[Flashback] Dans les coulisses de King Kong 2005
Article Cinéma du Vendredi 09 Aout 2019

Réaliser le remake de King Kong était un véritable défi... Peter Jackson l’a fait ! Découvrez les secrets d’un tournage qui a été une véritable aventure...

Par Pascal Pinteau

Flashback !

Tout commence en 1969, dans la petite ville Néo-Zélandaise de Pukerua Bay. Peter, 8 ans, tanne sa mère pour regarder King Kong à la télé et agite devant ses yeux l’article que lui consacre le magazine “ Famous Monsters ”. “ Allez, sois gentille, Mom !…Il a l’air trop génial, ce film ! ”. Sa mère cède. Peter se cale devant le poste et se laisse happer par les images noir et blanc de cette fantastique aventure. La pauvre Ann Darrow tente d’échapper à la misère en accompagnant un cinéaste sur une île lointaine. La voilà kidnappée par les indigènes, et attachée sur un autel, en offrande à leur dieu ! Un gong est frappé sans répit tandis que des milliers d’adorateurs scandent un nom : “ Kong ! Kong ! Kong ! ”. Soudain, dans un craquement d’arbres abattus, un gorille géant, aussi haut qu’un immeuble, émerge des ténèbres. Il pousse un rugissement terrifiant, et saisit la jeune fille dans son énorme patte ! Les séquences du film se succèdent, toutes plus magiques les unes que les autres : la découverte d’une jungle infestée de dinosaures, le combat de Kong contre un Tyrranosaure, la capture du gorille géant, son exhibition dans un music-hall de New York, sa fuite désespérée dans la ville, à la recherche d’Ann, et la fin de la bête amoureuse, mitraillée par les biplans au sommet du gratte ciel de l’Empire State… Avant que le générique de fin s’achève, Peter lance à sa mère : “ Plus tard, je serai réalisateur ! Je raconterai des histoires pleines de monstres ! ”. Lorsque Noël arrive, découvre le cadeau dont il rêvait sous le sapin : une caméra 8mm !

La boucle est bouclée

28 ans s’écoulent. En 1997, Jackson est devenu le seul réalisateur Néo-Zélandais connu dans le monde entier. Ses films fantastiques, produits sur sa terre natale, regorgent d’effets spéciaux créés par son propre studio, Weta. Ces ateliers high tech s'étendent déjà sur 6300 mètres carrés, et emploient alors 100 personnes. Des infographistes, bien sûr, mais aussi de nombreux artisans recrutés dans tout le pays. C’est alors que le téléphone sonne “ Mr Jackson ? Les studios Universal à l’appareil. Accepteriez-vous d’écrire pour nous le scénario du remake de King Kong ? ” Jackson n’en croit pas ses oreilles…Revisiter son film-culte ! Un tel cadeau du destin ne se refuse pas…Il se met fiévreusement au travail avec sa compagne Fran Walsh, et décide de situer le film en 1933. C’est un hommage au film original, bien sûr, mais aussi une évocation du thème des terres lointaines peuplées de créatures étranges, qui imprègne toute la culture populaire de l’époque. 21 ans plus tôt, on avait découvert les fameux dragons de l’île de Komodo et toute une génération d’explorateurs s’était lancée à la recherche d’autres bestioles inconnues ! Jackson garde la trame de l’histoire originelle, mais décrit aussi la grande dépression économique qui frappait les USA dans les années 30. Les scènes d’action avec Kong sont rendues plus brutales, plus spectaculaires et enrichies de rebondissements inédits. Le script est envoyé à Universal et Jackson tourne en rond en attendant le verdict des patrons du studio. “ Pourvu qu’ils ne nous demandent pas de transposer l’action à l’époque actuelle, comme dans le remake de 1976 ! ”. Dans ce gros ratage Hollywoodien, Kong était traité de macho par une blonde évaporée tendance new age, et déambulait dans un New York tentaculaire, aux décors gris et sales ! Universal appelle : “ Hey Peter ! Ici, tout le monde adore le script. Ça vous dirait de réaliser le film ? ”. Fou de joie, Jackson accepte aussitôt.

