Terminator Renaissance : Entretien avec Charlie Gibson, superviseur des effets visuels
Article Cinéma du Samedi 04 Juillet 2015

A l'occasion de la sortie de Terminator : Genisys, retour sur la création des effets visuels de Terminator Renaissance...

C’est le 23 juin 2008, sur le tournage de Terminator Renaissance que ESI a rencontré Charlie Gibson. Déjà récompensé par deux Oscars – pour Babe (1996) et pour Pirates des Caraïbes, jusqu’au bout du monde (2006) – Charlie Gibson devait alors se dédoubler pour superviser les effets visuels du film, tout en réalisant les scènes tournées par la seconde équipe…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Combien de temps a duré la pré-production du film, et la préparation des effets visuels qu’il faudrait réaliser ?

Nous avons disposé d’un peu moins de temps que sur d’autres projets d’une ampleur équivalente. McG a décidé qu’I.L.M. s’occuperait du film dès qu’il a pris en charge le projet. J’ai commencé la préparation en novembre 2007 et le tournage a débuté six mois plus tard. Pour un film qui compte autant d’effets visuels, c’est un délai plutôt court.

Faites-vous partie d’I.L.M. vous-même ?

Non, je travaille en tant que superviseur d’effets visuels indépendant. Et je coordonne le travail qui est effectué conjointement par I.L.M. et Asylum.

Quelles sont les principales séquences d’effets visuels du film ?

Au milieu du film, il y a une grande séquence d’action dans laquelle intervient le récolteur, qui est le terminator géant dont vous avez dû voir plusieurs versions dessinées par Martin Laing, ainsi que les moto-terminators.

Est-ce que le récolteur et les moto-terminators sont réalisés entièrement en 3D ?

Oui, à 95 %. Il y a ensuite une séquence de combat aérien entre un avion des forces de la résistance humaine et deux engins de Skynet : un chasseur-tueur et un aéronef de transport des prisonniers humains. Ce que j’aime beaucoup dans cette séquence, c’est que les appareils utilisés par les rebelles humains sont en mauvais état, parce qu’ils ont été bricolés à partir de pièces de récupération. Nous allons en tenir compte quand nous allons animer cette scène. Nous allons montrer que l’avion de Blair réagit comme une machine usée, en bout de course. Ce qui me plaît, c’est l’idée d’ajouter un peu de « low tech » dans le film de cette manière. Cela rejoint l’habitude de Steven Spielberg qui consiste à injecter toujours une chose de la vie courante dans le fantastique, pour le rendre plus proche. Ce combat aérien, ce sera la lutte entre des machines super-sophistiquées qui tirent du plasma et des engins antiques, qui tombent presque en morceaux.

L’usine de terminators

Quelle est la séquence la plus complexe que vous allez réaliser ?

Elle se déroule à la fin du film, quand on voit la création des modèles les plus avancés de terminators. Ces personnages vont être des synthèses d’humains et de robots. Ce que l’on faisait traditionnellement par des effets de maquillage et des effets mécaniques, nous allons le faire entièrement en 3D pour un personnage en particulier. D’autres personnages seront réalisés à moitié en prises de vues réelles, avec des maquillages spéciaux et des effets animatroniques, et à moitié avec des parties mécaniques 3D ajoutées en post-production.

Allez-vous être impliqué dans l’apparition d’Arnold Schwarzenegger ?

(rires) Peut-être ! (rires) Nous sommes en train d’en parler en ce moment-même.

Allez-vous créer beaucoup d’extensions de décors pour décrire les paysages de ce monde post-apocalyptique ?

Pas énormément. La vision de McG, c’est de rester le plus proche possible de la réalité. On ne voit donc que ce que les protagonistes de l’histoire peuvent voir eux-mêmes. La plus grande partie de la description de l’apocalypse nucléaire est faite par le biais de la conception artistique du film, par les décors et les costumes. Vers la fin, quand nous découvrons les installations de Skynet, nous révélons qu’elles sont situées dans les ruines de San Francisco. C’est dans cette partie-là du film que nous avons placé le plus d’extensions de décors et de peintures numériques des paysages.

Quels types d’effets « invisibles » avez-vous à réaliser pour ce film ?

