Lost - Dans la jungle des trucages
Article TV du Dimanche 23 Septembre 2018

Depuis la diffusion de l’épisode-pilote, le 22 septembre 2004 (soit il y a 14 ans déjà !), sur le réseau ABC,la série Lost a séduit des millions de fans à travers le monde. Mâtinée de fantastique et de science-fiction, cette série regorge d'effets visuels invisibles... ou particulièrement impressionnants. Du crash de l'avion à l'ours numérique, en passant par le mystérieux monstre de l'île, retour sur les effets spéciaux du chef d'oeuvre télévisuel de J.J. Abrams...

Par Pierre-Eric Salard

Bien avant de prendre en main la destinée de la franchise Star Trek au cinéma, le jeune Abrams, fils de producteur, était un véritable passionné d'effets spéciaux. Nourri à la saga Star Wars et à la Quatrième Dimension, il réalise dès ses onze ans un court-métrage d'horreur, The Attic, tourné avec une caméra Super-8. "Après l'avoir filmé, J.J. a retravaillé sur la pellicule, image après image, le monstre du film, une créature qui ressemblait à de la foudre", rapporte son ami Greg Grunberg. "Bien avant le tournage, il avait donc prévu l’emplacement exact de sa créature, dans chaque plan !" L'année suivante, Abrams réalise un court-métrage dans lequel il fait planer une poupée à travers une chambre ! A treize ans, il participe à des festivals amateurs, où il remporte plusieurs prix. Il écrit ensuite à des experts en effets spéciaux. "Un des artistes qui a travaillé sur l'Exorciste lui a envoyé une des extensions de langue", confirme Grunberg. Depuis, il s'est fait un nom grâce aux séries Felicity et Alias, avant de revenir vers les effets visuels avec Lost, Fringe, Cloverfield et Star Trek : la passion finit toujours par payer ! "J'ai eu la chance de débarquer dans ce milieu au bon moment", explique-t-il. "L'art du cinéma s'est démocratisé ces dix dernières années. La technologie permet désormais de retranscrire toutes les histoires que nous pouvons imaginer. Il y a dix ans, si nous avions voulu faire Lost ou Cloverfield, nous aurions tué un cascadeur ! (rires)".



Des trucages au poil

Si Lost est tournée intégralement sur l'île d'Oahu, à Hawai, la post-production se déroule à Los Angeles. "Sur les 500 personnes travaillant sur la série, seule une centaine de nos collaborateurs demeurent sur le continent américain. Parmi eux se trouvent les artistes qui conçoivent les effets spéciaux", explique le producteur et scénariste Carlton Cuse. "Nous écrivons, montons et truquons la série à Los Angeles. Chaque épisode nécessite une semaine de post-production. Généralement, il contient entre 20 et 80 plans d’effets visuels. Mais certains épisodes ont nécessité l’insertion de plus de 200 plans truqués !" Afin de superviser ces trucages, J.J. Abrams fait appel à Kevin Blank, qui a entamé sa carrière avec les séries Hercules et Xena, avant de travailler sur Star Trek : Enterprise. Blank a supervisé ensuite les VFX de plusieurs saisons d'Alias. "Lorsqu'on m'a proposé de superviser le pilote de Lost, je n'ai pas pu refuser", explique Blank. "Je travaillais parallèlement sur Alias. Superviser simultanément les deux séries de J.J. m'a rendu fou ! (rires) Il n'arrêtait pas de répéter : « Peut être que tu devrais laisser tomber Lost !? » Mais c'était une opportunité que je ne pouvais pas laisser passer. J'ai bien fait, puisque aucun pilote n'a depuis égalé celui de Lost !" Lorsqu'il obtient le rôle de superviseur des effets visuels de la série, Blank se heurte à un premier problème... de taille. "Lors de l'écriture du pilote, J.J. et le producteur-scénariste Damon Lindelof cherchaient à ajouter un élément totalement déplacé sur l'île", raconte-t-il. "Quelqu'un a dit, en rigolant, qu'un ours polaire n'y aurait vraiment pas été à sa place. J.J. s'est alors exclamé que c'est exactement ce qu'il recherchait ! (rires) Mais une question s'est imposée d'elle-même : comment rendre crédible cet ours polaire ? Nous avons rapidement écarté la possibilité d'utiliser un véritable ours : il aurait été un piètre acteur (rires)". Pour la première apparition de l'ours, l'équipe opte pour une ingénieuse solution. "Nous ne devions montrer que des bribes d'images : les pattes d'un énorme animal évoluant à toute vitesse. J'ai donc chaussé des bottes en fourrure et j'ai sauté sur mes deux pieds ! (rires) Je suis donc l'un des rares « acteurs » à avoir incarner un ours polaire..." Le plus simple est parfois l'ami du bien ! Ultérieurement, une scène pose davantage d'ennuis à l'équipe : l'animal doit sauter et s'écraser aux pieds d'un personnage. Grand fan d'effets spéciaux, J.J. Abrams confronte alors ses idées à celles de Kevin Blank, pour choisir la technique à employer. "Comme nous n'avions besoin que de deux plans, J.J. a proposé de propulser une réplique de l'ours à l'aides de câbles", se souvient Blank. "Je n'en croyais pas mes oreilles ! Je lui ai expliqué qu'on pouvait créer l'ours à l'aide des images de synthèse, mais il a catégoriquement refusé. Bon gré mal gré, j'ai suivi les directives de mon chef... et le résultat me surprit ! J.J. avait raison, c'était exactement la technique dont nous avions besoin ! Or nous nous sommes rapidement rendu compte qu'un simple arrêt sur image permettait de découvrir la nature du trucage. Sans prévenir J.J., j'ai décidé de créer mon ours en images de synthèse (rires) ! Nous avons pu le modeler et le texturer très rapidement, afin de fournir un plan de 24 images. Au final, ils en ont utilisé quatre ! Mais si vous faites un arrêt sur image, vous êtes certain qu'il s'agit d'un « véritable » ours polaire, et non d'une baudruche !" Les artistes peuvent alors se pencher sur l'autre morceau de bravoure du pilote...