Faux départ

Flottant sur un petit nuage rose, Jackson s’endette lourdement pour fournir à Weta les ordinateur et les logiciels de pointe qui permettront d’animer King Kong. De nouveaux infographistes sont engagés et créent les premiers tests 3D du personnage. Jackson a imaginé une nouvelle version du combat entre Kong et le T-Rex qui veut croquer Ann. Cette fois-ci, le gorille affrontera non pas un, mais trois dinosaures ! Tout avance comme sur des roulettes, mais soudain, Patatras ! Universal change d’avis : “ Peter ? J’ai peur d’avoir une mauvaise nouvelle : on va devoir abandonner le projet ”. Sonné debout, Jackson écoute poliment les arguments de son interlocuteur : on vient d’apprendre que le studio Columbia tourne un remake des méfaits du dragon japonais Godzilla, tandis que Disney produit le remake d’un autre film de gorille taille XXL: Mighty Joe Young ! Largement de quoi donner une indigestion de monstres géants aux spectateurs... Jackson raccroche, anéanti. Le revirement d’Universal est une catastrophe qui risque de le ruiner s’il ne trouve pas rapidement un projet pour donner du travail à ses équipes. Il part à l’assaut d’Hollywood en proposant d’adapter la saga du Seigneur des Anneaux en trois films. Cette fois-ci, ses nouveaux partenaires du studio New Line, le soutiennent jusqu’au bout. Ils investissent 270 millions de dollars. Une manne providentielle qui sera dépensée à 90% en Nouvelle-Zélande ! Weta est sauvé. Et Jackson consacre 7 ans de sa vie à cette nouvelle aventure.

Une revanche éclatante

Le prodigieux succès de la trilogie rapporte non seulement trois Oscars au réalisateur (et une douzaine à Weta !), mais lui permet de revenir en force auprès d’Universal. Le studio qui avait jadis mis King Kong au placard déroule à présent un tapis de billets verts sous les pieds du cinéaste. Il a carte blanche et se voit offrir un beau budget de 110 millions de dollars. Mais en échange de ce pactole, Universal fixe une date de sortie Américaine non négociable : le 14 décembre 2005. Jackson dispose a peine de deux ans pour finaliser l’intrigue du film, préparer des milliers de plans d’effets spéciaux, et faire construire des décors d’époque !

Le compte à rebours commence

Pour gagner cette course contre la montre, Jackson a commencé à écrire une nouvelle version du scénario de King Kong avec Fran Walsh, et la co-scénariste du Seigneur des anneaux, Philippa Boyens, pendant la post-production du Retour du Roi. Alors qu’il adore les films fantastiques, il n’a pu s’empêcher de lâcher une bordée de jurons en reconnaissant plusieurs des scènes d’action de son premier script dans La momie et dans Jurassic Park 3, deux productions Universal ! Hasard ? Emploi abusif de la photocopieuse du studio ? Jackson n’a plus le temps de mener une enquête, car il est trop occupé à réinventer Kong . Au lieu d’être un jeune mâle vigoureux, comme dans l’original, le gorille est désormais un dos argenté, un vieux singe balafré, affaibli, usé par trop de combats contre les dinosaures de Skull Island. Le roi Kong, qui voit la fin de son règne approcher, n'a jamais éprouvé de sentiments pour la moindre créature pendant sa longue existence…Mais il est soudain bouleversé par l’apparition de la frêle poupée blonde qui surgit dans son domaine. En 1933, c’était la frémissante Fay Wray qui l’incarnait. Jackson, qui vénère l’actrice, lui a déjà prévu une apparition de choix: lorsque Kong tombera de l’empire State Building, c’est cette belle vieille dame de 94 ans qui fendra la foule des badauds pour prononcer la célèbre phrase “ C’est la belle qui a tué la bête ! ” Malheureusement, elle disparaît avant d’avoir pu tourner cette scène. Pour tenir le rôle d’Ann, Jackson engage Naomi Watts, bouleversante dans le thriller 21 Grammes, et dont les traits ressemblent étonnamment à ceux de Fay Wray

