[Flashback] Battlestar Galactica : Dépasser les limites de la petite lucarne
Article TV du Lundi 18 Juin 2018

Par Pierre-Eric Salard

Après quatre saisons et près de 80 épisodes, le space-opéra télévisuel de Ronald D. Moore et David Eick s'était finalement conclu en mars 2010. Plus que toute autre série contemporaine, Battlestar Galactica a exploré des thèmes aussi controversés que la religion, la guerre et la nature de l'espèce humaine. Les créateurs de la série ont soigné le fond autant que la forme : rendons hommage aussi au fantastique travail des artistes des effets visuels, supervisé par Gary Hutzel. Des trucages des premières saisons, élaborés par les studios Zoic (Terminator : The Sarah connor Chronicles), à ceux des ultimes épisodes, conçus par un studio interne à Universal Television, Battlestar Galactica a repoussé les limites des effets spéciaux créés pour une série. Un travail justement récompensé à plusieurs reprises par les professionnels de l'industrie hollywoodienne...

Le souci du détail

Les équipes de post-production qui se sont succédées ont reçu deux Emmy Awards et un VES (Visual Effects Society) Award des Meilleurs effets visuels pour une série télévisée. Le style « documentaire » de ces trucages, conçus comme s'ils était filmés caméra à l'épaule, apporte un cachet d'authenticité à la série. « Le téléspectateur a vraiment l'impression qu'un journaliste est allé filmer les combats spatiaux », précise le producteur Ronald D. Moore. « Ce qui se passe à l'extérieur des vaisseaux semble aussi réel que les évènements se déroulant à leurs bords. Il y a une véritable continuité dans le style des prises de vue. A mon avis, c'est une première ! Ce n'est pas un hasard si l'équipe des trucages a obtenu autant de récompenses ! » Un sentiment partagé par Aurore de Blois, responsable du compositing des effets visuels. « Nous avons repoussé les limites techniques habituelles d'une série. Nous avons voulu surprendre nos téléspectateurs grâce à des effets visuels qu'ils ne s'attendaient pas à voir à la télévision ! Nous n'avons fait aucun compromis sur la qualité que nous désirions obtenir, même si le temps de calcul de tels rendus pouvait être parfois très long. Nous avons couru après la qualité, pas la quantité ! Nous sommes donc très fiers d'avoir été récompensés pour ce travail ! ». Le souci du détail a été la marque de fabrique de Battlestar Galactica dès son pilote – une mini-série diffusée en 2003. « Dès le premier jour du tournage, nous avons compris que nous travaillions sur un projet exceptionnel », raconte Gary Hutzel. « Pendant le tournage d'un pilote, les membres de l'équipe essaient habituellement de trouver leurs marques. Or sur Battlestar Galactica, les premières scènes tournées étaient déjà spectaculaires ! L'alchimie a été immédiate. Du début à la fin, nous n'avons jamais eu l'impression de travailler sur une série télévisée. Au contraire, nous avions le sentiment de participer à un véritable film ! Durant cinq ans, cette intime conviction nous a poussé à poursuivre notre objectif : des trucages impeccables ! Je suis fier d'avoir participé à cette série unique en son genre... Il suffit d'admirer le niveau de détail de nos trucages numériques pour se rendre compte de l'effort consenti par nos artistes ! » ?

Une flotte numérique

Le vaisseau Galactica a nécessité un travail de modélisation particulièrement complexe : le plus détaillé de ses modèles numériques est constitué de pas moins de 3,4 millions de polygones. Un autre croiseur spatial de la série originale, le Battlestar Pegasus, a également été transposé dans le remake. « Le Pegasus est apparu au cours de la seconde saison », précise Jose Perez, superviseur de la modélisation du vaisseau. « Alors que le modèle numérique de Battlestar Galactica a été élaboré en cinq mois, celui du Pegasus a dû être créé en seulement cinq semaines ! Pour terminer ce travail à temps, nous n'avons pas compté les nuits blanches... » Au cours de la série, le Galactica est chargé d'accompagner et de défendre une flotte de vaisseaux civils, de véritables « arches de Noé » pour les derniers survivants de l'humanité. Une majorité de ces navires sont des répliques numériques des vaisseaux composant la flotte de la série originale. Le superviseur des effets visuels de la mini-série de 2003, Lee Stringer (Serenity), a étudié méticuleusement les maquettes de la première série et les a recréés sous LightWave. « J'aimais vraiment le design de ces vaisseaux », précise Stringer. « J'ai même parcouru plusieurs centaines de kilomètres en voiture pour retrouver certaines miniatures et les prendre en photos ! La présence de leurs équivalents numériques dans le remake a permis de faire un pont entre les deux versions de Battlestar Galactica ». Les artistes utilisent Lightwave 3D, un célèbre logiciel de modélisation 3D, d'animation et de rendu. Les plans sont constitués de plusieurs calques (lumières, profondeur de champs, étoiles, etc), ce qui permet de gagner du temps en cas de modification de dernière minute. Il suffit alors de modifier un calque spécifique : la correction est automatiquement répercutée dans le compositing final ! Afin de réduire le temps nécessaire à l'animation et au rendu des vaisseaux, une astuce est mise au point par les techniciens : selon la distance et l'angle de la caméra, plusieurs niveaux de détails différents peuvent être activés. Ainsi, un plan large utilise des textures plus grossières qu'un gros plan, et inversement. Ce procédé permet également d'animer les plans sous la forme d'animatiques relativement sommaires...

