YOROÏ : Entretien avec le réalisateur et co-scénariste David Tomaszewski
Article Cinéma du Mardi 28 Octobre 2025
Après une dernière tournée éprouvante, Aurélien décide de s'installer au Japon avec sa femme Nanako, enceinte de leur premier enfant. Alors que le jeune couple emménage dans une maison traditionnelle dans la campagne japonaise, Aurélien découvre dans un puits une armure ancestrale qui va réveiller d'étranges créatures, les Yokaïs…
Entretien avec le réalisateur et co-scénariste David Tomaszewski
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J'ai commencé à faire des films amateurs vers l'âge de 15 ans et j’ai aussi fait pas mal de courts-métrages lors de mes années lycées. Je n'avais pas les moyens d’aller dans une école de cinéma alors je me suis inscrit dans une fac de cinéma, mais ça a duré trois semaines. Je suis parti très vite chercher du travail dans le secteur du cinéma et j'ai eu la chance de rencontrer Jacques Bled, l’un des fondateurs de la société Mac Guff (spécialisée dans les effets spéciaux et l’animation 3D). Je venais d’obtenir mon bac et j’avais vu IRREVERSIBLE de Gaspar Noé qui m’avait fait forte impression et dont les effets avaient été justement réalisés par Mac Guff. J’ai donc intégré leur équipe en tant que graphiste. Et c’est à ce moment là que je suis devenu indépendant : la journée je travaillais dans les effets numériques, et la nuit et les week-ends je faisais des courts-métrages autofinancés. Puis j’ai commencé à faire de la publicité, et j’ai ensuite rencontré Orelsan. À partir de là, j’ai réalisé près de 80 clips en 15 ans : ceux d’Orelsan mais aussi ceux d’autres artistes comme Maître Gims ou Matthieu Chedid.
Comment est venue l’idée de YOROÏ ?
À l’origine, ça vient du clip de “Ils sont cools” (2012) avec Orelsan et Gringe qui était un version un peu fantasmée et en live action de la série Les Chevaliers des Zodiaque . On s’est toujours dit que ça pourrait devenir un film mais ça n’est pas allé très loin. En 2019, on a rediscuté d’un film autour de la thématique de l’armure. Et l’année suivante, j’ai regardé MON VOISIN TOTORO avec mon fils et là j’ai eu un coup de foudre pour ce film que j’ai dû voir 400 fois depuis. Ma femme était enceinte de notre deuxième enfant, et tout s’est assemblé dans ma tête, j’ai connecté l’armure avec Totoro et j’ai appelé Orel pour lui parler de cette idée : Aurélien devait jouer son propre rôle, celui d’un Orelsan qui vient de terminer sa tournée et qui part loin du chaos parisien alors qu’il est proche du burnout, l’armure étant une métaphore de la célébrité. Tout est parti d’un pitch de quelques lignes écrites dans un texto.
Et c’est à partir de là que vous avez travaillé ensemble à l’écriture ?
Oui. Il y a d’abord eu un traitement de quelques pages puis un séquencier. Ensuite, on s’est vraiment mis au travail, pour élaborer des scènes et le sens du film. À l’automne 2023, le scénario était prêt.
Comment avez vous travaillé sur ce scénario plus précisément ?
Il y a d’abord eu un vrai travail de recherches autour de la culture japonaise, la mythologie, les dieux. J’ai acheté tous les livres possibles sur les Yokaïs. Vu que nous sommes allés puiser dans une mythologie qui n'est pas la nôtre, nous souhaitions être le plus précis possible. D’autant qu’on voulait absolument tourner au Japon. On a aussi écrit avec l’idée qu’Orel allait jouer son propre rôle. Ou du moins, une version de lui-même qui est fictionnée, dans la continuité de ses albums. Enfin, il fallait faire un film qui ait du sens : Orel devait affronter des démons qui sont en réalité ses démons intérieurs. On s’est inspiré de démons réels de la mythologie japonaise et on en a inventé des nouveaux en partant de zéro. Le pitch a toujours été de savoir comment faire le ménage dans sa vie et ses démons lorsqu’on attend un enfant.
Il y a eu un gros travail de pré-production, à travers notamment la création de l’armure ?
Ça fait 10 ans que j’imaginais cette armure. Elle s’est d’abord précisée via des croquis que j’ai dessinés. Puis j’ai eu la chance de travailler avec l’atelier d’Olivier Afonso et six de ses sculpteurs qui m’ont aidé à la façonner pendant deux mois. On a créé une première base, puis on est rentré dans le détails avec un travail de recherche dans des vieux livres : on a ajouté des estampes, des statues dans des temples, des tsubas - le tout mélangé à notre imaginaire. On avait ainsi une base qu’on pouvait modeler à notre guise, et c’est ce qu’on a fait.
Quel était votre état d’esprit avant le tournage ?
Je n’ai pas eu de pression, car c’est un film que j’ai fait avec beaucoup d’enthousiasme. C’est vrai que le film est ambitieux pour chaque département : le script, la photo, la musique. Mais pour moi c’est la meilleure partie, c’est ce que j’aime dans le cinéma. J’ai tellement saigné les making-of de films que pour moi il était normal de pousser les curseurs au maximum : quand je regardais des films à 15 ans, j’essayais de refaire la même chose avec mes propres moyens. Et dans cette logique là, j’ai fabriqué des choses pour YOROÏ de manière artisanale. J’ai par exemple concocté le générique en peinture, en sortant des gouaches, des acryliques, des pinceaux. Pour la petite histoire, ma mère, qui m’a toujours aidé sur mes courts-métrages, a créé le gros chat en peluche dans le film.
