True Blood – Vampire, vous avez dit vampire ?
Article TV du Vendredi 27 Fevrier 2009
L’un des points forts de la rentrée télévisuelle américaine a été la diffusion de la nouvelle oeuvre du scénariste et producteur Alan Ball, créateur de la prestigieuse série Six Feet Under. Cette fois-ci, Ball s'attaque au fantastique en adaptant Sookie Stackhouse, série de romans écrits par Charlaine Harris, pour la chaîne payante HBO.
Par Pierre-Eric Salard
Du sang neuf à la télévision…
Après avoir obtenu l'Oscar du meilleur scénario pour American Beauty, Alan Ball supervise pendant cinq ans Six Feet Under, remarquable série consacrée à une famille qui tient une entreprise de pompes funèbres, et qui doit faire face au décès du père. « Six Feet Under parlait des sentiments primaires et de la peur de mourir », a déclaré Alan Ball. « Après avoir passé cinq années dans cet univers, je souhaitais vivement travailler sur un projet très différent ! » L’ultime épisode de cette série-culte est diffusé en octobre 2005 et Alan Ball réserve une surprise ahurissante aux fans, puisque pendant les cinq dernières minutes, on peut suivre en accéléré le déroulement de la vie de tous les protagonistes, jusqu’à leur dernier souffle. Une idée géniale, unique dans l’histoire de la télévision, et réalisée à la perfection, grâce à des maquillages de vieillissement hallucinants.
Après cette conclusion exceptionnelle, Ball tourne la page et signe un contrat de deux ans avec HBO afin de développer et produire des programmes originaux. Par une étrange coïncidence, il découvre les romans de Charlaine Harris avant une visite chez son dentiste. « J'étais en avance sur mon rendez-vous. En attendant, je suis donc allé flâner dans une librairie Barnes & Noble. Je suis tombé par accident sur le premier livre de la série, intitulé Dead Until Dark. Lorsque j'ai découvert ce livre, je l'ai immédiatement acheté. J'ai commencé à le lire... et n'ai pas pu m'arrêter ! (rires) » Alors qu'il entame le troisième tome, Club Dead, l'idée de transposer l’univers de Charlaine Harris sur le petit écran s’impose à Alan Ball. « Après les cinq saisons de Six Feet Under, qui exploraient les tourments abyssaux de l’existence et la crainte de la mort , j'avais envie de de me consacrer à des choses plus légères et plus amusantes. Ces romans étaient tellement originaux que je me suis dit qu'ils feraient une excellente série télévisée... » Alan Ball propose donc à Charlaine Harris d'adapter son oeuvre. Cette dernière avait déjà été approchée plusieurs fois afin de transposer ses livres en films, mais elle avait toujours fini par décliner les offres qui lui étaient faites pour des raisons d’« incompatibilités créatives » avec ses interlocuteurs. Mais le courant passe si bien entre elle et Alan Ball qu’elle accepte de travailler avec lui, et déclare même : « Je suis convaincu qu'il a compris l'essence de mes livres, et qu'il leur rendra justice ». Le producteur et l’auteur sont tous les deux convaincus que la télévision est le seul médium qui permettra d’adapter correctement les romans. « Le format des livres se prête parfaitement à la longueur d'une série », explique Alan Ball. « Condenser cette histoire en un film de deux heures la desservirait complètement. » True Blood est le premier aboutissement concret du contrat que Ball a signé avec HBO. Ses dirigeants, ravis, décident de produire le projet avec sa société, Your Face Goes Here Entertainment...
