Clones : meurtres en série dans un monde de simulacres
Article Cinéma du Jeudi 22 Octobre 2009

Bruce Willis revient à la SF dans un thriller que nous découvrirons le 28 octobre.

Par Pascal Pinteau

Nouvelle production de Science-Fiction des studios Disney, Clones est l’adaptation d’un roman graphique dont le concept est particulièrement original. Dans le futur proche, les humains vivent reclus et interagissent seulement par le biais de substituts robotisés qu’ils pilotent à distance, branchés sur des machines, sans quitter le confort et la sécurité de leur appartements. Ils voient, entendent et ressentent tout ce que leurs doubles mécaniques font, aussi bien pendant les heures de travail qu’à la fin de la journée, lorsque les relations prennent une tournure plus intime. Tous les fantasmes peuvent alors s’accomplir, sans courir le moindre risque. En matière de look, tout est permis, même les choix les plus extravagants. Certains clones sont simplement des versions idéalisées – plus jeunes, plus belles, plus athlétiques – de l’être original, tandis que d’autres sont des personnages fantastiques à la peau bleue, ou au crâne hérissé de pointes. Un homme peut choisir de se « cloner » en femme, ou vice-versa. Toutes les sensations fortes peuvent être expérimentées via un substitut, sans que son propriétaire ne mette sa vie en danger. La première conséquence de la mise en service des clones a été la quasi disparition de la criminalité, car on peut localiser et identifier chaque robot en quelques secondes, et savoir tout aussi aisément à qui il appartient. Fumer une cigarette ne cause plus de dégâts corporels, pas plus que l’absorption de drogues, et les rencontres sexuelles furtives avec des inconnu(e)s sont dépourvues de conséquences. Désormais, un pompier ne risque plus sa vie en allant lutter contre les incendies. Les policiers, eux aussi, voient les risques de leur profession effacés du jour au lendemain. Grâce aux clones, plus personne ne vieillit, plus personne n’est malade, du moins en apparence, à la vue des autres. Ce mode de vie par procuration semble satisfaire tout le monde. Mais tout bascule un jour funeste, lorsque plusieurs personnes meurent quand leurs clones sont détruits par un assassin masqué. Peu après, l’inventeur des simulacres, un jeune étudiant surdoué, est éliminé à son tour. L’affaire prend alors une toute autre tournure…Le maintien de l’ordre établi est en jeu. Les autorités politiques paniquent à l’idée de ce qui pourrait se produire si le système des clones était remis en question. Il ne faut pas que le public puisse savoir que l’utilisation d’un clone peut être dangereux, voir fatal, même si c’est la vérité ! L’agent du FBI Harvey Greer (Bruce Willis) décide de mener l’enquête par le biais de son avatar. Mais sa curiosité et ses déductions perspicaces ne passent pas inaperçues : son double est rapidement détruit en guise de représailles. Ne s’avouant pas vaincu, Greer décide d’accomplir un geste fou, qu’il n’a plus osé faire depuis de longues années : sortir de son appartement, malgré les protestations et les menaces de son épouse. Avec l’aide de l’agent Peters (Rhada Mitchell), Greer va poursuivre lui-même ses recherches dans le monde extérieur, au mépris des risques physiques qu’il encourt. Il s’intéresse tout d’abord aux agissements du « prophète » Zaire Powell III (Ving Rhames). Ce religieux radical mena jadis une violente rébellion contre l’existence des clones, et s’opposa à l’idée de céder son humanité en échange d’une vie artificielle, vécue à distance, grâce aux machines. Depuis l’époque des émeutes qu’il avait organisées, Powell et sa communauté ont signé un traité de non agression avec la ville, et vivent désormais dans un quartier séparé, entouré de hauts murs. Mais le « prophète » s’agite à nouveau depuis quelques temps, et promet l’enfer à tous ceux qui se laissent aller au vice de l’utilisation des substituts. Indifférents aux menaces, bravant tous les dangers, Greer et l’agent Peters vont mettre à jour les ramifications d’une vaste conspiration. Ils vont découvrir l’identité du mystérieux tueur qui frappe dans l’ombre et foudroie d’une décharge électrique clones et adversaires de chair et d’os…



