Le Cinquième Élément et la course poursuite du futur
Article Cinéma du Vendredi 23 Mai 2025
En 1997 sort un film qui est considéré par de nombreux français comme « très américain », et « très français » par de nombreux américains. Le Cinquième Élément est un vieux rêve pour Luc Besson. Ce fut d’abord un roman, inspiré par son amour pour les comics. Entamé par l’adolescent au milieu des années 1970, il ne fut jamais terminé. La carrière du cinéaste français décolle quelques années plus tard, et c’est après le tournage de Nikita qu’il se replonge dans son histoire de science-fiction. L’expérience aidant, il s’agit cette fois-ci d’un script. Qui prend de l’épaisseur, au point de devoir envisager deux films. Les studios Gaumont, qui ont travaillé sur Nikita, sont partants. Mais encore-faut il trouver un co-producteur américaine pour financer ce qui s’annonce comme le film français le plus ambitieux de tous les temps. Pendant ce temps, une département artistique est mis en place. Pendant un an, une talentueuse équipe d’une demi-douzaine d’artistes, chapeautée par les légendes de la bande-dessinée Jean « Moebius » Giraud (Métal Hurland, L’Incal) et Jean-Claude Mézières (Valérian et Laureline), va mettre en images les visions de Luc Besson. Peine perdue : aucun acteur d’envergure n’accepte de rejoindre la production. Il faudra le succès de Léon pour que Le Cinquième Élément obtienne une seconde chance. Les studios Columbia rejoignent Gaumont, et Bruce Willis accepte de partir à l’aventure dans l’espace. Mais avant de décoller, il va falloir survivre aux embouteillages new-yorkais…
L’anti Blade Runner
Korben Dallas entame à peine sa journée que Leeloo transperce le toit de son taxi volant - et sa vie rangée de vieux mec célibataire. Poursuivie par la police de ce New York de l’année 2263, la jeune femme le supplie de l’aider à s’enfuir. Et c’est ainsi que débute une impressionnante courte poursuite dans les canyons de cette mégalopole. « Luc nous a expliqué qu'il ne voulait pas faire ce qui a déjà été fait, il voulait que le film soit l'anti Blade Runner », expliquait le directeur de la photographie Thierry Arbogast auprès de Hero Magazine. « Il voulait un film beaucoup plus lumineux, beaucoup plus drôle et moins sombre. » Nous sommes cinq années avant la poursuite sur Coruscant de L’Attaque des Clones. Une éternité, à une époque où l’industrie des effets visuels entame sa mue pour embrasser les images de synthèse. Pour le chef décorateur Dan Weil, un éventail de techniques est sur la table : miniatures traditionnelles, infographies et matte painting numériques. « Lorsque Leloo se retrouve debout contre un mur, ce mur avait été construit en studio, mais la ville entière a été construite en post-production », expliquait Thierry Arbogast. « Comme nous avions une idée très précise du résultat final, nous avons installé un jeu de lumières spécifique pour que les acteurs sachent ce qui était censé se passer. Par exemple, lorsqu’une sorte de train vertical arrive, comme un ascenseur, nous avons fait en sorte que l'éclairage corresponde aux effets visuels qui seraient ajoutés lors de la phase de post-production. » Et c’est le récent studio d’effets visuels créé par James Cameron, Digital Domain, qui va s’en charger sous l’égide du superviseur Mark Stetson (Blade Runner, Waterworld).
