DAREDEVIL : BORN AGAIN – Entretien avec les réalisateurs Aaron Moorhead et Justin Benson
Article TV du Vendredi 09 Mai 2025
Les réalisateurs de cette quatrième saison nous parlent de leurs choix stylistiques et visuels, influencés à la fois par la saga télévisée originelle et par une série de comics qui a marqué à jamais l’histoire de Daredevil et des BD pour adultes…
Selon vous, à quoi l’extraordinaire popularité de la série DAREDEVIL est-elle due ?
Aaron Moorhead : Je pense que les gens sont attachés à cette franchise et à Daredevil pour plusieurs raisons principales. La première tient au fait que les auteurs et dessinateurs de Marvel racontent de formidables histoires avec ces personnages depuis plus de 60 ans. Il y a eu tellement de sagas mémorables dans les comics…D’ailleurs le sous-titre de notre série, BORN AGAIN, est en fait une sorte de transgression, au point où nous en sommes arrivés dans la pop culture. Certaines personnes, qui pour des raisons quelconques, n’aiment pas les BD appelées romans graphiques, les différencient de la littérature, en les considérant comme des oeuvres inférieures à des romans... Quand on connait le niveau de qualité d’écriture de ces récits, on se dit que ces gens-là devraient faire au moins l’effort de les lire, puis de traiter les romans graphique avec le même respect qu’un livre. La saga de Daredevil est l’une des meilleures sagas de super-héros jamais racontées. Et la série de comics “BORN AGAIN” écrite par Frank Miller et dessinée par David Mazzucchelli en 1986, faisait partie de ses moments les plus impressionnants. Nous avons tenu compte du fait que certains points-clés de l’intrigue de cette saga – mais pas tous - ont déjà été traités dans la saison trois de la série Netflix…Cela étant dit, dans DAREDEVIL : BORN AGAIN, nous avons fait beaucoup de choix stylistiques, y compris des choix d’éclairages, directement basés sur les illustrations de cette série de BD… Mais pour revenir à votre question, je pense que l’autre grande raison pour laquelle cette franchise, ce justicier et cette adaptation télévisée ont tant de fans est tout simplement dû au fait que la série originale de Netflix est un chef-d’œuvre. On peut la classer sans aucun problème parmi les meilleures séries dramatiques policières des dernières décennies, même si elle est consacrée à un super-héros. Ce que les producteurs de cette série ont accompli en humanisant à ce point Matt Murdock et Wilson Fisk est tout simplement remarquable. Ils les ont distancié des archétypes des précédentes adaptations de BD de super-héros, et ont réussi à les transformer en véritables êtres de chair et d’os, crédibles, complexes et émouvants. Même Fisk, qui est quelqu’un que l’on peut considérer comme l’un des pires criminels de New York, devient attachant quand on découvre ce qu’il a vécu pendant son enfance, puis quand le voit tomber éperduement amoureux de Vanessa. Il dévoile son côté vulnérable, et on découvre un être humain, pas un cliché. C’est l’un des grands accomplissements de cette série, et l’une des raisons pour lesquelles son héritage a perduré.
Comment avez-vous approché le traitement adulte, violent et réaliste de cette histoire ?
Justin Benson : Les critères que nous essayons de respecter correspondent en fait à nos propres attentes, en tant que fans de la série originale et du personnage. Le genre d’épisodes que nous avions envie de mettre en scène reposait sur ce qui nous a fait aimer la série de Netflix : son apreté, son réalisme, ses visuels sombres et granuleux. L’action se déroule au niveau de la rue et des gens ordinaires, même si nos héros vivent des situations extraordinaires. Ce sont des personnages complexes, aux pensées sombres. L’action est parfois extrêmement violente, mais cette violence n’est pas gratuite. Elle a pour but de montrer que les combats ont des conséquences terribles et bien réelles, comme quand cela se passe dans la vraie vie, dans la rue. Nous montrons que les coups portés font très mal, que les jets de poignards blessent, et que les chutes du haut d’un immeuble tuent. Il ne s’agit pas de moments d’action stylisés et plaisants, mais de luttes sanglantes. Il y a donc beaucoup de choses dans la série originale qui nous ont inspirés et guidés, tout comme les bandes dessinées de Frank Miller et beaucoup d’autres comics où l’on voit que Daredevil est une personne qui saigne, souffre, et qui prend des risques terribles en sachant qu’il n’est pas invulnérable et que s’il est trop gravement atteint, il ne pourra pas revenir à la vie. Il n’a aucun super-pouvoir en dehors de celui de son esprit, même s’il a bien sûr des sens anormalement aiguisés. Mais un criminel lourdement armé peut représenter une menace mortelle. Tout peut basculer d’une sconde à l’autre et avoir des conséquences bien réelles pour lui. Et c’est vraiment intéressant à voir quand on suit ces aventures. Nous pouvons nous identifier fortement à la fragilité de Matt Murdock, aux risques qu’il prend. Il y a aussi tous les conflits psychologiques que Matt doit gérer seul, et qui le hantent. Ce que lui dicte sa foi s’oppose à ce côté plus sombre qui surgit lorsqu’il se bat contre des criminels sans scrupules, et cela le tourmente. Ces deux hommes hors du commun que sont Wilson Fisk et Matt Murdock doivent gérer à la fois des enjeux extérieurs importants et des conflits intimes qui les obsèdent. C’est ce que nous avions besoin de décrire dans ces épisodes. Il nous fallait atteindre ces objectifs extrêmement élevés, et les mettre en image d’une manière presque lyrique, comme dans un opéra moderne. Mais les enjeux majeurs de cette histoire concernent la nature profonde de ces personnages. Ils ne sont ni matériels ni surnaturels.