De Gollum à Kong

En 1933, King Kong était une marionnette articulée dont Willis O’Brien modifiait patiemment les postures, image par image, pour lui donner vie. Jackson adore l’animation, mais il écarte d’emblée cette technique trop saccadée pour satisfaire le public de 2005, grand consommateur de films récents, et de monstres numériques. Heureusement, Weta bénéficie de l’expérience acquise pendant la création de Gollum, le personnage 3D le plus crédible jamais vu au cinéma. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Jackson attribue le rôle de Kong à…Gollum, c’est à dire à Andy Sirkis (qui joue aussi le rôle de Lumpy, le cuistot crasseux du bateau qui mène nos héros à Skull Island !). Le comédien se retrouve à nouveau affublé d’un costume orné de points de repères, le visage quadrillé de sphères blanches, et entouré par une dizaine de caméras qui captent ses gestes et ses mimiques et les transposent dans l’ordinateur. Mais cette technique a ses limites : on ne peut coller des petites billes ni sur les paupières , ni à l’intérieur des lèvres, ni sur les yeux de Sirkis. Les infographistes créent donc entièrement le regard, la bouche, la dentition et la langue de l’effigie virtuelle de Kong. La performance de Sirkis constitue la base des mouvements du personnage, mais les animateurs peuvent changer les poses ou transformer l’expression du gorille à tout moment pour répondre aux souhaits du réalisateur. Alors que la préparation avance, Jackson n’a toujours pas vu le faciès du singe. “ Dites donc, les gars, vous me le montrez quand, le visage de Kong ? ” demande-t’il avec une pointe de stress dans la voix. Il vaudrait mieux que l’aspect de son énorme vedette soit convaincant, sinon, le projet de 110 millions de dollars pourrait aller droit dans le mur ! Lorsqu’il découvre le premier gros plan de sa créature, une image de haute définition qui a nécessité plusieurs heures de calculs sur une batterie d’ordinateurs hauts de gamme, Jackson pousse un soupir de soulagement. Tout est parfaitement réaliste: la couleur de la peau balafrée, l’humidité des yeux, les rides, l’agencement de la fourrure. Kong semble prêt à bondir sur le plateau pour tourner sa première scène !

Un tournant dans l’histoire des effets spéciaux

Mais au cours de cette étrange histoire d’amour, Kong tripote souvent – en tout bien tout honneur – sa minuscule fiancée. “ Comment va-t’on placer Naomi Watts dans la patte 3D de Kong ? ” demande Jackson. En 1933, on avait fabriqué une patte géante articulée dans laquelle Fay Wray pouvait se débattre à loisir, et on projetait la scène sur un petit écran, placé derrière la marionnette du gorille…Joe Letteri, qui dirige le département des images numériques de Weta, et Richard Taylor, patron de l’atelier des effets spéciaux , construisent eux aussi une main géante. Mais elle est couverte de mousse bleue, et placée devant un fond de la même couleur. Naomi Watts s’installe dans cette grosse paluche et tourne quelques scènes. Ensuite, place aux effets numériques : on efface les éléments bleus pour incruster la patte 3D de Kong autour de l’image de l’actrice. Le trucage fonctionne, mais il est fastidieux. A chaque image, il faut recaler la position de la patte 3D autour de la silhouette de Naomi Watts. Il faut imaginer une procédure plus pratique et plus rapide, qui puisse convenir à toutes les scènes ou Ann est enserrée dans la pogne du singe virtuel. Jackson, que les défis techniques n’effraient pas, lance à son équipe : “ Et si on créait un clone 3D parfait de Naomi ? Si Kong et Ann sont tous les deux en synthèse, les interactions seront faciles à gérer ! ” En bon superviseur d’effets visuels, Joe Letteri se contente de sourire et de dire “ Pas de problème, Peter ! ”. En réalité, il vient de se voir confier une tâche longtemps jugée impossible…Après un long moment de panique et quelques nuits d’insomnies, Letteri et ses infographistes s’organisent. Le corps et le visage de Naomi Watts sont scannés en trois dimensions et à très haute résolution. On prend des milliers de photographies de l’actrice, pour reconstituer les moindres détails de sa peau, de ses yeux, de ses cils. Son squelette virtuel est doté de muscles qui se comportent comme des vrais, et d’une peau sur la surface de laquelle on applique les détails photographiques recueillis. On reconstitue la transparence de la chair, les mouvements de la chevelure blonde, les plis de la robe de soie portée par l’actrice. Comme Andy Sirkis, Naomi Watts se retrouve dans le studio de capture de mouvements : son double bougera exactement comme elle. Bientôt, Weta réalise une scène où l’on voit Naomi Watts courir dans la jungle et être happée au vol par Kong. Jackson se laisse prendre au piège, et peine à croire que l’actrice est simulée en images de synthèse. Pour la première fois dans l’histoire du cinéma, un personnage 3D est impossible à distinguer de la comédienne dont il est l’avatar.

