Le retour de Superman au cinéma : Entretien avec la chef décoratrice Beth Mickle
Article Cinéma du Vendredi 19 Septembre 2025
Quelles ont été vos premières impressions en lisant le scénario de SUPERMAN ?
Ce qui m’a semblé le plus enthousiasmant, c’était de sentir, dès le script, qu’on allait pouvoir créer un film spectaculaire, lumineux, optimiste, coloré, solaire, et se démarquer de la noirceur pesante des films de super-héros de ces dernières années. C’était évident, à chaque page, que James voulait que le film soit divertissant, optimiste et qu’il vous donne la pêche !
Comment avez -vous conçu la palette de couleurs ?
Je suis partie d’All-Star Superman de Frank Quitely. James nous a dit qu’il souhaitait qu’on s’inspire avant tout de cette série d’albums. Elle date du début des années 2000 et elle se distingue par une palette chromatique très particulière. Les couleurs sont lumineuses et vives et il s’agit, pour l’essentiel, de couleurs primaires et de quelques couleurs secondaires, mais très peu de violet, rose et de turquoise. On a surtout privilégié les couleurs de Superman – le bleu, le rouge, le jaune – et un peu d’orange et de vert. Cette série a été notre plus grande source d’inspiration. Quand je l’ai eue sous les yeux, j’ai commencé par faire des captures d’écran de toutes les pages, puis j’ai découpé des extraits et des images pour composer les planches de couleurs. C’est ce qui nous a permis de voir clairement comment elles s’harmonisaient et comment Frank Quitely les avait réunies. Ensuite, on s’est inspiré de toiles d’Edward Hopper pour son utilisation de la couleur, ce qui nous a apporté une touche de nostalgie.
Pouvez-vous nous parler de votre conception de Metropolis ?
D’emblée, avec Judianna [Makovsky], on s’est dit que Metropolis devait sembler atemporelle, nostalgique, empreinte d’une atmosphère propre à l’Amérique profonde, pour que toutes les générations puissent se retrouver dans cette très belle ville, à la fois pleine d’espoir et idyllique. Puis, on a dit à James qu’on pensait toutes les deux qu’on pouvait ne pas se contenter de faire un film se déroulant en 2025 dans une ville anonyme, mais qu’on pouvait donner à Metropolis un vrai cachet qui saute aux yeux et qui soit atemporel. Il a tout de suite été partant.
Comment avez-vous imaginé les bureaux du Daily Planet ?
Le travail a été passionnant pour le Daily Planet. Au départ, on pensait le construire en studio et on a passé environ trois mois à le dessiner pendant la prépa. Je tenais à ce qu’il soit sur deux étages pour lui donner cette sensation d’ampleur et pour qu’il ne soit pas bas de plafond. Le décor devait faire penser au New York Times : il fallait qu’on puisse lever ou baisser le regard pour apercevoir plusieurs étages. Je voulais aussi qu’il y ait une mezzanine pour qu’on perçoive toute l’activité qui se déroule au niveau supérieur. James, lui, tenait vraiment à la longueur : la première fois qu’on découvre le décor, Clark sort de l’ascenseur et il passe un coup de fil à Ma et Pa tout en discutant avec Steve et en marchant. Avec mon équipe, on a délimité une longueur d’environ 45 mètres sur le plateau et on a rejoué toute la scène, mètre par mètre. On l’a même chorégraphiée pour voir le temps que ça prendrait en marchant d’un pas régulier – et on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas compter moins de 45 mètres. Mais comme on ne prévoyait pas d’y tourner suffisamment longtemps pour justifier le coût de la construction, on a essayé de voir si on pouvait trouver un site existant. Ian Easterbrook, notre formidable régisseur d’extérieurs, a fait un boulot épatant. On voulait que le décor fasse ancien et à Atlanta on ne trouve pas beaucoup de bâtiments d’architecture classique. Il s’est rendu à Macon où se trouve cette gare magnifique qui fait plus de 75 mètres de long. Elle comporte une superbe mezzanine, et quand on sort de l’ascenseur, on tombe sur un espace central où on pouvait installer le globe du Daily Planet et un bureau d’accueil circulaire tout autour. L’ensemble aurait donc une forme circulaire permettant à chacun de circuler facilement et à Clark de se frayer un chemin pour rejoindre son poste de travail. Ce n’était pas un bâtiment Art Déco, alors que c’est en général le cas du Daily Planet, et c’est donc le seul élément auquel j’ai dû renoncer. Mais les matières et la pierre étaient splendides, et on aurait dit que ce bâtiment existait depuis toujours. On a poursuivi notre réflexion sur les couleurs et, à ce moment-là, on était convaincus qu’on voulait surtout des tons orangés, dorés et verts, et j’en ai parlé à notre formidable décoratrice de plateau, Rosemary Brandenburg, et elle a trouvé ce très beau coloris citrouille. On s’en est servi pour tous les éléments de décors : les lampes, les bureaux, les armoires. Par chance, il s’agit d’un immense espace et suffisamment vaste pour que cette teinte orangée ne soit pas étouffante. C’étaient juste des touches de couleur citrouille aux quatre coins du décor.
