Monster House : Entretien avec le réalisateur Gil Kenan
Article Animation du Jeudi 15 Octobre 2009

Monster House, projet initié conjointement par Steven Spielberg et Robert Zemeckis, est la première réalisation de Gil Kenan, jeune étudiant en animation de l’université UCLA. Attiré depuis toujours par les univers décalés et l’irruption de l’imaginaire dans le monde réel, Kenan a eu l’occasion de réaliser deux rêves d’un coup : travailler avec ses idoles Spielberg et Zemeckis, et se trouver à la tête d’un grand film d’animation. Il nous raconte son parcours.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment l’aventure de Monster House a-t’elle débuté pour vous ?

Eh bien il s’agit de ma première expérience professionnelle ! On m’a confié ce film juste après que je sois sorti de l’école d’animation de UCLA. Plus précisément, c’est après avoir visionné mon film de fin d’étude, The Lark, que les producteurs m’ont choisi pour réaliser Monster House.

Etudiez-vous à la fois l’animation 2D traditionnelle et la 3D à UCLA ?

Non, en fait, je n’ai jamais étudié la 3D ! J’avais un a-priori négatif à propos de cette technique, car je trouvais que l’on pouvait obtenir trop facilement des effets flatteurs à l’œil, simplement en utilisant des logiciels tout faits. Je préférais employer l’animation image par image, utiliser des personnages en papier découpé ou en pâte à modeler, des poupées articulées ou une technique comme la pixillation (NDLR : des prises de vues réalisées image par image, mais avec des acteurs réels).

A quoi ressemblaient vos premiers courts-métrages ?

Ils étaient assez proches de Monster House ! Dans la plupart des cas, j’animais un personnage humain dans un environnement fantastique. Et comme il s’agissait de petits films expérimentaux, je m’amusais souvent à transformer le décor en un personnage qui prenait vie peu à peu. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’animations très simples en pâte à modeler.

Comment ce projet a-t’il débuté pour vous ? Quelles ont été vos premières sources d’inspiration ?

Ma principale source d’inspiration vient de ma conviction que les maisons sont vraiment des personnages marquants de nos vies. Nous y passons tellement de temps qu’il est impossible qu’elles n’aient pas un impact émotionnel profond sur ce que nous sommes en tant qu’êtres humains. C’est une idée que j’ai souvent exploré dans mes courts-métrages, cette influence des décors, qui deviennent progressivement des entités à part. Dans ce film, j’ai pu aller jusqu’au bout de cette idée, et transformer cette maison en l’un des personnages principaux de l’histoire. Elle devient un être expressif et animé.

Avez-vous participé aussi au développement du script ?

L’idée originale de Monster House est un des projets que Spielberg et Zemeckis voulaient développer depuis de nombreuses années. Ils savaient qu’ils voulaient produire un film autour de cette idée de maison qui est en fait un monstre. J’ai lu une version de ce script quand je suis sorti de l’école et j’ai eu une idée qui allait permettre de transformer la maison en personnage à part entière. Et c’est en présentant cette idée que j’ai définitivement obtenu le poste de réalisateur.

Aviez-vous des sources d’inspiration visuelles précises à l’esprit lorsque vous avez commencé à travailler sur le film ?

Je savais que je voulais traiter l’animation de la maison comme celles de mes créatures fantastiques favorites, qu’il s’agisse du King Kong de 1933, des films de Ray Harryhausen, et parmi ceux-ci, tout particulièrement du Choc des titans. J’ai une affection particulière pour ce film, qui m’avait profondément marqué quand j’étais enfant. Je trouve que les scènes qui mêlent les acteurs et les créatures animées sont remarquables. Même si les gestes de ces monstres ne sont pas entièrement naturels, ils sont toujours expressifs et intéressants. Parfaitement intégrés à l’univers du film. Dans notre film, nous avons veillé à soigner tout particulièrement l’animation de la maison monstrueuse, pour lui donner des mouvements très expressifs et très dynamiques, semblables à ceux des grands monstres du cinéma fantastique qui étaient animés image par image. C’est ce qui nous a poussé à éliminer complètement l’effet de « Motion blur » de ce film.

Vous faites référence à ce logiciel qui permet de créer un effet de flou dans les mouvements rapides des personnages, comparable à ce que l’on obtient dans la réalité lorsque l’on filme un acteur…

Oui. Il n’y en a absolument pas dans le film.

