LA ROUE DU TEMPS, saison 3 : Entretien avec le showrunner, producteur exécutif & chef scénariste Rafe Judkins - 2ème Partie
Article TV du Lundi 02 Juin 2025
Votre passion et votre parfaite connaissance de cet univers vous ont donc porté chance, et permis de convaincre vos interlocuteurs…Mais quand Sony vous a choisi pour être le showrunner de la série, quelles ont été les principales difficultés à résoudre pour commencer à adapter ces romans ?
Oh, elles ont été et restent multiples ! D’abord, la saga littéraire de Robert Jordan est énorme, vraiment gigantesque. Le premier livre est paru en 1990. Robert Jordan est hélas décédé en 2007, mais en laissant suffisamment de notes préparatoires décrivant les livres à venir et la conclusion de l’histoire pour qu’un autre écrivain, Brandon Sanderson, puisse reprendre le flambeau et achever son oeuvre en 2013. En tout, la saga de « LA ROUE DU TEMPS » est composée de quatorze romans, dont trois rédigés par Sanderson. Il a aussi écrit une préquelle intitulée « NOUVEAU PRINTEMPS ». Tout cela représente non seulement une fresque d’une ampleur colossale, extrêmement dense, mais aussi une oeuvre dans laquelle la narration repose essentiellement sur les pensées et la perception intime des personnages. Pendant les événements les plus importants de ces livres, la grande majorité des points de vues n’est pas exprimée par des dialogues, mais par la description de ce qu’il se passe dans l’esprit des protagonistes. Et cela complique énormément notre travail d’adaption. D’autant plus qu’ensuite, lorsqu’ils prennent la parole, les personnages ne disent pas forcément ce qu’ils pensent vraiment ! (rires) Il faut donc tout remttre à plat et trouver des solutions visuelles et parfois dialoguées pour raconter tout cela. Nous faisons passer aussi des informations par le biais de l’interprétation des acteurs pour faire comprendre aux spectateurs les non-dits, les vérités et les mensonges…Cela complique souvent le processus de transposition. Mais ce qui nous aide beaucoup pour avancer, c’est que j’ai toujours su quelles étaient les choses que je préférais dans ces romans, et qui, à mon sens, mériteraient d’être mises en avant. Du coup, quand j’ai commencé à m’atteler à cette adaptation, j’ai voulu comparer mon point de vue à celui des fans, pour être sûr de ne pas faire fausse route. J’ai passé beaucoup de temps à me renseigner sur ce que les lectrices et les lecteurs appréciaient le plus dans la saga. Comme « LA ROUE DU TEMPS » a remporté un immense succès, il s’agit d’un public très vaste. En parlant avec des centaines de fans, j’ai vite constaté que chaque personne aime des choses différentes. J’ai appris par exemple que certaines lectrices ne s’intéressaient qu’à leurs personnages favoris. Je me rappelle de l’une d’entre elle qui m’a dit « Oh, en ce qui me concerne, je lisais les romans en sautant les chapitres consacrés à Egwene », tandis qu’une autre me confiait « J’adore les chapitres dédiés à Egwene, ce sont ceux que je trouve les plus intéressants, et de loin ! Par contre, je ne lis jamais les chapitres concernant Perrin ou Rand ! » (rires). J’ai donc compris que l’une des tâches les plus importantes qui nous attendait pendant le processus d’adaptation allait être de nous mettre au service de chacun de ces personnages, et de les rendre tous aussi intéressants les uns que les autres dans nos scripts, pour satisfaire tous les fans et le plus grand nombre de spectateurs ! Heureusement, à présent, j’ai appris à aimer tous les protagonistes de LA ROUE DU TEMPS. Je considère d’ailleurs que cela fait partie de ma responsabilité en tant que scénariste principal et showrunner. Il faut éprouver de l’affection pour tous les personnages que vous décrivez et faites vivre dans un script. Et comme nous les avons développés progressivement dans les deux saisons précédentes, je crois que nous sommes parvenus à les traiter tous de manière équitable et vraiment satisfaisante au cours de cette troisième saison.
De la page à l’écran
Comment décririez-vous les principales différences entre les romans et la manière dont vous les adaptez dans la série ? Pour condenser la saga, avez-vous omis totalement certains personnages, supprimé des situations ? Inversement, avez-vous créé des événements « composites » nouveaux qui vous permettent d’amalgamer plusieurs scènes de différents tomes ?