Des citoyens aux dents longues
True Blood narre la coexistence des Vampires et des humains dans la petite ville fictive de Bon Temps (en français dans le texte), située en Louisiane. Dans l'univers alternatif de cette série, les vampires existent et sont, depuis peu, officiellement reconnus par la société. Depuis l'invention du sang synthétique Tru Blood par un scientifique japonais, les vampires sont passés du statut de monstres des légendes à celui de citoyens qui n’apparaissent que la nuit. Bien qu'ils ne soient désormais plus les proies des vampires, certains humains continuent à craindre ces créatures « qui viennent d'un cercueil ». A Bon Temps, la question est toujours dans les esprits : peut-on faire confiance aux vampires ? L'héroïne de la série est une serveuse qui sait parfaitement ce que ressentent les êtres différents. « Maudite » depuis son plus jeune âge, Sookie Stackhouse possède le pouvoir de lire dans les pensées des gens. Cette télépathe voit d’un bon oeil l'intégration des vampires dans la société, et tout particulièrement quand Bill Compton, séduisant vampire de 175 ans, s’installe en ville. Sookie tombe amoureuse du beau Compton, mais elle va enquêter sur les nombreux mystères qui entourent son arrivée... et se demander si le fameux Tru Blood comble réellement les besoins des vampires en matière de sang humain !
Des Vampires militants
Entre les lignes, les romans de Charlaine Harris traitent des injustices sociales comme l'exclusion et la discrimination. Le regard que porte majorité de la population sur la communauté des vampires est une parabole sur le statut des minorités raciales ou sexuelles. Les vampires désirent l'égalité des droits avec les humains « normaux » : ils veulent obtenir le droit de voter, de posséder des biens et de se marier. Mais dans la plupart des cas, ils ne récoltent que la haine des nombreux « vampirophobes ». Militant pour la défense des droits des homosexuels, Alan Ball précise cependant que la série n'est pas une simple métaphore sur la place des gays dans la société. True Blood est avant tout l'histoire de Sookie Stackhouse. « Avec ce matériel, nous disposons d’une histoire profonde, très bien élaborée, et de personnages fascinants », explique Alan Ball. «A part Sookie, les protagonistes n'occupent pas le devant de la scène dans les livres. Nous pouvons donc leur créer des nouvelles histoires tout en respectant l'univers décrit par les livres. C’est vraiment « le meilleur des deux mondes » : nous allons satisfaire les fans des romans, tout en ayant la possibilité de créer des scènes de toute pièces ! ». Mais l’auteur-producteur ne se contentera pas de reproduire les clichés habituels des histoires de vampires. « S'il s'agissait juste de montrer des personnages aux dents pointues, je ne serais pas impliqué dans ce projet. Les effets spéciaux ne m'intéressent pas. Nous voulons nous concentrer sur le mystère entourant Bill, sa nature, son passé. L'immortalité est-elle une malédiction ? Comment vivre le fait d'être immortel tout en ressemblant à un humain ? Ces questions me semblent intéressantes. Pour moi, les vampires sont des métaphores. Lorsque les dirigeants d'HBO m'ont demandé en quoi ce projet consistait, je leur ai répondu « les terreurs de l'intimité ». Et je pensais, « je ne sais pas ce que cela signifie, mais ça sonne bien » (rires) ! » Finalement, en y réfléchissant, je crois bien qu'il s'agit vraiment du thème central de la série » !
Une histoire à dormir dans un cercueil
Ball ne compte pas s'éloigner de l’arc narratif des huit romans de l’œuvre de Charlaine Harris : « Nous ajoutons de nombreuses scènes aux les évènements des romans qui sont narrés par le personnage principal. Mais nous désirons cependant coller à l'histoire des livres ». Contre toute attente, on ne trouve pratiquement aucun vétéran de Six Feet Under dans l'équipe de production de Tru Blood . « C’est un choix : Dan Minahan est pour l'instant le seul réalisateur d'un épisode de True Blood qui a auparavant travaillé sur Six Feet Under », précise Ball. « J’ai considéré que travailler avec de nouvelles personnes, c'est une opportunité d'apprendre des choses nouvelles. Et même si le directeur artistique et le monteur sont ceux de Six Feet Under, après cinq ans de collaboration, je n’avais plus envie de travailler avec les mêmes partenaires ». Parmi les scénaristes et producteurs engagés par Alan Ball, Nancy Oliver possède déjà une expérience insolite des vampires... car elle les a côtoyé dans le monde réel ! « Lorsque j'ai voulu déménager à Los Angeles, j'ai cherché un appartement à Hollywood », raconte-t-elle. « Lors d'une visite, le propriétaire me dit « au fait, vous devriez savoir que nous sommes des vampires. Tous ceux qui habitent dans cet immeuble le sont ». Je lui ai demandé si cela signifiait qu'ils travaillaient tous la nuit. Il m'a alors répondu « Non, non, nous sommes réellement des vampires ». J'ai dit que je rappellerai... (rires) ».
