Exclusif : Entretien avec Boyd Shermis, superviseur des effets visuels de G.I. Joe, le réveil du Cobra
Article Cinéma du Jeudi 03 Septembre 2009

C’est sur Speed (1994) que Boyd Shermis a occupé pour la première fois les fonctions de superviseur des effets visuels. L’année suivante, il travaille sur Batman Forever, puis intervient en 1997 sur la mini-série The Shining supervisée par Stephen King (Le roi du roman d’horreur avait toujours désavoué l’adaptation cinématographique de Stanley Kubrick). Shermis collabore ensuite avec John Woo sur Face/Off (1997), retrouve l’univers de Stephen King sur la mini-série La tempête du siècle (1999), et passe aux poursuites de voitures de 60 Secondes Chrono (2000), à la comédie Opération Espadon (2001), au film d’action En Sursis (2003), puis au naufrage spectaculaire de Poseidon (2006). Depuis Les 4 Fantastiques et le surfer d’argent (2007), il reste fidèle au fantastique, travaillant sur Invasion (2007) et G.I. Joe, le réveil du Cobra (2009).

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment Stephen Sommers vous a t’il décrit le style visuel qu’il souhaitait donner aux effets visuels de G.I. Joe ?

En réalité, ma toute première conversation à propos des effets visuels de G.I. Joe a eu lieu avec Lorenzo DiBonaventura, l’un des producteurs principaux du film. Il m’a dit qu’il souhaitait que le film ait un aspect légèrement futuriste, et que les plans truqués soient dynamiques et extrêmement spectaculaires. Et c’est pratiquement ce que Stephen Sommers m’a répété quand nous nous sommes rencontrés. Je le connaissais déjà, parce que j’avais travaillé avec lui sur le développement du Choc des Mondes, deux ans auparavant, avant que ce projet ne soit « gelé » par Paramount, à cause du film-catastrophe 2012 que préparait Roland Emmerich. Lorenzo et Stephen avaient envie que les armes et les gadgets militaires de G.I. Joe soient des extrapolations des véritables inventions que l’armée développe actuellement, notamment au sein de la division DARPA. (Cette division finance des recherches de haute technologie, en partenariat avec les plus grandes universités américaines, NDLR.) Nous avons examiné les prototypes actuels du DARPA, pour imaginer comment ils pourraient évoluer d’ici 5 à 10 ans, dans le futur proche où se déroule le film.

Jusqu’à quel point avez-vous tenu compte de la réalité actuelle des différents projets d’exosquelettes financés par l’armée US, pour mettre au point les armures accélératrices du film ?

Nous nous en sommes beaucoup inspirés, tout en imaginant que leurs capacités étaient celles d’exosquelettes de la troisième ou quatrième génération suivant les modèles actuels. Nous avons d’ailleurs examiné aussi bien les projets destinés à une utilisation industrielle – qui permettent à un homme de soulever des poids de 220 kilos sans effort, et de manipuler des équipements très encombrants – que ceux destinés à l’armée, qui ont pour but de permettre à un fantassin de se déplacer plus vite et en faisant moins d’effort pendant plusieurs heures de marche, tout en portant un fardeau plus lourd. Un soldat pourrait ainsi marcher beaucoup plus longtemps, et sur une plus grande distance, en étant très peu fatigué à l’arrivée. Une des applications de cette technologie, c’est la possibilité de mettre au point des systèmes qui permettraient à des paraplégiques de marcher à nouveau.

Avez-vous eu l’occasion de voir vous-même de vrais exosquelettes en action ?

Pas directement, mais je me suis procuré une heure de séquences vidéo où on les voit fonctionner. Mais bien sûr, nous avons transposé tout cela pour coller à l’action des scènes prévues dans le script. Dans G.I. Joe, les tenues accélératrices servent à courir plus vite, à sauter plus haut, mais aussi à absorber les coups en étant mieux protégé.

Avez-vous chercher à imiter un peu l’aspect des vrais exosquelettes ?

Non, parce qu’ils sont assez laids ! (rires) Disons que nous avons conçu le costume en plusieurs couches, afin de suggérer quelles technologies pourraient servir au fonctionnement de ces armures. Il y a une partie interne, souple, articulée, qui est sensée décupler la puissance des gestes de nos héros, et une partie externe plus dure dont le rôle est de protéger ces équipements, comme une armure.