Un roman graphique étonnant

Publié chapitre par chapitre de 2005 à 2006 par Top Shelf Comix, le roman graphique The Surrogates (Les Substituts), écrit par Robert Venditti et dessiné par Brett Weidele a été rapidement considéré comme l’une des meilleures BD de Science Fiction de ces dernières années. L’excellent concept développé par les auteurs est, comme toute bonne fable d’anticipation, une critique acerbe et pertinente des dérives de la société actuelle. On sait à quel point la quête d’une apparence physique parfaite devient une obsession quasi-maladive aux USA. Pour apparaître « performants », des millions de personnes se font bronzer à l’aide d’UV, blanchir artificiellement les dents ou poser des facettes de céramique, réimplanter des cheveux ou lifter le visage. Les problèmes de poids sont résolus grâce à la liposucion ou à des opérations risquées de « bypass gastrique » qui permettent de maigrir artificiellement, presque sans effort. (Bien sûr, les bypass gastriques sont aussi des interventions utiles qui permettent d’améliorer et même de sauver la vie de certains patients). Paradoxalement, à la télévision américaine, les incontournables pubs pour les burgers, les hot dogs et les pizzas géantes dégoulinantes de fromage ne sont interrompues que par des spots vantant les mérites d’appareils d’exercices physique et de musculation ! Par ailleurs, la peur de la violence urbaine et des risques du monde extérieur ont poussé certaines familles américains et certains couples de retraités à s’installer au sein de « gated communities », ces quartiers nouveaux entourés de hauts murs, où l’on n’entre que si l’on y a été dûment invité, par une porte d’accès gardée 24h sur 24, tandis que des patrouilles motorisées surveillent les rues. Enfin, la multiplication des jeux vidéo en ligne qui permettent à des millions de joueurs de se retrouver dans des univers fantastiques, sous la forme d’avatars qu’ils se fabriquent, témoigne aussi de la fascination qu’exercent déjà les clones. On sait que certains joueurs développent une telle addiction à ces aventures virtuelles qu’elle finit par dévorer leur vraie vie, les transformant peu à peu en ces êtres surnommés les « No Life », qui se coupent de tout vrai contact avec les autres. On a pu constater que ces phénomènes d’obsession de l’apparence, de peur de la violence, et d’accoutumance aux univers virtuels gagnent de plus en plus l’Europe, et l’on imagine sans peine les profits que pourraient générer l’invention des clones décrits dans le roman graphique de Venditti et Weidele. Bien sûr, le point faible du concept, c’est que la création d’un clone « sur mesures » coûte une fortune. On imagine mal une société dans laquelle chaque citoyen, du livreur de pizza à l’employé de bureau jusqu’au dirigeant du pays, pourrait avoir les moyens financiers de posséder à la fois un clone, un appartement et une voiture. Le pourcentage de population pauvre n’ayant pas vraiment baissé ces dernières années, il aurait fallu impliquer davantage les exclus dans l’histoire, c’est à dire tous ceux qui n’ont pas des revenus suffisants pour pouvoir se « cloner ». Mais ce n’est qu’un petit défaut, car l’idée de base est brillante, et son adaptation en récit de BD totalement réussie. Les graphismes de Brett Weidele, simples et sobres, parviennent à exprimer efficacement les sentiments des personnages. Son utilisation de la coloration électronique des dessins est tout aussi judicieuse : par le choix des teintes, des ombres et des lumières, Weidele crée des atmosphères particulièrement prenantes. A l’instar d’un Alan Moore, qui avait utilisé ce procédé notamment dans Watchmen, Robert Venditti insère des éléments supplémentaires entre chacun des cinq chapitres de l’histoire, afin de compléter l’immersion dans l’univers des « substituts ». On découvre ainsi des articles de journaux, des publicités, et même la brochure possédée par le héros, qui présente les dernières nouveautés technologiques en matière de clones. Les auteurs ont imaginé une telle abondance de détails complémentaires que la BD mérite une seconde lecture pour les apprécier pleinement. Scénaristiquement, on apprécie aussi que les points de vue de tous les protagonistes soient exprimés. Il n’y a pas de séparation schématique entre « bons » et « méchants », mais simplement des opinions et des intérêts qui divergent, et qui amènent certains personnages à utiliser des méthodes pour le moins expéditives pour régler les problèmes.