Nous avons à effacer les manipulateurs qui animent les marionnettes à tiges construites par le studio de Stan Winston. Nous effaçons les câbles qui permettent de protéger les acteurs ou les cascadeurs qui se trouvent au sommet de certains décors. Il y a aussi des équipements particuliers à effacer dans certaines cascades, et même quelquefois des pieds de projecteurs ou de bouts d’autres caméras qui sont dans le cadre alors que ce n’était pas prévu ! Cela arrive bien plus souvent qu’on ne le croit, surtout quand des scènes sont filmées par plusieurs caméras en même temps. Nous changeons la couleur du ciel quand c’est nécessaire. Nous avons modifié l’aspect de certains décors extérieurs pour que l’un puisse raccorder avec un autre qui est situé ailleurs. Il nous est aussi arrivé de lier en un seul plan-séquences des éléments tournés dans trois endroits complètement différents, en calant des éléments de décor virtuels dans les parties d’image qui nous permettent de joindre ces différentes prises de vues. Mais l’essentiel de notre travail concerne les personnages de terminators, l’apparence de Markus et les véhicules et machines dont nous venons de parler.

Les terminators 3D

Comment avez-vous créé les versions virtuelles des terminators ? Avez-vous cyberscanné les modèles créés par l’équipe de Stan Winston ?

Nous avons commencé par là, effectivement. En scannant le T-600. Le T-800 est un modèle qui avait déjà été scanné par I.L.M. à l’époque de Terminator 3. Et nous avons donc réutilisé ces données que nous possédions déjà.

Allez-vous utiliser des maquettes dans le film ?

Oui. Dans une des séquences du début, on montre les antennes paraboliques de radiotéléscopes géants. Elles seront réalisées sous forme de maquettes. Les scènes dans lesquelles vous verrez des avions exploser ou des véhicules s’écraser contre des obstacles seront filmées avec des maquettes et des paysages miniatures. Ces éléments et ces effets pyrotechniques miniatures seront réalisés par Kerner Optical, qui est l’ancien atelier de miniatures d’I.L.M., devenu une entité indépendante depuis quelques années. Nous sommes très heureux d’avoir l’occasion de travailler à nouveau avec eux.

Allez-vous ajouter aussi beaucoup d’éléments comme des effets de flash lumineux au bout des canons des armes à feu, des impacts sur les décors et les personnages, des explosions ?

Oui, beaucoup ! Habituellement, je procède en filmant plusieurs dizaines de séries d’effets de ce genre sur fond bleu, ce qui permet de créer une « banque » d’effets dans laquelle on peut puiser pendant la post-production. Ensuite, on peut les ajouter numériquement dans les prises de vues réelles.

Est-ce que vous faites cela parce que c’est moins coûteux de recourir à des manipulations numériques qu’à des effets réalisés en direct ?

Non, c’est parce que l’on peut contrôler exactement le rendu de l’effet que l’on veut obtenir. En fin de compte, on crée précisément ce que l’on souhaite et le résultat est meilleur. On peut augmenter l’intensité des flashs des armes, changer leur couleur, ajouter de la fumée 3D et la disperser par une animation qui simule un effet de vent…Nous pouvons agir comme le réalisateur le souhaite pour rendre le plan le plus intéressant possible.

Des acteurs clonés

Allez-vous utiliser des doubles numériques de certains des personnages principaux ?

Oui. Nous les avons cyberscannés de la tête aux pieds, et fait aussi des photos haute résolution des textures de leurs peaux et de leurs vêtements.

Quels sont les comédiens qui seront « clonés » ainsi ?

Moon Goodblood, qui joue Blair, parce qu’elle pilote un avion que nous allons reconstituer en 3D. Nous devons donc placer son effigie en 3D dans le cockpit de l’appareil. Sam Worthington, qui incarne Markus, parce qu’il est manipulé par le terminator géant. Nous avons aussi cyberscanné des enfants, qui sont capturés eux aussi par le récolteur, et plusieurs personnages secondaires qui sont impliqués dans des cascades trop extrêmes pour être réalisés en vrai. Ils nous serviront aussi de figurants synthétiques pour compléter des scènes de foules et pour remplir les caissons en forme de bétaillères qui se trouvent sur les flancs des véhicules de transport des prisonniers.

Des effets en direct

Utilisez-vous encore des effets spéciaux basiques, de première génération, sur un film de cette ampleur ?