Une révolution
85 maquettistes s’affairent à créer les modèles réduits des véhicules et immeubles new-yorkais. « Les voitures volantes sont fantaisistes et la scène se déroule en plein jour », rappelait Mark Stetson. « Le film est ancré dans une vision beaucoup plus utopique du futur que Blade Runner ». Pour prendre le relais du storyboard, Digital Domain inaugure un outil de prévisualisation 3D. Cela permet de préparer en amont chaque plan de la course poursuite, de générer un rudiment de trafic aérien et des mouvement de caméra qui seront appliquées lors du tournage des maquettes en prises de vues réelles. Grâce à cet outil numérique, il est possible de modifier à la volée la taille des immeubles – et ainsi d’aider les maquettistes à appréhender la taille, la variété et l’emplacement des miniatures qu’ils doivent concevoir. L’idée étant évidemment de ne pas perdre de l’argent en construisant des décors miniatures qui ne seraient jamais vus à l’écran. Et le logiciel permet de prévoir concrètement où la caméra filmera au-delà des limites physiques du studio – que ce soit les murs, le sol ou le plafond – et ainsi de savoir où des images de synthèse ou des matte paintings numériques seront nécessaires. Ce processus, typique en 2024, est révolutionnaire il y a près trente ans. Les gratte-ciels miniatures sont alors construits à l’échelle 1/24. « Nous avions entre 24 et 30 bâtiments miniatures, et ils étaient assez grands - jusqu'à sept mètres de haut par douze mètres de côté, ce qui remplissait le studio de Digital Domain », expliquait Stetson à American Cinematographer. « Quelques plans étaient entièrement constitués d'arrière-plans miniatures, mais la plupart du temps, nous avons fini par étendre le décor à l'aide de matte paintings en 2D.» Lorsque le tournage des maquettes débute, les mouvements de caméra sont ceux établis par le logiciel de prévisualisation. Ce n’est plus aux infographistes de s’adapter aux plans à truquer qu’ils reçoivent ; leur travail impacte le processus en amont. Une révolution est en marche, même si le processus ne s’avère pas encore tout à fait au point. « Il s'agissait surtout d'un formidable outil de communication entre l'équipe chargée des effets visuels et le réalisateur, qui permettait de clarifier le contenu de sa vision et de parvenir à une compréhension commune », s’enthousiasmait le directeur de la cinématographie des effets visuels, Bill Neil.
La fin d’une ère
En matière de tournage de miniatures, comme vous le savez peut-être grâce à Star Wars, chaque élément d’un plan est filmé séparément, en suivant le même mouvement de caméra. Et c’est un travail de compositing, en post-production, qui additionne tous les éléments pour créer le plan final. Ainsi les modèles réduits des immeubles sont filmés en premier, afin de recréer dans un second temps les lumières dynamiques qui éclairent les maquettes des véhicules selon leur positionnement au sein du paysage. Si le taxi de Korben et la principale voiture de police sont des modèles réduits à l’échelle 1/26, la majorité du trafic aérien - que l’on ne fait qu’apercevoir - est réalisé en images de synthèse (ce qui permet de décider rapidement du pourcentage de chaque type de véhicule constituant ce trafic). Mais pour certains plans, comme lorsqu’une voiture de police plonge soudainement afin de rattraper Leeloo (qui a sauté dans le vide), il est impossible de camoufler les points de fixation du support d’une maquette. Il s’agit donc d’un modèle 3D réalisé à partir d’un scan du modèle réduit. Au final, seuls cinq plans sont intégralement réalisés en images de synthèse – y compris les immeubles. Dont la chute dans la brume qui recouvre les niveaux inférieurs de New York. Compte tenu de l’ambition de ce film, le tournage des maquettes dure aussi longtemps que les prises de vues principales (avec acteurs) : environ 105 jours. Aux côtés de Starship Troopers, sorti la même année, Le Cinquième Élément marque le début de la fin du règne des modèles réduits traditionnels. Deux ans plus tard, La Menace Fantôme fera office de chant du cygne, avant que les images de synthèse prennent définitivement l’ascendant au cours des années 2000. Notons toutefois que les maquettes font toujours partie de la panoplie d’outils au service des sorciers des effets visuels. Elles sont simplement utilisées différemment, comme élément conceptuel ou objet à scanner pour être intégré dans une environnement 3D. Ou sur l’écran interactif d’un studio de production virtuelle (The Mandalorian). Le mariage de techniques diverses aura également permis au film de Luc Besson de marquer l’histoire du cinéma de SF.
Sources : Digital Domain: The Leading Edge of Visual Effects, VFX Blog, American Cinematographer, Hero Magazine, L’Histoire du Cinquième Élément
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