Mythologie vampiresque
Même s'il n'a jamais lu un livre d'Anne Rice (l’auteur de « Entretien avec un vampire »), Alan Ball demande à son équipe de scénaristes de respecter la mythologie de ces créatures. La majorité de l'action de la série doit se dérouler la nuit, car les vampires ne se promènent jamais à la lumière du jour. « C'est idiot de faire déambuler des vampires le jour juste pour ne pas avoir à tourner la nuit », dit-t-il à propos de la récente série Moonlight. « Je n'ai jamais vu Buffy contre les vampires ou Angel. Je ne suis pas spécialement fan de ces créatures nocturnes ». Ball abandonne cependant certains éléments de la mythologie « connue », qu'il estime « vieillots », comme les crucifix et les miroirs. Dans cet univers alternatif, les vampires ont créé eux-mêmes la plupart des légendes qui les concernent, dans le but de prouver qu'ils ne sont pas de simples mort-vivants... et aussi de se protéger grâce à cette désinformation qui inspire la crainte ! Autre entorse à la mythologie « classique » : leur sang peut guérir les humains ! C’est un concept intéressant, dont le potentiel pourra être exploité de maintes façons par la suite. Les vampires sont dangereux, mais pas manichéens. Comme les humains, certains sont gentils, d'autres mauvais. Leurs crocs (qui ne sont d’ailleurs pas leurs canines !) s'allongent lorsqu'ils sont nerveux, assoiffés de sang ou excités sexuellement. « Le besoin de s'alimenter et le désir sexuel sont profondément connectés », explique Ball. « Dans notre série, on voit les vampires essayer de se trouver une place dans le monde des humains. Or la société est naturellement basée sur le sexe et la violence. La sexualité est une fenêtre sur l'âme des gens. Six Feet Under parlait de répression tandis que True Blood est consacré à l’assouvissement des pulsions. C'est bien plus amusant à produire ! (rires) D’ailleurs, sans même tenir compte de l'intrigue, des histoires d’amour, de la violence et du sexe, les personnages sont souvent involontairement amusants... » Ball souhaite que le style de True Blood rappelle une série B. « C'est un hommage aux romans dont la série est tirée, et qui sont de véritables « pulp fictions » ! »
Un rôle en or
Un pilote, écrit, produit et réalisé par Ball, est commandé début 2007. Alors que le casting débute, Ball trouve vite la comédienne idéale pour interpréter Sookie. Oscarisée à onze ans pour son rôle dans La Leçon de Piano, Anna Paquin (Rogue dans la saga X-Men) postule activement pour obtenir le rôle de Sookie dès qu'elle met la main sur le script du pilote, en février 2007. Ball se souvient de son enthousiasme : « Au départ, je me demandais pourquoi Anna voulait faire de la télévision : elle menait déjà une belle carrière au cinéma ! De nombreux acteurs de cinéma préfèrent que leur carrière à la télévision reste derrière eux. Je pense qu’Anna a compris qu'aucun projet cinématographique actuel ne pourrait lui offrir un rôle aussi fantastique. Je craignais qu'elle refuse de se teindre les cheveux en blond, mais elle n'a pas rechigné. Je tiens à rester fidèle aux romans, mais la ressemblance physique n'est pas aussi importante que le jeu de l'actrice, qui doit insuffler au rôle la personnalité de l’héroïne des livres ». Lorsqu'elle se présente au casting, Anna Paquin est encore une belle brune venue de Nouvelle-Zélande. « Je suis désormais une blonde du sud ! », s'esclaffe-t-elle. « Il paraît que les hommes aiment regarder les blondes. Et c'est apparemment vrai ! (rires) ». Le slogan du livre est « avoir un vampire pour petit ami n'était peut-être pas une si bonne idée ». « Ce n'est effectivement pas vraiment la chose la plus simple du monde », explique Paquin. « Mais voyons le bon côté des choses : les vampires sont de meilleurs amants. Après plusieurs siècles, ils ont eu le temps d'apprendre de nombreuses techniques ! (rires) »
