Numéro 9 : Entretien avec le directeur artistique Christophe Vacher
Article Animation du Jeudi 08 Octobre 2009

Entre technologie et spiritualité, l'histoire de Numéro 9 se déroule dans un futur proche dans lequel la Terre a été ravagée par une grande guerre entre les hommes et les puissantes machines qu'ils ont créées. Sachant l'humanité condamnée, un scientifique crée 9 créatures fragiles et sans défense, à partir d'objets divers ramassés dans les décombres. Incapables de s'opposer aux machines, ils ont formé une petite communauté survivant au jour le jour dans les décombres.
A l'origine de ce film hors normes, il y a le court-métrage d'un étudiant en cinéma de UCLA, Shane Acker, nominé aux Oscars 2006 et repéré par Tim Burton, qui décide de soutenir l'adaptation du film en long métrage. L'univers créé à la fin des années 90 se voit naturellement développé, déjà au niveau de l'histoire. "Pour moi, le clan de Numéro 9 est la métaphore d'une humanité en devenir qui possède la faculté d'adaptation et d'invention," explique le réalisateur. "A l'inverse, le monstre qui les poursuit est un prédateur, constitué d'os et de rouages de machines. Et pourtant, il cherche à s'intégrer, ce qui explique qu'il vole l'âme des compagnons de Numéro 9. Ces deux espèces sont liées par un talisman, que j'ai imaginé comme le vestige d'une ancienne technologie datant de l'époque où la terre était encore habitée par les humains. Il s'agit d'un vaisseau qui sert à capturer l'âme d'un individu et qui a été séparé en deux parties, dont l'une est tombée entre les mains du monstre et l'autre est en possession du clan."

L'équipe de production de Numéro 9 s'est sentie totalement investie dans ce projet atypique, à l'image du Directeur Artistique Christophe Vacher, que l'on connaît pour son expérience chez Disney en tant que décorateur (Dingo & Max, Mickey Perd la Tête, Le Bossu de Notre-Dame, Hercule, Tarzan, Fantasia 2000, La Planète au Trésor), concept artist (Dinosaure) et directeur artistique (Il Etait une Fois), ainsi que chez Dreamworks (concept artist sur Gang de Requins), mais aussi pour ses toiles personnelles, témoignant d'un univers inspiré par les mouvements Romantiques et les Symbolistes de la fin du 19ème siècle.


Par Jérémie Noyer

Comment s'est passé le travail sur Numéro 9?

Cette production m'a permis de travailler dans un contexte différent de celui dans lequel j'avais travaillé les années précédentes dans la mesure où Focus Features est un studio indépendant. La machine n'est pas aussi bien huilée que des studios comme Disney ou Dreamworks. Cela peut se révéler plus difficile de travailler dans un studio indépendant car il y a plus de choses à mettre en place, mais cela peut être dans le même temps beaucoup plus léger du point de vue politique interne. Et puis, il y a le fait que tout le monde était passionné par ce projet, très différent de tout ce qu'on a fait auparavant. Quand un réalisateur engage un artiste, ce n'est pas qu'une question de talent. C'est aussi une question de savoir si, humainement, ils vont bien travailler ensemble. Or, il s'avère que le courant est très bien passé immédiatement avec lui. Il faut dire que le sujet me parlait. Il sortait des sentiers battus. C'était exactement ce que je recherchais.

Comment avez-vous rejoint la production de ce film?

J'ai découvert le court-métrage de Shane Acker à une époque où ce n'était encore qu'un film circulant sur le net. A l'époque, j'étais directeur artistique de la partie animée d' Il Etait une Fois et un ami m'a envoyé un email pour m'inviter à aller voir ce court-métrage. Effectivement, je l'ai bien aimé, et quelques temps plus tard, il a été nominé aux Oscars et ils ont décidé d'en faire un long-métrage. C'est alors que ce même ami m'a dit que ce serait parfait pour moi en tant que directeur artistique, mais j'étais pris par Il Etait une Fois. A peu près un an plus tard, un autre ami, Robert St Pierre, me propose le poste de directeur artistique sur Numéro 9. A l'époque, c'est Fred Warter qui était sensé devenir directeur artistique et pour différentes raisons, il a quitté le projet après avoir fait du production design. Cela correspondait à la fin d'Il Etait une Fois, ce qui fait que j'ai accepté cette proposition.

Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce sujet?

Si mes dernières peintures sont plus romantiques, mes premières œuvres, dans les années 90, étaient beaucoup plus noires, dans l'esprit de Numéro 9. En fait, j'aime beaucoup le travail de la lumière. Le court-métrage de Shane Acker correspondait tout-à-fait au genre de choses que je voulais faire, avec un éclairage très dramatique, beaucoup de textures, quelque chose de très noir, presque gothique. Le thème, également, m'a séduit –totalement à l'opposé de ce que font Disney et Dreamworks.

C'est-à-dire?