Autant que nous le pouvons ! Ma philosophie, c’est de mettre en place un effet en utilisant toujours un point de départ réel, même si c’est quelque chose de très simple, comme un accessoire qui bouge, ou un élément de décor dont on simule l’écroulement. Ensuite, on dispose d’une base solide pour greffer les effets 3D, parce que l’on peut ainsi les rattacher à quelque chose de concret, de réel. C’est la raison pour laquelle l’équipe de Stan Winston a eu tellement de choses à faire sur ce film. Nous avons fait appel à eux le plus souvent possible. J’ai beaucoup de respect pour le travail des gens qui réalisent les effets spéciaux devant la caméra, qu’il s’agisse des maquilleurs, des spécialistes des effets mécaniques, des effets de plateau, des artificiers, etc… Ils font des choses concrètes qui ont un impact formidable pendant le tournage, car toute l’équipe est heureuse de voir ça, et les acteurs peuvent visualiser immédiatement ce que donnera la scène quand elle sera terminée. Tout cela est très positif.

Pouvez-vous nous donner des exemples des effets de plateau que vous utilisez ?

Eh bien nous employons énormément d’effets pyrotechniques. Les acteurs se retrouvent souvent sur des champs de bataille et courent au milieu d’explosions et d’impacts de balles qui sont réalisées en direct. Nous faisons exploser des murs, des voitures, et même des bâtiments entiers. Nous avons détruit ainsi la station service dans laquelle a lieu la confrontation avec le récolteur. Quand vous tournez ces effets « en vrai », vous obtenez des détails, un sentiment d’échelle et d’ampleur que vous n’égalez pas tout à fait en ayant recours à des explosions miniatures ou à des simulations d’explosions en images de synthèse. Il y a plus de « petits accidents heureux » qui arrivent dans la réalité que pendant qu’une maquette est pulvérisée. La force de gravité joue différemment dans la réalité. Les matériaux métalliques se tordent différemment. La fumée se comporte autrement. Il y a toute une qualité viscérale, que l’on ressent immédiatement comme réelle, que l’on ne retrouve pas forcément quand on emploie des effets miniatures, même si on peut en réaliser qui sont très réussis. Disons que les effets miniatures font toujours partie de la seconde option, si on n’a pas la possibilité d’utiliser des explosions à taille réelle.

Vous disiez auparavant que vous rajoutiez des explosions dans les images en post-production, mais comment gérez-vous les réactions des acteurs ? Utilisez-vous des petites explosions pendant le tournage, que vous amplifiez ensuite ?

C’est exactement ça. Il nous arrive assez souvent de placer des petites charges explosives près des acteurs, pour les faire réagir sans leur faire courir le moindre risque. Ensuite, nous reprenons la scène et nous ajoutons une simulation d’explosion nettement plus puissante, que l’on n’aurait pas pu utiliser « en vrai » sans faire courir des risques aux comédiens.

Comment avez-vous projeté en l’air la carcasse de la voiture que l’on voit ensuite retomber et percer le toit de la station service, pendant la séquence de l’attaque du récolteur ?

Eh bien c’est justement un exemple d’un des effets réalisés « en direct ». La carcasse de la voiture avait été préparée avant : Michael Meinardus, le superviseur des effets spéciaux de plateau, avait retiré le moteur et d’autres parties lourdes pour ne garder que la carcasse et la carrosserie. Mike et son équipe ont placé à l’intérieur des réservoirs en plastique remplis d’essence et d’acétone pour obtenir un certain type de boule de feu, ainsi qu’une charge explosive. Une sorte de canon a été placé dans un trou creusé dans la route, pour créer l’explosion initiale qui est sensée la propulser en l’air. En réalité, la voiture est attachée à une sorte de catapulte qui lui a d’abord fait atteindre une vitesse de 65 KMH sur la route, l’a tirée vers le haut exactement au moment où l’explosion du canon était déclenchée, et l’a laissé retomber sur le décor de la station service. Tout ce que vous voyez dans l’image est réel ! Michael Meinardus a fait un excellent travail.

Mécanismes virtuels et acteur réel

Quelle est la partie la plus délicate du trucage qui consiste à placer les mécanismes en synthèse dans le corps de Markus ?