C’est une démarche très originale : je crois que c’est la première fois qu’un créateur de film d’animation 3D renonce volontairement à ce qui est d’habitude perçu comme une amélioration de la fluidité des mouvements…

Vous verrez que l’effet produit est très intéressant. A mes yeux, en tous cas, cela rend l’animation du film beaucoup plus attirante, plus humaine en quelque sorte. On se prive volontairement de ce que je considère un peu comme une tricherie, comme quelque chose qui enrobe le travail d’animation.

Vous avez voulu vous débarrasser de cet aspect non-humain, automatisé, du traitement de l’animation…

Exactement. Je crois que ça aide à rendre les performances des personnages plus naturelles. L’une des choses dont je suis fier, c’est la grande variété de « jeux d’acteurs » de nos personnages. Tout n’est pas traité de manière exagérée et caricaturale. Nous avons pris le temps de laisser les personnages vivre, écouter et réfléchir entre deux répliques de leur texte. Ce n’est pas parce que l’on se trouve dans un dessin animé 3D que l’on doit caler toutes les performances des personnages sur le mode « cartoon ».

Le design des personnages est très réussi. Est-ce à vous qu’on le doit ?

Oui. C’est l’une des premières choses que j’ai fait , juste après avoir lu le premier script : des esquisses des personnages. J’éprouve le besoin compulsif de dessiner tous les jours. Dès que je me suis imprégné de l’histoire, j’ai vu des milliers d’images surgir dans mon esprit et il fallait que je les retranscrive sur le papier. Je ne suis pas le seul designer des personnages, mais ces dessins ont eu une influence marquante sur leur apparence finale. Il y a un autre aspect de la création de ces personnages dont il faut également que je vous parle : c’est le travail avec les acteurs réels. Je savais que je voulais pousser l’aspect des personnages pour les différencier complètement de l’univers photoréaliste des acteurs.

Avez-vous apporté des améliorations, voire des innovations, au système de « capture de performance » qui avait été mis au point pour Le pôle express ?

L’innovation principale, c’est que nous tournions les scènes avec les acteurs en une seule fois, alors qu’au moment du pôle express, il fallait tourner d’abord les mouvements des corps, puis faire un second tournage uniquement pour les mouvements des visages. Etant donné que je travaillais avec des jeunes acteurs, contrairement aussi au pôle, où les rôles d’enfants étaient tenus par des acteurs adultes, je ne voulais pas qu’il y ait le moindre obstacle entre les performances des enfants et celles des personnages 3D. J’ai tenu aussi à simplifier le procédé technique pour qu’ils n’aient à se soucier que de leurs personnages et de rien d’autre. On a éliminé pas mal de marqueurs et d’éléments technologiques de notre équipement de capture de performance. Etant donné que nos personnages 3D sont stylisés, nous pouvions obtenir de très bonnes expressions en recueillant moins de données.

C’est la première fois que ce système est utilisé pour animer des personnages de type cartoon. Quel type de problèmes cela vous a t’il posé ?

Je n’y pense pas en termes de problèmes, car le système s’adaptait très bien à l’utilisation que nous voulions en faire. Et le fait d’employer des personnages stylisés a été au contraire un immense avantage pour obtenir des performances crédibles à l’écran. Le public n’a pas à juger d’un œil critique le réalisme du rendu d’un personnage, il découvre simplement un univers de dessin animé, qui est beaucoup plus simple à accepter. C’était mon but dès le départ. Tout comme je voulais simplifier le travail des jeunes acteurs sur le plateau, je voulais aussi simplifier le travail du public qui va voir le film.

Une fois les mouvements des personnages enregistrés grâce à la capture de performance, des animateurs sont-ils intervenus pour finaliser l’animation ?

Oh oui, bien sûr. C’était même une partie majeure du travail du film. Je considère que la capture de mouvement est un parfait outil de référence. C’est même la meilleure référence d’animation que l’on ait jamais eue de toute l’histoire du cinéma. Mais pour moi, les animateurs sont absolument indispensables. C’est leur personnalité et leur talent qui permet de transformer un flot de données « brut » en une animation qui fonctionne parfaitement à l’écran.

Quand j’ai vu la bande-annonce du film pour la première fois, j’y ai retrouvé des ambiances qui m’ont fait songer à Goonies et à Poltergeist. Avez-vous essayé de rendre hommage aux productions de Spielberg des années 80, qui mêlaient souvent l’horreur, l’aventure et la comédie ?

