Avant-première ESI : La Route - Voyage au bout de l'enfer
Article Cinéma du Vendredi 01 Mai 2009

Après l’apocalypse nucléaire, un père et son fils traversent les paysages dévastés des Etats-Unis afin d'atteindre la côte… Réalisé par John Hillcoat (The Proposition, 2005), La Route est d’autant plus attendu qu’il s’agit de l’adaptation du roman de l'écrivain américain Cormac McCarthy (De si Jolis Chevaux, No Country fo Old Men), qui fut récompensé par le Prix Pulitzer en 2007. Vendu à plus de deux millions d'exemplaires aux USA, La Route raconte cette odyssée familiale avec une simplicité poignante...

Par Pierre-Eric Salard

L'apocalypse a eu lieu. Un mystérieux cataclysme (que l’on peut imaginer atomique, compte tenu de la description quasi conforme de ce que l’on appelle un « hiver nucléaire », c’est à dire une ère glaciaire provoquée par les poussières projetées dans la haute atmosphère, filtrant la chaleur solaire) a dévasté le monde, désormais couvert de cendres. La neige est grise, le ciel sombre. Une grande partie de la population a disparu de la surface de la Terre, sur laquelle ne subsiste que de maigres traces de civilisation. Depuis de nombreux mois, un père et son fils errent, seuls, sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites et de vieilles couvertures. Ils n'ont rien, à part un pistolet, leurs vêtements... et eux-même. Leur destination est la côte des Etats-Unis – ou ce qu'il en reste : ils ne savent pas ce qui les attend à l'arrivée. Si tout semble immobile, mort, dans ce monde qui s'est brutalement arrêté de tourner, les deux voyageurs restent attentifs, car ils sentent que le danger peut surgir à tout moment. Au fil de leur voyage, ils doivent supporter des conditions climatiques extrêmes, et se défendre contre d’autres survivants qui se comportent comme des barbares. Ce voyage de la dernière chance pourrait bien marquer la fin de leur chemin... Né à Providence (Rhode Island), aux Etats-Unis, en 1933, Cormac McCarthy a débuté sa carrière en 1965 avec Le Gardien du Verger. Mais il mettra ensuite plus de vingt ans pour écrire Suttree (1979) ! En 1985 paraît Le Méridien de Sang, considéré comme son meilleur roman. Publié en 1992, De si Jolis Chevaux a été couronné par les prestigieux National Book Critics Circle Award et National Book Award. Cerise sur la gâteau, Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme (2005) a été brillamment adapté au cinéma en 2007 par les frères Coen, sous le titre No Country for Old Men. Publié en 2006, La Route a reçu le célèbre prix Pulitzer, consécration d'une carrière sans fautes. L'œuvre littéraire de Cormac McCarthy est considérée aujourd'hui comme l'une des plus importantes de la littérature américaine contemporaine... ?



Changer la vision du monde

L'inspiration de son dernier roman est née d'une visite à El Paso, au Texas, en compagnie de son fils. L'auteur imagine alors à quoi ressemblerait la ville dans le futur, dans un paysage en proie aux flammes. S'il prend initialement des notes, McCarthy attend plusieurs années avant de se pencher sur ce récit et d’en faire un roman. Lorsqu'il est publié en septembre 2006, La Route reçoit les honneurs de la critique, qui ne tarit pas d'éloges sur « cette fable inoubliable». Pour le magazine Entertainement Weekly, il s'agit même du meilleur roman des 25 dernières années ! Très impressionné, l'environnementaliste George Monbiot va jusqu'à considérer que McCarthy fait partie des rares personnes dont les enseignements pourraient sauver la planète ! « La Route est peut-être le livre le plus important sur l'écologie », précise-t-il. « Cette vision du monde sans biosphère montre que tout dépend de notre écosystème. Ce roman va changer la manière dont vous regardez notre planète... » C'est à cette oeuvre encensée par la critique, et disponible en France aux Editions de l'Olivier, que s'est attaqué Hollywood...??