Revenons à vos discussions avec Stephen Sommers. En dehors de sa volonté que tout soit spectaculaire, que vous a t’il dit d’autre sur l’aspect visuel des effets numériques ?

Il n’a pas été beaucoup plus spécifique que cela. Mais cela ne l’empêche pas d’être un réalisateur de grand talent, avec lequel il est très agréable de travailler, et qui a d’excellentes idées. Ce que j’ai trouvé très généreux de sa part, c’est qu’il m’a donné la chance de lui proposer des choses. Il m’a dit : « Je voudrais que la séquence de la poursuite avec les armures accélératrices soit très cool. Elle se déroule dans les rues de Paris, et il faut en profiter pour créer des tas de péripéties extraordinaires. » Et Stephen m’a donné carte blanche pour imaginer ce qui pourrait se passer au cours de cette poursuite ! C’était une opportunité très rare, car d’habitude, on ne donne pas à un superviseur d’effets visuels la possibilité d’exprimer à ce point sa créativité. J’ai décidé de préparer cela avec la compagnie Halon Entertainment qui est située à Santa Monica, et qui se spécialise dans la création de scènes de prévisualisation en 3D. Clint Reagan, qui est le superviseur de la prévisualisation, et moi-même, avons collaboré étroitement pour imaginer tout ce qui pourrait se passer pendant cette séquence. Nous avons d’abord écrit et dessiné tout cela sur du papier, en écrivant une mini-histoire, puis en créant un storyboard très simple. J’ai montré tout ça à Stephen, qui m’a dit, « OK, allez-y, foncez et éclatez-vous ! ». Nous avons développé la prévisualisation pendant six mois. Ce qui nous a pris du temps, c’est la mise au point des mouvements des véhicules et les interactions des personnages qui doivent les éviter de manière acrobatique, puis le choix des déplacements de la caméra pour montrer la scène de la manière la plus étonnante possible, tout en utilisant certains des lieux les plus connus de Paris, comme les Champs Elysées ou la tour Eiffel. Il fallait vraiment qu’on ait l’impression de se trouver à Paris, et que la ville était en danger.

Quels sont les différents studios d’effets visuels qui ont travaillé sur G.I. Joe ? Pourriez-vous nous dire pour quelles raisons ils ont été choisis et sur quelles séquences ils sont intervenus ?

Nous en avons employé plusieurs. Digital Domain a créé pratiquement toute la scène de l’attaque du convoi qui se déroule au début du film, ainsi que la poursuite avec les armures accélératrices. Moving Picture Company, qui est basé à Londres, s’est occupé de toute la bataille sous-marine ainsi que des plans larges autour de la base de Cobra située sous la banquise. Frantic Films s’est occupé de plusieurs séquences plus courtes, parmi lesquelles on peut citer la scène de combat aérien avec le vaisseau Night Raven, qui essaie d’intercepter des missiles. C.I.S. Hollywood et C.I.S. Vancouver sont intervenus sur des éléments qui se trouvent dans de nombreuses séquences, mais ils se sont occupés intégralement de la scène où l’on découvre pour la première fois l’intérieur de la base des G.I. Joe, ainsi que de la bataille qui a lieu plus tard dans le même endroit. Ils se sont également occupés du décor de la caverne de glace et des plans numériques du lancement des missiles. Framestore CFC, qui se trouve à Londres, s’est occupé de quelques plans très larges de présentation de décors, comme celui des missiles, et de plusieurs matte paintings numériques des paysages de Paris, dans lesquels on découvre un avion porteur qui survole la ville. Nous avons également fait appel à des prestataires comme Pixel Playground pour réaliser du compositing, ainsi qu’à Pacific Titles and arts studios, et j’allais oublier Café FX, qui a réalisé les plans de la désintégration des vipers, et de la métamorphose du personnage de McCullin en Destro.

Pourquoi avez-vous fait appel à autant de studios différents ? Etait-ce parce qu’un seul studio n’aurait pas pu s’occuper de tout ?