Nous nous servons des pastilles jaunes collées sur les parties peintes en vert du maquillage pour détecter la position précise du torse et des bras de Sam Worthington dans l’image. La partie la plus délicate de ce travail consiste à placer les mécanismes 3D exactement dans la même position que le vrai corps de Sam, puis de mélanger les deux. Les bords des blessures réalisées par les équipes de Stan Winston nous aident à réaliser cet amalgame. C’est bien mieux de procéder ainsi plutôt que d’essayer de recréer des parties de chair en 3D, qui ont un aspect moins convaincant. Pour aligner les perspectives du corps de Sam et du corps 3D avec les mécanismes, nous nous aidons d’une seconde caméra placée à coté de la caméra principale. Ces deux points de vues nous permettent de faire une triangulation, et de situer Sam dans un espace en trois dimensions. Cela nous permet d’animer les mécanismes en suivant précisément ses mouvements. Nous allons ajouter aussi des fuites de liquide hydraulique, et des masses d’une horrible chair mi-cybernétique, mi-humaine. Tout cela aura un aspect humide et gluant. Les parties métalliques de son corps et ces éléments organiques seront entremêlés.

L’éclairage très vif placé derrière Sam Worthington pendant la scène de l’interrogatoire crée un effet de contre-jour très fort. Sur les moniteurs placés sur le plateau, on ne voit presque plus le vert et les points jaunes sur sa poitrine…

Oui, mais ils ressortiront assez sur la pellicule 35mm. Nous aurons encore suffisamment de détails pour pouvoir insérer les mécanismes 3D dans le corps de Markus, tout en ajoutant une simulation de lumière le traversant de part en part. Un effet de lumière très stylisé comme celui-ci nous aide énormément à mêler les retouches 3D aux prises de vues réelles.

Pouvez-vous nous rappeler pourquoi vous filmez toujours une boule chromée au milieu du décor, avant les prises de vues ?

C’est une astuce, car nous utilisons les reflets des projecteurs sur la surface de la boule pour recalculer ensuite leur emplacement dans le décor. C’est un moyen rapide de déterminer quels types d’éclairages étaient employés, quelle était leur intensité, leur couleur, leur orientation, etc. Ensuite, nous pouvoir reconstituer ces sources lumineuses en 3D pour éclairer les éléments virtuels que nous ajoutons dans l’image, en l’occurrence, les mécanismes métalliques dans le corps de Markus. Nous utilisons aussi une boule grise afin d’enregistrer les températures de couleur des éclairages et l’ambiance lumineuse globale.

L’animation des robots

Comment allez-vous animer les T-600 et les T-800 qui seront entièrement réalisés en 3D ?

Nous allons utiliser les tenues I.M.O. qui ont été développées pour Pirates des Caraïbes et utiliser de la capture de mouvements à partir de prises de vues réalisées par plusieurs caméras. Les mouvements plus fins comme ceux des doigts seront créés par des animateurs, en animation de « phrases-clés ».

Allez-vous tenter des gros plans de certains des personnages réalisés en images de synthèse ?

Oui, notamment du T-800, du T-600, et des plans dans lesquels ont verra le visage très endommagé de Markus, dont une moitié du visage sera créée en 3D.

Comment rajoutez-vous les moto-terminators dans les images ?

Dans la plupart des plans, nous utilisons des vraies moto-terminators, fabriquées par l’équipe de Martin Laing à partir de structures de motos fournies par Ducati. Nous utilisons des techniques traditionnelles, c’est à dire que les motos sont fixées sur des supports qui leur permettent d’avoir l’air de rouler, tandis que nous les filmons depuis une voiture équipée d’une plateforme, qui avance sur la route, devant elles. Selon les cadrages, nous utiliserons soit les véritables moto-terminators, soit elles seront effacées pour être remplacées par des répliques 3D. Ce sera notamment le cas dans la scène pendant laquelle John Connor saute sur une moto-terminator et parvient à en prendre le contrôle. La base de l’image a été filmée avec une des « vraies » motos, mais au final, nous ne gardons que les prises de vues réelles de Christian Bale, et ajoutons la moto 3D, qui est animée afn que la séquence soit encore plus spectaculaire, car la moto prise d’assaut se défend, bien sûr ! Elle a des réactions très rapides, qui seraient impossibles à simuler avec un véritable engin.

La suite de notre entretien avec Charlie Gibson paraîtra très prochainement sur notre site.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.