La flamme de l'espoir

En décembre 2006, trois mois seulement après la publication du roman, le producteur Nick Wechsler (Requiem for a Dream, The Fountain) réunit des fonds indépendants afin d'acheter les droits cinématographiques de La Route. Peu après, Wechsler découvre The Proposition, un film indépendant réalisé par John Hillcoat. Persuadé d'avoir trouvé le metteur en scène idéal pour diriger l'adaptation, il l'engage immédiatement. « Dans The Proposition, il y avait quelque chose de sublime dans sa manière de filmer l'humanité primitive de l'Ouest américain », souligne le producteur. Hillcoat, qui a auparavant signé des clips vidéos pour INXS ou Nick Cave, se procure rapidement un exemplaire de La Route. « Ce livre m'a fortement influencé », raconte-t-il. « Il m'a affecté plus profondément que tout ce que je n'ai jamais lu. La raison en est simple : je suis le père d'un adorable garçon de six ans. Je me fais beaucoup de soucis vis à vis de ce qui se passe actuellement dans le monde. J'ai grandi dans les années 1960, et je pensais que la guerre nucléaire était inévitable. A l'époque, je ne pensais même pas atteindre mes quarante ans ! Je suis donc enchanté de pouvoir tourner un film sur un père qui apprend à son fils à conserver la 'flamme de l'espoir dans un monde tourmenté', comme le dit Cormac McCarthy... » Nick Wechsler, ainsi que ses co-producteurs, Steve et Paula Mae Schwartz (The Tree of Life, le prochain film de Terence Malick), souhaitent cependant avoir un scénario en main avant de chercher un distributeur pour le film... En avril 2007, le scénariste Joe Penhall (Enduring Love, 2004) est engagé afin d'écrire l'adaptation. John Hillcoat souhaite que le film respecte l'esprit du livre : les causes de l'apocalypse ne doivent absolument pas être expliquées. « C'est ce qui rend l'histoire plus réaliste », précise le réalisateur. « Il s'agit d'un conte moral sur la survie, et sur la manière de surmonter les difficultés quotidiennes dans un monde ravagé ». Le réalisateur décide de conserver plusieurs éléments du livre, dont les flashbacks et une séquence se déroulant dans un bunker. « Ces passages soulignent toutes les petites choses que nous considérons comme allant de soi, à tort, dans les pays favorisés les plus riches du monde », ajoute Hillcoat. « Mais la relation entre le père et son fils reste au coeur du film ». ?

Une histoire d'amour

Alors qu'il tourne le western Appaloosa, en novembre 2007, l'acteur Viggo Mortensen accepte d'interpréter le rôle du père. Pour lui, cette adaptation est, à l'instar du livre original, bien plus qu'un film sur l'apocalypse. « Avant de commencer le tournage, j'ai contacté Cormac (McCarthy) », raconte le comédien. « Nous avons fini par parler de nos enfants. Je pense que cette histoire est universellement appréciée pour une simple raison : il s'agit, en somme, de la manière dont nous protégeons notre progéniture, peu importe les circonstances. C'est une histoire d'amour. La Route est une parabole sur les leçons tirées par les enfants, mais aussi par leurs parents. Le père et le fils traversent une période difficile et, paradoxalement, mon personnage en apprend davantage de son fils ». Au passage, la vedette du Seigneur des Anneaux et des Promesses de l'Ombre ne tarit pas d'éloges sur son jeune collègue, Kodi Smit-McPhee, qui incarne le fils. « Il joue naturellement, sans en faire plus que nécessaire. Il possède un charisme incroyable, souligné par une surprenante maturité ! Dans la majorité des scènes, je ne joue qu'avec lui. Alors en tant qu'acteur, c'est un luxe de partager l'affiche avec un partenaire aussi talentueux ! » De la part de l'interprète d'Aragorn, ces compliments en feraient rougir plus d'un. Cela n'a pourtant pas intimidé le jeune Kodi Smit-McPhee, né en 1996 : il faut dire qu'il a déjà joué face à Eric Bana dans Romulus, mon père (2007). Fan du livre, Charlize Theron (Monster, Hancock) insiste auprès du producteur Nick Wechsler, avec qui elle avait travaillé sur The Yards (2000), pour obtenir le rôle de « la mère ». Alors qu'il apparaît uniquement lors de flashbacks, ce personnage bénéficiera d'un temps de présence à l’écran plus important que son évocation dans le livre. « Tant que nous respectons l'essence du livre, il n'est pas interdit de faire quelques changements », souligne le réalisateur John Hillcoat. Le casting de La Route est complété par Guy Pearce (Memento), Robert Duvall (Le Parrain, Deep Impact) et Garret Dillahunt (Terminator : The Sarah Connor Chronicles), dans des rôles plus mineurs... ?