Quelle était votre ambition en termes de mise en scène ?
Si on parle de cinématographie, le film ressemble à ce que j’avais en tête. Antoine Sanier, le chef opérateur, a vraiment écouté mes envies. On a testé des optiques, pour avoir une patine qui ait sa signature, un vernis qui fasse film d’auteur et “underground” dans la photo, avec un côté parfois rétro. Miyazaki a été une inspiration, tout comme des films des années 70. Par rapport aux cadres, on voulait être proche des sujets : on a beaucoup filmé à l’épaule et on a peu utilisé de machineries. Je n’avais pas de films références, mais j’avais bien aimé ce qu’avait fait Spike Jonze sur MAX ET LES MAXIMONSTRES. D’une esthétique un peu enfantine, il en avait fait quelque chose d'underground. J’aimais bien cette idée aussi chez Michel Gondry pour THE WE AND THE I. L’autre mot d’ordre, c’était que tout le film soit toujours du point de vue d’Orelsan. Il fallait qu'il soit de toutes les scènes. Dans cette logique, YOROÏ devait commencer comme dans MON VOISIN TOTORO, avec un Japon fantasmé, le mont Fuji, les couleurs, les rizières, où tout est un peu idyllique. À Paris, on est dans une esthétique glauque, déprimante avec un ciel gris. L’esthétique du film devait être liée aux émotions du personnage d’Aurélien. Sur les scènes d’action, on voulait garder un aspect street, quelque chose de réel. C’est pour cette raison que les Yokaïs ont cet aspect humanoïde. Et on ne voulait pas sur-esthétiser les scènes de combat. Comme chaque Yokaï a une fonction différente, chaque scène de combat devait s’adapter à leurs personnalités.
En quoi ça a été important de travailler avec l’Atelier 69 ?
Pour moi c’était essentiel de faire le maximum en réel, pour avoir un aspect organique et palpable. Ensuite, ça passait par un prisme VFX. C’est ça qui est fascinant et jouissif aujourd'hui, c’est ce mélange possible de différentes techniques. Les films avec lesquels on a grandi avaient ce charme là, avec plus de vie que de la 3D pure.
Que pouvez-vous dire de l’implication d’Orelsan dans YOROÏ?
Quand Orelsan se lance dans un projet, il le fait à fond. Pour son entraînement physique, il s’est donné à fond, comme un acteur américain. C’est quand même chouette d’avoir une personne très impliquée. C'était la même chose pour Clara Choï qui était très motivée : elle a suivi le coach sportif d’Orelsan et a pris plusieurs kilos de muscles. Au scénario, on était complémentaires : j’amenais plus de dramaturgie, et lui de l’humour dans les dialogues. Quand je recevais parfois une scène, je m’arrêtais à la lecture parce que je pleurais de rire. Pour la partie acteur, Orelsan a aussi eu besoin de muscler son jeu. Il a travaillé avec un coach pendant plusieurs mois qui l’a préparé, et on a fait beaucoup de répétitions, notamment avec Clara, pour que le couple fonctionne à l’écran. C’était assez fun, avec beaucoup d’improvisation et des scènes qui pouvaient durer 10 minutes. On pouvait partir en impro au début pour mieux revenir ensuite sur le texte.
Comment est-ce que vous avez réussi à trouver le “bon” Aurélien pour YOROÏ ?
Dans le pitch, Orelsan est en burnout, il a envie de se barrer, de fuir les problèmes. On a poussé aussi sa lâcheté et à travers le couple avec Nanako, c’est un personnage plus romantique que ce qu’on avait pu voir d’Orelsan jusque-là. Je ne le trouve pas si différent du Orelsan d’aujourd’hui. C’est un Orelsan fictionné mais pas tant que ça. Pour OrelSama, son alter ego maléfique, on l’a vu comme un jeune homme de 22 ans, un peu plus mannequin, toujours bien coiffé, et tout à la fois arrogant, insolent, magnifique, sympathique et malsain. C’est la partie dans laquelle on s’est le plus amusé avec Orelsan, car c’est une version de lui même sans filtre.
Comment est-ce que vous avez écrit le personnage de Clara ?
C’était une volonté d’Orelsan d’avoir une Nanako qui soit reliée à la culture japonaise et fasse un pont entre les deux cultures. Elle devait aussi avoir un humour “à la française”, qui permette de créer l’alchimie du couple. Avec Clara Choï, on a trouvé une actrice franco-japonaise parfaite pour le rôle. Je trouvais ça puissant au cinéma de voir Nanako comme une femme forte, qui enchaine les combats alors qu’elle est enceinte. Le rapport à la grossesse, c’était pour évoquer le moment où l’on devient père : tous les curseurs changent et des démons peuvent surgir.
Quelle est votre plus grande fierté sur ce film ?
Je suis vraiment fier d’avoir réussi à ce que le film existe, que des financiers nous suivent sur un long-métrage aussi atypique, qui n’a pas d’équivalent. Et je suis vraiment fier de ce à quoi le film ressemble, de son look : la musique, la photo, la direction artistique. Je trouve qu’on a réussi à faire un film qui a de la gueule.
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