[Flashback] La série V – Les Visiteurs : Quand les reptiles ont envahi la Terre
Article TV du Jeudi 07 Fevrier 2019

En 1987, les téléspectateurs français d'Antenne 2 découvrent une série de science-fiction au titre énigmatique : V : Les Visiteurs. Cette oeuvre américaine marque durablement les esprits en décrivant une invasion extraterrestre tout en faisant de nombreuses références historiques aux événements de la seconde guerre mondiale. Les Visiteurs seront-ils Victorieux ? Quels desseins se cachent derrière leurs louables intentions ? C'est ce que les téléspectateurs ont pu découvrir alors, au fil des épisodes haletants des deux mini-séries V. Revenons sur cette série phare de la science-fiction des années 1980...

Par Pierre-Eric Salard



V – Les Visiteurs ou la Victoire

Cette série est dédiée à l'héroïsme des combattants de la Résistance – passé, présent, futur. (dédicace qui apparaît au générique des mini-séries)

L'action de V débute alors que la guerre fait rage en Amérique du Sud, au Salvador. Bravant tous les dangers, le journaliste Mike Donovan (Marc Singer, acteur cantonné aux séries B comme Beast Master) couvre le conflit en compagnie de son cameraman. Poursuivi par un hélicoptère, le tandem est traqué au travers de canyons asséchés. Mais ces évènements deviennent instantanément insignifiants lorsqu'un gigantesque vaisseau spatial apparaît dans le ciel. Donovan s'enfuit et rentre immédiatement à Los Angeles pour diffuser les premières images de cet OVNI. Au-dessus des capitales du monde entier, d'autres soucoupes volantes prennent position. Le monde entier retient son souffle : quel est l'objectif de ces mystérieux Visiteurs? Ces extra-terrestres de forme humaine – en apparence, car ce sont en fait des reptiles - déclarent être venus en paix. Mais Mike Donovan découvre rapidement que leurs véritables intentions sont de nature bien différentes. Peu à peu, la résistance s'organise sur Terre, sous la direction de Donovan, du Docteur Julie Parrish, du mercenaire Ham Tyler, et de bien d'autres héros malgré eux...

Science-fiction en séries

V est née de la fertile imagination du producteur Kenneth Johnson. A l'âge de 25 ans, il produit déjà le Mike Douglas Show, récompensé par deux Emmy Awards. Ce réalisateur-scénariste n'est pas étranger à la science-fiction et au fantastique. Il a précédemment écrit des scénarii pour L'Homme qui valait trois Milliards, puis développé le personnage de Jaimie Sommers, déclinaison féminine de l'homme bionique Steve Austin, pour la série Super Jaimie. Il a également adapté pour la télévision les aventures d'un célèbre superhéros des comics Marvel, l'Incroyable Hulk. Cependant, V restera son oeuvre la plus personnelle et la plus marquante. Au début des années 1980, Johnson découvre une nouvelle du romancier et dramaturge américain Sinclair Lewis, intitulée It Can't Happen Here (Ça ne peut arriver ici). Le postulat de départ de ce récit publié en 1935, période éminemment trouble, se résume par « Et si... ». Et si les États-Unis étaient victimes d'un coup d'état fasciste ? Quelle serait l'attitude de la population américaine ? Résistants et collaborateurs s'y croisent dans un contexte hélas visionnaire, à mi-chemin entre le gouvernement de Vichy et le maccarthysme. Conquis, le producteur propose au réseau de télévision NBC de développer un téléfilm s'inspirant de ces évènements. Le président de NBC, Brandon Tartikoff, prend une option sur le projet, mais suggère d'en faire…un programme de science-fiction !