Pouvez-vous nous parler d’un autre lieu emblématique de Superman, la Forteresse de la Solitude ?
La Forteresse de la Solitude, c’est un peu le repaire de Superman, comme nous l’a expliqué James, en faisant allusion à l’âge d’argent de DC Comics. C’est censé être un lieu de recueillement où il travaille, où sa curiosité intellectuelle est en alerte, où il a ses laboratoires. Dans les BD, il y a même un zoo où il rassemble toures les créatures extraterrestres venues de toutes les galaxies. On voulait que le spectateur comprenne immédiatement que c’est son QG. Au départ, James souhaitait qu’on parte de la vision de Richard Donner en se disant que le spectateur y était habitué, mais je pensais qu’on pouvait tenter quelque chose de différent, d’exaltant, d’inédit, tout en restant fidèle à l’original. On s’est donc renseignés sur la manière dont les cristaux se forment et jaillissent des formations rocheuses, comme on peut l’observer en labo ou dans la nature. Ensuite, je me suis intéressée à la manière dont l’eau frappe les rochers et se projette contre les parois des rochers – cela donnait une impression de mouvement qui rappelait l’explosion d’une croissance de cristaux. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de dynamique, comme un élan vers le ciel et un mouvement d’accélération. Je ne cessais de penser à une forme sculpturale, comme un monolithe, qui marque le paysage. Un jour, je suis tombée sur une superbe photo des années 50 ou 60 représentant une vague gigantesque qui percute un rocher et qui s’élève à 15 mètres au-dessus d’un petit homme, qui ressemble à une minuscule fourmi. Je l’ai découpée et collée sur un paysage plat et enneigé. Je me suis dit qu’il y avait là quelque chose de beau, de précis et de saisissant. On a réalisé entre 40 et 50 autres versions de la manière dont les cristaux peuvent s’assembler pour composer la Forteresse, mais c’est ce projet que j’ai d’abord présenté à James. Il m’a tout de suite dit «c’est notre Forteresse.» C’était franchement exaltant. Pour l’intérieur, on a construit 232 cristaux, ce qui a mobilisé plus d’une centaine d’artisans, et le résultat était sublime. Pour l’anecdote, on a dû acheter tout le stock de résine disponible sur la côte est des États-Unis pour fabriquer nos cristaux ! Mais pour le sol, il nous fallait 11 fûts supplémentaires et on n’a pas pu en trouver. Du coup, on a dû utiliser une texture différente pour fabriquer le sol en glace.
Qu’est-ce que la Forteresse de la Solitude représentait à vos yeux ?
Cela restera l’un des grands moments de ma carrière. Il ne m’a pas échappé – et cela n’a pas non plus échappé à mon équipe – que c’est un véritable honneur de réinventer un décor aussi mythique qui fait partie de l’histoire du cinéma depuis un demi-siècle. C’était sans doute notre défi le plus stimulant et le plus exaltant. Bien entendu, on avait une énorme responsabilité sur les épaules car il fallait faire en sorte d’être à la hauteur des attentes des spectateurs, tout en apportant un regard neuf et en imaginant donc un décor inédit. J’ai vécu pas mal de nuits blanches, mais ce sont des moments comme celui-là qui font rêver.
On passe pas mal de temps dans l’appartement de Lois Lane. Comment l’avez-vous conçu ?
Rachel [Brosnahan] avait déjà beaucoup réfléchi à son personnage, à son mode de vie et à ce qui compte pour elle. Quand nous avons commencé à travailler sur son appartement, elle nous a fait de formidables propositions sur la manière dont le personnage allait occuper l’espace. À ce moment- là, nous nous étions déjà inspirées des intérieurs des écrivaines Joan Didion et Gloria Steinem. Nous nous étions donc déjà engagées dans cette voie concernant l’esthétique de l’appartement. James aimait bien l’idée qu’il y ait une sorte de fouillis, comme dans l’espace d’un prof, et qu’elle ne soit pas très ordonnée. Rachel était sur la même longueur d’ondes tout en apportant des tas de détails précieux. Elle tenait à suggérer que Lois consacre toute sa vie à son travail, et que tout le reste est donc simplifié à l’extrême et qu’elle rationalise ses moindres décisions. Par exemple, elle n’utilise qu’un seul type de stylo, un seul type de carnet, une seule marque de barre de céréale. Elle nous a aidés à choisir ces objets bien précis et on les a disséminés un peu partout dans le décor. On avait des piles entières du même carnet, les mêmes stylos éparpillés un peu partout, etc. C’était un souci de moins à gérer qui nous permettait de nous consacrer entièrement au travail. On s’est dit « Elle plie son linge le dimanche, mais elle ne le range jamais. Elle prend ce dont elle a besoin dans cette pile chaque jour de la semaine.» Il y avait donc toujours une pile de linge quelque part dans l’appartement.
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