Le marché principal de Disney reste orienté "famille". Ils ont bien essayé de sortir de ce créneau avec notamment Le Bossu de Notre-Dame, mais très vite, ils se sont arrêtés car c'était trop éloigné de leur identité. Dreamworks font un peu plus "adolescent", voire "adulte", mais on ne dépasse jamais une certaine limite en restant dans des normes grand public. A l'inverse, ce que j'ai beaucoup aimé avec Numéro 9 c'est que le réalisateur a dit: "c'est mon projet, mon histoire. Si cela ne convient pas, tant pis!" A un moment donné, il a presque quitté le film car le studio hésitait à aller aussi loin dans l'aspect "noir", mais Shane Acker leur a bien expliqué qu'il ne pouvait faire quelque chose de différent de ce qu'il avait dans sa tête. Finalement, la limite a été fixée à PG-13, et cela se comprend quand on voit l'intensité du film.

Votre univers pictural est très fort et très personnel. Comment êtes-vous parvenu à vous glisser dans l'univers de Shane Acker?

Cela s'est fait finalement assez naturellement, car le plus important, ce sont les principes similaires entre son travail et le mien, et pas nécessairement le design en lui-même. Et puis, j'ai toujours eu un éventail de sujets assez large, qui traite aussi bien de science-fiction que de fantastique, ce qui fait que, même si je n'avais pas créé l'univers de Numéro 9, je voyais des connections avec tout ce que j'ai fait avant. C'était aussi un challenge dans la mesure où le monde de 9 est proche de la 1re Guerre Mondiale, tandis que d'autres moments dans le film sont plus gothiques et médiévaux. Combiner tout cela ensemble en gardant cet aspect dramatique, c'était tout l'intérêt de ce défi.

Au niveau du travail de la lumière, pouvez-vous nous parler de l'influence du travail de Zdzislaw Beksinski?

Beksinski a beaucoup travaillé au niveau de la lumière, des couleurs et de la texture. Or, une fois que j'ai commencé à travailler sur le projet, je me suis rendu compte que le réalisateur était influencé par les mêmes artistes que moi. J'étais loin de me douter qu'il s'intéressait à Beksinski car peu de gens aux Etats-Unis connaissent sa peinture. En fait, les gens qui sont passionnés par les mêmes choses réussissent toujours à se retrouver et cela crée des liens tant du point de vue artistique qu'humain. Déjà, on ressent l'influence de Beksinski dans le court-métrage de Shane Acker. A partir de là, ce fut très naturel d'en faire une expansion dans un long-métrage. Je pouvais complètement percevoir ce qu'il essayait de faire au niveau de l'histoire, d'avoir une espèce d'ésotérisme en parallèle avec une histoire humaine, car les personnages sont à l'évidence une métaphore de l'espèce humaine.

Comment s'est passée votre collaboration avec Shane Acker?

Je savais que le réalisateur avait une réputation d'artiste méticuleux et très difficile à satisfaire. J'ai donc été surpris que mes premiers travaux ont tout de suite été approuvés. Un lien de confiance s'est noué et cela nous a beaucoup aidés.

Pouvez-vous nous expliquer votre travail en tant que directeur artistique?

Au départ, ce que je fais, c'est reprendre le storyboard. Je reprends chaque vignette et je détermine quelles vignettes doivent être mises en couleurs afin de servir de bible visuelle pour le film. Ce sont les colors keys. Elles peuvent être faites soit pour un environnement précis, un lieu pour lequel il faudra être détaillé –dans ce cas-là, on fait une color key un peu plus grande. L'ensemble constitue ce qu'on appelle un color script. Il s'agit en fait de vignettes très "rough", très simples, choisies dans le storyboard pour être des vignettes-clefs pour les autres départements. Je les peins de façon suffisamment détaillée pour permettre une compréhension suffisante de la lumière, des couleurs et des textures. Cela permet par exemple au modeleur de voir ce qui va être vu dans la lumière ou pas, afin de mettre l'accent sur des détails destinés à être vus. Cela donne dans le même temps des informations pour les responsables des textures, qui voient ainsi où ils doivent mettre l'accent du point de vue des textures et des couleurs. Et puis, il y a le département chargé de l'éclairage. C'est souvent là où je passe le plus de temps car il faut trouver des éclairages qui correspondent exactement à l'atmosphère recherchée dans la vignette. C'est là qu'intervient l'aspect émotionnel de la lumière et des couleurs. Enfin, tout cela va au compositing, qui se trouve souvent dans le même département que les éclairagistes, et qui finalise l'image en amenant des filtres et tout ce qui permet d’amener l'image finale à terme. En parallèle à tout cela, il y a bien sûr l'animation qui vient se surajouter. Mon travail n'est pas de contrôler l'animation –c'est le travail du directeur de l'animation-, mais je contrôle quand même qu'il n'y ait pas de défaut de texture, que les textures ne sautent pas à un moment ou un autre. On regarde tout cela ensemble avec le réalisateur, le production designer et le directeur de l'animation, puis, pour l’aspect artistique final de l’image, il n'y a plus que le réalisateur et moi –et c'est le réalisateur qui dit le "ok" final. Voilà en gros le processus. Je le démarre, je supervise tout au long du processus puis à la fin, je jette encore un coup d'œil sur le produit final avant que ce soit mis en boîte.