Ce n’est pas vraiment conçu comme un hommage. C’est tout simplement dû au fait que j’ai été complètement façonné par ces films quand j’étais enfant ! (rires) Ils ont fait de moi ce que je suis devenu ! J’ai grandi avec Goonies, Time bandits, Retour vers le futur, L’histoire sans fin…Mais au-delà de ces influences, en tant que réalisateur, j’aime tout particulièrement partir d’un contexte réel et glisser peu à peu vers le fantastique. Je prends plus de plaisir à découvrir l’étrange qui surgit dans les vies des personnages qu’à me trouver d’emblée dans un monde imaginaire. Et ces films des années 80 ont particulièrement bien réussi à mettre cela en scène.

Vous avez dû vivre des moments inoubliables en ayant l’occasion de travailler avec les idoles de votre enfance, Spielberg et Zemeckis…

Ils ont été tous les deux les mentors les plus généreux et les plus disponibles que l’on puisse imaginer. Je pense sincèrement que je suis le type le plus chanceux au monde ! (rires) C’est tellement injuste d’avoir autant de chance que je vais probablement périr bientôt dans un accident d’avion ! (rires).

Ne dites pas ça !

Mais je suis sérieux ! Steven et Bob étaient disponibles à chaque fois que j’avais besoin de leur montrer des choses. A chaque visionnage de l’animatique (NDLR : le montage bout à bout des images fixes du storyboard, qui permet de visualiser le rythme du film), nous avions des conversations fascinantes qui duraient une ou deux heures. Je restais avec eux dans cette salle de projection, à discuter du film, à écouter leurs réactions, à échanger des idées. Nous avons fait évoluer l’histoire ainsi, après chaque nouveau montage de l’animatique. Et à chaque fois, ils étaient là pour moi. Comme vous l’imaginez, le fait d’avoir le soutien de ces deux immenses réalisateurs a été un énorme réconfort pour moi, pendant toute la production de ce premier film.

Pourriez-vous nous citer un des conseils que vous ont donné Spielberg et Zemeckis ?

Oui, ils m’ont dit « Quoi qu’il arrive, ne répète jamais les conseils que l’on te donne aux journalistes qui t’interviewent ! » (rires). Pour être honnête, il y en a eu tellement, et dans tous les domaines, que j’aurais du mal à un extraire un seul du lot. Disons par exemple qu’ils m’ont tous les deux incités à ne pas amoindrir les séquences du film qui font peur, ou à leur donner un côté trop convenu. Ils m’ont convaincu que les enfants comme les adultes sont parfaitement capables de supporter et même d’apprécier des scènes qui donnent le frisson. Dès le départ, nous avons refusé de délayer les scènes horrifiques, car elles constituent plusieurs points forts du film, et en font un projet qui se différencie de la plupart des autres films d’animation américains.

Je reviens à ce que vous disiez précédemment au sujet de l’origine de cette histoire... Savez-vous si elle a été développée à l’époque de la série Amazing stories, qui était produite par Spielberg ?

Oh, je n’y avais jamais pensé, mais c’est une question vraiment intéressante…Honnêtement, je ne le sais pas… J’ai vu cette série à l’époque de sa diffusion, et c’est vrai que Monster House est très proche de l’esprit de ces histoires. On y voyait beaucoup d’objets qui prenaient soudainement vie, comme dans cet épisode où les plantes d’un scénariste se mettaient à écrire ses scripts à sa place ! (rires) En ce qui me concerne, j’ai toujours du mal à réaliser qu’il y a un logo « Amblin »(NDLR : le nom de la première société de production de Spielberg) devant mon film. Je l’ai tellement vu devant les films cultes de mon enfance que j’ai l’impression de rêver !

Quels ont été les aspects les plus difficiles de la réalisation de ce film ? Et les plus satisfaisants ?