Une jungle plus vraie que nature

La jungle, elle, ne sera pas réalisée en 3D. Comme tous les fans du King Kong de 1933, Jackson adore les maquettes de paysages conçues par Willis O’Brien : des jungles denses, aux arbres noueux, qui s’étendent jusqu’à l’horizon. Jackson imagine une végétation foisonnante et atteinte de gigantisme, comme la faune de l’île. Les arbres miniatures de 1933 superbes, étaient néanmoins rigides et donc immobiles. Jackson a une autre idée à soumettre à Richard Taylor “ Je veux voir des arbres “ vivants ” ! Des branches qui remuent, des feuillages agités par le vent ! ”. A peine a-t’il dit “ Oui Peter ! ” que Taylor sonne le branle-bas de combat . Il convoque plusieurs botanistes et leur demande de recenser toutes les plantes de petite taille que l’on pourrait placer dans des maquettes pour jouer des rôles de fougères, de buissons ou de feuillages divers. Le “ casting végétal ” a lieu dans le monde entier. On fait venir des plantes qui poussent dans les hautes montagnes de Bolivie, des fougères naines d’Australie, des mousses de Chine, et cette végétation miniature est bichonnée jour et nuit par des jardiniers dans les serres des studios de Wellington. Dès que les maquettistes achèvent la structure d’un décor miniature, les experts aux mains vertes viennent greffer les plantes naines sur les branches des arbres et dans les infractuosités des rochers taillés dans la mousse de polyuréthane. Les fougères sont lestées avec des plombs de pêche pour onduler plus lourdement. On lance la caméra à 120 images secondes et les ventilateurs à plein régime. A la projection à 24 images seconde, la jungle de Skull Island prend vie. Il ne reste plus qu’à filmer les acteurs sur fond bleu, marchant sur de l’herbe figurée par de la fourrure synthétique verte, pour les incruster dans ce paysage lilliputien !

New York 1933

Dernier problème et pas des moindres : recréer le New York de 1933. Contrairement à Shoedsack et Cooper, les réalisateurs de l’original, Jackson ne peut évoquer cette époque en installant sa caméra dans les rues de la mégapole: si l’Empire State Building est toujours là, des architectures modernes ont jailli de tous côtés depuis 72 ans. Qu’à cela ne tienne. Le décorateur Grant Major fouille dans les archives photographiques de New York et déniche des milliers de documents d’époque. Il dessine les plans de plusieurs pâtés de maisons du quartier de Time Square et les recrée jusqu’au premier étage dans les plaines de Hutt Valley, près de Wellington. Les détails les plus infimes des façades de buildings, des échoppes, des magasins de journaux sont rigoureusement authentiques. De fausses entrées de métro sont creusées dans le sol, et des bouches d’égout factices alimentées par des échappements de vapeur ! Tout ce qui n’est pas construit “ en dur ” est prolongé à l’image par des architectures virtuelles : étages manquants, perspectives des avenues qui se perdent à l’horizon, enseignes publicitaires géantes, etc…Mais Weta Digital ne s’arrête pas en si bon chemin. Ses infographistes reconstituent aussi en 3D une vue d’ensemble de New York, dans laquelle ils réinsèrent tous les bâtiments disparus depuis 1933 ! Ce soin apportés aux détails sera particulièrement payant pendant la scène finale, où Kong, agrippé au sommet de l’empire State Building, est mitraillé par une escadrille d’avions. Lorsque Jackson découvre qu’il n’existe plus aucun exemplaire du modèle de biplan que l’on voit dans le film de 1933, il en fait construire un selon les techniques de fabrication de l’époque, à partir des documents retrouvés dans les archives du fabricant ! Ce modèle unique est fixé sur une plateforme hydraulique pour simuler les vrilles et les manœuvres des combats. Mais qui va jouer le rôle du pilote qui tire sur Kong ? “ Moi ! ” annonce Jackson en saisissant un blouson, des lunette et un casque d’aviateur ! Et le voilà qui grimpe dans la carlingue pour estourbir le gorille, en compagnie de Rick Baker, qui créa le costume du King Kong de 1976 ! Grâce au fond bleu, le biplan flambant neuf est incrusté au premier plan de l’image, tandis que des avions 3D constituent le reste de l’escadrille du capitaine Jackson. Démonté avec soin, il trône à présent dans le musée de l’aviation de Nouvelle-Zélande !

Le triomphe de Kong

Au vu du résultat final, le remake est digne du film culte de 1933, sans lui être supérieur, bien sûr, puisqu’il n’y aura toujours qu’un seul original. C’est déjà une extraordinaire réussite. Il existe des remakes stupidement inutiles comme celui du Psychose d’Hitchcock (repris presque plan par plan, mais en couleurs !) tandis que le Ben-Hur des années 50, lui, a été une bonne surprise : cette fresque flamboyante est largement supérieure à la version poussive de 1925. Peter Jackson a su rendre un merveilleux hommage en cinémascope à son film favori, et concevoir des morceaux de bravoure hallucinants, comme l’incroyable bataille de Kong contre trois T-Rex. Qu’il en soit remercié !



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