Comment cela s'exprime-t-il dans une séquence?

Prenons une des séquences qui ont sans doute aidé à convaincre Universal Studios (qui distribue le film) que Numéro 9 méritait une promotion soignée: la séquence d'action centrale dans laquelle les héros sont attaqués par la bête volante dans l'église -probablement la plus intense du film. Avant que la bête arrive, nous avons choisi une séquence de coucher de soleil dans laquelle la pendule qui est sur la fenêtre projette son ombre sur le sol de manière à avoir un cercle dans lequel 9 et 5 arrivent. La lumière est un peu rougeâtre, moins intense. J'avais prévu d'avoir moins de saturation au départ, et à mesure que l'action s'intensifie, les couleurs deviennent saturées, avec les rouges en particulier et les couleurs chaudes, plus saturées que les couleurs froides. Concrètement, d'un département à l'autre, on n'a pas toujours le temps de mettre en place exactement ces idées, mais c'est malgré tout une progression que nous avons toujours gardée en tête. A partir du moment où la bête brise la fenêtre et entre, avec l'encensoir qui met le feu à la pièce, l'intensité monte et mon color script reflétait cette progression. Maintenant, dans le film, je ne suis pas sûr que le spectateur voie cela nécessairement, mais c'est la direction que nous avons suivie.

Où s'est déroulée la production du film?

En fait, la production a été assez mouvementée. Tout le design, la pré-production ont commencé à Los Angeles, et quand nous sommes rentrés en production, le film est parti au Luxembourg. Là-bas, les choses n'ont pas tourné comme elles auraient dû et le film a presque été arrêté. Focus Features, basé à Los Angeles, a alors cherché un nouvel endroit. C’est finalement le studio Starz, à Toronto, qui a terminé le film. Une quinzaine de minutes ont été également réalisées à Pasadena, dans les studios de Ken Duncan, un ancien de Disney, et c'est depuis là-bas que j'ai fini le film.

Ken Duncan (animateur de Meg et de Jane Porter entre autres), les frères Brizzi (story artists sur Numéro 9, mais aussi sur Le Bossu de Notre-Dame et Fantasia 2000) et Robert St Pierre (production designer de Mulan II) sont comme vous des anciens de Disney ayant travaillé sur Numéro 9. Quels sont vos souvenirs de votre expérience dans les studios aux grandes oreilles?

J'en garde beaucoup de bonnes expériences, et notamment sur Le Bossu de Notre-Dame. Nous étions dans les studios parisiens de Disney, les premiers studios ouverts hors des Etats-Unis. Nous travaillions à un quart d'heure de Notre-Dame, que nous voyions tous les jours. Pour quelqu'un de passionné par le gothique comme moi, collaborer à un tel film était surréaliste! Puis, j'ai rejoint les studios de Burbank. Déjà, travailler pour Disney était comme un rêve, mais avoir la chance d'aller le faire aux Etats-Unis, c'était incroyable! A Burbank, rien ne semblait impossible. Il y avait une ambiance incroyable, avec des fêtes quasiment tous les soirs. Une belle époque avec plein de bons souvenirs. C'était juste avant l’arrivée de la vague des films totalement en images de synthèse, qui ont bouleversé à jamais l’environnement de l’animation traditionnelle. Heureusement, après quelques temps, beaucoup d’animateurs traditionnels s'y sont adaptés.

Et vous, comment êtes-vous passé à la 3D?

La première étape a été de se mettre à la peinture par ordinateur. C'était pour le développement visuel de Dinosaure. Je découvrais les premières versions de Photoshop. Mais c'est avec Tarzan que je suis passé à la 3D, avec les décors en Deep Canvas, un logiciel utilisé également sur La Planète au Trésor. Le directeur technique modulait le travail. On ne comprenait pas nécessairement tout ; on était guidé. Ensuite j'ai quitté Disney pour me consacrer davantage à la peinture. Puis j'ai travaillé pendant un an pour Dreamworks tandis que je prenais des cours de 3D à l'extérieur. Après Dreamworks, j'ai décidé de prendre des cours à plein temps pendant un an et demi et là, je suis vraiment entré dans ce monde qui m'était complètement étranger. La première fois que j'ai ouvert Maya, j'ai été impressionné par l'énormité de ce programme! Juste après l’école de 3D, Kevin Lima m'a contacté pour devenir le directeur artistique de la partie animée d'Il Etait une Fois. Cette formation en 3D m'a énormément aidé à voir comment tous les éléments s'imbriquent, comment tout fonctionne, à véritablement comprendre tous les rouages du processus sur un film totalement en images de synthèse. C'est un nouveau monde qui s'est ouvert et dans lequel je baigne depuis avec Numéro 9 et prochainement le troisième opus des aventures de la Fée Clochette (sur lequel je travaille pour quelques semaines)! Je discute également avec les studios Imagi pour la possible direction artistique de leur prochain long-métrage de synthèse, Gatchaman, un film de SF bourré d’action, basé sur la série animée des années 80, La bataille des Planètes. Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire...

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