La partie la plus importante du travail à accomplir a eu lieu après le tournage des captures de performances. Le processus qui a consisté à transposer ces données en successions de plans, puis en scènes d’animation finalisées a été vraiment très long. J’ai passé des milliers d’heures à visionner ces plans dans une salle de projection et à prendre des notes pour expliquer à mon équipe comment je pensais pouvoir les améliorer. C’était une tâche énorme qu’il fallait accomplir en relativement peu de temps. Et en ce qui concerne l’aspect le plus satisfaisant, je dirais : tout ! Pour moi, l’ensemble de cette expérience est un rêve devenu réalité. Je découvre chaque chose avec des yeux neufs, émerveillés. Je n’arrive pas encore à croire que j’ai eu la chance de faire cela ! Mais pour répondre plus précisément, je dirai que j’aime particulièrement les scènes qui se situent à la fin du film, au cours desquelles, sans vous dire précisément ce qui arrive, la maison devient encore plus un personnage qu’elle ne l’était auparavant. Ce sont ces parties du film dont je suis le plus fier.

La façade de la maison est très inquiétante. Avez-vous aussi conçu des choses horribles à l’intérieur ?

Oui. Les décors intérieurs, à bien des niveaux, sont plus effrayants que la façade. J’ai eu l’idée de représenter l’intérieur de la maison non pas avec des éléments organiques, mais avec des matériaux que l’on associe généralement avec un décor d’intérieur – bois, plâtre, briques, etc…- mais que l’on trouve ici sous des formes souples et constamment en mouvement. Le parquet ondule et respire, tout comme les papiers peints déchirés. Il y a un vrai sens d’une entité maléfique qui occupe entièrement ces lieux.

Votre créature étant une maison, elle n’est pas sensée se déplacer pour rechercher des victimes... Cela a certainement dû vous poser des problèmes scénaristiques et de mise en scène...

Oui, et toujours sans vouloir déflorer l’histoire, il y a quelque chose qui se passe dans la seconde moitié du film qui justifie parfaitement le fait que ce soit un film d’animation et non un film de prises de vues réelles. A ce moment-là, l’action bascule et amène le film à un autre niveau d’ampleur. La maison devient un monstre à part entière. C’est ce qui m’a permis de mettre en scène des poursuites, et des scènes d’action spectaculaires au cours desquelles les enfants essaient de mettre fin aux méfaits de la maison.

Comment avez-vous créé le vaste décor virtuel tout autour de la maison ? C’est une aire très vaste, remplie de détails, qui semble s’étendre sur des kilomètres…

En réalité, ce n’est pas très compliqué à faire en 3D. Mon chef décorateur et moi avons fait beaucoup de repérages dans des quartiers résidentiels de Los Angeles, et nous avons pris aussi des photos dans les décors de rues des studios Universal, où tous les films de notre enfance ont été tournés…

...a commencer par Retour vers le futur !

Oui ! (rires) J’ai toujours préféré les décors de rues de studio que les vraies rues. J’aimerais vivre dans un de ces décors…

Je ne voudrais pas vous décevoir, mais ce ne sont malheureusement que des façades creuses : vous ne pouvez pas vivre à l’intérieur…

Oh non ! Ne me dites pas ça ! (rires) Moi qui voulait tellement m’installer dans la maison de Psychose ! (rires) En fait, créer ce voisinage n’a pas été très compliqué. Au contraire : c’était un peu comme s’amuser avec une boîte de lego géante, et construire un grand décor à partir de modules de murs, de toits, de pelouses, de buissons, de trottoirs, etc…

Quels sont vos films d’animation fantastiques favoris ?

Je trouve que Miyazaki sait mieux que personne faire basculer des personnages du monde réel dans le fantastique. Il réussit à chaque fois un mélange parfait de comportements subtils de personnages, et d’environnements magiques. Et en Europe, il y a aussi toute une tradition de récits fantastiques comme La planète sauvage, que j’aime particulièrement, car mes parents me l’ont fait découvrir quand j’étais tout jeune. Je suis vraiment ravi que de tels films puissent être produits en Europe.

Quand on pense aux maisons hantées, on pense aussi aux trains fantômes et aux attractions des parcs à thèmes. Est-ce que ces attractions vous ont inspiré certaines scènes ou certains gags du film ?

Non, mais honnêtement, si ce film a du succès, je crois qu’il ferait le meilleur thème d’attraction que l’on puisse imaginer. En fait, pour ne rien vous cacher, j’ai déjà imaginé tous les détails de l’attraction que l’on pourrait en tirer !

Vraiment ? !

Oui ! J’ai eu tellement d’idées à ce sujet que je n’ai pas pu résister : il fallait que je les mette sur le papier ! C’est un peu fou, parce que le film n’est même pas sorti au moment où nous parlons. (rires)

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