios de Shepperton que Ray utilise depuis plusieurs années. Il craint de s’attaquer à la première scène en Dynamation, celle de la révélation de l’eohippus, car il va s’agir de la première fois où son animation va être comparée aux mouvements d’un animal réel. Après avoir décalé le plus possible le moment de son tournage, il se lance enfin. Malgré le rythme rapide de son travail, il est plaisamment surpris par le résultat : l’animation du petit cheval semble fluide et naturelle. Pendant la scène de l’attaque du ptérodactyle, qui happe le petit garçon mexicain, Ray synchonise les mouvements du jeune acteur suspendu à des câbles à ceux de la marionnette. Il utilise ensuite une figurine de l’enfant. Au moment du tournage, il a fallu employer une réplique grandeur nature du ptérodactyle pour filmer la fin de sa chute, lorsqu’il se retrouve plaqué au sol par un cowboy. L’effigie réalisée en latex par l’équipe espagnole des effets spéciaux ne plaît pas à Ray, mais en alternant les plans courts en prises de vues réelles et les plans plus larges et plus longs en Dynamation, la scène fonctionne relativement bien.

Une jeep et des cowboys

L’une des séquences les plus marquantes du film est celle qui avait émerveillé le jeune Ray lorsqu’il avait découvert les dessins d’O’Brien : la capture au lasso de Gwangi par des cowboys. La première difficulté à résoudre au moment du tournage est de simuler la présence du T-Rex, et de permettre aux lassos de s’accrocher à quelque chose d’assez haut et de suffisamment puissant pour offrir une résistance, et tirer sur les cordes. La solution trouvée par Ray a consisté à utiliser une jeep sur laquelle une tige de métal de 4m60 de haut a été solidement fixée. Des petites pointes horizontales permettent aux lassos de rester accrochés en hauteur, à l’endroit de la tige qu’ils ont atteint. Mais il fallait aussi trouver comment « effacer » le véhicule des images de fond servant à la Dynamation, car il ne pourrait pas être caché derrière Gwangi. Là aussi, Ray a trouvé une idée lumineuse : ces scènes ont été tournées en deux temps, avec un cache vertical : quand la jeep se trouve dans la gauche de l’image, cette moitié est obscurcie et on ne filme que ce qui se passe à droite. Ensuite la position du cache est inversée, on rembobine la pellicule, et on tourne les actions des cowboys à gauche, pendant que la jeep placée sur la droite est masquée. Dans le composite final, les lassos s’accrochent sur quelque chose d’invisible, au milieu de l’image, et c’est donc là que Ray place la marionnette de Gwangi. Il aligne ensuite des fils de cuivre peints dans le prolongement des vrais lassos en rétroprojection, et donne ainsi l’impression qu’ils s’enroulent autour du cou du T-Rex. C’est un exercice de précision et de virtuosité extraordinaire. Une fois capturé, Gwangi est présenté dans une arène, à l’intérieur d’une cage dont il ne tarde pas à s’échapper, après avoir dévoré le gitan de petite taille qui l’a libéré... Le T-Rex en Stop-Motion doit alors croiser le chemin d’un véritable éléphant, mais les aléas du tournage en ont décidé autrement. Alors que Ray avait demandé à un dresseur local de faire venir un pachyderme de plus de 4 mètres, celui qui finit par arriver à la toute dernière minutes est un petit spécimen de moins de deux mètres. Ray est catastrophé, car il paraîtra minuscule à côté du T-Rex. Schneer et lui décident donc d’ajouter une scène en Dynamation, qui va nécessiter la construction d’une marionnette d’éléphant, mais qui sera finalement bien plus spectaculaire que ce qui aurait pu être tourné avec un véritable animal.

Un final flamboyant

Ce n’est qu’une fois arrivé en Espagne que Ray a trouvé l’endroit idéal pour tourner l’affrontement final entre les héros et Gwangi : l’église de Cuenca, qui est en cours de ravalement, et dont la partie supérieure est hérissée d’échafaudages qui lui donnent une allure étrange. Les autorités locales ont accepté de laisser l’équipe tourner à l’intérieur. Ray a choisi des cadrages qui lui permettront de placer des caches et contre-caches adaptés aux formes des colonnes et des éléments architecturaux, afin d’insérer Gwangi dans cet espace. Pendant l’animation, il soigne énormément les raccords d’ombres et de lumières pour donner l’impression que le T-Rex se déplace réellement dans l’église en poursuivant les héros. Ils finissent par s’en débarrasser en jetant une vasque enflammée sur des chaises, provoquant un incendie qui va terrasser le dinosaure. Les images de Gwangi se débattant au milieu des flammes sont le fruit d’une longue préparation. Ray a commencé par photographier une partie de l’intérieur de l’église pour servir de fond d’image, à partir d’une diapositive. Il a construit ensuite des éléments miniatures raccordant avec cette vue et les a placés devant l’écran de rétroprojection, afin de pouvoir y mettre le feu et de filmer l’incendie en réduction à 96 images/secondes. Après avoir obtenu ainsi les images en mouvement de l’arrière-plan, il anime Gwangi devant, puis ajoute en surimpression des flammes filmées sur fond noir, obtenant ainsi un composite dans lequel le T-Rex est entouré par le feu. Quand Ray achève l’animation du film, il arrive à un total de 400 plans en Dynamation, un score qui dépasse tous ceux de ses films précédents. Pour des raisons légales complexes, Morningside ne peut pas citer Willis O’Brien au générique, comme Ray l’aurait souhaité, mais seulement le scénariste principal. Malheureusement, la Warner change de propriétaire peu avant la sortie du film, et comme cela arrive souvent dans ces cas-là, le nouveau régime qui se met en place veut faire table rase de tout ce qui a été initié par le précédent. C’est ainsi que le budget publicitaire de La Vallée de Gwangi est sacrifié et que cette production spectaculaire se retrouve – et c’est là une véritable insulte pour ses créateurs – distribuée en « double séance » avec une série B dans les salles de cinéma bon marché, comme s’il s’agissait d’un sous-produit. Ainsi maltraité, le film n’a guère de chance d’être jugé favorablement par les critiques. Mais celui de Variety prouve son incompétence et son absence totale de sensibilité artistique en décrétant que les effets spéciaux sont « primitifs et imitent maladroitement ceux de films précédents » ! On se demande bien dans quels films des années 60 il aura pu voir de meilleures confrontations animées entre humains et dinosaures…Mais oublions ces propos absurdes. Le film trouvera son public plus tard, et de nombreux paléotologues diront à Ray que ce film et le précédent ont contribué à faire naître leurs vocations scientifiques. Le cinéma étant un millieu aussi impitoyable que les jungles préhistoriques, Morningside se trouve à la croisée des chemins à la fin des années 60. Le triomphe de UN MILLION D’ANNEES AVANT J.C. est oublié, mais pas le flop de LA VALLEE DE GWANGI. Ray tourne définitivement la page des dinosaures, et d’un commun accord avec Charles Schneer, décide de voyager à nouveau dans l’univers de mille et une nuits qui leur a porté chance en 1958…

La suite de notre saga Ray Harryhausen apparaîtra bientôt sur ESI.

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