Y-a-t-il un pilote dans l'avion ?

Durant une cinquantaine de secondes, une séquence nous montre le cauchemar vécu par les passagers du vol Oceanic 815. "Ces gens sont littéralement aspirés hors de l'avion, qui finit lui-même par se casser en deux", raconte Michel Héroux, producteur des effets visuels. "De nombreux débris volent dans tous les sens, alors que l'avion chute à une vitesse folle. Il fallait que cette scène soit particulièrement soignée : J.J. Abrams voulait l'utiliser pour vendre la série à ABC ! Nous avons donc travaillé sur la pré-production de cette séquence dès les premiers jours. Avant même que la série soit commandée, il fallait que le crash soit vraiment alléchant !" L’équipe d’une dizaine d'artistes dispose de neuf semaines pour élaborer le crash. "Mais il fallait attendre que la série soit bel et bien commandée pour lancer concrètement sa production", ajoute Héroux. "Nous n'avons donc obtenu qu'un petit mois pour la concevoir de A à Z !" Travaillant sept jours sur sept, les infographistes utilisent intensivement les layers (couches de trucages) de 3DS Max. "La séquence a nécessité 45 couches. 25 d'entre elles étaient constituées d'acteurs filmés devant un fond bleu. Grâce aux effets spéciaux de plateau, il étaient comme aspirés sur le côté (rires). Le reste des couches étaient conçues en images de synthèse. Il s'agissait de débris, de fumée et surtout de la queue de l'avion en train de se détacher... Grâce à ce système, lorsque Kevin Blank, le superviseur des effets visuels, visionnait nos animation, il pouvait demander des modifications que nous pouvions appliquer immédiatement. Cela nous a permis de créer rapidement le look final souhaité par J.J..."



La présence du monstre

Enfin, l'équipe des effets visuels doit s'attaquer à la première apparition du « monstre » de l'île. Cette scène est confiée à Kevin Kutchaver, compositeur numérique. Passionné par les travaux de Ray Harryhausen, Kutchaver s'est rapidement tourné vers la magie du cinéma. Il a notamment travaillé sur les effets spéciaux du Retour du Jedi, Ghostbuster 2 et Robocop. "J'ai ensuite fait équipe avec Kevin Blank sur les séries Hercules, Xena puis Alias", raconte-t-il. "Lorsqu'il a eu besoin d'un spécialiste en compositing pour le pilote de Lost, il m'a logiquement contacté. J'ai supervisé et conçu de nombreux matte-paintings des paysages de l'île, ainsi que l'apparition du monstre. Il fallait juste voir des arbres bouger, au loin, sous les coups de cette mystérieuse « créature ». Kevin Blank a donc filmé à grande vitesse des arbres secoués devant un écran bleu. Ces arbres ont ensuite été intégrés par le compositeur Phil Carbonaro dans un matte-painting conçu par Jon Terada. Un infographiste a ensuite animé les arbres qui s'écroulent au passage du « monstre ». La combinaison de tous ces élément a permis de « montrer » la créature sans jamais la voir (rires) !" Ces techniques ont permis à Lost de devenir une référence en matière d'effets visuel à la télévision. Ceux du pilote ont d'ailleurs remporté l'Emmy Award en 2005 ! Au fil des saisons suivantes, l'univers fantastique de Lost ne manque pas de se faire remarquer à nouveau par la qualité de ses trucages. Et « le Monstre » n'en est pas le moindre exemple...



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