Personnellement, je n’aime pas confier tous les effets numériques à un seul studio d’effets visuel, parce que si vous faites cela, le prestataire possède un énorme pouvoir vis à vis de vous. Il peut s’en servir à son avantage, pour faire pression sur la production, et sur le réalisateur, et pour déterminer lui-même comment les choses doivent être faites, quels artistes vont s’en occuper dans leurs équipes, et quel sera le niveau de qualité maximal des plans qui seront livrés. Je me sens toujours un peu inquiet quand je me retrouve dans ce genre de situation. Je ne suis pas en train d’accuser de manière spécifique un studio d’effets visuels. Les gens n’utilisent pas forcément ce genre de tactiques, mais disons que je préfère ne pas courir ce risque. L’autre raison qui me pousse à faire appel à plusieurs sociétés, c’est mon expérience. Cela fait maintenant près de 25 ans que je travaille dans ce domaine, et j’ai eu l’occasion de collaborer avec de nombreuses sociétés différentes. J’ai remarqué que chacune d’entre elles avait un domaine d’expertise dans lequel elle excellait tout particulièrement. Ma démarche consiste donc à faire un véritable « casting » de studios, et à leur donner à faire précisément ce qu’ils savent faire le mieux. L’avantage de cette méthode, c’est que leur spécialisation dans certains domaines leur permet de créer ces plans plus vite que d’autres compagnies moins expérimentées. Cela vous aide à faire des économies, car le temps c’est de l’argent !

Est-ce que la répartition des plans entre toutes ces sociétés permet aussi de réaliser les plans truqués dans un délai plus court ?

Dans la plupart des cas, oui. Mais il arrive aussi que certaines des sociétés de taille moyenne avec lesquelles je choisis de travailler préfèrent disposer de plus de temps pour créer les plans que je leur confie, et en échange de cela, acceptent de pratiquer des tarifs plus raisonnables. Les délais de réalisation ne sont donc pas forcément le facteur de sélection déterminant.

Pouvez-vous citer un exemple de plan truqué qui a été réalisé ainsi, en donnant plus de temps à la société qui l’a créé ?

Eh bien Frantic Films, qui vient de changer de nom pour s’appeler Prime Focus, parce qu’elle vient d’être rachetée par une société de production indienne, est l’une de ces petites compagnies. Je leur ai confié un peu plus d’une centaine de plans, parmi lesquels ceux du Night Raven, ceux des Nanomites qui rongent tout sur leur passage, ainsi que plusieurs plans dans lesquels nous avons ajouté un serpent en 3D. Ces plans étaient délicats à réaliser, et ils ont pris le temps nécessaire pour les faire à la perfection.

Pouvez-vous expliquer comment vous avez créé la séquence des armures accélératrices, étape par étape ?

Comme je vous le disais tout à l’heure, tout a commencé par la création d’un storyboard esquissé très sommairement. Au départ, nous avions prévu une scène de poursuite sur une autoroute, puis nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas vraiment d’autoroute qui traversait Paris…et nous avons supprimé cette partie-là ! La séquence débute par la poursuite d’un personnage qui utilise un bazooka pour lancer un missile en direction de la Tour Eiffel. Ce missile contient des Nanomites, des robots si petits qu’ils peuvent démonter les atomes de tous les objets qu’ils touchent. La tour est détruite et les personnages de Duke et de Ripcord, vêtus de leurs armures accélératrices, poursuivent les terroristes.Une fois que nous avons établi la continuité des principales péripéties de la poursuite, et que Stephen Sommers l’a approuvée , nous avons réalisé la prévisualisation de toute la scène en 3D. Elle a été montrée ensuite à Stephen, à Lorenzo DiBonaventura, au monteur/producteur Bob Ducsay, et à la direction de Paramount. En la visionnant, ils ont réalisé que les armures accélératrices avaient un potentiel visuel encore plus fort que ce qu’ils avaient imaginé au départ, et ils ont convenu qu’elles gagneraient à être utilisées encore plus dans le film. Nous avons donc eu le feu vert pour développer davantage certains moments de la poursuite, en nous focalisant sur les armures. L’une des pistes à laquelle nous avions songé était d’utiliser la technique d’escalade urbaine appelée « Parkour », qui a été inventée en France, et de l’appliquer à la manière donc nos héros allaient utiliser leurs armures pour se déplacer. Etant donné que la scène se passe à Paris, cela semblait encore plus judicieux. Nous nous sommes donc inspirés des figures acrobatiques très spectaculaires que les spécialistes du Parkour exécutent pour franchir des obstacles et nous les avons utilisées notamment quand on les voit sauter par dessus une voiture qui vient de faire un tonneau et qui fonce sur eux.