L'esprit du livre

Avec un budget de 20 millions de dollars, l'équipe de production peut lancer le tournage dès la fin février 2008. Visualiser l'apocalypse n'est pas une tâche facile. Mais les repérages en Pennsylvanie, à Pittsburgh, ont permis de trouver des décors naturels adéquats, dont des gisements houillers abandonnés, un parc d'attractions déserté, une barrière de péage et une portion d'autoroute. « En automne, avec le jaunissement des feuilles, la Pennsylvanie est sublime », explique le réalisateur. « Mais en hiver, cette région semble désolée, ravagée. Les forêts deviennent inquiétantes. Sans compter les quartiers de Pittsburgh laissés à l'abandon ! Nous ne voulions pas utiliser trop d'images de synthèse : au contraire, il fallait faire ressentir la réalité pesante du livre. La Pennsylvanie se posait donc comme le candidat idéal pour accueillir le tournage ! » Une majorité des huit semaines de tournage se déroulent d'ailleurs dans cet état américain. « La misère et le désespoir y sont tangibles », ajoute Viggo Mortensen. « Cela nous offre plus de possibilités que de tourner devant un écran vert. Sans oublier que cette atmosphère délétère attise l'inspiration ! » John Hillcoat tire avantage du mauvais temps pour « embellir » son ambiance post-apocalyptique. « La météo était avec nous », se souvient Mortensen. « Nous avons eu de la neige, de la pluie, de la brume... L'atmosphère du film est d'autant plus empreinte de réalisme ! » Le tournage se termine dans des portions de la Nouvelle-Orléans anciennement ravagées par l'ouragan Katrina, puis au Mont Saint-Hélène, dans l'Etat de Washington. ?

Sortie de Route

Mark Forker (Titanic, Jumper), le superviseur des effets spéciaux, est ensuite chargé de rendre les paysages ravagés plus convaincants, en retouchant notamment le ciel. Le bleu azur est bien sûr totalement proscrit ! Forker supervise aussi la suppression numérique des teintes vertes des végétaux, pour les remplacer par un gris bien plus désespérant. « Nous avons ajouté dans cet univers des détails qui sont situés « hors champs » dans le livre », ajoute le réalisateur. « Le monde que nous créons n'est pas uniquement recouvert par les cendres. Au niveau visuel, il existe de nombreuses variations, comme la neige, la boue, les arbres déracinés, et le foudre, ainsi que les conséquences des incendies et des tremblements de terre. Ce monde est littéralement traumatisé ». Auparavant prévue pour novembre 2008, la date de sortie de La Route (sans jeu de mots) a été repoussée au 16 octobre 2009, sans plus de précisions. Ce délai supplémentaire devrait bénéficier à l’équipe chargée de la post-production et lui permettre de peaufiner les effets visuels de cette adaptation attendue au tournant, car beaucoup de lecteurs pensent qu’il sera difficile de faire honneur à l'immense livre de Cormac McCarthy ! Il nous reste donc à prendre notre mal en patience avant de prendre le chemin des salles de cinéma où sera projeté ce fascinant récit post-apocalyptique !

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