Comment Matt Murdock a-t-il évolué depuis ce que nous avions vu à la fin de la saison 3 ?
Aaron Moorhead : Matt Murdock est un avocat aveugle qui exerce sa profession à New York, et fait partie de ceux qui ne sont pas motivés uniquement par l’argent. Sa vocation a toujours été d’aider les gens humbles et ceux qui ont été victimes des circonstances et méritent de se voir offrir une seconde chance. Bref, ce n’est pas un avocat comme ceux sur lesquels on ironise habituellement dans les blagues. Idem pour ses vieux amis Karen Page et Foggy Nelson : ce sont des gens bien, agissant avec de nobles intentions. Cela étant dit, Matt n’est pas naïf non plus. Il ne gagne pas à chaque fois lorsqu’il défend quelqu’un qui semble innocent. Même si le fonctionnement du système judiciaire l’a frustré maintes fois, il y croit malgré tout et l’aime encore. Il est toujours content de se lever le matin pour se rendre à son travail. Mais il ressent aussi le besoin d’agir autrement, de faire quelque chose en dehors du système judiciaire, et c’est la raison pour laquelle il est devenu un justicier masqué. Quand nous le retrouvons dans cette saison de DAREDEVIL : BORN AGAIN, Matt Murdock a vraiment fait un grand pas en avant dans sa vie professionnelle. Le cabinet d’avocats qu’il a co-fondé avec Karen et Foggy n’a plus de difficultés et marche bien. Mais dans le premier acte de cette histoire, Matt est confronté à quelque chose qui le bouleverse jusqu’au fond de son âme. Matt est depuis toujours un catholique pratiquant, et en tant que croyant, cela le traumatise spirituellement.
Où Wilson Fisk en est-il de son évolution, depuis ce qui lui est arrivé dans la série ECHO ?
Justin Benson : Fisk a évolué depuis les événements décrits dans la troisième saison de DAREDEVIL. Il se remet à peine de ce qui lui est arrivé dans ECHO, au cours de sa confrontation avec Maya Lopez, qu’il considérait presque comme sa fille adoptive. Nous savons depuis ce moment-là qu’il veut changer son image, et rompre – au moins en apparence - ses liens avec ses anciennes activités criminelles. Fisk a désormais des ambitions politiques…Mais les choses ont changé dans sa vie privée, parce qu’il est resté absent depuis longtemps, sans donner de nouvelles, pendant qu’il se reconstruisait mentalement et physiquement. Lorsqu’il revient à New York, son épouse Vanessa est surprise, car elle en était venue à le croire mort… Comme Vanessa ne comprend pas pourquoi il ne lui a donné aucun signe de vie, il y a une vive tension entre eux. Elle ne lui pardonne pas d’avoir disparu du jour au lendemain, et d’avoir été abandonnée ainsi. Quand on connait Fisk et Vanessa, on sait qu’ils sont faits l’un pour l’autre, et que leur couple est leur univers. Si vous ne comprenez pas leur relation fusionnelle, alors vous ne pouvez pas les comprendre du tout. Ils sont complètement enchevêtrés l’un à l’autre, par des liens étranges et très intéressants à explorer…Dès que nous les retrouvons, ces tensions relationnelles font vaciller leur monde. Désormais, Fisk a l’ambition de devenir le nouveau maire de New York. On se demande bien pourquoi au début. Est-ce une prise de pouvoir complète sur la ville qui le motive ? Est-ce une stratégie que Vanessa a mise en place? Fisk veut-il simplement changer son image, devenir populaire et faire en sorte que les gens l’aiment ? Nous explorons très sérieusement les différents aspects de ces questions en tant que cinéastes et conteurs. Et notamment celle-ci : Fisk se soucie-t-il vraiment de New York ? C’est un homme très intelligent, qui connaît bien les coulisses de la ville, ses problèmes, ses bons et ses moins bons côtés. Après tout, avec toute l’expérience qu’il a acquise, il est peut-être la bonne personne pour corriger ce qui ne va pas...ou peut-être la pire option qui soit ! (rires). C’est cette ambiguïté qui est tellement intéressante chez lui, parce que sa personnalité est complexe. Toutes les réponses