Quand Stephen Sommers nous a parlé du concept des armures accélératrices, cela nous a rappelé à quel point il est difficile de montrer des personnages humains qui courent vite sans obtenir un effet involontairement comique. Un exemple frappant d’un tel trucage, figure dans le Superman de Richard Donner, quand le jeune Clark Kent court à toute allure à côté d’un train. L’acteur était tenu à la taille par un support ancré sur une sorte de chariot . Le chariot était dissimulé dans une tranchée à côté de la voie de chemin de fer, mais le mouvement des jambes de l’acteur, qu’il faisait bouger à toute allure, faisait penser à l’oiseau Bip Bip , poursuivi par le coyote dans les célèbres Looney Tunes de la Warner ! Immanquablement, cette scène faisait rire les spectateurs dans la salle. Avez-vous craint le même type de réaction, et comment avez-vous évité cet aspect un peu ridicule d’une course accélérée ?

Oh oui, je me souviens très bien de cette scène, et c’est un parfait exemple de ce que nous voulions éviter à tout prix. La toute première chose que nous avons faite avant même de confier cette séquence à Digital Domain, c’est de réfléchir. Nous nous sommes demandés comment des gens équipés de telles armures pourraient courir réellement à presque 100 KMH, sans avoir l’air stupide. Nous avons utilisé des données de course que nous avions recueillies avec un système de capture de mouvement, et nous les avons appliquées à un modèle 3D de joueur de football américain que Digital Domain avait dans ses fichiers. Ce qui était intéressant, c’est que l’équipement du joueur – son casque, ses protèges genoux , ses protèges épaules, allaient nous permettre d’obtenir des volumes assez proches de ce que pourraient être les armures accélératrices. A ce moment-là, le design des armures n’avait pas encore été finalisé. Pendant ces premiers tests d’animation, nous avons augmenté la distance au sol parcourue à chaque foulée. L’idée est que les jambes de Duke et de Ripcord ne bougent pas plus vite, mais qu’elles ont une telle force qu’elles les propulsent beaucoup plus fort et beaucoup plus loin à chaque pas. On évite donc le côté « Bip Bip et le coyote » dont vous parliez, grâce à ce concept. D’ailleurs, je dois ajouter que nous avons fait des captures de mouvements des deux acteurs qui participent à cette scène, Channing Tatum et Marlon Wayans, et ce, pendant plusieurs jours. Nous leur avons demandé de faire des manœuvres acrobatiques, d’escalader des obstacles, de courir, de pivoter pour changer de direction, de tomber, de se relever, etc. Nous avons obtenu ainsi une vaste banque d’animations, correspondant à presque toutes les situations qui pourraient se présenter pendant la poursuite. De plus, il s’agissait des gestes des vrais acteurs, pas d’animations créées plus tard, qui auraient pu ne pas ressembler à leur gestuelle personnelle. Une fois ces données recueillies, nous avons modifié l’amplitude des mouvements de jambes pour créer cet effet de foulée beaucoup plus longue, amplifiée par les mécanismes des armures.

Il y a beaucoup de choses qui se passent pendant cette fameuse poursuite : on tire des missiles sur les héros, ils bondissent par-dessus des obstacles, percutent les vitres d’un tram, etc. Comment avez-vous réussi à mélanger les éléments en prises de vues réelles avec ceux qui ont été réalisés en 3D ?