L'indépendance des robots

Au cours des quatre saisons de la série, la création et l’animation des Centurions, l'armée de robots des Cylons, a beaucoup accaparé les artistes des effets visuels. Contrairement aux combats spatiaux, entièrement conçus sur ordinateur, les Centurions numériques évoluent au sein de prises de vue réelles. Le processus de compositing de ces plans est particulièrement long : il faut que les modèles numériques des robots soient parfaitement intégrés dans de véritables décors. « Si cela s'est avéré très compliqué à tourner et à truquer, le résultat a toujours été gratifiant », explique Gary Hutzel. « Les Centurions semblent différents selon les environnements dans lesquels nous les avons intégrés. Nous n'avons jamais réutilisé un seul trucage : chaque plan de la série est unique ! Cela a nécessité un imposant travail de rotoscopie, qui consiste à extraire d’une image un élément, pour le replacer en général sur une autre image. Nous avons utilisé le logiciel Fusion, qui nous a également permis de dupliquer plus facilement les Cylons. Fusion nous permettait de masquer rapidement certaines parties des robots, par exemple quand 'ils passaient derrière un arbre ». Aurore de Blois se rappelle d'un trucage particulièrement compliqué. « Dans le téléfilm Razor, nous devions intégrer un Centurion dans un corridor du Battlestar Pegasus partiellement effondré, au milieu d'un jet de fumée. Le logiciel Fusion m'a permis de réaliser cet effet en un temps record ! ». Grâce aux progrès techniques, les Centurions ont obtenu un rôle de plus en plus important au cours de la série. « Dans la mini-série, ces robots n'avaient qu'un rôle basique », explique Hutzel. « Durant les deux saisons suivantes, les Centurions n'étaient encore que de simples figurants. Ils débarquaient dans une scène et tiraient sur les héros, et ça s'arrêtait là. Mais Ron Moore a été impressionné par ce que nous arrivions à faire en si peu de temps – n'oubliez pas que nous ne bénéficions pas du délai de post-production d'un film de cinéma ! Au fur et à mesure, il nous a offert de plus en plus de latitude quant à l'animation des Centurions. A partir de la troisième saison, nous avons pu définir un véritable comportement par le biais de l'animation. Nous les avons fait réagir face aux personnages humains de la série, ce qui n'était pas prévu à l'origine, afin de leur donner donner plus de personnalité ! Ils se sont ensuite imposés dans la mythologie de la série, jusqu'à voler de leurs propres ailes dans le téléfilm Razor, ainsi que dans l'épilogue. Dans le scénario original du dernier épisode, il n'était pas prévu qu'une faction séparatiste de Centurions lutte aux côtés des humains. L'idée s'est pourtant imposée d’elle-même. C’est donc de la qualité des trucages qu’est né un élément important de la mythologie de Battlestar Galactica... » Le travail des artistes des effets visuels a indéniablement contribué à la réussite de la série. « Nos équipes de post-production ont réussi à rendre crédible l'univers de Battlestar Galactica », précise Ronald D. Moore. « Grâce à leurs efforts, les téléspectateurs n'ont pas été rebutés pas les invraisemblances de notre histoire. La magie du cinéma a opéré. Et Galactica a, je l'espère, rejoint le panthéon des meilleures séries de science-fiction... » Quoiqu'il en soit, il est certain que les trucages de Battlestar Galactica marqueront durablement l'histoire des effets visuels à la télévision...

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