L’envers du décor de l’attaque des quadripodes
Article Cinéma du Mardi 27 Mai 2025
A l’occasion des 45 ans du film, nous vous proposons d’examiner brièvement la conception d’une bataille emblématique de L’Empire Contre-attaque, et donc de mettre en avant une technique bien connue des magiciens des effets visuels. Bien avant que les images de synthèse permettent de réaliser tous les rêves des cinéastes, l’animation image par image, ou stop motion, fut un formidable outil à disposition des conteurs de l’imaginaire…
Pierre-Eric Salard
A la source du cinéma
Parente du dessin animé traditionnel, cette technique, qui est aussi un moyen d’expression cinématographique (Wallace et Gromit), est liée à la nature-même du Septième art. Il s’agit d’obtenir un mouvement à partir d’objets immobiles que l’on prend en photo. Entre chaque image, un animateur modifie légèrement la posture ou la position d’un ou plusieurs objets, souvent articulés. Au final, c’est la projection des images à un rythme élevé qui crée l’illusion du mouvement. Cela nécessite une précision et une patience formidables, puisque pour obtenir une seconde d’animation, il faut couramment prendre 24 photos… en espérant ne faire aucune erreur qui contraindrait à recommencer le plan ! Dès 1897, Albert E. Smith et James Stuart Blackton animent des acrobates et animaux dans un court film, The Humpty Dumpty Circus. L’animation image par image permettra de concrétiser les rêves des cinéastes les plus patients. Ainsi Willis O'Brien enchantera les spectateurs grâce à son travail sur les créatures du Monde Perdu (1925). On doit à Ray Harryhausen de grands classiques réalisés à l’aide de stop motion, dont Le Septième voyage de Sinbad (1958), Jason et les Argonautes (1963) et Le Voyage Fantastique de Sinbad (1974).
Des éléphants dans la neige
Afin d’accomplir sa vision de Star Wars, George Lucas crée en 1975 le studio d’effets visuels Industrial Light & Magic (ILM). Sous la supervision de Phil Tippett (Mad God), l’une des équipes est chargée de concevoir l’animation des créatures du jeu d’échec installé à bord du Faucon Millennium. Ils abordent ainsi L’Empire contre-attaque (1980) avec une certaine expérience. Or Lucas décide de montrer la grande bataille du film, celle des quadripodes impériaux (aussi connus sous le nom d’AT-AT, ou TB-TT en français), dès le premier acte ! Evidemment, il s’agit d’abord de concevoir la séquence sur papier, grâce à des storyboards qui permettront aux animateurs de ne pas perdre une seconde sur un plan inutilisé. Ce qui représentera six mois de travail. Il est bientôt nécessaire d’appliquer de la pesanteur et de l’inertie à d’énormes tanks montés sur pattes (un design imaginé par Joe Johnston, futur réalisateur de Captain America, et inspiré par les travaux de Syd Mead), à l’échelle de jouets. Les animateurs s’inspirent notamment de la démarche d’un éléphant.
Une innovation technologique
Des obstacles techniques doivent toutefois être levés. « Le défaut de la technique du stop motion, c'est que le résultat semble saccadé », expliquait le co-superviseur des effets visuels Brian Johnson. « Le cerveau comprend instinctivement qu'il s'agit d'un trucage. Au sein de chacune des 24 images, la miniature reste statique ». Or l’innovation fait déjà partie de l’ADN d’ILM. Phil Tippett met ainsi au point le Go Motion, une variante de l’animation image par image. Cette fois-ci, la figurine articulée, placée devant de larges peintures sur verre (des paysages enneigés peints par Michael Pangrazio) et sur un plan de travail couvert de bicarbonate de soude afin de simuler la neige de la planète Hoth, est fixée sur un travelling motorisé et contrôlé par ordinateur. « Comme ces 'créatures' était mécaniques, nous voulions créer un cycle de marche que nous pourrions réutiliser à l'infini », précise Phil Tippett. Une fois que la position de la miniature est modifiée, la plate-forme de Go Motion la déplace d'un millimètre pendant que l'obturateur de la caméra reste ouvert. Les mouvements de la tête et des jambes se transmettent aux rouages et aux pistons. Cela permet d’obtenir un effet de flou qui fluidifie le déplacement, tout en atténuant les saccades dues à l’animation image par image.
Travail fastidieux
Ce processus améliore la qualité de l’animation, mais cela reste un exercice complexe. Comme l’expliqua ultérieurement le futur superviseur des effets visuels John Knoll (et accessoirement co-créateur de Photoshop), la décision de créer des environnements « entiers » permettait aux artistes et aux techniciens de contrôler les différents éléments constituant un plan. « L'éclairage, le contraste, la couleur et la composition devenaient des outils, plutôt que des contraintes. Cette approche et ses variantes furent utilisées pour la plupart des plans des quadripodes impériaux.» Pour atteindre les miniatures et modifier légèrement leurs postures, les animateurs sont contraints de passer par des trappes dissimulées sous la fausse neige, ou de faire leur ouvrage à partir de plateformes suspendues au plafond. « Dennis Murren photographiait une image et nous recommencions le processus à zéro », décrivait Phil Tippett. « Il ne fallait surtout pas toucher à la fausse neige. Or même notre respiration la faisait bouger ! » En 1980, les animateurs disposent heureusement d’un moniteur vidéo qui leur permet de vérifier immédiatement si la succession de mouvements est correcte. Le résultat doit absolument être parfait. Selon le superviseur des effets spéciaux Richard Edlund, « la moindre erreur peut détruite l'illusion pour toute la scène ». Plus d’une année de travail sera nécessaire pour créer de toutes pièces l’invasion des quadripodes. La magie existe : cette scène reste formidable quarante ans plus tard.
Sources : ILM : Thz Art of Special Effects, Star Wars: Les Archives (1977-1983), Tout l’art de Ralph McQuarrie, The Making of The Empire Strikes Back, Star Wars Insider, The Art of The Empire Strikes Back, Effets spéciaux: 2 siècles d’histoires, StarWars.com, Empire of Dreams: The Story of the Star Wars Trilogy
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