Par le biais d’une prévisualisation très détaillée. Nous avions même reconstitué les vraies rues dans lesquelles l’action allait se dérouler. Nous en connaissions les dimensions réelles, et les restrictions. Nous avons aussi déterminé quels supports de caméras, grues et travellings nous allions utiliser sur place. L’idée était de créer pendant cette prévisualisation des mouvements de caméra que nous allions pouvoir refaire à l’identique pendant le tournage. Cette prévisualisation a été peaufinée dans ses moindres détails, pratiquement jusqu’au premier jour de tournage. Et pendant le tournage, nous avons placé nos caméras aux endroits prévus, pour obtenir tous les angles dont nous allions avoir besoin pour filmer l’action comme nous l’avions imaginé. Pratiquement tous les plans que l’on peut voir dans le film achevé ressemblent à 99% aux plans de notre prévisualisation. Nous savions déjà aussi à ce moment-là ce que nous allions faire pendant la post production, même si certains choix de techniques ont un peu varié par la suite. Daniel Sudick, notre coordinateur des effets spéciaux, a pu se servir de notre prévisualisation de la séquence pour préparer ses effets pyrotechniques et ses explosions de voitures, ainsi que la trajectoire des véhicules une fois qu’ils étaient projetés en l’air par les explosions. Projeter des automobiles en l’air n’est pas une science exacte, mais nous savions quand même assez précisément ce que nous voulions, et nous l’avons obtenu.

En fin de compte, quels sont les éléments que vous avez tournés en prises de vues réelles et quels sont ceux qui ont été réalisés en 3D ?

La plupart des scènes a été tournée dans des rues de Prague que nous avions choisies en fonction de leur ressemblance avec des rues de Paris. Là-bas, il y a beaucoup moins de restrictions concernant ce que l’on a le droit de faire pendant un tournage. Mais en dépit de cela, ils ne nous ont pas laissé utiliser tous les effets spéciaux prévus dans toutes les rues. Il n’y a que dans deux rues que nous avons pu créer de grosses explosions et projeter une voiture à 12 mètres de hauteur ! Bien sûr, nous avons été amenés à modifier numériquement certains fonds d’images pour que ces rues ressemblent davantage à des rues de Paris. Nous avons tourné pendant 8 semaines à Prague, et une semaine et demie à Paris.

Dans les plans où l’on voit un véhicule projeté par une explosion se diriger vers un des héros, qui bondit et s’appuie même sur la carrosserie avec un pied pour sauter par-dessus, est-ce que le véhicule est reconstitué en 3D ?

En fait, cela dépend des plans, car la méthode employée varie. Quelquefois, les véhicules sont reconstitués en 3D, et dans d’autres plans, ce sont les vrais que l’on voit. C’est notamment le cas du « scarabée », le Humvee noir de la Baronne, qui tire des missiles sur les deux héros. Il est arrivé que nous obtenions exactement ce que nous voulions en prises de vues réelles, mais le timing de la scène ne fonctionnait pas tout à fait. Par la suite, nous avons recréé entièrement ce plan en 3D, pour obtenir le bon timing, en nous servant des prises de vues réelles comme de références visuelles très précises concernant l’éclairage, la poussière soulevée sur la route, la quantité et l’animation du verre brisé des portières endommagées, etc.

Avez-vous utilisé aussi des captures des expressions faciales de Channing Tatum et de Marlon Wayans pour animer les visages de leurs clones 3D pendant la poursuite ?

Non, parce que les reflets sur les visières de leurs casques ne permettaient pas de voir les visages en détail. Mais nous avons tout de même créé de fantastiques répliques 3D de leurs visages. Nous avons utilisé les services d’une société qui s’appelle Aguru Images pour réaliser les scans 3D de Channing et Marlon, car leurs machines produisent des modèles incroyablement détaillés, de l’ordre de 5 millions de polygones simplement pour une capture de visage. Ils nous ont fourni aussi les données BRDF (pour Bidirectionnal Radiance DiFfusion, NDLR), qui consistent à photographier en haute résolution le visage de l’acteur sous tous les angles. Pour chaque angle, la machine produit une série de flashs qui fait varier la direction de la lumière tout autour de la tête de l’acteur. On obtient alors des dizaines de milliers d’images, une véritable banque photographique, qui montrent comment la lumière joue sur le visage de l’acteur, dans toutes les directions possibles. On utilise ensuite ces photographies pour les plaquer sur l’image 3D du visage de l’acteur, et on obtient ainsi un clone hyperréaliste. Cette technique a été inventée par Paul Debeveck, et c’est Agura Images qui la commercialise. Nous avons utilisé ce procédé pour créer des doubles de plusieurs personnages, car nous utilisons des clones 3D dans pratiquement toutes les séquences d’effets visuels.

Est-ce que vous faites référence aux combattants de Cobra ?

