MICKEY 17 : Les coulisses du tournage - 1ère Partie
Article Cinéma du Vendredi 02 Mai 2025
Entretien avec Fiona Crombie (Cheffe-décoratrice) et Catherine George (Cheffe-costumière)
LES DÉCORS
Comment avez-vous trouvé votre place dans cet univers ?
Fiona Crombie (Cheffe-décoratrice) : J’ai adoré le scénario. J’attendais depuis toujours l’occasion de participer à un projet de science-fiction car c’est un genre que je n’avais pas encore exploré et que je me demandais si c’était un registre qui stimulerait ma créativité. Et puis, quand j’ai lu, à la cinquième page du script, qu’un scientifique trébuchait sur un câble, je me suis dit « C’est bien mon univers. » Les personnages font des gaffes, ils ne sont pas parfaits, ils évoluent dans un monde un peu chaotique, ils commettent des erreurs, tout simplement parce que ce sont des êtres humains. Je me suis alors dit que je pouvais trouver ma place dans cet univers et concevoir les décors. Dans le document que j’ai présenté, il y avait un mélange d’espaces industriels fonctionnels et de labos, mais aussi d’éléments viscéraux et bruts – des liquides organiques et d’autres choses de ce genre – et tout un ensemble disparate. J’ai intégré tout cela à mon document de présentation : il a plu, ce qui était bon signe.
Comment avez-vous aménagé les espaces du vaisseau ?
Fiona Crombie : Ce qui m’a inspirée, c’est de passer en revue toutes sortes de navires en état de fonctionnement : sous-marins, pétroliers, vaisseaux de marchandises, salles des machines, et les espaces de vie et les lieux de transit qui s’y trouvent. Cette documentation m’a beaucoup inspirée et j’ai alors dit à Bong « On devrait imaginer des espaces exigus, comme si on avait considéré que les espaces de vie étaient la dernière roue du carrosse. » J’avais récemment découvert, à l’occasion de mes recherches, qu’un sous-marin possède deux moteurs. Si l’un tombe en panne, on peut toujours se reposer sur le second. Autrement dit, la place disponible dans un sous- marin semble beaucoup plus vaste qu’elle ne l’est réellement. Les espaces sont disposés autour des moteurs. Du coup, même s’il s’agit d’un grand vaisseau, les espaces de vie sont réduits à la portion congrue – et l’équipage doit grimper un escalier ou contourner un obstacle pour rejoindre une cabine. Il y a toujours quelque chose dans un coin ou un angle étrange. Ce qui m’intéressait aussi, c’était le style dénué d’esthétique des décors. Nous travaillons dans un studio de tournage et je vois toujours les mêmes choses qui se répètent : je vois les mêmes meubles, la même signalétique, la même palette de couleurs dans ce lieu très fonctionnel qu’est un studio de cinéma. C’est assez proche de ce qu’on a essayé d’obtenir à bord de notre vaisseau. Les espaces de vie sont modulables. Ils se ressemblent tous et ont été utilisés à de nombreuses reprises. Comment savoir si le moindre élément est neuf ? Tout pourrait provenir d’un entrepôt. Je voulais que ce décor soit accessible à tous. Il y a une très importante signalétique à bord, beaucoup de panneaux indicateurs. Il y a aussi pas mal de dangers mortels qui nourrissent une esthétique qu’on peut qualifier de fonctionnelle et de neutre. Certains diraient qu’ils sont ternes et sans intérêt. Mais ils rejoignaient ma conception de cet univers.
Quelles références avez-vous utilisées pour créer l’aspect de la bio-imprimante 3D ?
Fiona Crombie : J’ai commencé par m’intéresser à d’authentiques bio-imprimantes qui permettent de recréer des organes humains. Et je me suis rendu compte qu’elles avaient une apparence assez rudimentaire. En revanche, pour nous, c’est la machine la plus hi-tech. C’est même le dispositif le plus sophistiqué du film si bien qu’il devait se trouver dans un espace à part. C’est la couleur qui le singularise – et c’est d’ailleurs le seul objet qui ait cette teinte et cette texture qu’on identifie facilement comme relevant du domaine informatique. On a aussi passé en revue des IRM. On voulait vraiment avoir une machine de forme circulaire car il y a beaucoup de cercles dans le film. On souhaitait aussi qu’elle ait l’air de défier les lois de la gravité. J’ai commencé à faire quelques croquis, sous différentes versions, je les envoyais à la production, qui me les renvoyait, puis je les corrigeais etc. On s’est rapidement mis d’accord sur la forme, puis on a attaqué les détails – quelles parties sont amovibles, où sont les ouvertures qui bougent et tournent etc. On dirait que la machine s’adapte constamment aux différentes versions de Mickey.
Et le recycleur ?
Fiona Crombie : Le recycleur, ce sont un peu les boyaux du vaisseau. Bong ne voulait rien d’exceptionnel, mais un dispositif banal. Pourtant, d’une certaine manière, c’est un système hors du commun. Car c’est un objet étrange. Au fond, c’est un broyeur à déchets, un fourneau, qui traite les matières organiques et en recycle certaines pour créer un être humain. Le dispositif est très abstrait et intéressant, mais je tenais à ce qu’il soit intégré à un espace dans lequel on peut entrer et, surtout, qui soit cohérent. Par conséquent, si on tient compte de sa fonction, c’est un lieu banal avec des objets du quotidien comme des cônes de signalisation et des balais. Cette pièce est froide, humide, sale et – j’en suis sûre – elle pue !
Les décors oscillent entre opulence et minimalisme...