En route pour une seconde saison
Le tournage de l’épisode pilote débute au printemps 2007 aux alentours de Shreveport, dans une zone rurale proche de Los Angeles. Le principal trucage de la série concerne les crocs des vampires. « Nous avons longtemps travaillé sur leur physiologie », explique-t-il. « Je voulais approcher cet élément surnaturel non pas comme une erreur de la nature, mais comme un développement logique de celle-ci ». Le directeur artistique finit par s'inspirer des crocs rétractables des serpents... La musique de la série, elle, est confiée au compositeur Nathan Barr, qui joue lui-même les morceaux de guitare, de piano ou d'harmonica. En août, le pilote est dévoilé aux dirigeants d'HBO... Enthousiasmés, ils commandent immédiatement l'intégralité d'une première saison ! La production débute à l'automne, alors qu'Alan Ball finit d'écrire les scénarii des épisodes. Deux épisodes supplémentaires sont tournés avant la grève des scénaristes. Les neufs segments suivants sont tournés au premier semestre 2008. Lors de sa diffusion, le 7 septembre 2008, le pilote de True Blood réunit près de 4 millions de téléspectateurs. De nombreux critiques encensent son originalité et son esthétique, tandis que d'autres trouvent la série particulièrement stupide. Plutôt contemplatif, le pilote nous plonge dans un univers très particulier. La violence est bien présente, comme souvent dans les séries HBO, qui n’ont pas à se plier aux règles de censures qui sont imposées aux grands réseaux de télévision en diffusion libre. Mais True Blood ne se résume pas à son style original. Si l'histoire d'amour est plutôt simple, l’enquête sur l’origine des meurtres annonce le développement d’une mythologie intéressante. Autre atout : la série ne se prend jamais au sérieux , comme en témoigne l'astucieux montage sonore de la scène où Sookie entend par télépathie les pensées des clients de son bar. Le charisme d'Anna Paquin est tout à fait remarquable : grâce à elle, l'histoire d'amour ne sombre jamais dans le cliché. Si ce pilote n'est pas le meilleur épisode d'une série qu’ait signé Alan Ball, la seule présence de l'auteur au générique est un gage de qualité pour l'avenir. Cette première saison respecte scrupuleusement les évènements du premier tome de la saga, et les derniers épisodes commencent à présenter les thèmes du second, que l’on découvrira dans la deuxième saison, commandée par HBO le 17 septembre dernier. « Cette série pourrait durer plusieurs années. Il existe tellement de portes à ouvrir ! Et nous allons introduire un Vampire Viking... J'espère donc que cela va durer longtemps ! » a déclaré Alan Ball, visiblement très satisfait de cette bonne nouvelle. Le tournage de la seconde saison débutera à l'hiver 2008 pour une diffusion en été. Grâce à son ignorance parfaitement assumée des films et séries consacrés aux vampires, Alan Ball a réussi à réinventer ce qui était devenu un sous-genre du fantastique usé jusqu'à la corde. Selon lui, True Blood n'est cependant pas à mettre sous tous les crocs. « J'espère que les parents interdiront à leurs enfants de regarder la série : je ne tiens pas à les traumatiser ! »