De la case de BD au grand écran

Bien entendu, un tel « high concept » ne pouvait pas laisser Hollywood indifférent. Les studios Disney, via leur filiale Touchstone Pictures, ont acheté les droits de la BD, et c’est au trio créatif de Terminator 3 le soulèvement des machines – le réalisateur Jonathan Mostow et les scénaristes Michael Ferris and John Brancato - que son adaptation a été confiée. « Les gens s’identifient immédiatement aux personnages de cette histoire » a déclaré Mostow, « car ils comprennent bien les parallèles qui existent entre ce concept et leurs propres vies. Les grands classiques de la Science-Fiction sont toujours situés dans des mondes alternatifs, dans lesquels nous retrouvons des éléments qui sonnent justes et qui nous semblent réels. Je crois que c’est justement ce qui fait toute la force de ce film. Nous inciter à réfléchir aux dangers d’une vie désincarnée, aux pseudos existences que la consommation intensive de divertissements virtuels peut nous faire mener. Dans le monde de Clones, les gens ne vivent pas leurs vraies vies, simplement parce qu’ils préfèrent ne pas courir de risques. C’est un danger qui nous guette tous, à différents degrés, et c’est aussi un thème fascinant à aborder. » A la vision du film, on peut constater que Mostow n’a pas perdu son sens des images-choc, qu’il avait si bien utilisé dans l’excellent film de guerre U-571, et à un moindre degré dans Terminator 3 : les poursuites et les fusillades sont spectaculaires, et certaines images étonnantes – les rues jonchées de clones inertes – assurent un spectacle à la hauteur du sujet. On peut être en revanche plus réservé sur le traitement de l’histoire, qui satisfera certains, tandis que d’autres jugeront ses rebondissements relativement prévisibles. Heureusement, pour peupler son univers d’humains et de clones, Mostow a réuni un casting imparable. Le choix de l’acteur principal a ravi l’auteur de la BD, Robert Venditti : lorsque Surrogates était paru, il rêvait à une adaptation cinématographique de son histoire, et avait déjà imaginé que Willis serait un excellent Harvey Greer ! Son vœu a donc été doublement exaucé. Aux côtés de Bruce Willis et Rhada Mitchell, on retrouve Rosamund Pike (la méchante blonde du Bond Meurs un autre jour et l’héroïne de Doom) dans le rôle de l’épouse du héros tandis que Ving Rhames (Mission Impossible 1, 2 & 3, L’armée des morts) incarne le prophète illuminé. Bruce Willis semble s’être beaucoup amusé pendant le tournage : « C’est un rôle doublement intéressant, car je joue à la fois mon substitut robotisé, qui est doté d’une force et d’une résistance surhumaine, et le détective de chair et d’os qui met sa vie en jeu pour résoudre cette énigme. Le clone de mon personnage agit donc comme un superhéros, ce qui nous permet de créer des scènes d’action très spectaculaires, tandis que Harvey Greer doit être beaucoup plus prudent. Tandis que sa réplique peut faire des bonds incroyables, défoncer un mur ou continuer à se battre avec un bras arraché, Harvey sait qu’une simple balle peut l’anéantir. Le contraste entre ces deux facettes du personnage est vraiment unique, et nous permet de créer du suspense et de la tension tout en instillant une pointe d’humour. » Le clone de Greer s’engage en effet dans une poursuite à la Terminator qui permet à Bruce Willis de jouer les super-cyborgs avec une petite touche de dérision bienvenue…

Le clonage de Bruce Willis

Pour donner deux apparences physiques bien distinctes au détective Harvey Greer et à son clone, la production a fait appel à la fois aux effets spéciaux de maquillage, supervisés par Greg Nicotero de KNB EFX Group, et aux effets visuels les plus sophistiqués, pris en charge par Motion Picture Company (MPC), Synthespian Studios et Sandbox FX. Alors que le « vrai » Harvey Greer a le visage du vrai Bruce Willis, rides et calvitie comprises, son substitut est plus jeune, et doté d’une abondante chevelure blonde. Si une belle perruque a permis de résoudre facilement le problème capillaire de la star, pour lisser son visage, on ne pouvait pas avoir recours à un maquillage traditionnel. En effet, autant on sait ajouter des prothèses en volume – poches sous les yeux, bajoues - pour créer l’illusion d’un vieillissement, autant on manque de moyens convaincants pour rajeunir un acteur. Par le passé, on utilisait un truc tout simple pour retendre la peau d’une actrice d’âge mur, lorsqu’elle devait apparaître dans un flashback : on lui collait des morceaux de tulle sur le haut des tempes et sous les oreilles, et on les liait par des élastiques tendus, passant derrière sa tête. Il suffisait de cacher les tulles tirant la peau sous une perruque pour que ce « lifting » momentané produise l’effet escompté. Le même procédé pouvait être utilisé sur un acteur, à condition que le rôle lui permette de porter des favoris et une perruque. En 2009, de tels artifices ne sont plus possibles. C’est donc la technique du maquillage numérique que l’on a employée pour retendre les traits de Bruce Willis. Rappelons que ce trucage numérique a été employé pour la première fois dans X-Men l’affrontement final (2006) pendant la séquence où le professeur Xavier et Magnéto viennent rencontrer Jean Grey alors qu’elle est adolescente. La méthode consiste à utiliser des images (photographies, scènes vidéo) des films tournés par l’acteur quinze ou vingt ans auparavant, et de les utiliser pour générer une représentation en 3D de son visage d’alors. Ce « masque » 3D est détaillé avec soin : on reconstitue les pores, les ridules et toutes les nuances de peau pour obtenir un résultat hyperréaliste. Dans le cas de Clones, le masque 3D de Willis a été superposé image par image sur son vrai visage, et déformé pour coller à ses expressions et à ses mouvements de bouche lorsqu’il parle. A l’image, le résultat est bluffant : c’est bien le vrai Willis que l’on voit, mais il semble avoir vingt ans de moins. Son visage a été volontairement rendu trop lisse et trop parfait, afin de souligner que l’être qui l’on voit sur l’écran est bien un clone et non pas le « modèle original ». Si le travail de l’équipe de Clones lui permet de s’imposer au boxoffice, le second volume de la BD, intitulé Flesh and bone (chair et os), sera adapté à son tour. Disney a déjà pris une option sur Flesh and bone, ainsi que sur toutes les suites possibles données au film lui-même. Bruce Willis pourrait incarner plusieurs fois le détective Greer si le verdict du public lui est favorable…

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