Fiona Crombie : S’agissant du couple Kenneth-Ylfa, on voulait vraiment exprimer leur abus de pouvoir. À mes yeux, ils incarnent une mentalité coloniale : « Je vais dans un nouveau territoire extraordinaire, mais j’y apporte tout ce que je possède car ce sera toujours mieux que ce que je vais y trouver. » C’est cet état d’esprit qui a nourri mon approche. Cela faisait des mois qu’on y travaillait avec [la chef- costumière] Catherine George et on savait dans quelle direction on avançait. Mais j’ai eu une révélation en voyant Mark (Kenneth) et Toni (Ylfa) dans la cafétéria et je me suis dit « ce sont les seuls qui ont droit de porter des couleurs. » J’avais déjà imaginé une pièce dans les roses et un espace VIP dans les dorés. Mais en les voyant, avec leurs tenues aux couleurs vives, j’ai pris conscience qu’ils n’obéissent vraiment pas aux mêmes règles que les autres. Cela se vérifie très nettement quand on se rend dans leur espace personnel.
Vous avez conçu un futur familier…
Fiona Crombie : Très en amont, on a discuté pour savoir où commence l’invention et où elle s’arrête. Car, d’un point de vue pratique, je ne pouvais pas tout inventer, et surtout pas dans un monde qui devait autant fourmiller de détails. Si je m’étais contentée d’un décor ultra-minimaliste, il n’y aurait pas eu de problème. Mais comme je voulais créer un univers extrêmement riche, il me fallait utiliser de véritables objets. Pourtant, c’est ce que j’aurais sans doute fait dans tous les cas car je voulais qu’on puisse facilement se projeter dans cet univers. Je ne voulais pas d’un décor qui en mette plein la vue. Il fallait que le spectateur puisse se dire « Je connais cet endroit. Je pourrais y être. » Quand les équipes du département artistique et les décorateurs de plateau ont commencé à travailler sur les décors, il leur a fallu une minute pour comprendre de quoi il s’agissait. C’est cette esthétique de science-fiction très minimaliste qui nous a guidés. Je ne cessais de répéter « si un bol trouve sa place dans cet univers, pourquoi le réinventer ? Idem pour un stylo. » (rires) À un moment donné, on s’est dit « l’humanité a renoncé à réinventer le stylo parce qu’il fonctionne en l’état » (rires) C’était notre logique : une chaise est une chaise, une poubelle est une poubelle, un évier est un évier. C’était notre parti-pris pour pouvoir se concentrer sur les éléments qui en avaient besoin – comme la bio-imprimante 3D – afin de faire avancer l’intrigue.
LES COSTUMES
Comment avez-vous souhaité envisager le futur ?
Catherine George (Cheffe-costumière) : C’est toujours délicat d’essayer d’anticiper le futur, surtout quand on voit les films qui ont tenté de le faire. C’est un gros pari. On peut viser juste pour certains éléments. Mais en réalité, personne ne s’attend à ce qu’on envisage le futur avec précision. Au cours de nos discussions, à chaque fois que je montrais à Bong des éléments futuristes à partir de mes recherches, il me disait que ce n’était pas la bonne voie à suivre. Quand on était en pleine prépa, il est devenu évident qu’il voulait un univers plus fonctionnel, plus industriel – un monde plus sale, plus ancré dans la réalité. Je voyais bien dans quelle direction l’équipe des décors s’engageait dans le même temps. On a alors eu l’idée de mettre au jour les mécanismes intérieurs – comme ils l’avaient fait pour la machinerie du vaisseau –, de révéler l’intérieur, en creusant l’idée que rien n’est camouflé : il s’agit bien d’un univers pratique et fonctionnel. C’est ce qui nous a guidés pour la création des tenues de l’équipage.
Et comment avez-vous différencié Marshall et Ylfa ?
Catherine George : Marshall s’inspire du style de plusieurs dirigeants d’hier et d’aujourd’hui. Au cours de nos recherches, on a créé un mood-board ( collage de photos de références de textures, formes et couleurs, NDLR) de différents styles, puis on a privilégié les styles les plus extrêmes. En réalité, Marshall est un homme politique raté. Il n’a pas réussi sur Terre et il se sert de cette mission pour tenter de prendre le pouvoir. Il est cupide et prétentieux et cela se voit dans ses tenues. Mais comme c’est un raté, il a très mauvais goût. Il voudrait amuser la galerie, mais pas dans le meilleur sens du terme. Il est assez ringard. Ylfa le soutient beaucoup. Elle voudrait être sa Première Dame. Elle essaie de se rendre aimable auprès de l’équipage et des agents. Elle porte beaucoup de rose – et dans son appartement, elle a choisi du rose, du doré et du noir. Ils ont l’air totalement décalé à bord du vaisseau : ce sont des dirigeants qui sont tout simplement hors sol et en déphasage avec la réalité qui les entoure, et c’est manifeste à travers leur style vestimentaire.
Vous avez aussi mis au point des uniformes.
Catherine George : Nous avons voulu différencier l’équipage des agents de sécurité. Les agents, eux, portent des gilets tactiques pare-balles, qui s’inspirent des uniformes actuels de la police, et on voulait qu’ils aient l’air puissant. Il existe un tissu tricoté spécial, utilisé pour les gilets pare-balles, mais on a choisi, là encore, de ne pas les camoufler, comme pour le reste. Les tenues de Mickey sont conçues pour les Remplaçables. Et, d’ailleurs, elles sont jetables. Elles sont totalement fonctionnelles. Elles comportent pas mal d’ouvertures et elles sont faciles à enfiler – et on a utilisé bon nombre d’aimants pour les boutons. On peut l’attraper facilement à travers son uniforme et lui enlever les manches – pour des injections ou des expériences. Et bien entendu, comme l’a exigé Bong, on a ajouté à sa tenue un rabat pour les fesses qui le rend encore plus vulnérable.
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