CONJURING : L’HEURE DU JUGEMENT : Entretien avec le réalisateur Michael Chaves - 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 10 Octobre 2025

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Une autre famille en danger

Quels sont les enjeux personnels pour les Warren, étant donné que Judy et son petit ami Tony jouent des rôles importants dans cette histoire ? Et comment avez-vous choisi Maya Tomlinson et Ben Hardy pour tenir ces rôles ?


Les enjeux concernent leur famille. C’est l’un des thèmes majeurs de la saga CONJURING, qu’il s’agisse des Warren ou des familles qu’ils aident. Dans ce dernier chapitre, nous voulions vraiment braquer le projecteur sur eux. Quand le film débute et qu’ils ont pratiquement pris leur retraite, on a l’impression que Ed et Lorraine sont désormais hors de danger, et peuvent vivre en sécurité. Leur fille Judy est maintenant adulte et indépendante. Comme beaucoup de gens dans le même cas, les Warren considèrent qu’à ce stade, leur travail de parents est achevé. Ils ont donc l’illusion que tout est terminé, à la fois dans leur occupation professionnelle et en ce qui concerne leur fille. Mais en réalité, il y a encore des choses qui vont revenir les hanter…En ce qui concerne le casting, nous avons auditionné beaucoup de jeunes acteurs très doués, mais Mia et Ben étaient tout simplement les meilleurs. Et ils ont apporté tant de choses à leurs rôles. Mia a participé à de nombreux projets en Angleterre, mais je crois que L’HEURE DU JUGEMENT va lui permettre de se faire remarquer, car elle est fantastique dans le film. Elle est remarquablement douée pour gérer des scènes aux enjeux élevés, avec des événements surnaturels. Et elle est tout simplement charmante. C’est facile de s’attacher à ces deux personnages, car Mia et Ben les rendent sympathiques et chaleureux. Tony est le dernier personnage arrivé dans la saga. Nous avions vu différentes itérations de Judy au fil des ans. De ce fait, même si c’est la première fois que nous voyons Mia tenir ce rôle, il existe une familiarité déjà bien établie avec Judy. Tony, de son côté, est une page blanche. Je voulais que Ben le rende amusant, agréable, mais que l’on sente aussi que ce garçon est capable d’apporter une nouvelle perspective à la saga. Nous avons organisé quelques projections-test du film, et l’une des choses que j’apprécie, c’est que les gens qui n’ont jamais vu un seul CONJURING nous disent qu’ils arrivent à comprendre tout ce qui se passe. Je pense que c’est grâce à Tony, qui découvre cet environnement en tant que nouveau petit ami de Judy. Nous voyons le monde des Warren à travers ses yeux. Si vous êtes fan de cette saga, vous considérez certaines choses comme étant acquises, mais l’idée de les redécouvrir sous un nouvel angle est très amusante. Cela apporte une bouffée d’air frais à la franchise.

Ce film est-il le récit d’un passage de flambeau ? Judy et Tony pourraient-ils devenir la prochaine génération de héros de la franchise CONJURING ?

Tout est possible. L’une des choses que j’aime chez New Line et chez tous nos producteurs, c’est qu’ils laissent le public décider de cela. Ils sont à l’écoute des spectateurs. Ce sont eux qui décideront s’ils veulent voir un autre film avec ces personnages. Personnellement, j’adore les performances de Mia et de Ben. Ils sont tellement doués que je serais prêt à les voir jouer dans n’importe quel autre film. Si cela ne tenait qu’à moi, je les suivrais dans leurs aventures. Mais pour le moment, l’angle principal de ce film, c’est qu’il s’agit du chapitre final de l’histoire des Warren et de leur histoire familiale. Et j’aime ce sentiment d’aboutissement, de longue quête enfin achevée…Même si l’on peut avoir envie de suivre Judy et Tony sur leur propre chemin, L’HEURE DU JUGEMENT apporte une conclusion satisfaisante à cette histoire et à la série CONJURING dans son ensemble.

La recherche de l’authenticité

Quelle a été votre approche visuelle de cette histoire ? Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie, Eli Bourne, qui a récemment fait un travail splendide sur COMPANION ?