Oui, mais aussi au personnage de McCullen, quand il se métamorphose en Destro et que son visage doit être dissimulé sous un masque métallique. Nous avons également cloné Anna, la Baronne, pour les scènes de combat dans la base des G.I. Joe et pour la grande bataille sous-marine. Les personnages de Heavy Duty et Storm Shadow aussi. Storm Shadow tombe dans un conduit à la fin du film, et c’est raison pour laquelle nous avions besoin d’un clone 3D. Snake Eyes a été lui aussi reconstitué en 3D pour la séquence de poursuite avec les tenues accélératrices, à laquelle il participe lui aussi.

Comment la métamorphose de Destro est-elle réalisée ? Est-ce fait en partie avec du maquillage, puis complété par de la 3D ?

Oui. Cette scène débute avec un maquillage posé sur l’acteur Christopher Eccleston, dont nous avons filmé la performance sur le plateau. La position de son visage a été détectée image par image, avec beaucoup de précision, par Café FX. C’est un travail extrêmement dur, car la position d’un visage peut varier selon une infinité d’angles. Ils ont donc détecté la position du visage sur un plan très long, composé de 975 images, et ont calé ensuite les effets 3D de sa transformation, qui se déroule en plusieurs phases. Destro est contaminé par les Nanomites jusqu’à ce que son visage se transforme en une sorte de masse de métal liquide.

La scène de la destruction de la tour Eiffel est très impressionnante. Comment le modèle 3D de la tour a-t’il été réalisé pour ressembler à ce point au vrai édifice ? Avez-vous utilisé un télémètre laser pour scanner la vraie tour ? Avez-vous eu accès aux plans de la tour ?

Nous avons utilisé les plans de la vraie tour, et des dizaines de milliers de photographies haute définition, prises sous tous les angles, pendant notre tournage à Paris. Nous avons passé trois jours à prendre ces photos, avec la coopération très active des gens qui s’occupent de la tour Eiffel.

Ils vous ont aidé, en dépit du fait que vous alliez détruire virtuellement la Tour Eiffel !

Je ne suis pas sûr qu’ils l’aient su au moment où ils nous ont aidé ! (rires)

Vraiment ?

En fait, je ne me souviens plus si nous leur avions mentionné ou pas…

Je suis prêt à parier que vous ne l’avez pas fait !

(rires) En tous cas, ils ont été très aimables et très coopératifs. Nous avons pu photographier non seulement la tour elle-même, mais nous avons eu la possibilité de fixer des caméras VistaVision et nos appareils photos à la structure de la tour pour obtenir aussi des vues des perspectives sous la tour, ainsi que de tout le paysage environnant. Nous avons utilisé ensuite ces images pour récréer en 3D l’équivalent de prises de vues aériennes. Nous n’avons pas pu avoir recours à de vraies prises de vues aériennes, car comme vous le savez, il est interdit de s’approcher de la tour Eiffel en avion ou en hélicoptère. Les équipes de Digital Domain ont passé trois jours à recueillir ces données en arpentant la tour de haut en bas. Le modèle 3D de la tour qu’ils ont créé par la suite est extrêmement détaillé. Je crois qu’il est composé de onze millions de polygones.

On se rend compte de la qualité de ce travail en voyant la séquence. Dans certains films américains qui reconstituent le paysage de Paris, on voit quelquefois des tours Eiffel assez approximatives, tandis que celle que vous avez recréée est hallucinante de réalisme. On jurerait voir la vraie.

Merci. Je crois que le fait d’avoir pris le temps de filmer et de photographier la vraie tour ainsi nous a permis de bien recréer aussi les conditions lumineuses autour de l’édifice, ce qui participe au réalisme des scènes finalisées.

Comment l’effondrement de la tour a t’il été animé ?