Le fascisme vient des étoiles

Kenneth Johnson s'empare de cette idée et transpose le récit original dans le contexte d'une invasion extraterrestre. Nombreux sont les films à avoir traité du sujet. De la Guerre des Mondes de George Pal à l'Invasion des Profanateurs de Sépulture, ces œuvres sont généralement aussi des métaphores sur l'état du monde. On se rappellera de la peur du communisme dans les années 1950 illustrée par la version de La Guerre des Mondes de George Pal, et du climat paranoïaque post-11 septembre 2001 évoqué par celle de Steven Spielberg, tandis que Les Profanateurs de Sépulture reflétaient le climat de suspicion et de dénonciation des années du Maccarthysime. Les invasions extraterrestres cristallisent toutes les peurs. Il s'agissait donc d'une thématique fort judicieuse pour adapter le récit de Sinclair Lewis. Or Johnson voulait démontrer que le fascisme s'insinue dans les rouages de la société de manière pacifique, insidieusement. Les Visiteurs n'attaquent pas la Terre à grands coups de rayons lasers, à l'instar d'Independence Day - film qui s'inspire beaucoup de V, notamment lorsque les vaisseaux gigantesques survolent les capitales. Dans un parallèle évident à l'épilogue de Rencontres du Troisième Type, la série montre des aliens venus en paix. Ils sont même accueillis par une fanfare jouant le célèbre thème de Star Wars ! Endormez-vous, bonnes gens, tout va bien ! V débute par la promesse d'un avenir meilleur, lorsque les extraterrestres offrent des technologies écologiques et des sciences de pointe. Or Adolf Hitler promettait également un avenir radieux à son peuple...Les véritables intentions des Visiteurs ne sont pas déclarées, et le fascisme est prêt à contaminer l'ensemble de la civilisation humaine... Kenneth Johnson s'inspire d'une nouvelle du romancier de science-fiction Damon Knight, Comment servir l'homme (1953) : Des extraterrestres soi-disant pacifiques offrent à l'humanité leur savoir afin de vaincre sa méfiance... et pour mieux réussir à se constituer une réserve de nourriture ! Une histoire qui deviendra un célèbre épisode de La Quatrième Dimension, dans lequel le titre Comment servir l'homme prend un sens tout différent, lorsque l'on apprend que cet ouvrage des aliens qui vient d'être traduit est en fait un…livre de recettes de cuisine ! En mêlant ces différentes sources d'inspiration historiques, politiques et fictionnelles, Kenneth Johnson espère obtenir un résultat qui séduira le public tout en rappelant quelques idées importantes.

Une production d'envergure

Johnson porte toutes les casquettes sur la première mini-série, puisqu'il la produit, l'écrit et la réalise. Il doit faire face à plusieurs enjeux techniques pour représenter à l'écran l'invasion des Visiteurs. Il dispose de cinq millions de dollars pour produire une série qui nécessite les interventions de 300 techniciens et acteurs...ainsi que des décors imposants ! Le hangar du vaisseau-mère fait plusieurs dizaines de mètres de long, et abrite une demi-douzaine de navettes. Selon une technique bien connue, les décors sont modulaires et peuvent être rapidement déplacés et modifiés pour évoquer différents environnements. De cette façon, une seule salle peut en figurer de nombreuses autres. Les possibilités de prises de vue sont multiples. De même, les kilomètres de couloirs apparents sont représentés par quelques pans de décors qui permettent de créer différentes coursives. L'équipe des décorateurs doit également concevoir une impressionnante passerelle, illuminée par des centaines de boutons. Le directeur artistique Gary Lee (Mission to Mars) crée pour ces décors un design homogène, futuriste et minimaliste à la fois. Si les effets spéciaux du légendaire studio Pacific Title (Ben Hur) nous paraissent désormais datés (vingt ans d'images de synthèse n'aidant pas), ils demeurent une belle réussite pour une production télévisuelle de l'époque. En dépit des délais très courts et du faible budget disponible, les trucages visuels supervisés par David Stipes (Star Trek Enterprise) sont dynamiques et impressionnants. Greg Jein (Dark Star, Rencontres du Troisième Type) encadre l'équipe de construction des modèles réduits des navettes, tandis que le peintre Matthew Yuricich (Blade Runner, Die Hard) dessine le vaisseau-mère. Le studio DreamQuest (Abyss, Waterworld) conçoit les combats aériens, dont la plupart des plans serviront de stock-shots qui seront amplement réutilisés dans la seconde mini-série et surtout dans la série hebdomadaire. Enfin, Dale Fay (I, Robot) construit les maquettes des soucoupes volantes, à sept échelles différentes (de 7,5 à 75 centimètres).