Oui, Eli a un talent incroyable. L’esthétique globale que je souhaitais est celle d’un retour aux éléments fondamentaux de la saga. Je voulais capturer l’ambiance du premier film, car le deuxième et le troisième ont un traitement visuel un peu différent. Je pense que ce premier CONJURING s’inspire beaucoup des films naturalistes, tournés de manière spontanée, à partir des années soixante-dix. On retrouve ce langage du cinéma des seventies dans l’utilisation des zooms et dans les plans filmés caméra à la main, très spécifiques de cette époque, car on disposait pour la première fois de caméras plus petites, et de pellicules plus sensibles qui permettaient de tourner en utilisant l’éclairage naturel disponible. Je voulais que les spectateurs aient le sentiment de se retrouver dans les années quatre-vingt. J’ai donc travaillé en ce sens avec Eli, en choisissant de tourner avec de vénérables objectifs Panavision de la série C anamorphique, qui sont presque des artefacts cinématographiques ! C’est amusant à dire, parce que les Warren collectionnent des objets liés à des événements surnaturels depuis plus de 40 ans…Cela rejoint un peu notre démarche, puisque la plupart des objectifs dont nous nous sommes servis ont été utilisés pendant les tournages de POLTERGEIST et du premier ALIEN ! Je voulais obtenir ce genre d’esthétique et l’associer au langage visuel du premier CONJURING. Cela a bien fonctionné, et le traitement de l’image se situe quelque part entre le CONJURING original et POLTERGEIST. J’espère que le public le ressentira, et appréciera ce mélange d’ancien et de nouveau.

Pouvez-vous parler des ambiances et des environnements que vous avez créés avec votre chef décorateur John Frankish ?

J’ai rencontré John en Angleterre et il est immédiatement devenu un formidable allié pendant la création du film. L’un de nos objectifs était de convaincre les spectateurs que l’action se déroule en Pennsylvanie, même si en réalité, nous avons tourné L’HEURE DU JUGEMENT en Angleterre parce que c’est ainsi que les films sont produits de nos jours : on se rend dans le pays qui vous offre la meilleure réduction de taxes sur les dépenses locales. Mais comme notre histoire se déroule en Pennsylvanie, je voulais que le public retrouve cette ambiance très particulière. Et quand je pense à la Pennsylvanie des années quatre-vingt, ce sont les images de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER qui me reviennent en tête. Je songe aux grandes aciéries de cette région et aux nombreuses familles de la classe ouvrière. C’était aussi l’atmosphère que j’appréciais énormément dans le premier CONJURING. Dans cette affaire-là, le père de famille était chauffeur de camion, et on se retrouvait dans les ambiances et les environnements de la classe ouvrière américaine. C’étaient des gens que les Warren venaient aider parce qu’ils n’avaient personne d’autre acceptant de les secourir, et parce qu’ils n’étaient pas riches. Ils ne disposaient pas de beaucoup d’options pour se sortir de tout cela, mais les Warren ont répondu présent, et cela compte beaucoup à mes yeux. Tout particulièrement en ces temps difficiles sur le plan économique... Je voulais que l’on ressente l’empathie des Warren pour la famille Smurl. J’ai expliqué à John Frankish que je souhaitais retrouver ces ambiances et ces textures visuelles liées à la classe ouvrière américaine des années quatre-vingt, si bien décrites dans VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER. Et il a fait un excellent travail. Nous avons recréé la maison des Smurl exactement comme elle apparaissait sur les photos de l’époque. La grande modification que nous avons faite était qu’il s’agissait à l’origine d’un duplex. Elle ne ressemble pas ostensiblement à un duplex de l’extérieur, mais j’ai considéré que l’histoire serait un peu plus simple à raconter visuellement si nous n’avions à évoluer que sur un seul niveau de l’habitation. C’est le seul grand changement que nous avons apporté, et on ne le remarque même pas de l’extérieur. Si on observe la maison, c’est une réplique exacte de l’originale. Et nous avons aussi réaménagé la rue, autant que possible, pour qu’elle corresponde aussi aux clichés de l’époque. Quand nous avons invité les sœurs Smurl à visiter ce décor, elles ont été sidérées de découvrir cette reconstitution de la maison de leur jeunesse. Viser cette authenticité était vraiment très important pour retrouver l’approche quasi-documentaire du premier opus. Je crois que cela contribue à convaincre les spectateurs que même si nous leur présentons un film de fiction, il est basé sur des faits réels, rapportés par des témoins directs. Je pense aussi que c’est l’une des raisons pour lesquelles la saga CONJURING est appréciée par tant de fans.

Les sortilèges des effets spéciaux

Comment avez-vous abordé les effets spéciaux concrets et les maquillages spéciaux du film ?