Oui, cela représente effectivement une grande partie de ce que nous devons faire pour transposer toute la saga. Les livres sont longs et très denses, vous savez. En tout, cela représente plus de 20 000 pages de contenu narratif ! De ce fait, l’essentiel de notre tâche consiste à imaginer comment condenser tout cela. Et pour y parvenir efficacement, nous ne pouvons pas nous contenter de ne faire que des coupes : nous devons inventer aussi des choses nouvelles. Si nous nous contentions de sabrer dans le texte, nous risquerions de donner aux spectateurs l’impression qu’ils sont en train de lire les notes en marge d’un roman, sans que l’histoire leur soit narrée visuellement dans toute sa richesse. On ne peut pas être aussi synthétique que cela. Nous tenons à présenter le récit de la meilleure manière possible, c’est très important à nos yeux. Nous devons aussi tenir compte du fait qu’une grande partie de notre public n’a pas lu ces romans et ne connaît ni cet univers, ni ces personnages. Ces spectateurs doivent donc découvrir un récit qui leur semblera complet et totalement satisfaisant en lui-même, indépendemment de la manière dont tout cela a été raconté dans les romans. Ce serait terrible s’ils avaient le sentiment que des morceaux entier du récit ont été coupés, alors qu’ils ignorent ce qui figurait initialement dans les livres ! Voilà la raison pour laquelle nous procédons ainsi. Vous savez, je suis sûr que certains fans des romans sont parfois frustrés en découvrant que nous avons ajouté de nouvelles péripéties ou inventé des personnages, alors que nous ne traitons même pas l’intégralité ce qui figure dans la saga littéraire…Mais cela fait partie de notre job de scénaristes. Nous devons créer une continuité narrative qui va sembler complète et cohérente à quelqu’un qui ne connaît pas cet univers, et qui va s’installer confortablement dans un fauteuil de son salon pour découvrir la série.
Une saga originale, qui s’affranchit de la tutelle de Tolkien
Ce qui est très appréciable dans la série, et qui la différencie de la référence absolue de la Fantasy – la saga du SEIGNEUR DES ANNEAUX - c’est que personne n’est entièrement bon ni mauvais dans LA ROUE DU TEMPS. Les héros principaux peuvent se tromper lourdement, provoquer des catastrophes et aider involontairement le camp du mal. On découvre aussi de nombreuses strates de conflits entre les différents royaumes et même au cœur de l’organisation des Aes Sedai, cet ordre qui forme et rassemble les femmes capables d’utiliser le pouvoir magique de l’Unique... L’un des défis que vous deviez relever en tant que showrunner consistait à présenter tout cela peu à peu au public, afin que ce soit compréhensible et relativement facile à suivre, et vous y êtes parvenu. Pouvez-vous nous parler de ce processus complexe, et de la manière dont vous avez utilisé votre connaissance des romans pour atteindre cet objectif ?
Volontiers. Pour réussir à présenter un univers aussi complexe aux spectateurs, il faut déjà mettre en place toutes les fondations du récit, les plus gros « blocs » de l’histoire, pour ainsi dire. Ensuite, au fil des épisodes, on doit parvenir à « tordre » tout cela en instillant de la complexité dans la structure narrative. C’est justement ce qui me plaît beaucoup dans les romans originaux de Robert Jordan : les personnages doivent constamment s’adapter à de nouvelles circonstances, et tout peut être remis en cause. On ne se retrouve jamais au cœur de batailles traditionnelles entre le bien et le mal. L’enjeu principal, dans l’univers de LA ROUE DU TEMPS, consiste à préserver l’équilibre des forces positives et négatives, non seulement parmi les royaumes et les détenteurs de pouvoirs magiques, mais aussi en chacun des personnages. En suivant leurs parcours, leurs évolutions personnelles, on découvre des parties d’ombre et de lumière en chacun d’entre eux. C’est ainsi que leurs traits de caractère, leurs niveaux d’agressivité ou de passivité sont révélés progressivement. C’est une chose que j’essaie toujours de décrire dans les scènes consacrées aux personnages de méchants. J’essaie de trouver quelque chose que je peux apprécier en eux, afin de me mettre à leur place et de comprendre leur point de vue. Une fois que je suis en empathie avec eux, je peux commencer à écrire ces scènes-là. Inversement, quand je travaille sur des séquences dédiées à nos héros, je tente de trouver des choses que je déteste dans leur comportement ou leur personnalité ! (rires) Je me demande « Qu’est-ce que je trouverais irritant ou de mauvais goût dans leur manière d’agir, si je les connaissais personnellement ? » C’est capital de prendre en compte la nature complexe du caractère humain quand on travaille sur un scénario. Nous avons tous des comportements contradictoires. Même si nous faisons beaucoup d’efforts pour devenir ce que nous aimerions être dans l’idéal, il y aura toujours des choses en nous que certaines personnes détesteront, et des parties de notre caractère qui seront très appréciées. Plus nous parvenons à intégrer ce genre de choses dans les comportements de nos personnages pendant le développement des scripts, plus ils semblent réels. J’adore les récits de Fantasy dans lesquels on a l’impression de suivre les aventures de vrais êtres humains aux personnalités complexes, même si le monde qui les entoure est fantasmagorique et imprégné de magie. Nous procédons d’ailleurs de la même manière avec les personnages non-humains, en tentant de trouver des éléments réalistes dans l’évolution de leurs sentiments et de leurs motivations. Je considère que l’une de nos tâches principales dans la création de la série consiste à nous concentrer sur la vérité émotionnelle des situations, puis à y rester fidèles.
La suite de notre dossier dédié à la saison 3 de LA ROUE DU TEMPS apparaîtra bientôt dans les pages d’ESI !
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