C’était un processus assez complexe à mettre en place. Digital Domain a d’abord consulté un ingénieur spécialisé dans les études de structures, pour imaginer avec son aide comment un énorme assemblage de métal comme la tour Eiffel pourrait s’effondrer. Mais de notre côté, il a fallu expliquer à l’ingénieur comment les Nanomites étaient sensés ronger le métal, ce qui compliquait encore les choses, car c’est une partie du côté de la tour qui se désintègre en premier, créant de ce fait des tensions latérales dans le reste de la structure. De plus, comme le métal est rongé, certains morceaux de poutrelles qui ne sont plus retenus tombent, et nous avons dû gérer cela, et l’animer aussi. Il a fallu ensuite imaginer comment la tour ploierait , en fonction de toutes les données réelles dont nous disposions. Quand nous avons réalisé une animation intégrant toutes ces données scientifiques, nous l’avons regardé, et nous nous sommes dits que c’était intéressant, mais pas encore assez spectaculaire et dynamique pour un film comme le nôtre. Il a fallu rendre tout ça plus excitant, à la fois par le biais de l’animation de la tour et par la mise en scène. Nous avons passé beaucoup de temps à améliorer l’animation, afin de donner aux spectateurs l’impression qu’ils voyaient bien une énorme masse de métal de plus de cent ans ployer et de briser sous leurs yeux. C’est une chose que l’on n’imagine pas, mais en fait, le métal fabriqué à cette époque-là avait tendance à se briser assez facilement.

Oui. On s’est d’ailleurs rendu compte que le métal de la coque du Titanic, qui avait été fabriqué lui aussi au début du siècle, s’était brisé comme du verre lors de l’impact avec l’iceberg, au lieu de se déformer, parce que l’eau de mer glacée, en le refroidissant, avait encore diminué ses capacités d’élasticité…

Exactement. C’est ce que nous avons montré pendant l’animation de cette séquence : on voit d’abord les poutrelles se tordre, puis se briser en projetant des débris et des boulons. L’animation en elle-même est un mélange de simulation informatique de la destruction, et d’animation faite « à la main » par des infographistes. Nous avons ajouté aussi beaucoup d’animation de particules pour gérer les chutes des débris.

La grande séquence de bataille sous-marine est très spectaculaire. Pouvez-vous nous dire comment elle a été réalisée en 3D et quelles sont les difficultés spécifiques de cette scène ?

D’abord, je dois préciser que cette scène était celle qui avait été la moins préparée à l’avance. Nous savions à peu près ce qu’il devait s’y passer, et quels étaient les dialogues entre les personnages, mais c’était à peu près tout. La plupart des vaisseaux sous-marins et des structures de la base de Cobra n’avaient pas été dessinés avant le tournage, car nous étions accaparés par d’autres problèmes encore plus urgents. Heureusement, Frantic Films avait préparé un animatique de la bataille, en suivant les indications de Stephen qui étaient « Il faut que ce soit la bataille sous-marine la plus impressionnante qu’on ait jamais vu au cinéma ! » (rires). Les références visuelles de Stephen étaient le James Bond Opération Tonnerre et 20 000 Lieues sous les mers. Mais plus nous parlions de cette bataille avec lui, plus nous nous rendions compte que Stephen avait en fait envie de voir une bataille spatiale à la Star Wars transposée sous l’eau, avec des centaines de vaisseaux qui se combattent ! Le défi à surmonter, c’est bien sûr qu’un sous-marin ne peut pas se déplacer aussi vite sous l’eau qu’un astronef dans l’espace. La seconde difficulté, c’est qu’il fallait trouver un équilibre visuel qui soit situé quelque part entre le réalisme des vraies prises de vues sous-marines et la fiction du cinéma. Je fais moi-même très souvent de la plongée, et je sais quelle visibilité vous pouvez avoir sous l’eau, dans les meilleures conditions…et elle est plutôt limitée. Dans les endroits du monde où l’eau est la plus pure, et avec les meilleures conditions d’éclairage en surface, par grand beau temps, on peut voir au maximum à 60 mètres, mais pas au-delà. On pouvait considérer qu’au pôle Nord, l’eau pouvait être encore un peu plus transparente, mais de toutes manières, il a fallu accentuer énormément la visibilité dans le film pour pouvoir montrer la taille immense de la base de Cobra. Dans nos scènes 3D, la visibilité est de 1600 mètres. Mais nous savions aussi que si l’eau était trop transparente, on n’aurait plus tout à fait l’impression de se trouver dans l’océan. Pour remédier à ce problème, nous avons décidé d’exagérer tous les autres phénomènes qui se passent sous l’eau : nous avons ajouté énormément de bulles d’air, de particules en suspension, de distorsions, de filtration des couleurs, etc. Tous ces éléments visuels nous ont aidé à obtenir des plans crédibles.

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