Je suis allé au maximum dans cette direction. Et j’avais autour de moi une excellente équipe qui soutenait vraiment cette approche. Bien sûr, quand on conçoit tout cela, le point de départ repose sur la vision du réalisateur. Mais vous avez besoin du soutien de toute votre équipe pour qu’elle reste à vos côtés tout au long de cette démarche. C’est très important parce que souvent, quand un réalisateur a envie d’utiliser des trucages concrets et de les filmer devant les caméras, de nombreuses personnes bien intentionnées qui ont travaillé sur de grands films tentent de vous en dissuader. Elles vous disent « Ah oui, je comprends ce que vous voulez faire, mais vous savez, nous venons de faire exactement la même chose en images de synthèse, et vous n’avez pas vraiment besoin de vous ennuyer à fabriquer tout ça, parce que…bla bla bla… ». Vous les écoutez poliment, et quand ces personnes voient que vous restez insensible à leurs arguments, elles insistent. Pour vous convaincre de changer d’approche, elles ajoutent : « Et d’ailleurs, nous venons de faire cela avec tel grand réalisateur, et tel autre grand réalisateur, et ça a très bien marché en 3D ! » (rires) Si vous voulez rester maître de votre film, vous devez toujours combattre cette tentation instinctive d’utiliser des effets numériques. En tant que réalisateur, je devais dire que ce n’était pas l’approche visuelle qui correspondait à l’ambiance du film. Si les spectateurs constatent qu’il y a trop d’effets en images de synthèse dans une séquence, ils se déconnectent de l’histoire que l’on est en train de leur raconter. Je suis convaincu que les gens aiment la saga CONJURING parce que ces films ont un côté tactile, réaliste et crédible. Dans la mesure du possible, nous essayons donc de nous appuyer sur des trucages concrets. L’un des meilleurs exemples de cette démarche, et dont je suis très fier, est la scène de la salle des miroirs, que l’on entrevoit dans la bande-annonce du film. Judy essaie sa robe de mariée dans une pièce d’essayage entourée de miroirs. Nous avons filmé cela avec un miroir sans tain, en plaçant la caméra juste de l’autre côté de ce panneau de verre. Et pendant la séquence, Judy a l’impression d’être piégée dans un espace clos. Je suis très satisfait que nous soyons parvenus à filmer cela de cette manière, car cela me semblait être l’approche le plus évidente. Pourtant, au moment de nos discussions, plusieurs personnes disaient que cette salle couverte de miroirs gagnerait à être créée en 3D, et citaient en exemple une scène de X-MEN, LE COMMENCEMENT, qui est un film que j’adore. L’une d’entre elles a précisé « Dans ce film tout a été tourné sur fond bleu et la salle des miroirs était entièrement numérique. Du coup, c’était beaucoup plus facile de déplacer la caméra et de tout filmer comme le réalisateur le souhaitait. » Alors j’y ai songé, pour bien considérer toutes les options. Et quand j’en ai parlé avec Eli, il m’a dit tout de suite « Ça ne correspond pas à l’esprit du film !» et j’ai répondu « Tu as totalement raison ».Nous avons donc construit cette pièce des miroirs et avons tourné la scène comme je le souhaitais d’emblée. Bien sûr, il a fallu accepter de faire des compromis dans le positionnement de la caméra, parce que l’on doit rester derrière le miroir sans tain pour que l’effet fonctionne. On ne peut pas entrer dans le cercle. Mais ces compromis en valent la peine, car on sent que tout a été filmé « en vrai » en voyant la scène. Le seul effet visuel que nous avons utilisé a consisté à effacer numériquement un léger reflet de la caméra sur la face intérieure du miroir. Je suis ravi que tout ait été filmé ainsi, car j’adore le rendu esthétique du résultat.

Les trucages concrets comme ceux-ci sont également d’une grande aide pour les acteurs…

Absolument. Les acteurs adorent ça. L’équipe technique aussi. On pourrait croire que nous ne faisons cela que pour les spectateurs, mais il ne faut pas oublier que l’équipe technique est présente tous les jours sur le plateau, et que c’est formidable de sentir que tout le monde est enthousiaste parce que l’on va mettre en place un plan avec des trucages tournés en direct. On ressent cette énergie positive, ce plaisir d’utiliser la magie du cinéma. Et les comédiens sont ravis eux aussi. Comme tout le monde collabore pour que l’effet soit réussi, c’est très gratifiant de savoir que l’on crée quelque chose de spécial.

Les gardiens de la franchise

Pouvez-vous nous parler de ce que représente pour vous cette nouvelle collaboration avec James Wan et Peter Safran, les créateurs de l’univers de CONJURING ?