auxquelles on songe pourraient être les bonnes, pour différentes raisons étranges…Ayelet Zurer, qui incarne Vanessa, est une actrice qui travaille son rôle en profondeur et réfléchit beaucoup aux motivations de son personnage. Vanessa a une opinion extraordinairement forte et claire de qui elle est, et de la puissance de ses liens avec Fisk. Toute sa vie tourne autour de lui, et vice versa. De ce fait, toute décision qui doit être prise ne peut pas être prise unilatéralement : ils doivent la prendre ensemble. Et quand la série débute, son mari lui manque, il a disparu sans donner de nouvelle, elle est contente qu’il soit vivant. Mais on apprend que furieuse contre lui, elle a en fait commis un acte hors des liens de son mariage qui les bouleverse tous les deux…Professionnellement, Fisk ne peut rien lui reprocher. Vanessa s’est très bien débrouillée seule, et a créé une entreprise respectée dans le monde de l’art. il s’agit en fait d’un trafic d’œuvres d’art qui lui permet de blanchir aisément de l’argent sale, issu de multiples activités criminelles, sans que personne ne puisse le découvrir. Elle a passé beaucoup de temps à élaborer ce système, afin que tout paraisse légitime à 100% aux yeux des experts, du fisc, et des autorités de police. Elle le décrit même en disant qu’il est « à l’épreuve des balles ». Bref, elle est officiellement une cheffe d’entreprise honnête, admirée par la haute société New Yorkaise, et sans aucun lien avec la moindre activité illégale. Mais quand Fisk est de retour, même si son amour pour Vanessa est toujours le même, il déboule comme un taureau dans un magasin de porcelaines, et risque de flanquer par terre tout ce qu’elle a savamment élaboré et mis en place pendant sa longue absence. Vanessa est déstabilisée, et finit par se demander si elle veut vraiment s’aligner sur sa vision des choses ou pas…
Pouvez-vous nous parler du traitement des séquences d’action et des combats, qui sont toujours aussi impressionnants ?
Aaron Moorhead : Ce serait impossible de parler des scènes d’action de la série sans parler du fabuleux travail de Phil Silvera. Phil Silvera était déjà le concepteur des cascades sur la série DAREDEVIL de Netflix. Il est aussi réalisateur de la seconde équipe sur DAREDEVIL : BORN AGAIN, et le chorégraphe des cascades de notre série. Justin et moi avons énormément appris en travaillant avec Phil. Sa méthode de travail consiste à conçevoir tous les enchaînements d’actions d’une scène, et de la filmer en vidéo de son côté, pour pouvoir nous la montrer et en discuter. C’est l’équivalent d’une prévisualisation, mais en prises de vues réelles, pas en animation 3D schématique. Grâce à ce travail préparatoire déjà très abouti, nous pouvions observer attentivement la vidéo tournée par Phil, et si nécessaire, remettre en question un seul coup - un coup de poing, un coup de pied, peu importe…Phil adaptait alors sa continuité en fonction de la modification demandée. Quand nous avions des questions à poser sur ces actions, Phil avait des réponses précises et logiques à nous donner sur toute sa chorégraphie. En l’écoutant, on comprend qu’il a pensé à chaque petit mouvement en synthétisant des centaines de milliers de conversations avec Vincent D’Onofrio, et avec Charlie Cox, qui joue Daredevil. Et qu’il a pris en compte leur approche très profonde et complexe de leurs personnages respectifs. Chaque geste d’action reflète leurs émotions, leurs caractères et leurs désirs. Phil a combiné tout cela avec sa passion sincère des bandes dessinées. Cette parfaite compréhension des personnages et de leurs aventures dans les comics constitue la base de ses chorégraphies de combats. Je crois que c’est la raison pour laquelle elles sont si différentes des bagarres habituelles de super-héros : ce qui se passe sous nos yeux semble avoir été pris sur le vif, dans la rue, et reste toujours crédible.
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