Des maquillages répugnants

Les visages reptiliens des Visiteurs sont créés par le superviseur des maquillages Leo Lotito (La Planète des Singes). Deux heures sont nécessaires pour grimer un acteur en Visiteur. Les prothèses de reptiles en mousse de latex sont alors appliqués avec précaution. Mais la scène la plus délicate montre l'ignoble - mais ravissante – Diana, commandante du vaisseau-mère, avaler un rongeur avec appétit. Par la suite, des ellipses économiseront ce type de plan. Mais pour ménager l'effet de surprise, rien ne nous est épargné de ce répugnant repas. Lotito conçoit une réplique de la tête de l'actrice Jane Badler, sous la forme d'un masque en latex posé sur une tête hydraulique. Parallèlement, son équipe pose une prothèse sur le cou de l'actrice. Le montage final mêle habilement des plans de l'actrice, où l'on voit son cou enfler et se plisser, et de la tête hydraulique dévorant l'animal. Ces images spectaculaires ont terrorisé des millions d'enfants à travers le monde !



Succès mérité

? Lors de sa diffusion aux Etats-Unis en mai 1983, la première mini-série V (deux épisodes de 100 minutes) remporte un franc succès. Près de dix millions de téléspectateurs assistent à l'arrivée des extraterrestres sur la Terre et à la naissance de la Résistance. Celle-ci s'organise lorsque certaines formes de répressions apparaissent suite à l'arrivée des Visiteurs. Alors que les puissances politiques sont rapidement balayées par les envahisseurs, des civils se concertent et tentent de résister. Malgré le danger, une véritable « cinquième colonne » humaine (que rejoignent certains extraterrestres) s'organise. La lutte pour la liberté atteint son paroxysme lorsque la Résistance remporte sa première victoire : lors d'une véritable « mission impossible », elle dévoile au monde entier la nature reptilienne des « bienfaiteurs ». Mais ces personnages côtoient aussi des figures plus ambiguës. Ainsi la mère bourgeoise de Donovan devient-elle une collaboratrice, comme de nombreux autres terriens influencés par le rouleau compresseur de la propagande. Des milices de jeunes sont créées, à l'image des jeunesses hitlériennes. A travers une galerie de personnages hétéroclites (ouvrier noir, anthropologue, médecin, jardinier mexicain, journaliste, policier...), toutes les possibilités de réactions à l'invasion sont évoquées, de la résistance à la collaboration. Mais que signifie V ? L'épilogue de la mini-série évoque un symbole de ralliement à la cause de la Résistance, lorsque le rescapé des camps de concentration Abraham Bernstein surprend des adolescents en train de taguer une affiche vantant la sincérité des Visiteurs (Nous venons en paix). Il leur emprunte une bombe de peinture et peint sur l'affiche un immense V. « Pour la Victoire », explique-t-il, avant de lui enjoindre à faire passer le message...

De la suite dans les idées

La victoire est partagée par la chaîne NBC, qui commande immédiatement une seconde mini-série. Une suite logique, car cette première partie s'achève par une fin ouverte, les Visiteurs ayant pris le contrôle de la planète. Trois épisodes de 90 minutes entrent en production... sans Kenneth Johnson, en désaccord avec NBC sur certains choix scénaristiques. Le producteur quitte son navire, et réalisera plus tard la suite du film Short Circuit : Appelez-moi Johnny 5. Robert Singer et Daniel H. Blatt deviennent les producteurs exécutifs de V : la Bataille Finale, avec un budget de près de 14 millions de dollars. Réutilisant les décors et effets spéciaux conçus pour la première série, cette seconde mini-série renoue avec le succès. Moins passionnante que le premier volet, elle dévoile les plus grands succès de la Résistance...jusqu'au départ des envahisseurs. Une fuite temporaire, car les Visiteurs reviendront ultérieurement pour une série régulière (mais à la qualité inégale) de 19 épisodes. Effets spéciaux réussis, brillante métaphore, personnages peu stéréotypés, les deux mini-séries V représentent une réussite pour la production télévisuelle de science-fiction des années '80.

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