Je peux dire sincèrement que c’est un rêve devenu réalité. Peter et James sont devenus de grands amis et de précieux alliés. Parfois, j’ai du mal à croire que je vis tout cela, et presque envie de me pincer pour vérifier que je ne rêve pas ! J’ai toujours été un grand fan de cinéma d’horreur et j’ai grandi en adorant les films de James. C’est incroyable de travailler avec lui. Et c’est la même chose avec Peter. Ce sont des hommes vraiment intelligents et qui ont une parfaite connaissance du cinéma. Ils savent comment faire un bon film et ce sont aussi de très bons collaborateurs, toujours de votre côté pour soutenir vos idées, même si elles sont parfois un peu folles ! Cela a été une grande joie.

Pouvez-vous évoquer cette nouvelle collaboration avec Vera Farmiga et Patrick Wilson, qui ont incarné Lorraine et Ed Warren tout au long de la saga CONJURING ? Quelles idées vous ont-ils suggérées à propos de ce chapitre final ?

Vera et Patrick font partie des personnes les plus talentueuses et agréables que l’on puisse rencontrer dans ce métier. Ils sont chaleureux et très drôles pendant un tournage. L’ambiance qui règne sur le plateau est toujours détendue et agréable avec eux. Ils sont tous les deux réalisateurs, ce qui est un atout incroyable parce qu’ils savent parfaitement à quel point il est difficile de créer un film. J’ai remarqué que beaucoup de réalisateurs s’inquiètent quand ils apprennent qu’ils vont tourner avec des comédiens qui sont aussi des réalisateurs. Ils se disent « Oh non, ils vont avoir de meilleures idées que les miennes ! » ou ont d’autres préoccupations. Mais quiconque a réalisé un film sait à quel point c’est un exercice difficile. Quand vous êtes passé par là, vous ne pouvez éprouver qu’un immense respect pour tout individu assez fou pour tenter de réaliser un film ! (rires) Patrick et Vera ont été d’excellents collaborateurs. Il est difficile de se souvenir des idées précises qu’ils ont apportées, tellement ils se sont impliqués dans le processus créatif. Lorsque nous nous sommes assis pour étudier le script ensemble, en avançant scène par scène, nous proposions tous des idées. Et ils ont inventé beaucoup de choses. Nous avons réécrit pratiquement chacune des scènes avec eux. Ils avaient d’excellentes suggestions sur les grands thèmes de ce récit et sur ce que nous tentions de raconter sur ces circonstances et ces personnes. Leurs idées étaient toujours justifiées et utiles. En y repensant, je dois dire que je suis triste qu’il n’y ait pas un autre CONJURING prévu avec eux, car notre collaboration a été une expérience merveilleuse. Chaque fois qu’ils arrivaient sur le plateau, ils étaient formidables avec l’équipe, avec tout le monde. Le moral de tout le monde était gonflé à bloc ! J’aimerais pouvoir travailler à nouveau avec eux. Il faudrait que je trouve un projet dans lequel je pourrais leur proposer des rôles.

Avez-vous évoqué avec James Wan et Peter Safran la possibilité d’explorer l’héritage de la saga CONJURING ? Tony est maintenant le conservateur et le responsable du musée Warren, qui contient de nombreux artefacts liés chacun à une histoire paranormale. Cela pourrait ouvrir de nouvelles opportunités…

Oui, absolument. On peut toujours avoir cet espoir. Je pense que les spectateurs nous diront s’il veulent voir d’autres chapitres de Conjuring. Peter, James et New Line adorent faire des films pour le public le plus large possible. S’ils sentent qu’il y a un véritable désir de voir d’autres volets de Conjuring, ou des spinoffs de la saga, ils étudieront sans aucun doute ce que l’on pourrait imaginer.

Remerciements à Michael Chaves et Maya Borreil.

Si vous voulez tout connaître sur l’histoire des trucages, dans le cinéma, les séries, le maquillage, le cinéma d’animation et les plus belles attractions des parcs à thème, offrez-vous EFFETS SPÉCIAUX : 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, la bible des SFX, unanimement célébrée par la presse comme l’ouvrage absolument incontournable sur le sujet, avec 848 pages, 2500 photos dont beaucoup exclusives, et les interviews de 160 des plus grands spécialistes mondiaux ! Vous découvrirez des anecdotes incroyables sur les tournages des films et séries cultes, et vous saurez exactement comment les moments les plus étonnants de vos œuvres favorites ont été créés !
Pour vous procurer ce livre de référence en un clic sur Amazon, c’est par Ici. Bookmark and Share


.